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jeudi 4 août 2022

1252-NICE : LE BOULEVARD DU MIDI-1 (1820-1860)

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS



1 - Vue de Nice, détail, XVIIème siècle,
dessin en couleur, 33,5x44 cm, Paris, BnF (Gallica).


DERNIÈRE MODIFICATION DE CET ARTICLE : 29/01/2024


NICE - LE BOULEVARD DU MIDI (1820-1860)

(QUAI DES ÉTATS-UNIS, DEPUIS 1917)


 

UN ARTICLE ÉCRIT EN COLLABORATION AVEC OLIVIER GAGET


INTRODUCTION


Le boulevard du Midi s’établit dans le second tiers du XIXème siècle en bord de mer, sur le site ancien du Pré-aux-Oies, au sud et à l’ouest des anciens remparts de la vieille ville de Nice (rive gauche du Paillon) (Images 1 et 2).

Constitué tout d’abord du seul quai du Midi, il s’étend progressivement vers l’est, gagnant le quai des Ponchettes (Terrasse sud) et la partie de la rue des Ponchettes qui contourne le rocher de la Colline du Château (Pension Clerissy).

Cet article va uniquement étudier la partie correspondant au quai du Midi.



2 - LOUVOIS Auguste de (1783-1844), IIème vue de Nice, prise des bords du Paillon, détail, 1812, 
vue extraite de l'album, Nice et ses environs ou Vingt vues dessinées dans les Alpes-maritimes en 1812,
 gravées en 1814 par Melle BOQUET, vue de 41x27 cm, p 17, Paris, BnF (Gallica).


LE QUAI DU MIDI (1820-1860)


Le projet

Vers 1820, seuls existent, sur le futur tracé du quai du Midi, des bâtiments du XVIII° siècle inscrits dans les limites de l’ancienne enceinte des remparts : l’îlot de la Manufacture royale des Tabacs, le Théâtre Maccarani et deux bâtiments plus à l’est dont le Palais d'Ongran/Hongran (Image 3).

Suite à la construction du Ponte Nuovo di San Carlo sur le cours du Paillon (Pont Saint-Charles-Félix ou Pont-Neuf) (1820-1824), les projets concernant le bord de mer se développent. Les bastions du Midi (Image 2) qui subsistaient depuis la destruction des remparts (1705-1706) sont arasés dans les années 1820.

Le Théâtre Maccarani (1776) est acheté le 21 mars 1826 par la Commune et démoli. Il est reconstruit aussitôt et rouvre le 26 octobre 1827, devenant le Théâtre royal.

Un projet d’endiguement du Paillon à son delta voit le jour dans les mêmes années, accompagné d’un projet d’urbanisation des terrains vacants, avec notamment la réalisation de la Piazza Carlo-Alberto, de la Piazza della Foce (place de la Foux ou place de l’Embouchure) et des extrémités occidentales de la rue Saint-François-de-Paule et du site étudié. Ces projets seront, dès 1832, repris par le Consiglio d’Ornato (plan de 1835, AM, D34-469).


3 - Copia di quella del piano regolatore della Città di Nizza Marttima approvata da S.M. con Regie patenti del 1 febbraio 1830, détail, AM, D29-256
Plan signé du 14 juillet 1830, avec de gauche à droite : 
le delta du Paillon avec le projet de la place de la Foux ou place des Phocéens, 
les îlots projetés en bord de plage (surfaces rosées), les bâtiments existants (surfaces grisées)
 et le tracé (surligné en brun) des anciens remparts du XVIème siècle.


Les trois nouveaux îlots occidentaux

Deux plans datés de 1829 (AD06, 01FI 1530) et de 1830 (AM, D29-256) montrent le projet de trois îlots occidentaux (Image 3). La vente des parcelles s’étale de 1830 à 1834 mais les constructions ne sont réalisées qu’à partir de 1833-1834, à l’époque de l’endiguement du Paillon (1832-1836).

Un plan simplifié et non daté (AD06, 01FI 0084/02, vers 1833-34 ?) montre deux des îlots partiellement réalisés. Les différents chantiers se terminent vers 1835-1836. 

A la fin des années 1830, la Maison d'Horace Gauthier (îlot le plus occidental), se voit cependant dotée d'un étage supplémentaire (Image 4). Un lavis de Paul Emile Barberi, daté de 1839, montre d'ailleurs le dernier niveau encore inachevé du côté sud (ici). Cet exhaussement a cependant été réalisé sans l'autorisation du Consiglio d'Ornato, d'où une procédure de la municipalité en avril 1843 (AM, D336).

