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lundi 29 octobre 2018

947-JEAN TINGUELY (1925-1991) : UN CHOIX D'ŒUVRES DES ANNÉES 1945-1960




- Jean Tinguely et Méta-Matic, Première Biennale de Paris, 1959,
photographie argentique de Paul Almasy, 27,8x22, 5 cm.



VOIR EN INTRODUCTION SUR LA GLOBALITÉ DE L'OEUVRE DE JEAN TINGUELY :





INTRODUCTION

Jean Tinguely (1925-1991) est un artiste suisse (sculpteur, peintre, dessinateur) qui a passé son enfance et son adolescence à Bâle.

Enfant, il crée, dans la forêt, au bord du ruisseau, une vingtaine de moulins hydrauliques et sonores, faits de roues de bois et de boîtes de conserves heurtées. Ces réalisations éphémères révèlent déjà son intérêt pour la construction, les matériaux pauvres, la roue, le temps, le mouvement, la vitesse et le son.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, il fait un apprentissage de décorateur/étalagiste puis suit des cours à l'Ecole des Arts appliqués de Bâle où il découvre l'Art contemporain et en particulier l'Art abstrait, le Dadaïsme, le Bauhaus et le Constructivisme russe. A l'Ecole, il rencontre en 1944 Eva Aeppli (1925-2015) qui devient sa compagne et qu'il épousera par la suite (en 1951). Jean Tinguely exerce alors son métier de décorateur/étalagiste et s'intéresse à la peinture.



CRÉATIONS DES ANNÉES 1945-1960

Influencé par l'art d'Alexander Calder, Jean Tinguely abandonne la peinture et crée, dès la seconde moitié des années 1940, des reliefs et sculptures stabiles et mobiles (avec manivelle ou petit moteur électrique) faits de fil de fer et de plaques de tôle et installés au mur ou suspendus au plafond de son appartement. En 1952, il fixe au plafond une porte en mouvement et des objets hétéroclites suspendus dont la vitesse de rotation entraîne la destruction d'une partie d'entre eux.



- TINGUELY Jean (1925-1991), Stabile I, vers 1948.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Stabile II, vers 1948,
110x62x75 cm.




Jean et Eva s'installent à Paris fin 1952. Alors qu’Eva réalise des poupées de tissu, Jean Tinguely continue son métier de décorateur et ses créations de sculptures métalliques qu'il expose à partir de 1954. En 1955, ils emménagent dans l'Atelier de l'impasse Ronsin.




- TINGUELY Jean (1925-1991), Relief Méta-mécanique (Méta-Malévitch), 1953.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Sculpture Méta-mécanique, 1954.




Il dénomme alors ses créations (automates, sculptures et reliefs) d’œuvres "Méta-Mécaniques". Il réalise notamment :

- des sculptures en fil de fer actionnées à la main (manivelle) ou un petit moteur, les "Moulins à prière" (fragiles et à la rotation qui dysfonctionne) inspirés des créations d'Heinrich Anton Müller (mort en 1930) qu'il vient de découvrir (sculptures réalisées en hôpital psychiatrique avec des branchages, chiffons, détritus et excréments, vers 1914-1917 - voir l'article du blog de Geneviève Blons) puis ses "Eléments détachés",



- TINGUELY Jean (1925-1991), Moulin à prières III, 1954,
bois, montants métalliques, fil de fer, 50x40x30 cm.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Moulin à prières IV, 1954,
bois, montants métalliques, fil de fer.


 - TINGUELY Jean (1925-1991), Élément détaché I, relief méta-mécanique, 1954,
cadre en tube d’acier, fil d’acier, 12 éléments en Pavatex (carton) de forme variable, tous peints en blanc, moteur électrique 110 V,
81 x 131 x 35,5 cm, Bâle, Musée Tinguely.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Élément détaché IIIrelief méta-mécanique, 1954,
cadre en tube d’acier, fil d’acier, 12 éléments en Pavatex (carton) de forme variable, tous peints en blanc, moteur électrique, 81x126x37 cm.

VOIR UNE VIDÉO (2 MN 18, 2014) SUR "ÉLÉMENTS DÉTACHÉS III", 1954



- une sculpture en mouvement qui, de plus, se déplace dans l'espace, "Sculpture mécanique automobile" (1954),



 - TINGUELY Jean (1925-1991), Sculpture méta-mécanique automobile, 1954,
fer, tôle peinte, remontoir, 134 x 79 x 56 cm, Paris, MNAM.




