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DERNIÈRE MODIFICATION DE CET ARTICLE : 19/03/2024
LES TROIS ÎLOTS OCCIDENTAUX DU QUAI DU MIDI
INTRODUCTION
A la fin des années 1820, la rue Saint-François-de-Paule et la place Charles-Albert sont inachevées et la place des Phocéens et le quai du Midi n'existent pas encore.
Ce second article a pour but d'étudier plus en détail la construction des trois îlots occidentaux du futur quai ou boulevard du Midi dans les années 1830 (actuel quai des Etats-Unis) et plus particulièrement la Maison Gauthier.
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LES TERRAINS
Les documents conservés aux Archives municipales attestent l'attribution des terrains dès 1829 et 1830 mais la plupart des demandes d'autorisation de construction ne sont déposées qu'en 1833 et 1834, avec des plans de bâtiments conçus par l'ingénieur Joseph Lacroix.
Le laps de temps entre la date d'achat des parcelles et le début des constructions est de trois ou quatre ans. Cela peut s'expliquer en partie par les travaux de terrassement qui font suite à l'arasement des bases subsistantes des anciens bastions et remparts (années 1820), le couvrement de ruisseaux sur ces terrains au passé marécageux, la réduction du nombre de bras du Paillon à son embouchure (Image 2) et l'endiguement indispensable de ce dernier (1832-1836).
Cependant, la raison principale est autre. Dès la fin des années 1820, la municipalité cherche à récupérer ces terrains pour y établir un quartier neuf. Or, deux lavoirs et séchoirs à blé y existent depuis le début du XIX° siècle (AM, D 303).
Le plus oriental a été bâti sur les terrains de Jean Antoine Mignon, loués en juillet 1813 puis achetés en octobre 1817 par Jean Baptiste Bagnaro. Le plus occidental a été érigé sur des terrains loués par la municipalité en juillet 1813 à Antoine Faraut (Image 1).
Dans un premier temps, la municipalité négocie avec les héritiers du lavoir oriental Bagnaro (familles Bagnaro/Blancon/Gares) afin de pouvoir construire la caserne des Carabiniers Royaux sur un terrain situé à l'est de leurs magasins et réalise son projet. Elle met parallèlement fin au bail de location des héritiers du lavoir occidental Faraut (familles Mascarello/Monde/Trabaud) et vend les terrains en plusieurs lots.
Les familles des deux lavoirs font cependant un recours et demandent notamment, en compensation, des terrains de superficies semblables pour s'y réinstaller. Le litige va mettre plusieurs années avant d'être réglé.
La famille propriétaire finit par vendre tous ses terrains et la famille locataire déménage. Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'ensemble des bâtiments des deux lavoirs à blé peuvent être démolis et que les nouvelles constructions sont entamées.
La chronologie des trois îlots (numérotés par la suite d'est en ouest), peut être établie d'après les plans de la période 1829-1835, conservés aux Archives Municipales et Départementales (Image 2).
Ces trois îlots donnent au nord sur la rue Saint-François-de-Paule et au sud sur le futur quai du Midi qui ne prendra ce nom qu'en 1853. Ils sont séparés par trois rues qui prendront, la même année, les noms de rues Sulzer, Bréa et Van Loo (d'est en ouest).
L'ÎLOT ORIENTAL
L'Îlot A, futur n° 9, quai/boulevard du Midi (actuels n° 105, quai des Etats-Unis et n° 26 rue Saint-François-de-Paule), est situé entre les futures rues Sulzer et Bréa et formé de deux lots (Images 2 et 8) :
- au nord, la Caserne des Carabiniers Royaux, érigée vers 1829-1830, avec une cour d'abord située sur son côté ouest (Image 1) puis déplacée sur son côté sud et accompagnée d'une écurie et d'un fenil,
- au sud, la Maison de Joseph Girard (né à la fin du XVIII° siècle), négociant en huiles, est érigée entre 1834 et 1835, "a mezzo giorno della caserma dei Carabinieri Reali" ; l'achat du terrain a lieu le 7 juillet 1834, les plan et élévation joints à la demande de construction sont datés du 26 août 1834 et la maison dont l'entrée est située dans la future rue Sulzer, affiche encore de nos jours la date de "1835" au-dessus de la porte.