Au début des années 1840, ces trois îlots constituent le tiers du futur boulevard et forment une ligne immense, avec des façades sud respectivement percées, d’ouest en est, de 9, 11 et 9 baies sur 5 niveaux. Séparées par trois rues transversales, ces constructions neuves s’inscrivent dans l’alignement de l'ancien îlot de la Manufacture des Tabacs, séparé du Théâtre par la rue du même nom.

En janvier 1841, les Frères Borelli projettent la construction d'un bâtiment aligné avec le Théâtre (impasse du Théâtre et rue de la Terrasse), sur le terrain vacant situé au sud de leur propriété (AM, O4/9-5) mais ce bâtiment n'est pas réalisé (Image 4).


4 - Copia di quella del piano regolatore della Città di Nizza Marttima approvata da S.M. con Regie patenti del 1 febbraio 1830, détail, Archives Municipales de la Ville de Nice (AM, D29-256)
Plan signé du 14 juillet 1830 présentant la partie occidentale du futur boulevard du Midi, avec l'ajout du nom des rues (en bleu) et celui des noms des propriétaires vers 1835 (en noir) puis vers 1865 (en rouge).
La Gendarmerie sera vendue aux enchères le 30 mai 1868.


L’ancien îlot de la Manufacture des Tabacs

La Manufacture royale des Tabacs a été créée à cet emplacement, entre 1762 et 1769, avec notamment un long bâtiment orienté est-ouest.

Dans les dernières années du XVIII° siècle, l’ensemble a cependant été saisi par les Français, vendu aux enchères et loti en quatre propriétés, celles de Guide (au nord-ouest), Serrat (au sud-ouest), Bo(u)rgine (au centre) et Defly (à l’est) (R. Mercurin, H. Barelli et L. Damotte, Le diagnostic archéologique du parking Sulzer à Nice, ARCHEAM n° 19, 2013, pp 50-85).

Suite à la Restauration sarde (1814), la Manufacture a cependant repris son activité mais seulement dans la partie centrale de l’îlot, d'abord louée puis achetée par la Commune en 1835 (Image 4).

Le bâtiment initial de la Manufacture a donc été morcelé et transformé. Un plan daté de mai 1834 donne un état des lieux détaillé de l’ensemble de l’îlot (AM, D 33-157).

Seule une parcelle de terrain longeant l'îlot au sud reste alors dépourvue de construction mais, suite à la pression des propriétaires des parcelles attenantes, elle est divisée en lots vendus par la Commune en avril-mai 1843 (Image 4)

Les nouvelles constructions s’élèvent dès 1843-1844 (Maison Defly). Suite à des constructions entamées par plusieurs propriétaires sans autorisation du Consiglio d'Ornato, l'ensemble des travaux se voient bloqués en février 1847. De nouvelles demandes seront par la suite déposées puis acceptées. Cependant, certains bâtiments se verront limités à deux niveaux seulement (rez-de-chaussée surmonté d'un étage couronné d'une terrasse) (Edouard Scoffier et Félix Blanchi, Le Consiglio d'Ornato : l'essor de Nice, 1832-1860, 2001 p 59).

En 1850, sur demande de l'Etat, la Manufacture des Tabacs doit être agrandie malgré le projet de son déplacement. Le Conseil municipal du 4 juin 1850 décide d'exhausser d'un étage la maison nord (rue Saint-François-de-Paule) et d'ériger un nouvel hangar au sud (quai du Midi), tout en prévoyant sa revente et sa transformation en maison d'habitation après le déplacement de la Manufacture. Le bâtiment envisagé (26,20x15,40 m) est de 3 niveaux, avec une façade sud percée de 7 baies (L'Echo des Alpes-Maritimes des 5 et 7 juin 1850 pp 2-3). Le bâtiment réalisé vers 1850-1851 comportera bien 7 baies mais sera cependant réduit à un seul niveau.