- des tableaux en mouvement faits de formes métalliques géométriques découpées et peintes en noir et blanc ou couleur, animées par de petits moteurs et un mécanisme cachés derrière une plaque de bois (dès 1953-1954), 



 - TINGUELY Jean (1925-1991), Relief Méta-mécanique (Méta-Malevitch), Blanc sur blanc, 1955,
bois et tôle peints, moteur, 40x60x20 cm.

 - TINGUELY Jean (1925-1991), Relief Méta-mécanique, Jaune et noir, 1956,
bois et tôle peints, moteur, 49x43x22 cm.




- des reliefs et sculptures intitulés en hommage aux grands peintres abstraits, notamment inspiré par les œuvres de Malevitch et de Hans Arp (1953-1960 : Kandinsky, Herbin, Malevitch),



 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Malevich, série, 1954,
caisses en bois noire avec éléments métalliques rectangulaires, peints en blanc,
intérieur : roues en bois, courroies en caoutchouc, tiges métalliques et moteur électriques, Bâle, Musée Tinguely.

 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Herbin II, 1955,
fil de fer, tôle peinte, moteur, 150x40x40 cm.


 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Kandinsky I, 1956,
relief en métal polychrome. 39,8 x 103,2 x 33 cm, Bâle, Musée Jean Tinguely.





- deux reliefs sonores, machines en mouvement intégrant des récipients en verre et métal heurtés par de petits marteaux.



 - TINGUELY Jean (1925-1991), Relief méta-mécanique sonore II, 1955
tableau en bois noir avec 17 éléments en carton de formes différentes et peints en blanc,
tiges et fils métalliques, 2 bouteilles, 1 entonnoir, 1 scie, 2 boîtes de conserve,
5 moteurs électriques 220V, 73 x 360 x 48 cm, Bâle, Musée Tinguely.






- trois machines à dessiner (1955), des reliefs muraux à bras articulé et plateau tournant dessinant à la craie des cercles imparfaits (il fera par la suite, en 1959, une série de près de vingt machines à peindre, non murales, intitulée les "Méta-Matics"),



 - TINGUELY Jean (1925-1991), Machine à dessiner n°1, sculpture méta-mécanique, 1955,
tableau noir, bois et acier peints, moteur électrique, 75x117x37 cm, Bâle, Musée Tinguely.

 - TINGUELY Jean (1925-1991), Machine à dessiner n°3, sculpture méta-mécanique, 1955,
tableau de bois peint en noir, disque métallique tournant, fil métallique,
verso : 3 roues en bois, courroies en caoutchouc, 2 moteurs électriques,
54,5 x 106 x 33 cm, Bâle, Musée Tinguely.





EXPOSITIONS ET MANIFESTATIONS DES ANNÉES 1954-1960

Entre 1954 et 1960, Jean Tinguely produit énormément et expose régulièrement, à Paris mais également à Milan, Londres, Berlin, New York :

- 1954 : Première exposition personnelle à la Galerie Arnaud, Paris,


- 1955 : Participation à l'exposition retentissante, "Le Mouvement", Galerie Denise René, Paris ; Tinguely expose aux côtés des figures tutélaires de Duchamp et Calder mais également d'Agam, Bury, Jacobsen et Soto.



- Vue de l’exposition "Le Mouvement", Galerie Denise René, Paris 1955, avec des œuvres de Marcel Duchamp (Rotary Demisphere/Precision Optics, 1925) et Jean Tinguely (Sculpture méta-mécanique automobile, 1954) .





- 1958 : Exposition "Mes étoiles - Concert pour 7 peintures", Galerie Iris Clert, Paris,


- 1958 : Exposition d’œuvres réalisées avec Yves Klein (1928-1962), Galerie Iris Clert, Paris, "Vitesse pure et stabilité monochrome",



- Jean Tinguely et Yves Klein travaillant Impasse Ronsin à Vitesse pure et stabilité monochrome, 1958,
photographie Martha Rocher.

- Vue de l'exposition "Vitesse pure et stabilité monochrome par Yves Klein et Tinguely", Galerie Iris Clert, Paris, 1959.


Sur des constructions de Tinguely sont montés des disques monochromes d’Yves Klein. 
Du fait de leur rotation se créent des nuages et zones de couleurs, bleus, rouges ou blancs.


