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dimanche 21 janvier 2024

1330-SOUVERAINS ET PHOTOGRAPHES À NICE (1850-1860)-2

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- Photographe anonyme, Portrait de couple, daté "Nice 1856",
Le Duc (1811-1863) et la Duchesse (1817-1888) de Hamilton, 
William Alexander Archibald, âgé de 45 ans et
Marie Amélie Elisabeth Caroline, âgée de 38 ans,
 épreuve de 19x16 cm, P_240-1.r-23.-3,
 Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).

Comparer avec le portrait de la Duchesse de l'Album du Château de Compiègne, Photo RMN, ici


UN ARTICLE ÉCRIT EN COLLABORATION AVEC DIDIER GAYRAUD

VOIR LA PREMIÈRE PARTIE DE CET ARTICLE


SOUVERAINS ET PHOTOGRAPHES À NICE (1850-1860)



Ce deuxième article va étudier les saisons d’hiver passées à Nice au milieu du XIX° siècle par la Princesse Marie de Bade (1817-1888) et son époux le Duc William de Hamilton (1811-1863) et les liens potentiels qu'ils ont tissés avec les photographes Eduard Baldus (1813-1889) et Henri de Rostaing (c.1824/26-1885).



MARIE DE BADE (1817-1888) ET LE DUC DE HAMILTON (1811-1863)


Les années 1840

William Archibald Alexander Marquis de Douglas et de Clydestale (né à Londres le 19 février 1811), est le fils d'Alexander Duc de Hamilton et de Brandon (1767-1852), pair d'Ecosse et de Grande-Bretagne, propriétaire de nombreux domaines et homme politique anglais grand admirateur de Napoléon Ier.

William Marquis de Douglas rencontre, lors de la saison d’hiver 1841-42 à Nice, Marie Amélie Elisabeth Caroline de Bade (née à Karlsruhe le 11 octobre 1817), fille de la Grande-Duchesse de Bade (elle-même fille adoptive de Napoléon Ier). Après des fiançailles à l'automne 1842, le mariage est célébré le 23 février 1843 à Mannheim (Grand-Duché de Bade). 

Le couple va avoir trois enfants, William Alexander Louis Stephen (né à Londres le 12 mars 1845), Charles George Archibald (né à Londres le 18 mai 1847) (Image 2) et Mary Victoria (née à Hamilton le 11 décembre 1850).

Marie de Bade a pour cousin germain le Prince Louis-Napoléon Bonaparte, qu'elle a notamment côtoyé à Bade et qui a souhaité l'épouser au début des années 1830. Ils en conservent une relation privilégiée. Pendant son exil de près de deux ans en Grande-Bretagne (1846-1848), le Prince est d'ailleurs accueilli dans les domaines écossais des Hamilton, notamment fin 1846.


2- Photographe anonyme, Portrait de deux frères, daté "Nice 1855",
Portrait des Fils Hamilton,
à gauche, l'aîné William (1845-1895) âgé d'environ 10 ans,
à droite, Charles (1847-1886), âgé d'environ 8 ans,
 épreuve de 19x14 cm, P_240-1.r-23.-23,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).




Les années 1850

Au tournant des années 1850, la famille Hamilton participe aux cérémonies et séjours organisés dans le Grand-Duché de Bade par la mère de Marie, en Angleterre et Ecosse par le père de William et en France par le Prince Louis-Napoléon Bonaparte, devenu entre-temps Président de la République puis Empereur des Français.

Marie reçoit notamment sa mère, Stéphanie Grande-Duchesse de Bade (1789-1860), à Hamilton Palace, en avril 1850.

Le Duc d'Hamilton décède en 1852 et est inhumé à Hamilton Palace, dans le Mausolée familial qu'il a fait ériger dès 1842 (Image 7 en fin d'article). William, devient le 11ème Duc de Hamilton et son épouse, Princesse Marie de Bade et Duchesse de Hamilton. 

Le Duc possède désormais, outre des propriétés londoniennes, le duché anglais de Brandon, et, en Ecosse (près de Glasgow), le duché de Hamilton, les marquisats de Douglas et de Clydesdale, les comtés d'Angus et d'Arran et, en France, le duché français de Châtellerault dans la Vienne (Pavillon de chasse). Il est de plus le gardien de la résidence royale de Holyrood Palace à Édimbourg.

Le couple Hamilton reçoit la Grande-Duchesse Marie de Russie (1819-1876) à Hamilton Palace, en septembre 1853.

Les époux Hamilton participent à la visite officielle de Napoléon III à Londres, fin avril 1855 puis celle, en retour, de la Reine Victoria à Paris, fin août de la même année. 

Dans le milieu et la seconde moitié des années 1850, le Duc et la duchesse de Hamilton alternent les saisons d'hiver à Paris, Nice (Image 1 en tête d'article) et Pau, avec des saisons d'été à Bade (Note 8).

Suite au décès de la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade à Nice, le 29 janvier 1860, Marie de Bade devient désormais Grande-Duchesse de Bade et Duchesse de Hamilton.

Le couple accueille notamment à Hamilton Palace, début décembre 1860, l'Impératrice Eugénie (1826-1920), lors de son voyage de trois semaines en Grande-Bretagne.


3- Photographie attribuée à Edouard BALDUS, Vue du Pont Neuf & du Quai Masséna à Nice s/mer, sans date,
avec la présence de l'Obélisque des Juifs (1826/27-1861),
épreuve de 43x27 cm, P_240-1.r-7.-1,
 Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).