5 - CAFFI Ippolito (1809-1866), Nice, vue de la plage prise depuis le quai du Midi
vue sud-est/nord-ouest, détail, 1852, 
huile sur carton, 28,5x44 cm, signée et datée, Collection particulière (Wikimedia). 
La vue montre, de gauche à droite, la Promenade des Anglais, l'embouchure du Paillon puis le quai du Midi.
Le quai du Midi est constitué des extrémités sud de : la Maison Gauthier, la rue Vanloo, les Maisons Gilly et Ongran (actuelle Résidence Beau-Rivage), la rue Bréa, la Maison Girard, la rue Sulzer, le nouvel hangar de la Manufacture des Tabacs (bâtiment bas), la Maison Defly, la Maison Chauvet (ex-Nieubourg), les Maisons Brès & Raynaud (bâtiment bas à cette date), la Maison Nieubourg & Novaro (bâtiment bas de l'actuel Hôtel Mercure), la rue du Théâtre (actuelle rue Milton Robbins), le Théâtre, l'impasse du Théâtre, la rue de la Terrasse (actuelle rue Raoul Bosio), le grand escalier ouest des Terrasses et le jardin du Café américain, avec à l'arrière, rue Saint-François-de-Paule, la Maison Chabaud-Bonfils (ancienne Maison Ongran) et la Maison Borelli (plus à l'ouest, près du Théâtre).


Au milieu des années 1850, la Maison Brès-Raynaud (Image 4) qui était jusque-là un bâtiment bas (Image 5) est exhaussée de plusieurs étages. 

En 1859, la construction d'une nouvelle maison, à l'angle sud-est de la rue Sulzer, vient finaliser l’alignement, en comblant l'espace vacant bien visible sur le plan de 1856 (Image 6). C'est le négociant Félix Donaudy qui acquiert le terrain le 7 février 1859 et fait construire la maison en 1859-1860 (Image 4).

Les constructions de l'ancien îlot de la Manufacture des Tabacs ont entraînédans les années 1840 et 1850, de nombreux contentieux entre les différents propriétaires et entre ces derniers et le Syndic (Mairie) car elles conduisaient à obstruer la vue sur mer des bâtiments situés du côté nord puis sud de la rue Saint-François-de-Paule (voir par exemple, L'Avenir de Nice du 30 mai 1853 p 2).


Les bâtiments du quai du Midi

En 1860, le quai du Midi est désormais constitué. Les îlots sont organisés autour d’une ou deux cours intérieures (côté ouest) ou de jardins (côté est). Les bâtiments sont, en dehors de ceux de la Caserne des Carabiniers, de la Manufacture royale des Tabacs et du Théâtre royal, des immeubles de rapport (logements annuels et saisonniers, appartements meublés et non meublés, bureaux avec notamment des sièges de consulats), de quatre (côté est) ou cinq niveaux (côté ouest). 

Seuls trois bâtiments bas (d'un seul niveau) restent présents du côté sud de l'ancien îlot de la Manufacture des Tabacs, avec d'ouest en est, le bâtiment Serrat (en retrait, rue Sulzer, masqué par la Maison Félix Donaudy dès 1859), le nouvel hangar de la Manufacture (vers 1850-1851) et le bâtiment Nieubourg & Novaro, à l'angle de la rue du Théâtre (vers 1847-1848 ; actuel Hôtel Mercure).

Les différents îlots alignent leur façade nord le long de la rue Saint-François-de-Paule, avec cette fois des commerces au rez-de-chaussée.

Les bâtiments d’un même îlot appartiennent généralement à plusieurs propriétaires (Image 4) et peuvent présenter des façades aux élévations plus ou moins homogènes.

La Maison Gauthier (27x47 m) qui constitue l’intégralité de l’îlot situé à l’extrémité occidentale du quai (Images 4 et 8), offre des façades semblables sur le quai du Midi, la place des Phocéens, la rue Saint-François de Paule et la (future) rue Vanloo.

L’îlot voisin offre cependant une façade sud (actuelle Résidence Beau-Rivage) de 37,50 m de large, constituée de deux bâtiments égaux aux baies non alignées, malgré des constructions rapprochées dans le temps et conçues par le même ingénieur civil et hydrologue Joseph Lacroix (Image 8).


La dénomination des voies

La voie qui longe la mer est désignée dans les années 1830 par le nom de "strada" ou "contrada di circonvallazione", boulevard de ceinture, contournant le tracé des anciens remparts depuis le Pont-Neuf. Les dénominations de "baluardo di Mezzodi" (rempart du Midi) puis de "quai" ou de "boulevard du Midi" (en français), ne semblent pas apparaître avant le début des années 1840 (vers 1843, AM, D43-176).