 - TINGUELY Jean (1925-1991) et KLEIN Yves (1928-1962), Excavatrice de l'espace, 1958,
fer, divers métaux, plaque de Pavatex peinte en blanc, moteur électrique, 
82 x 109 x 105 cm, Bâle, Musée Tinguely.




- 1959 : Exposition des Méta-Matics, les machines à dessiner et à peindre (dont certaines portatives à manivelle) à la Galerie Iris Clert, Paris (environ 4.000 dessins sont réalisés),



- Iris Clert, Jean Tinguely et Marcel Duchamp avec les méta-matics de Tinguely, Galerie Iris Clert, Paris, 1959.




- 1959 : il participe à la Première "Biennale de Paris", Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (ce qui assure sa renommée),



- Jean Tinguely au vernissage de la Première Biennale de Paris, 1959,
avec le Stabilisateur méta-matic n° 17 en fonctionnement sur le parvis
entre les deux musées d'Art moderne, photographies argentiques de Paul Almasy.

"L'oeuvre fonctionne  les  jours  de  beau  temps  pendant  une  heure, à 15h et 17h. Deux mécaniciens, décrits comme de jeunes gens athlétiques type «club James Dean»,revêtus  de  maillots  blancs où est inscrit «Méta-Matic 17», sont chargés  de  remplacer le  ballon  de  baudruche  à  l’extrémité  du  tuyau  d’échappement de l’œuvre, qui libère régulièrement un nuage de fumée. Cette machine produit des dessins abstraits en  série,  les  découpe,  et  un  ventilateur  se  charge  de  les  diriger  vers  les spectateurs ; un dispositif vaporise un parfum de muguet, afin de masquer l’odeur dégagée par  la  fumée. C’est la «star» de  la  Biennale : elle  accueille  les  visiteurs,  et fait  rire Malraux  lors  de  l’inauguration. Pourtant,  c’est  aussi l’œuvre  la  plus  décriée  de  la Biennale". Extrait du Mémoire de Justine Jean, La première Biennale de Paris : genèse, enjeux, bilan et réalité, 2017 p 51 (Ici).





- 1959 (mars) : Tinguely répand par avion son Manifeste, "Für Statik" ("Pour la Statique") sur la ville de Düsseldorf,



- Jean Tinguely dans d'un avion pour le lancement de tracts "Für Statik" sur Düsseldorf, le 14 mars 1959.

- Manifeste "Für Statik" (1959) et sa traduction en français.





- 1959 : Tinguely expose à la Kaplan Gallery de Londres et fait une conférence-happening où il présente sa machine à dessiner, Cyclo-matic (machine animée par la compétition de deux cyclistes successifs, débitant ses dessins sur trois kilomètres de rouleaux de papier projetés sur le public) à l'Institute of Contemporary Arts,





- « Art, Machines, and Motion: A Lecture by Jean Tinguely », 
Institute of Contemporary Arts, London, 12.11.1959, photo : John Cox.




- 1960 (mars) : Happening à New York avec l'ingénieur Billy Klüver, intitulé Homage to New York (machine autodestructrice composée de ferraille et d'objets divers dont deux Méta-matics), dans le jardin de sculpture du Museum of Modern Art.



- TINGUELY Jean (1925-1991), Dessin pour Homage to New-York, 1960,.


- TINGUELY Jean (1925-1991), Homage to New-York, 1960, New-York, jardins du MOMA,
happening réalisé en public avec une sculpture-machine de 16 m de haut qui s'est auto-détruite en 27 minutes dans les flammes et les explosions
(piano, radio, ballon météorologique, deux machines à dessiner, klaxon électrique, plusieurs dizaines de roues de vélo
 et de voitures d'enfant, plusieurs moteurs électriques, d'innombrables pièces de ferraille, engins fumigènes, objets de toutes sortes).
De cette oeuvre qui se voulait éphémère et non commercialisable ont été cependant conservés quelques fragments.






- TINGUELY Jean (1925-1991), Homage to New York, fragment (Klaxon), 1960,
métal peint, tissu, ruban adhésif, bois et pneus en caoutchouc, 203.7 x 75.1 x 223.2 cm, New York, MoMA.

 - TINGUELY Jean (1925-1991), Homage to New York, fragment (Klaxon), 1960,
roues de voiture d’enfant, ferraille, klaxon électrique, moteur électrique, 
48 x 70 x 65 cm, Bâle, Musée Tinguely.