Voir une épreuve identique conservée au San Francisco Museum of Artici.



LES PHOTOGRAPHES BALDUS (1813-1889) ET ROSTAING (c.1824/26-1885)


Les Photographes

Eduard Baldus (né en 1813 à Grünebach), est un peintre et graveur prussien qui s'est converti à la photographie à Paris, dès les années 1840. Membre de la société Héliographique, il participe à la célèbre Mission du même nom, chargée par le Ministre d'Etat de faire l'inventaire photographique des monuments du Sud de la France. Il est l'un des rares photographes primitifs à maîtriser alors la technique du calotype (Note 9). 

Il sillonne ensuite l'intégralité du territoire français pendant plus de deux décennies, photographie ses monuments et paysages qu'il expose et publie sous forme d'albums. Il obtient la nationalité française en 1856 (adoptant le prénom d'Edouard). Son nom est reconnu internationalement et ses photographies sont conservées par centaines dans les plus grandes institutions.


  
4- Signatures des photographes.


Le Marquis Henri de Rostaing (né vers 1824/26 à Paris) est pour sa part un riche propriétaire français qui vit à Paris et pratique la photographie. Son nom ne s'est vraiment imposé qu'à partir de 1991 puis 2012, dates de vente de sa collection par ses héritiers. 

Parmi les clichés dispersés, six photographies dont trois du Comté sarde de Nice et trois de Cauterets (Hautes-Pyrénées) portent notamment sa signature inscrite dans la marge, "Mis de Rostaing", mais également celle d'Edouard Baldus inscrite dans le négatif, "E. Baldus"  (Rochester, George Eastman Museum).

Henri de Rostaing a dès lors été considéré comme un photographe amateur, formé par Edouard Baldus et pratiquant la photographie en dilettante, d'autant qu'il ne semble pas avoir vécu de son art, ni même exposé. Sa production connue semble limitée à une cinquantaine de vues seulement.

L'hypothèse d'une excursion photographique où l'élève Henri de Rostaing aurait notamment accompagné le maître Edouard Baldus à Nice, dans les années 1850, s'est donc imposée. Mais est-ce bien le cas ?

Edouard Baldus est membre de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale au début des années 1850. Henri de Rostaing devient, à son tour, membre de cette société début 1855, non pas en tant que "propriétaire" mais en tant que "photographe" et il intègre la Commission des Beaux-Arts dès juillet (Note 10).

Il est possible qu'Edouard Baldus ait été le professeur d'Henri de Rostaing pour la technique du calotype et la prise de vues de paysages urbains et naturels mais, sauf à penser que l'un s'est indûment approprié les clichés de l'autre, le ou les voyages effectués ensemble semblent davantage relever d'une véritable collaboration.

La production signée des deux photographes, toutes Collections confondues, révèle qu'ils ont fréquenté les mêmes lieux, comme Paris, Rouen (Seine-Maritime), Pont-en-Royans (Isère), ainsi que plusieurs sites des Pyrénées dont Cauterets et de nombreuses villes du Var (département où le marquis de Rostaing possède le Château de Neïsson, à Seillans). 


5- Photographe anonyme, Port de Nice, sans date,
épreuve de 26x19 cm, P_240-1.r-11.-11,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).



Vues du Comté de Nice

La collection photographique des Archives Nationales de Hongrie, récemment mise en ligne (2021), révèle une quarantaine de vues de Nice (Images 3 et 5 ci-dessus) et de ses environs dont huit portent à l’encre la date de "1856" inscrite dans le montage (Note 11).

Quinze de ces vues sont attribuées à Edouard Baldus (Image 3 ci-dessus), malgré l'absence de tout signe distinctif (signature ou même titre et numéro inscrits dans le négatif) (Note 12).

Une vue est pour sa part à porter au crédit du Marquis Henri de Rostaing car elle porte dans le montage, au-delà des mentions, "Nice 1856" et "hommage respectueux de l'auteur", sa signature, "Mis de Rostaing". Son écriture semble se retrouver sur l'ensemble des vues restantes et quinze d'entre elles présentent d’ailleurs ce qui apparaît comme son monogramme, "HR".

Henri de Rostaing a laissé de nombreuses traces de ses séjours à Nice dans les années 1850, dont un portrait de lui (Image 6 ci-dessous), alors qu'Edouard Baldus ne semble n'en avoir laissé aucune (Note 13).

Cependant, un article de presse de décembre 1857 laisse penser le contraire : "M. Baldus, qui a terminé son Louvre [photographies du chantier du nouveau Louvre de Napoléon III, 1855-57], vient de publier une série de vues prises dans ce beau pays qui borde la Méditerranée et qu'on nomme la "Corniche". C'est simplement admirable" (Gazette Nationale, ou le Moniteur Universel du 3 décembre 1857 p 4). C'est le nom du Marquis Henri de Rostaing qui, cette fois, n'est pas cité.

Cet intitulé de "Corniche" se retrouve, toutes Collections confondues sur quelques épreuves conservées, inscrit entre parenthèses dans le négatif, en bas et à gauche de l'image, précédé du titre et suivi d'un numéro compris entre 93 et 102. A droite de l'image, se trouve la signature, "E. Baldus", inscrite dans le négatif mais accompagnée, sur trois des vues déjà évoquées, de la signature dans le montage, "Mis de Rostaing" (Note 14).