Le plan de la Ville de Nice de 1856 (BnF) montre que le boulevard de ceinture, qui part de la "place Charles-Albert" et contourne la "place des Phocéens" (aménagée en 1843)porte le nom de "boulevard Charles-Albert". Seule la partie longeant le rivage est désormais désignée par le nom de  "boulevard du Midi" (Image 6).

Les trois rues transversales qui accostent les îlots occidentaux, désignées sous le nom de "contrada di traversa" dans les années 1840, ont pour leur part adopté au début des années 1850 (au plus tard en 1854), d’ouest en est, les noms de rue Vanloo, rue Bréa et rue Sulzer (Images 4 et 6). 



6 - Plan de la ville de Nice, dressé par Ch. Montolivo et gravé par Ch. Dyonnet, 1856,
détail du boulevard du Midi, Paris, BnF (Gallica).
La Lettre "D" indique la Manufacture des Tabacs. Légende des numéros ajoutés sur le plan :
1: Belvédère (batterie) - 2: Hôtel Paradis (Joseph Faraut ; Maison Gilly) - 3: Cabines de Bains (Charles Faraut) - 
4: Escalier de la plage - 5: Hôtel du Midi (Agnès Ancel ; Maison Girard) - 6: Points de vue en demi-lune -
7: Cabines de Bains, Souterrain et Etablissement Mary (Maison Nieubourg) - 
8: Escalier occidental des Terrasses 9: Café Américain (Maison Chabaud-Bonfils) avec jardin sud -



Le quai du Midi

Une rare lithographie, Vue du boulevard du Midi, extraite de l'Album du Comté de Nice, daté de 1844 (Nice, Bibliothèque Municipale de Cessole, ici), témoigne d’une rangée d’arbres bordant le quai du Midi dans la continuité de celle du boulevard Charles-Albert et de la place des Phocéens (projet de 1843) et se continuant jusqu’à la (future) rue Bréa.

Cette rangée d’arbres avait déjà été envisagée lors de projets antérieurs mais avec des longueurs différentes. Elle allait jusqu’au sud de la Maison d'Ongran, sur un plan daté du 5 décembre 1829 (AD06, 01FI 1530) mais seulement jusqu’à la première rue transversale (future rue Vanloo), sur un plan daté du 10 octobre 1833 (AM, O 4/4-215).

Cette rangée d’arbres est ensuite signalée en 1852 (L'Avenir de Nice du 25 juin 1852 p 3) mais semble avoir ensuite été supprimée (Alexandre de Lacoste, Nice pittoresque et pratique, 1876, p 597 et note 1), probablement afin de faciliter la circulation.

Le quai du Midi est apprécié par les niçois et les touristes étrangers, pour son calme, son bel alignement de maisons, son ensoleillement et sa vue sur mer. La voie de 8 m de large, macadamisée, bordée de caniveaux et de trottoirs, est surélevée par rapport au niveau de la mer et soutenue par un mur qui sert de digue (Images 5 et 6).

Le trottoir sud, bordé d’un parapet, offre au promeneur de nombreux bancs de pierre très agréables les soirs d’été (dessin des bancs du 22 avril 1843, AM D43-176) et deux points de vue (après le belvédère de l'Embouchure), avec deux balcons sur la mer (Image 6).

Ces derniers, créés vers 1845 sur un dessin de l'architecte de la Ville Joseph Vernier, sont situés, pour l’un, face à la (future) rue Sulzer, et pour l’autre, face à la rue du Théâtre (Image 6). Ils interrompent le parapet par deux avancées en demi-lune ceinturées d'une grille et pourvues d'une fontaine centrale. Celle-ci offre quatre petites vasques autour d’un cippe circulaire dominé par un grand vase de bronze, au socle orné de sirènes affrontées (Image 7). 

Lors du détournement du Canal des Moulins (dit aussi Canal de la Boucherie) dans la rue Sulzer en 1860-1861, un arrêté municipal précise que "le nouveau canal débouchant sur le rivage de la mer sera établi à 0, 80 m de distance du mur de l'est du puits circulaire qui alimente la fontaine existant sur le boulevard du Midi" (AM, 2T8-225). 

A partir de 1872 cependant, ces fontaines seront signalées dépourvues d'eau (Le Journal de Nice du 3 octobre 1872). Quatre ans plus tard, Alexandre Lacoste en déduira, par erreur, que ces fontaines n’ont jamais été mises en eau (op. cit., 1876 p 598).  