L'ÎLOT INTERMÉDIAIRE
L'îlot B, futur n° 11, quai/boulevard du Midi (actuel n° 107, quai des Etats-Unis et actuels n° 22 et 24 rue Saint-François-de-Paule), est situé entre les futures rues Bréa et Van Loo et constitué de quatre lots (Images 2 et 8) :
- la Maison de Jules Gilli/Gilly (né à Nice en 1780 ?), négociant en farines, située dans l'angle sud-ouest, sur une parcelle acquise début 1830 est, suite à une demande déposée le 24 mai 1833, édifiée en 1833-1834 (première construction de cet îlot),
- la Maison du comte Louis Gaëtan d'Ongran ([H]ongran de Saint-Sauveur, Nice c.1786-Nice 1857), capitaine et ancien premier consul de Nice, située dans l'angle sud-est, "a levante delle casa Gilli", sur une parcelle acquise en 1830, est érigée en 1834-1835, avec la porte d'entrée située dans la future rue Bréa ; les façades sud des Maison Gilly et Ongran, quoique accolées et construites par le même architecte, n'ont étrangement ni leurs étages ni leurs baies alignés (Image 7).
- la Maison de François Guide (marié en 1804 ?), propriétaire, située dans l'angle nord-ouest, suite à des plans dressés dès avril 1833, est érigée sur deux parcelles contiguës vers 1833-1835,
- la Maison du comte Agapit Caissotti de Roubion (Nice 1780-Nice 1852), ancien et futur premier consul de Nice, située dans l'angle nord-est, sur un terrain acheté le 9 avril 1834 aux familles Bagnaro/Blancon/Gares, est érigée en 1834-1835.
L'ÎLOT OCCIDENTAL (MAISON GAUTHIER)
L'îlot C, futur n° 13, quai/boulevard du Midi (actuels n° 109, quai des Etats-Unis, n° 6 avenue Max Gallo et n° 20 rue Saint-François-de-Paule), est situé entre les futures rue Van Loo et place des Phocéens) (Images 2 et 8) :
- la Maison d'Horace Gauthier/Gautier (c.1773-1851), négociant en bois de construction est, suite à l'acquisition de l'ensemble de l'îlot le 24 janvier 1830 et à une demande de construction déposée avec des élévations datées des 24 et 29 novembre 1834 (Images 3 et 4), érigée en deux campagnes de travaux (Image 2).
L'Hôtel de France (1835-1841), tenu par Dominique Leyraud/Layraud (1788-1862), s'installe dès 1835 dans la Maison Gauthier (îlot C), à l'angle du futur quai du Midi et de la future place des Phocéens. "Le premier omnibus introduit à Nice, le fut en 1835 par M. Leyraud, propriétaire de l'Hôtel de France, alors établi sur le quai du Midi" (Edouard Corinaldi, "Souvenirs de Nice (1830-1850)", Annales de la Société des Lettres, Sciences & Arts des Alpes-Maritimes, 1901, pp 55-92, p 34).
Cette installation semble s'être faite dès l'achèvement de la partie sud de Maison Gauthier, comme en témoigne également une estampe non datée.
- que la façade ouest est inachevée, avec une partie élevée jusqu'à la corniche mais une autre partie plus basse et dotée d'une couverture provisoire,
- que la toiture comporte au sud (c'est donc cette partie qui est achevée), un belvédère en retrait de 3 mètres de la corniche, avec un muret percé notamment de trois petites fenêtres à l'ouest.
L'architecte reconnaît que le bâtiment est conforme au plan déposé du sol à la corniche mais que la partie élevée au-dessus du toit n'existe pas dans le dessin et contrevient à l'eurythmie de l'ensemble (AM, D 336).
Un lavis de Paul Emile Barberi intitulé, Nice, Quai du Midi, et daté de 1839, présente un nouvel état du quai et montre la Maison Gauthier en travaux (Académia Nissarda, ici).
L'image semble impliquer qu'un long bâtiment neuf est venu se plaquer sur la face occidentale des bâtiments existants et du mur de la cour (Image 2).
Les travaux sont en cours d'achèvement, avec la construction d'un dernier niveau dont seule la partie nord est réalisée. Ce niveau supplémentaire cherche à s'aligner sur la hauteur des bâtiments des îlots voisins, ce qui sous-entend que ces derniers ont été préalablement surhaussés entre 1835 et 1839 (Image 5).
La Maison Gauthier semble désormais offrir six niveaux (au lieu de cinq) et aligner quinze baies sur la façade ouest (au lieu de sept) et neuf sur la façade sud (au lieu de quatre). Deux petits balcons sont présents sur la façade sud mais encore aucun sur la façade ouest. L'Hôtel de France ne semble plus avoir qu'une seule entrée, située sur la façade sud du bâtiment et décalée plus à l'ouest.