6- Photographe anonyme, Portrait du Marquis Henri de Rostaing, daté "Nice 1856" et signé "Mis de Rostaing",
ce dernier est alors âgé d'environ 31 ans,
noter que le tissu qui recouvre le dossier du fauteuil est le même que celui qui recouvre 
la table dans le Portrait des Fils Hamilton (atelier de Pierre Ferret ?) (Image 2),
 épreuve de 19x14 cm, P_240-1.r-24.-6,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).



LES HAMILTON ET LES PHOTOGRAPHES


Des commandes ?

Les vues du Comté de Nice ont probablement été acquises par le couple Hamilton, ce qui en explique la présence dans les Archives nationales de Hongrie (Note 11). 

Les deux photographes connaissent peut-être le Duc et la Duchesse de Hamilton avant même 1856. Edouard Baldus, du fait de sa mission officielle et de sa renommée, a pu les rencontrer à Paris, notamment lors de leur présence à la clôture de l'Exposition Universelle de 1855. Quant-au Marquis de Rostaing, du fait de son rang, il a pu les rencontrer lui aussi à Paris mais également à Nice ou à Londres dans les séjours qu'il y a accomplis en 1854 et 1855.

Les Archives de Hongrie conservent également des vues de ces photographes qui montrent les propriétés du Duc et de la Duchesse de Hamilton, tant en Angleterre qu'en Ecosse. On peut se poser la question de savoir si cela ne constituerait pas une réponse à une commande de leur part.


Vues d'Angleterre et d'Ecosse 

La Collection hongroise comprend cinq vues des propriétés du Duc de Hamilton, avec deux vues du Manoir anglais d'Easton (près de Woodbridge, Suffolk) et quatre vues du domaine écossais de Hamilton (ParcPalais et Mausolée de Hamilton Palace, Château de Chatelherault, South Lanarkshire). 

Ces photographies, parfois sans titre ou intitulées en français ou plus rarement en anglais, sont toutes dépourvues de date. Elles sont à nouveau attribuées, malgré l'absence de signe distinctif, à Edouard Baldus, alors que la vue du Mausolée de Hamilton Palace affiche le monogramme "HR", renvoyant à Henri de Rostaing (Image 7 ci-dessous)

D'autres Collections internationales conservent d'ailleurs un total de quinze vues des différents domaines écossais, avec des vues d'Édimbourg (Holyrood Palace, Duggery Lodge), de l'Isle d'Arran (Château de Jacques IV, Grotte, Paysageset de Hamilton Palace (Parc, Palais, Mausoléedont deux sont identiques à celles de Hongrie (Note 15). 

Or quatre de ces vues portent la signature du marquis de Rostaing et huit autres lui sont attribuées, mettant à nouveau en question la participation de Baldus.


7- Photographie attribuée à Edouard BALDUS mais soulignée du monogramme "HR",
Mausolée du Parc d'Hamilton Palace (South Lanarkshire), sans date,
 épreuve de 45x39 cm, P_240-1.r-7.-46,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).



Le calendrier de l'année 1856

La date de "1856" portée sur les vues du Comté de Nice conservées en Hongrie a entraîné une recherche plus détaillée du calendrier des protagonistes lors de cette année-là.

Le Duc et la Duchesse de Hamilton gagnent Londres puis Paris en novembre 1855. Leur venue à Nice est annoncée dès le 10 décembre 1855 mais leur présence n'est confirmée que le 6 janvier 1856. 

Après plusieurs mois de villégiature, leur séjour prend fin le 26 avril 1856. Ils embarquent, à cette date, sur le bateau pour Marseille puis font étape quelques jours dans cette ville, à l'Hôtel d'Orient. Ils regagnent ensuite Paris où ils visitent le 3 juin, aux côtés de l'Impératrice Eugénie, le Concours Agricole Universel, et célèbrent le 14 juin le baptême du Prince-Impérial.

Henri de Rostaing arrive également à Nice début janvier 1856, après avoir fait refaire son passeport à Marseille le 4 du moisIl quitte Nice le 26 avril 1856 par le même bateau que le Duc et la Duchesse de Hamilton puis, comme eux, fait étape à Marseille et séjourne à l'Hôtel d'Orient (Le Sémaphore de Marseille du 26 avril 1856 p 1 et du 2 mai 1856 p 2) .

Il poursuit probablement son voyage vers Paris, en leur compagnie (Edouard Baldus n'est jamais cité).

En juillet, Henri de Rostaing quitte Paris et est l'une des personnalités qui accompagnent le Duc et la Duchesse de Hamilton en Grande-Bretagne. Ensemble, ils visitent la ville de Londres (Glasgow Courier du 31 juillet 1856 p 2).  

Fin octobre, le Marquis de Rostaing est cette fois le seul à accompagner le Duc de Hamilton dans la visite de ses domaines écossais. Après l'Isle d'Arran et Glasgow, ils retournent à Hamilton Palace (Glasgow Herald du 22 octobre 1856 p 6).

C'est probablement à cette occasion que le Marquis Henri de Rostaing, réalise les photographies qui sont conservées aux Archives Nationales de Hongrie (Image 7 ci-dessus).

Leur retour en France a probablement lieu en novembre car le Duc et la Duchesse de Hamilton sont ensuite signalés à Paris puis se rendant à Pau, où ils arrivent le 11 décembre 1856, pour y passer l'hiver.