7 a - VERNIER Joseph (1800-1859), Disegno delle trombe idrauliche da collocarsi ai pozzi avanti al Teatro ed alla casa Girard, 17 mai 1845 (AM, D44-191).

7b - FÉLON Joseph (1818-1897) dessinateur, BECQUET Charles Germain (1825-?) lithographe, Une fontaine sur le quai du Midi, à Nice, estampe de 1856 (Bibliographie de la France, 1856 p 1011 - AD06, 05FI 0092), reproduite dans Le Magasin Pittoresque, 1857, accompagnant l'article, "Nice et Cannes", pp 129-130 ; "Un quai magnifique, bordé par de somptueux hôtels, exposé en plein midi, baigné par les eaux charmantes de la Méditerranée, qui s'étalent paisiblement à sa base".


 

Un escalier à double rampe situé face à la (future) rue Bréa (Images 5 et 6) est déjà présent sur un plan de 1834 (AM, 1Fi 1-15) et permet d’accéder à la plage de galets. Si la plage des Ponchettes est davantage occupée par les cabanes, barques et filets de pêcheurs, celle du Midi est surtout celle où sèche le linge lavé par les lavandières à l'embouchure du Paillon (Image 8) et où sont installées les cabines de bains, encore peu nombreuses dans les années 1850. 


Les hôtels, restaurant, café et établissements de bains                                                         

Si la rue Saint-François-de-Paule s'affirme comme une rue large et commerçante bordée de boutiques (magasins, artisans), le quai du Midi en semble totalement dépourvu. Comme dans la rue Saint-François-de-Paule cependant, de nombreux appartements meublés et non meublés sont mis à la disposition des hivernants sur le quai du Midi, soit directement par leur propriétaire, soit par l’intermédiaire d’un loueur.

L’Hôtel du Midi est cité dans deux récits de voyage de 1838 ("Letters from Italy - Letter n°1-Nice, mars 1838", in, Dublin University Magazine, vol. XIX, premier semestre 1842, janvier, p 48 ; Lady Judith Cohen Montefiore, Notes from a Private Journal of a visit to Egypt and Palestine by way of Italy and the Mediterranean, London, 1844 p 67).

Il est ensuite signalé en 1839, "sur le bord de la mer, au quartier neuf" (Augustin Bricogne, Le Conducteur des Etrangers dans Nice et ses environs, 1839 p 91). Le nom de son exploitant n’est précisé qu’à partir de 1845, "Hôtel du Midi, Ancel (Mme), boulevart du Midi", "appartements à louer" (L’Indicateur niçois, 1845 pp 184, 199 et 244). 

L’adresse précise de l’hôtel n'est citée qu’à la fin de l’année 1852, au moment du départ présumé d'Agnès Ancel, par le biais d’une publicité diffusée par son successeur, "Mugias Sébastien, Restaurant, maison Girard, Boulevard du Midi, ci-devant [anciennement] Hôtel du Midi, envoie des pièces à domicile, fait la commande, et les pièces froides pour pique-niques. Le tout à des prix fort modérés" (L’Avenir de Nice, du 8 décembre 1852 au 7 janvier 1853 p 4).

Ce restaurant semble avoir existé peu de temps. Il s'agit cependant de Sébastien "Rugias" (Tourette 1813-Tourette 1896), cité en 1855 tenant l'Hôtel du Midi puis en 1859 comme cuisinier place Charles-Albert (Pierre Cauvain, Cicérone de l'Etranger pour Nice et ses Environs, 1855 p 87 ; L'Avenir de Nice du 1er novembre 1859).

Marie Agnès Hissel, veuve Ancel (Eupen 1806-Nice 1888), "loueuse d'appartements", ne semble avoir cédé à Sébastien Mugias/Rugias qu'une partie des locaux qu'elle gérait. Elle reste dans la Maison Girard, désormais domiciliée au 3, rue Sulzer, et l'Hôtel du Midi continue d'être cité, notamment dans les guides de voyageurs, "boulevard du Midi" (A.J. Du Pays, Itinéraire de l'Italie et de la Sicile, 2ème édition, 1859 p 87 ; recensement de la Ville de Nice de 1861) (Image 6).