En 1960, Jean Tinguely se sépare d'Eva Aeppli pour Niki de Saint Phalle (1930-2002), rencontrée en 1956 (qu'il épouse en 1971 et avec laquelle il va collaborer pendant trente ans malgré leur séparation de 1973).
En octobre 1960, Jean Tinguely signe le "Manifeste des Nouveaux Réalistes" avec ses amis Yves Klein, Daniel Spoerri et le critique Pierre Restany mais également Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse et Jacques de la Villeglé.



LES MÉTA-MATICS ET CYCLOGRAVEURS - 1959-1960




 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n°1, 1959,
métal, papier, crayon feutre, moteur, 96 x 85 x 44 cm, Paris, MNAM.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n°5, 1959,
métal peint, fils, acier, courroies en caoutchouc, moteur électrique et papier,
74x110x40 cm.


 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n° 6, 1959,
trépied en fer, roues en bois, feuille métallique façonnée, courroies en caoutchouc, tiges métalliques, 
le tout peint en noir, moteur électrique, 50 x 70 x 30 cm, Bâle, Musée Tinguely.

 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n° 7 1959,
métal peint, fils, acier, courroies en caoutchouc, moteur électrique et papier,
55,5x94,5x50 cm.


- TINGUELY Jean (1925-1991), Dessin réalisé en collaboration avec la Méta-Matic n°6, 1959.

 - TINGUELY Jean (1925-1991), Dessin réalisé en collaboration avec la Méta-Matic n°8, 1959.


- TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n° 9, 1959,
courroie en caoutchouc , tiges d'acier, tôle peinte, poulies en fil de fer, 
deux pinces à linge et moteur électrique, 90.2x143.8x36.2 cm, Houston, Museum of Fine Arts.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n° 10, 1959,
métal, bois, 99x133x69 cm, Bâle, Musée Tinguely.




 - TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n° 14, 1959,
sculpture portative, métal et bois, fils métalliques, courroies en caoutchouc, peints en noir
38 x 69 x 41 cm, Bâle, Musée Tinguely.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n° 17, 1959,
métal peint, moteur à essence, ballon, papier,
330x172x193, Stockholm, Moderna Museet.
Cette machine a produit plus de 40.000 dessins automatiques, tous différents.


- TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n°?, 1959-1960,
métal, courroies, papier.

- TINGUELY Jean (1925-1991), Méta-Matic n°20, 1960,
métal, courroies, papier.


- TINGUELY Jean (1925-1991), Cyclograveur, 1960
ferraille soudée, éléments de vélo (quatre roues, selle), courroies,  tôle, 
tambour et cymbale, livre à l'avant, petite voiture d'enfant rouillée attachée à l'arrière,
225 x 410 x 110 cm, Zürich, Kunsthaus.





LES MACHINES DE JEAN TINGUELY 

Jean Tinguely utilise les techniques de la récupération (rebuts de la société de consommation) puis de l'assemblage et de la construction. L'artiste se fait bricoleur, soudeur, mécanicien, ingénieur, sculpteur.

Il utilise essentiellement des pièces recyclées en métal brut, rouillé ou peint (fil de fer, tôle, acier, fer, aluminium) et en bois mais use en fait de toutes matières (papier, carton, tissu, caoutchouc, plastique, verre, voire de l'eau, Fontaine, 1960) et de toutes sortes d'objets (pièces mécaniques, tuyaux, outils, boîtes, vaisselle, jouets, sculptures, vêtements, chaussures, meubles, instruments de musique, appareils électriques, éléments animaliers comme les plumes, la peau ou le cuir et plus tard le squelette).

Outre la transparence et la couleur (ou le noir et blanc), il intègre dans ses œuvres le mouvement, souvent le son (bruits, chocs) et parfois l'odeur. Le son est produit par la mise en mouvement des éléments de la machine (un ou plusieurs moteurs, rouages, courroies), par le frottement ou le tremblement des pièces, le martèlement des matières, l'intégration d'instruments de musique (plus tard, de radios) et de plus rares explosions (Méta-Matic n° 17, 1959 ; Homage to New York, 1960) qui seront développées par la suite (pétards, fusées, explosifs). La lumière également (flammes, feux d'artifices) est parfois intégrée mais elle le sera davantage par la suite (lampes, ampoules blanches et de couleur, phares, éclairage avec ombres portées, voire film projeté). Enfin, les odeurs sont parfois présentes, huile, fumées, voire odeur de muguet masquant celle des gaz d'échappement (Méta-Matic n° 17, 1959) et nuage de fumée odorante (Homage to New York, 1960).