Une Vue du Château de Pau (Getty Images), au titre inscrit dans le négatif mais dépourvue de signature, est d'ailleurs attribuée à Henri de Rostaing (Note 16).



ÉPILOGUE


Si l'on recense, dans l'ensemble des Collections internationales, les vues des deux photographes datant des années 1850 et montrant les lieux évoqués, on trouve :

- 11 épreuves du Comté de Nice signées de Baldus (dans le négatif dont 3 également dans le montage) et 12 de Rostaing (dans ou sous l'épreuve, l'une d'elles étant datée de "février 1855") dont 3 signées de leurs deux noms ; 17 vues du Comté de Nice sont attribuées à Baldus et 16 sont attribuables à Rostaing du fait du monogramme "HR" (Note 17) ;

- 0 vue des domaines anglais et écossais signée de Baldus et 6 de Rostaing ; 5 vues de ces domaines sont attribuées à Baldus (l'une d'elles présentant le monogramme "HR") et 9 à Rostaing ;

- une série de vues de La Corniche publiée par Baldus (en 1857) mais aucune par Rostaing ;

Si l'on décompte, de la même façon, les séjours et les liens attestés en 1856, on obtient :

- aucune preuve d'un séjour de Baldus à Nice mais plusieurs d'un séjour de Rostaing (visas de passeport) et même un portrait de lui, daté de "Nice 1856" et accompagné de sa signature (Image 6). 

Il faut cependant rappeler qu'Edouard Baldus n'obtient la nationalité française qu'après cette saison 1855-56 (le 26 mai 1856) et qu'il a donc dû s'adresser à Nice, pour sa demande de visa, au Consulat de Prusse (registres inconnus).

- aucune preuve d'un séjour de Baldus en Ecosse mais plusieurs d'un séjour de Rostaing ;

- aucune preuve de liens entre Baldus et le couple Hamilton mais plusieurs entre ce couple et Rostaing. 

Cependant, il est fort probable que les portraits d'enfants dits de "Pierre et Madeleine Bourquelot de Cervignières" (Metropolitan Museum of Art de New York), attribués à Edouard Baldus et datés du "2 avril 1858", soient en réalité des portraits de Mary Victoria (1850-1922) et Charles George de Hamilton (1847-1886). 

Madeleine et Pierre Bourquelot de Cervignières ne peuvent pas avoir posé en avril 1858 car ils sont respectivement nés en 1861 et 1862 mais il est vrai que la date indiquée peut être erronée ou ne pas correspondre à la date de pose.

À cette date, Mary Victoria de Hamilton est âgée de 7 ans et 3 mois et Charles Georges a presque 11 ans, ce qui peine également à correspondre à l'âge des enfants des photographies (une date de 1853 correspondrait davantage ; comparer avec l'Image 2, en début d'article, datée de 1855) ; le garçon y est revêtu d'une tenue écossaise (ici) et les traits de son visage correspondent à ceux du fils du Duc de Hamilton.

Le bilan est donc extrêmement contrasté. Les deux photographes ont peut-être réalisé ensemble plusieurs excursions photographiques dont celle de Nice au début de l'année 1856 mais Henri de Rostaing semble s'être rendu seul en Ecosse pour y photographier les domaines du Duc à la fin de la même année. Plusieurs séjours postérieurs du Marquis Henri de Rostaing sont d'ailleurs attestés tant à Nice qu'en Ecosse.



NOTES


8- Le couple Hamilton passe les saisons d'hiver 1854-55, 1855-56 et 1857-58 à Nice, celle de 1856-57 à Pau (domaine impérial) et celle de 1858-59 à Paris.

9- Cette technique, contrairement au daguerréotype, est basée sur l'utilisation d'un négatif papier transparent, salé et sensibilisé qui, après la prise de vue de paysages avec une pause d'environ 3 minutes, est développé, lavé puis fixé, permettant ensuite le tirage de multiples épreuves positives sur papier sensibilisé, par mise en contact avec le négatif et exposition au soleil.

10- Suite à la Mission Héliographique, Edouard Baldus dépose en mai 1852 son mémoire Concours de Photographie (Essais pratiques de la Photographie sur papier) au secrétariat de la Société d'Encouragement à l'Industrie Nationale (voir le Mémoire sur Gallica). Pour Henri de Rostaing voir le Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale d'août 1855 p 487 et de décembre 1855 p 859.

11- Les Archives nationales de Hongrie (Magyar Országos Levéltár) semblent conserver des éléments des Archives du Grand-Duché de Bade et notamment un grand nombre de photographies échelonnées sur toute la seconde moitié du XIX° siècle et au-delà, probablement parce que la fille du Duc de Hamilton, Mary Victoria (1850-1922) s'est mariée en secondes noces, à Budapest, avec le Comte hongrois Tasziló Festetics de Tolna (1850-1933) et y a fini ses jours. La partie qui date des années 1850 offre : 

- d'une part, des vues du Comté de Nice, parfois datées de "1856" (épreuves sur papier salé de deux formats, environ 19x25 cm et environ 31x41 cm), avec 48 vues dont 4 sont en double (soit 44 vues différentes) et 2 sont, malgré leur titre, celles de lieux extérieurs au Comté de Nice (soit 42 vues du Comté de Nice dont 26 de la ville de Nice) (Archives nationales de Hongrie, Magyar Országos Levéltár, P_240-1, albums de vues, P_240-1.r-2., r-7., r-10., r-11) (voir la Note 18) 

- et d'autre part des portraits réalisés à Nice, souvent datés de "1855" (l'un de "May 1855") ou de "1856" (formats divers d'environ 8x11 cm, 15x19 cm, 21x27 cm, 25x32 cm, 30,5x38 cm) (Archives nationales de Hongrie, Magyar Országos Levéltár, albums de portraits, P_240-1.r-23., r-24. et a.).