L’Hôtel Paradis, fondé en 1840 par Joseph Faraut/Faraud/Féraud (Coursegoules 1814-Nice 1881) puis attesté rue des Ponchettes dès fin 1843, déménage pour sa part fin 1853, pour s’installer quai du Midi, cédant son ancien emplacement à l’Hôtel des Princes (L'Avenir de Nice du 2 novembre 1853). 

Son adresse, "boulevard du Midi, 11, maison Gilly" (Image 4), est précisée dans un guide de 1858 où l'établissement est également présenté dans une publicité, "cet Hôtel, situé en plein Midi, au bord de la mer, à côté de l'Etablissement de Bains, du Théâtre et des Cercles [Maison Nieubourg], jouit également de la vue sur la campagne" (Guide des Etrangers à Nice, 1858-1859, octobre 1858, 3ème partie pp 3 et 65 et encart publicitaire en fin d’ouvrage) (Image 6).

Benoît Cresp (Grasse 1806-Nice 1878) est un confiseur-pâtissier qui, entre 1837 et 1843, quitte Vence pour s’installer à Nice. Il est cité dans la liste professionnelle des confiseurs et pâtissiers niçois dès 1845 avec un associé, "Cresp et Bérard, rue St. François de Paule", au rez-de-chaussée de la Maison Chabaud-Bonfils (L’Indicateur niçois, 1845 pp 170 et 175). 

Cette ancienne Maison d'Ongran/Hongran (édifiée de 1769 à 1772), située à l’est du Théâtre, est la dernière maison de la rue Saint-François-de-Paule, côté sud, au n° 2, près du Cours. En 1846, les deux associés reprennent à ce même emplacement, le "Café Américain", précédemment tenu par Bastian Barteld (L’Indicateur niçois, 1845 p 170) et ils restent cités, les deux années suivantes, tant dans la liste des confiseurs-pâtissiers que dans celle des cafetiers, pour le "Café Américain" (L’Indicateur niçois, 1846 pp 136 et 141 ; 1847 pp 135 et 140). 

Cependant, dès 1848, Benoît Cresp assume désormais seul les deux commerces, et le café se voit rebaptisé, "Café de la Constitution", en l'honneur du Statut albertin du 4 mars 1848 (L’Indicateur niçois, 1848 pp 165 et 170). Ce café retrouve cependant son nom de "Café américain" et est vanté dans un guide de 1856, pour la beauté de son aménagement intérieur (Guide Murray, Northern Italy, 1856, p 70). L'établissement dispose, en dehors d'une entrée sur la rue Saint-François-de-Paule, d'un jardin situé au sud du bâtiment, avec une entrée boulevard du Midi (ancienne Maison Thaon sur un plan de 1829 puis maisons Gilli et Gauthier sur un plan de 1841) (Image 6).

Les plus anciennes mentions de cabines de bains sur la plage du Midi datent de mai 1853. A cette date, Charles Faraut qui "tient depuis plusieurs années une cabane de baigneurs sur les bords de la mer, en face la descente du Boulevard du Midi", rappelle dans une annonce son offre de services, les sauvetages qu'il a opérés par le passé et la perte récente, suite à la tempête du 18 mars, de sa cabane et de ses filets (L'Avenir de Nice du 18 mai 1853 p 4) (Image 6). 

Depuis 1847, un Etablissement de bains "d’eau douce, de mer et à la vapeur" est installé près du Théâtre, à l'angle de la rue Saint-François-de-Paule et de la rue du Théâtre, dans la Maison Nieubourg (L’Indicateur niçois, 1847 p 131). Son exploitant, Pierre Mari/Mary (maître maçon), fait établir fin 1852 (L’Avenir de Nice des 25 septembre, 17 octobre et 15 décembre 1852 p 2), un souterrain voûté, au sol pavé de marbre, qui part de la rue Saint-François-de-Paule, passe sous le boulevard du Midi et accède directement à la plage par une porte percée dans le mur de digue, permettant tout à la fois le passage des baigneurs et celui des conduites destinées à puiser l’eau de mer (Images 4 et 6). 

Dès juillet 1853, Pierre Mary fait réaliser des travaux sur la plage, dans le but d'y installer des cabines de bains. Il inaugure son établissement début décembre 1853, face à la porte de son tunnel (L'Avenir de Nice des 9 juillet et 7 décembre 1853) (Image 6). 