Ce dessin est globalement en accord avec les dessins originaux (nombre de quinze baies de la façade ouest - Image 4), montre le nombre définitif de baies de la façade sud (neuf) et permet de comprendre les différentes campagnes de travaux.
Il est cependant contredit par la procédure ouverte par le Consiglio d'Ornato à l'encontre d'Horace Gauthier en avril 1843, pour ce belvédère clandestin qui contrevient au règlement du 26 mai 1832 et qui a déjà été noté dans l'expertise de 1837, sur un bâtiment de cinq niveaux seulement, près du rebord sud du toit (AM, D 336).
Le lavis du Chevalier Barberi est surtout contredit par toutes les images postérieures qui révèlent un bâtiment de cinq niveaux, toujours pourvu de son belvédère (lithographies, aquarelles et peintures des années 1840-1850 ; photographies des années 1850 et 1860) (Images 6 et 7 ci-dessous).
Sur la photographie ci-dessus (Image 7), la façade occidentale de la Maison Gauthier apparaît conforme au projet de 1834 par son nombre de niveaux, de baies et de lucarnes (Image 4) mais la série centrale de balcons n' a pas été réalisée (Image 4).
Le long et étroit immeuble envisagé au départ, comprenant quinze baies à l'est comme à l'ouest et probablement quatre baies au nord et au sud, s'est mué en un ensemble de quatre bâtiments entourant une cour.
Lors de la deuxième campagne de travaux, seules les extrémités latérales de la façade orientale prévue ont été réalisées, leur toit étant pourvu d'un belvédère côté sud (décrit dès l'expertise de 1837) puis également côté nord (Image 7).
Le projet de façade orientale n'a donc pas été respecté lui non plus (Image 3). Le centre de cette dernière a de plus cédé la place à un mur bas percé d'une porte cochère permettant l'accès à la cour (Image 8).
Cette photographie prouve également que les bâtiments des deux îlots voisins sont restés plus bas que la Maison Gauthier (ils ne compenseront leur hauteur qu'au tout début des années 1880).
L'Hôtel de France, ouvert vers 1835, est par la suite cité en 1839, "sur le bord de la mer, au quartier neuf" (Augustin Bricogne, Le Conducteur des Etrangers dans l'intérieur de Nice et dans ses environs, Nice, 1839 p 91). Son directeur, Dominique Leyraud, achète le 10 septembre 1840 un terrain sur le boulevard du Pont-Neuf (futur quai Masséna, 11) et y fait construire un nouvel hôtel.
Un Guide paru en 1841 évoque les deux bâtiments : "The Hôtel de France has eight drawing-rooms, and makes up fifty beds ; it is situate close to the sea ; the proprietor is a Frenchman. Civility and cleanliness characterize this hotel. Its table d'hôte is very good, and entirely french. The proprietor is building another on a very good site, wich will be more spacious, and possess some advantages not to be found elsewhere" (William Farr, A Medical Guide to Nice, London, 1841, Appendix, p 132-133 ).
Dominique Leyraud emménage en 1841 dans ses nouveaux locaux et fait paraître, dès septembre, une publicité pour son établissement. "Nice. Hotel de France. This magnificent Establishment, commanding a full view of the sea, and even in winter enjoying in every room the genial rays of the sun, has the most handsome and commodious Apartments of all dimensions, and a most excellent Restaurant. There are Baths in the house Coach-house & stable" (Galignani's Messenger [Paris] du 27 septembre 1841).
Un récit de voyage rédigé en 1841 précise que l'Hôtel est "tout construit à neuf" et un Guide de 1842 signale, "The Hôtel de France, has lately been fitted-up" (P.B., Nouvelles notices comparées sur Montpellier, Toulouse, Nice et Chambéry, Ed. Kindle, 2016, récit d'un séjour à Nice effectué de novembre 1840 à juin 1841 et rédigé en juin 1841, ouvrage publié en 1845 ou 1846 ; Guide Murray, Hand-book for Travellers in Northern Italy, 1842, p 72).
Le premier Hôtel de France perdure-t-il parallèlement dans la Maison Gauthier sur le quai du Midi ? Un article de L'Avenir de Nice du 25 juin 1852 (p 3) peut le laisser penser, à moins qu'il ne s'agisse d'une erreur ("quai du Midi" au lieu de "quai Masséna") : "Plusieurs personnes qui se promenaient hier sur le quai du Midi, remarquaient avec peine qu'un des jeunes arbres qui embellissent cette promenade et qui se trouve près l'hôtel de France avait été entièrement écorché, ce qui a entraîné la mort de l'arbre".