12- A la National Gallery de Washington, la vue ouest-est, Les Ponchettes à Nice, semble également attribuée à Edouard Baldus, en l'absence de signe distinctif.

13- Visas de passeport du Marquis Henri de Rostaing, conservés aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes : du 18 mars 1854 (1Z 270, n° 1134) ; du 13 janvier et du 10 avril 1855 (1Z 271, n° 149 et 1239) ;  du 26 avril 1856 (1Z 272, n° 1958) ; du 6 janvier 1857 (1Z 273, n° 68) ; du 11 janvier 1859 (1Z 275, n° 178). L'Avenir de Nice du 10 novembre 1859 signale également l'arrivée du Marquis à l'Hôtel Paradis (Archives Départementales, Presse ancienne en ligne).

14- Vue n° 93 (Pont de St. Louis, près Menton) au G. Eastman Museum de Rochester et dans The Miriam and Ira D. Wallach Division of Art de New York ; n° 94 (Village d'Esa) aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes, Nice, dans The Miriam and Ira D. Wallach Division of Art de New York et dans une Collection privée ; n° 95 (Route de St; André ou de Nice à Levens) au G. Eastman Museum de Rochester et dans The Miriam and Ira D. Wallach Division of Art de New York ;  n° 96 (Chapelle de Saint-Pons, près de Nice) au Musée des Beaux-Arts du Canada ; n° 98 (Moulins à huile de Levens, près de Nice) aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes et dans une Collection privée (mais là sans signature) ; 102 (Grotte de Saint-André, près de Nice) au G. Eastman Museum de Rochester. 

15- 15 vues des domaines anglais et écossais du Duc de Hamilton sont connues (dont 3 en double) : 7 sont conservées dans les Archives nationales de Hongrie, 7 dans des Collections privées et 1 à la National Gallery of Art de Washington.

16- Cette vue du Château de Pau est très proche de vues semblables réalisées par John Stewart ou Michel Pacault (Château de Pau, Photo RMN). Il est à noter que le photographe de Pau, Pierre Langlumé, qui a réalisé en 1855 un Album du Château de Pau (Château de Pau, Photo RMN), en dédicace un exemplaire à "S.A. Marie, Princesse de Bade, Duchesse d'Hamilton" et lui offre au château, le 25 décembre 1856 (Archives nationales de Hongrie).

17- 102 épreuves du Comté de Nice des années 1850 sont connues (avec 33 vues en double) dont 48 ne sont ni signées ni attribuées :  

- 48 vues sont conservées aux Archives nationales de Hongrie, 23 au Château de Compiègne, 15 dans des Collections privées, 4 aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 3 au G. Eastman Museum de Rochester, 3 dans The Miriam and Ira D. Wallach Division of Art de New York, 2 aux Archives Municipales de Nice, 1 à la Bibliothèque Municipale de Cessole de Nice, 1 au San Francisco Museum of Art, 1 à la National Gallery of Art de Washington, 1 au Musée des Beaux-Arts du Canada.

- Il existe également plus d'une douzaine de négatifs conservés dans des Collections privées. Certains correspondent aux épreuves positives listées ci-dessus mais d'autres sont sans équivalent connu.

18- Quelques vues du Comté de Nice portent potentiellement des titres erronés. Leur écriture est cependant semblable à celle des titres des autres vues, comme si l'erreur venait de l'auteur lors de l'identification de ses propres clichés. 

- La Vue du Château de St. André, Nice 1856 est bien une vue de la commune de Saint-André-de-la-Roche, près de Nice mais celle de la Chapelle Sainte-Claire-de-l'Abadie.

- La vue St. Pons. Nice ne montre pas le Couvent de Saint-Pons près de Nice mais la Chapelle de Notre-Dame de Pouyey-Laün d'Arrens-Marsous (Hautes-Pyrénées), liée par le souvenir à la famille de Beauharnais dont est issue la Duchesse de Hamilton.

- Deux photographies connues en plusieurs exemplaires, la vue intitulée La Corniche, n° 95 ou Route de St. André à Levins près de Nice s/mer ou encore Route de Nice à Levins [Levens] et la vue n° 98 des Moulins à huile à Levins près de Nice s/mer, pourraient représenter les lieux annoncés mais un fort doute subsiste.

- Enfin, les cascades de la vue intitulée Levins près Nice semblent davantage celles de Tivoli près de Rome. Une photographie identique, intitulée Piccole cascate dell'Anio vicino Tivoli, est d'ailleurs attribuée au photographe anglais établi à Rome, Isaac Atkinson dit James Anderson (1813-1877), et datée de la seconde moitié des années 1850. Cette dernière photographie interroge sur la réunion potentielle, dans les albums de Hongrie, de vues montrant non seulement différents lieux mais également réalisées par différents photographes.





dimanche 14 janvier 2024

1329-SOUVERAINS ET PHOTOGRAPHES À NICE (1850-1860)-1

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- Photographe anonyme, Portrait anonyme et non daté,
 présumé être celui de 
la Grande-Duchesse-Stéphanie de Bade (1789-1860), 
réalisé à Nice au milieu des années 1850,
 épreuve de 16x19 cm, P_240-1.r-23.-1,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).