Une publicité de 1857 pour l'établissement, désormais dénommé, "Polythermes. Bains de la Méditerranée", évoque cette particularité "Monsieur Mary a créé au centre même de son établissement, une allée élégamment couverte qui conduit sur le bord de la mer, où sous les yeux des maîtres nageurs les plus habiles, les hommes, les dames, les enfants peuvent, en toute sécurité, s'exercer au fortifiant exercice de la natation" (Auguste Burnel, Nice, janvier 1857, appendice publicitaire). 

Pierre Mary renouvellera pendant de nombreuses années la demande de concession de cette parcelle de plage provenant des lais et relais de la mer (AD06, 02Q 0418). Ses quelques cabines, d'abord groupées à la limite de l'eau, formeront ensuite une longue ligne perpendiculaire au rivage.


Un projet d’extension du boulevard

Si, au début des années 1850, la rue Saint-François-de-Paule et le quai du Midi s’allongent parallèlement, depuis la place des Phocéens jusqu’aux commerces de Benoît Cresp situés de part et d’autre de l’ancienne Maison d'Ongran, la voie macadamisée soutenue par un mur de digue s’arrête encore à hauteur de la rue de la Terrasse (Image 5).

Le prolongement (mais sans mur de digue) est décidé en 1854. En 1857, le boulevard du Midi, "atteint enfin la Poissonnerie, située plus à l’est et doit être prolongé jusqu’aux Ponchettes" (Auguste Burnel, Nice, janvier 1857, pp 34 et 184).

La voie va relier la place des Phocéens à la Colline du Château, en longeant les nouvelles terrasses des Ponchettes (1839-1860) dont la construction s’éternise (Guide des Etrangers à Nice, 1858-1859, août 1858 p 49). Les travaux (nivellement du sol et remblai) sont en effet réalisés en 1859 (L'Avenir de Nice des 20 avril, 28 avril et 26 décembre 1859). La voie n’en reste pas moins, dans sa partie orientale, un chemin de terre et de sable, de plus très étroit dans son contournement du jardin du Café américain.



8 - SILLI Joseph (1826-1886), Le quai du Midi, à Nice, vue sud-ouest/nord-est, détail, vers 1858, 
vues stéréoscopiques de 17x8,6 cm, Amsterdam, Rijksmuseum (ici).
Au tout premier plan, l'embouchure du Paillon, et au-dessus des digues, la place des Phocéens et le quai du Midi (avec l'angle de la Maison Gauthier) puis la même suite de bâtiments que sur la peinture d'Ippolito Caffi (Image 5). L'enseigne de la façade occidentale du deuxième îlot est celle de l'Hôtel Paradis (Maison Gilly). La Maison Félix Donaudy (1859) n'est pas encore construite à l'ouest du hangar de la Manufacture des Tabacs.
 Sur la plage, les lavandières font sécher le linge lavé dans les eaux du Paillon.



ÉPILOGUE


Le quai du Midi du second tiers du XIX° siècle est connu par des textes et des plans mais également par des dessins, lithographies, aquarelles et tableaux, souvent non datés (voir ici) et par de très rares photographies qui datent au plus tôt de la seconde moitié des années 1850. 

Les bâtiments révélés par ces documents constituent encore une partie de l'actuel quai des Etats-Unis, notamment les trois îlots occidentaux et la Maison Defly (Google Street View). 

La plupart des bâtiments ont été surélevés d'un ou plusieurs étages (dès les années 1860), certains ont vu leur façade modifiée et d'autres enfin ont été remplacés (parfois même dès le XIXéme siècle) : 

- la Manufacture des Tabacs a déménagé en août 1860 (Le Messager de Nice du 28 août 1860) au quartier de Riquier (rue de Paillon ou route de Villefranche, actuelle rue Barla) et une succursale de la Banque de France a été construite à son emplacement entre l'été 1864 et l'été 1865, 

- le Théâtre a brûlé le 23 mars 1881 et a été reconstruit au même endroit entre novembre 1882 et février 1885, 

- le jardin du Café américain a cédé la place à une Maison bien alignée en 1883 (actuel Palais des Etats-Unis)

- et la Maison Félix Donaudy a été démolie dans les années 1980 (en même temps que la succursale de la Banque de France) pour céder la place à l'actuel parking Sulzer. 

Dans tous les cas, les bâtiments étudiés ont déterminé l'alignement et la largeur des façades actuelles et, plus exceptionnellement, leur hauteur (Hôtel Mercure).



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LES TERRASSES DES PONCHETTES À NICE (XVIII°- XIX° s.)


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