La mise en marche de la machine résulte de l'usage d'une manivelle, du déclenchement d'un moteur électrique (plus rarement à essence) par la pression sur un bouton avec le pied ou la main et parfois même l'usage d'un jeton, du remontage d'un ressort ou encore du pédalage.

Le mouvement est souvent lent et régulier, animant des tableaux-reliefs comme un ballet de peintures abstraites mais les dimensions des pièces et la transmission créent parfois des rythmes différents à l'intérieur d'une même oeuvre, voire de violents soubresauts et secousses. Du jeu, des tremblements, du désordre et du déséquilibre sont même volontairement introduits dans la réalisation du mécanisme, en particulier dans les Machines à dessiner, les Méta-Matics et Cyclograveurs, afin d'amener des variations aléatoires (notamment du support et de l'outil) dans les dessins produits.

Le mouvement marque la mécanique et l'écoulement du temps et de la vie (rythme, action, vitalité, puissance, vitesse), parfois jusqu'à la destruction (fragilité, oeuvre éphémère, autodestruction, incendie, explosion, et plus tard machine à briser de la vaisselle). Le mouvement anime une géométrie abstraite et une machine industrielle qui intègrent cependant de plus en plus des éléments incongrus de la vie quotidienne, identifiables et colorés (plus tard masqués sous une peinture noire). Si ces machines ne servent à rien, ayant perdu leur finalité de la production, elles sont des œuvres d'art, donnent une deuxième vie à des objets et matériaux de rebut, gagnent en liberté, voire en mobilité (Sculpture automobile, 1954, et plus tard des sculptures qui se conduisent, tracteurs et voiture), et sont parfois même, à leur tour, créatrices d’œuvres d'art (dessins). La poésie, l'ironie et l'humour, le jeu, la provocation et la légèreté sont souvent présents mais d'autres machines pourront dégager, par la suite, une certaine gravité.

Enfin, il faut évoquer la participation du spectateur à ces machines. Au-delà de l'émerveillement devant elles et de la compréhension du fonctionnement qui les anime, le spectateur déclenche souvent l'oeuvre en actionnant sa mise en marche ; il participe même physiquement en actionnant la manivelle (mais œuvres fragiles en fil de fer désormais non manipulables) ou en pédalant, faisant corps avec l'oeuvre (observé par les autres) et l'animant de son rythme. Les films et photos de l'époque montrent également les spectateurs en train de toucher les œuvres et les éléments qui les constituent et les vernissages et certaines expositions prennent souvent l'ambiance de fête foraine (automates, manèges, jeu). Au-delà de la vue et du toucher, les autres sens du spectateur sont également sollicités (ouïe et parfois odorat). L'art de Tinguely se veut accessible au grand public et ludique. Il transmet également l'idée que chacun est artiste. Les cartons d'invitation pour l'exposition de ses Méta-Matics à la Galerie Iris Clert (1959) portent d'ailleurs le texte suivant "Libérez-vous en créant vous-même des œuvres d'art". Face aux Méta-Matics, le spectateur choisit l'outil graphique et la couleur, voire stoppe la machine pour changer d'outil ; des concours et expositions de dessins sont d'ailleurs organisés et le spectateur repart avec sa création assistée par la machine. 

Cependant Tinguely n'a jamais considéré les dessins conçus par ses machines comme de véritables œuvres d'art. En dehors de ceux signés de Tinguely lui-même, les dessins n'en ont d'ailleurs pas le statut. Lors de son dépôt de brevet pour ses machines à peindre, en 1959, Tinguely voulait, avec ironie, mettre fin par ses machines à l'Expressionnisme abstrait et au Tachisme (devenus académiques) du XX° siècle, comme l'appareil photo avait progressivement mis fin au Réalisme du XIX° siècle. Si ce qui fait oeuvre est le fruit de la collaboration de l'artiste, de la machine et du spectateur, c'est avant tout la machine "poétique" et performative, création de l'artiste, qui a le statut d'oeuvre d'art. Les dessins (sur feuille ou rouleau) sont d'ailleurs en grande partie programmés par l'artiste lors de la réalisation de la machine et cette dernière n'aurait fait que reproduire de manière répétitive le même tracé si Tinguely n'avait pas intégré une part d'aléatoire dans le fonctionnement de cette dernière (secousses frénétiques) et donné une part collaborative au spectateur (choix des outils et couleurs).



- Utilisation du Cyclograveur de Jean Tinguely, 1961.


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