Comparer avec le portrait identique de l'Album du Château de Compiègne, Photo RMN, ici.


DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 18/01/2024


UN ARTICLE ÉCRIT EN COLLABORATION AVEC DIDIER GAYRAUD



SOUVERAINS ET PHOTOGRAPHES À NICE (1850-1860)



INTRODUCTION


De nombreuses photographies du Comté de Nice, datant des années 1850, sont conservées, d'une part en France, dans le Domaine de Compiègne, et d'autre part en Hongrie, au sein des Archives nationales. Ce sont essentiellement des vues de paysages urbains et naturels de Nice et de ses environs mais également quelques portraits de membres de la Famille du Grand-Duché de Bade

Ce premier article va notamment étudier les liens tissés entre la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade (1789-1860) et le photographe Pierre Ferret (1815-1875), lors de saisons d'hiver à Nice.



LA GRANDE-DUCHESSE STEPHANIE DE BADE (1789-1860)


Stéphanie de Beauharnais, née à Versailles le 28 août 1789, a été adoptée à l'âge de 16 ans par l'Empereur Napoléon Ier, le 4 mars 1806, et mariée à Paris, le 8 avril suivant, au Prince Charles de Bade.

Son époux, avec lequel elle va avoir cinq enfants à Karlsruhe, devient Grand-Duc de Bade, sous le nom de Charles II en 1811 mais décède le 8 décembre 1818. Le trône revient à l'oncle de son époux et Stéphanie, Grande-Duchesse douairière de Bade, se retire avec ses enfants, à Mannheim. 

Suite à des problèmes de santé survenus à partir de l'été 1840, Stéphanie de Bade passe l'hiver à Nice de novembre 1841 à mai 1842, avec sa fille la Princesse Marie (née en 1817). 

Au tournant des années 1850, elle alterne les printemps et étés dans le Grand-Duché de Bade (Karlsruhe, Baden-Baden et Mannheim) et les automnes et hivers à Paris, dès lors que son neveu le Prince Louis-Napoléon Bonaparte devient Président de la République puis Empereur des Français. 

Lors de ses différents voyages, elle est souvent accompagnée de sa fille Marie (mariée en 1843) et de son gendre, William Marquis de Douglas et de Clydesdale (né en 1811).

En novembre 1855, la Grande-Duchesse Stéphanie quitte Paris pour passer un nouvel hiver à Nice et y arrive le 25 novembre (Note 1).

Le 23 mars 1856, elle célèbre à l'église Saint-François-de-Paule de Nice, une messe en l'honneur du Prince-Impérial né le 16 mars. 

Elle quitte la ville le 26 avril pour Bade puis gagne Paris le 8 juin et assiste au baptême du Prince-Impérial, le 14 juin 1856.



2- Photographe anonyme, Vue de la Promenade des Anglais, Nice 1856,
vue est-ouest montrant l'embouchure du Paillon (dépourvue de pont), l'extrémité orientale de la Promenade
 (où sera érigé par la suite l'Hôtel des Anglais) et l'Hôtel Victoria, récemment ouvert (1854-55), 
 épreuve de 19x26 cm, P_240-1.r-11.-10, 
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).

Comparer avec la même vue de l'Album du Château de Compiègne, Photo RMN, ici.




LE PHOTOGRAPHE PIERRE FERRET (1815-1875)


C'est lors de cette même saison 1855-56 que le photographe Pierre Ferret, paysagiste et portraitiste implanté à Nice depuis les années 1840, a l'honneur de photographier la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade dans son atelier du quai Masséna, 3, au premier étage (voir la biographie de ce photographeici).

Après la saison, le photographe fait refaire son passeport, le 15 mai 1856, et quitte peu après Nice pour Paris et Bade (Note 2).

Ce voyage est en rapport avec celui de la Grande-Duchesse de Bade car, début janvier 1857, Pierre Ferret, "depuis quelques temps de retour de ses voyages à Bade et à Paris", diffuse une publicité où il se présente désormais avec le brevet de "photographe de Son Altesse Impériale la Grande Duchesse Stéphanie de Bade" (Les Echos de Nice du 7 janvier 1857, Nice, Bibliothèque Municipale Nucéra).

A-t-il rejoint Stéphanie de Bade à Paris ? A-t-il ensuite voyagé, de Paris à Bade puis de Bade à Paris avec elle ? A-t-il réalisé à Paris des portraits de la famille de Napoléon III ?

L'une des photographies connues de Pierre Ferret est le Portrait de l'Impératrice Eugénie tenant le Prince-Impérial sur ses genoux (Collection privée). Certes, le tirage albuminé est collé sur un support cartonné qui date manifestement du milieu des années 1860, du fait des armoiries et de l'adresse affichées au verso, mais la prise de vue qui montre le Prince-Impérial âgé entre six mois et un an peut dater du passage à Paris du photographe lors de son voyage de retour, à l'automne 1856.


Pierre Ferret est-il l'auteur de l'Album de Compiègne ?

Un Album du Domaine de Compiègne, anonyme et non daté, porte les armoiries de Napoléon III en couverture ("Vues du Sud de la France", IMP.418, Photo RMN - couverture, ici) (Note 3).

Il comporte 25 photographies de 17x27 cm dont 23 vues de Nice et de ses environs et 2 portraits féminins qui sont ceux de la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade (Photo RMN, ici) et de sa fille Marie de Bade ou deux portraits de cette dernière (Photo RMN, ici) (Note 4). 

L'Album est remarquable par la qualité de ses photographies et l'un des rares à révéler tout à la fois des vues du Comté de Nice et des portraits datant des années 1850. Il est tentant de l'attribuer à Pierre Ferret. 

Suite à l'Annexion française du Comté de Nice le 14 juin 1860, l'Empereur et l'Impératrice Eugénie se rendent à Nice les 12 et 13 septembre suivants et Pierre Ferret profite peut-être de cette occasion pour leur offrir un tel album. 

Avec de telles Vues, il aurait offert symboliquement l'ancien Comté de Nice à l'Empire, ainsi qu'un état des lieux de ce territoire lors de l'année de son rattachement. Avec les Portraits, il aurait transmis son hommage au Couple Impérial mais également à la Famille de Bade. 

En effet, le Portrait de Stéphanie de Bade, tante de Napoléon III, décédée à Nice le 29 janvier 1860, quelques mois avant la venue de l'Empereur mais également le Portrait de Marie de Bade, cousine préférée de L'Empereur, présents dans l'Album, seraient ainsi riches de sens.

Plusieurs indices abondent d'ailleurs dans ce sens. Pierre Ferret est tout d'abord connu pour avoir réalisé des portraits des membres de la Famille de Bade dont il est le photographe niçois officiel.

Pierre Ferret a également réalisé une série de Vues du Comté de Nice qu'il a commercialisées sous la forme d'un album à la fin des années 1850, comme le montre l'article suivant daté du 1er novembre 1859 : 

"L'album que nous recommandons au public est un véritable monument élevé à la gloire du pays qui a le privilège de réunir tous les hivers l'élite de la grande société européenne. 

En parcourant Nice et ses environs, M. Ferret a photographié les points de vue qui attirent le plus l'attention de l'étranger, le Château, St-André, St-Jean, St-Pons, le pont du Var, le pont du Loup, Eza, Monaco, La Turbie, Villefranche ont été saisis sous les aspects les plus pittoresques. 

M. Ferret ne s'est pas borné là ; il a reproduit quelques-unes des villas qu'une situation heureuse a mise en relief ou celles que des souvenirs princiers ont rendues fameuses ; il a été jusqu'à saisir avec un bonheur rare le vieil et populaire olivier de Beaulieu dont tout le monde parle et que très peu de gens connaissent.

Plus de 50 vues différentes ont été reproduites par M. Ferret, de telle sorte que l'amateur peut choisir à son gré entre les divers sujets photographiés par lui ceux qui conviennent le mieux à ses goûts. L'album de M. Ferret est du reste relié avec un soin qui en fait un véritable objet d'art. Il se compose de douze vues que chacun peut, à son gré, choisir dans ses cartons" (Revue de Nice du 1er novembre 1859 pp 55-56, Nice, Bibliothèque Municipale Nucéra).

L'Album de Compiègne contient un grand nombre de vues et montre un choix comparable à celui des lieux listés dans l'article ci-dessus : le Château (vues prises du Rocher du Château de Nice), St-André (Grotte), St-Jean (Baie), St-Pons (Chapelle et Couvent), le Pont du Var, le Loup, Monaco, Villefranche (Rade) et l'Olivier centenaire de Beaulieu.

Il présente également deux vues de résidences princières dont la Villa Sabatier (rue Longchamp), habitée par la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade (lors d'une saison non identifiée), comme le rappelle son titre, "(Nice) Villa Sabatier. L'habitation de S[on] A[ltesse] I[mpériale] et R[oyale] La Grande Duchesse de Bade." (Photo RMN, ici) (Note 5).

Quelques-unes des vues de l'Album de Compiègne peuvent d'ailleurs être datées vers 1859, année où Pierre Ferret a commercialisé son album, notamment celle qui montre la Baie des Anges avec le nouveau clocher de l'église Saint-François-de-Paule ou celle du Port avec le Château Smith presque achevé.

Enfin, nous avons la preuve que Pierre Ferret a offert un album à l'Empereur en septembre 1860 et, qu'en retour, il a reçu une lettre datée du 13 septembre le remerciant de son "charmant album représentant des vues de Nice et de ses environs" (Le Messager de Nice du 15 septembre 1860 pp 2-3).

Cette lettre était accompagnée d'un écrin contenant "une charmante épingle enrichie de brillants et de pierres précieuses" mais également " du cabinet de l'Empereur, une lettre très-flatteuse, et, du ministère d'Etat, le brevet de photographe de Sa Majesté l'Empereur" (Marie de Saint-Germain, Relation du voyage de LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice à Nice (12 et 13 septembre 1860), Nice, novembre 1860 p 114, Paris, BnF).

Le photographe précisera désormais, au verso de ses Cartes de visite (Collections publiques et privées), aux couvertures de ses prochains albums (Collection privée) et dans les publicités qu'il fera paraître (journaux locaux), son titre de "Photographe de S.M. L'Empereur Napoléon III" (jusqu'à la fin de l'Empire, le 4 septembre 1870).

Nous sommes donc en droit de penser que l'Album de Compiègne peut avoir pour auteur le photographe Pierre Ferret.

La couverture banale de l'Album de Compiègne, comme l'absence d'une dédicace de l'auteur à Napoléon III et l'absence de classement des vues, ne semblent cependant pas à la hauteur d'un présent destiné à l'Empereur dont la venue (mais pas la date) avait été annoncée dès avril 1860. 

Il n'en reste pas moins vrai que cet album  a été offert à l'Empereur, puisqu'il est conservé dans les Collections Impériales. Sa liste des sites photographiés est héritée des albums d'estampes et reste d'ailleurs semblable à celle des autres photographes des années 1850 (comme Louis Crette ou Joseph Silli).


3- Photographe identifié par le monogramme "HR.", Grotte de St. André, Nice 1856,
 épreuve de 19x26 cm, P_240-1.r-23.-1, 
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).

Comparer avec la même vue de l'Album du Château de Compiègne, Photo RMN, ici.



Les Albums des Archives nationales de Hongrie

Les Archives Nationales de Hongrie conservent, à leur tour, plusieurs albums du Comté de Nice dont une partie date des années 1850, avec 48 vues de Nice et de ses environs sur papier salé d'environ 19x25 cm ou 31x41 cm et 32 portraits de formats divers (Magyar Országos Levéltár, albums de vues, P_240-1.r-2., r-7., r-10., r-11. ; albums de portraits, P_240-1.r-23., r-24. et a.) (Note 6).

Les vues de cette Collection, anonymes pour la plupart, présentent non seulement les mêmes lieux que l'Album de Compiègne mais également quelques épreuves identiques en tous points, avec celles de :

- la Promenade des Anglais (Image 2 ci-dessus), datée de "Nice 1856" (et Photo RMN, ici), 

- l'entrée de la Grotte de Saint-André (Image 3 ci-dessus)signée du monogramme "HR" et datée également de "Nice 1856" (et Photo RMN, ici

- et de la rade de Villefranche (Image 6 ci-dessous)dépourvue, pour sa part, de toute inscription (et Photo RMN, ici).


4- Photographe anonyme, Portrait anonyme et non daté,
 présumé être celui de 
la Grande-Duchesse-Stéphanie de Bade (1789-1860), 
réalisé à Nice au milieu des années 1850,
 épreuve de 16x19 cm, P_240-1.r-23.-2,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).



Les recueils de portraits comportent également :

- un Portrait de Marie de Bade, daté de "Nice 1856", où cette dernière pose dans le même atelier et vêtue de la même robe que dans le portrait de Compiègne (Photo RMN, ici) mais, cette fois, accompagnée de son époux, qui porte depuis 1852 le titre de Duc de Hamilton (voir en tête de la deuxième partie de cet article), 

- un Portrait (présumé) de la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade, dépourvu, comme celui de Compiègne (Photo RMN, ici), de toute inscription mais en partie colorisé (Image 1 en tête d'article),

- un deuxième Portrait (présumé) de la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade où cette dernière apparaît dans une tenue cette fois différente mais avec le même voile couvrant les cheveux ; la photographie est également dépourvue de toute inscription sur le montage (Image 4 ci-dessus).

Si nous prêtons foi aux mentions manuscrites portées à l'encre sur le montage, certaines de ces photographies relèvent de l'année 1856, ce qui ne remet pas en cause l'attribution de l'Album de Compiègne à Pierre Ferret, ce dernier ayant pu sélectionner des photographies datant de différentes années (dont 1856 et 1859).

La Collection hongroise conserve d'ailleurs un troisième Portrait (présumé) de la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade sur son lit de mort (Image 5 ci-dessous), lui aussi dépourvu de toute inscription, pris à Nice entre le 29 janvier (date de décès) et le 2 février 1860 (date de départ du corps pour Bade) et qui peut également être l'œuvre de Pierre Ferret, photographe officiel de la Grande-Duchesse (Note 7).


5- Photographe anonyme, Portrait mortuaire sans titre et non daté, 
présumé être celui de la Grande-Duchesse-Stéphanie de Bade sur son lit de mort (1789-1860), 
réalisé entre le 29 janvier et le 2 février 1860, 
 épreuve de 30,5x38 cm, P_240-1.a-150,
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie)



Le doute est cependant créé par la Vue de la Promenade des Anglais de la Collection hongroise, qui est identique à celle de l'Album de Compiègne (Image 2, au début de cet article) mais porte le monogramme "HR" dans le montage, comme d'ailleurs 14 autres photographies du Comté de Nice de la même Collection. Or, une et une seule photographie de cette Collection porte une signature, celle du photographe Henri de Rostaing (1824/26-1885), "Mis [Marquis] de Rostaing", auquel le monogramme semble renvoyer.

Il est donc difficile d'affirmer l'identité de l'auteur des vues anonymes de l'Album de Compiègne. Même si l'on admet l'idée que deux albums du Comté de Nice aient pu être offerts à Napoléon III et qu'un seul ait été célébré par les textes et conservé, cela ne justifie en rien la présence de vues et de portraits totalement identiques chez les deux auteurs.

Quant à l'hypothèse d'une collaboration éventuelle entre Pierre Ferret et Henri de Rostaing, elle est également à écarter car, dans d'autres Collections nationales et internationales, des vues du Comté de Nice sont conjointement signées d'Henri de Rostaing et d'Edouard Baldus (1813-1889) (G. Eastman Museum de Rochester) (voir la deuxième partie de cet article).


6- Photographe anonyme, Vue sans titre et non datée, 
Villefranche, vue prise du fond de la rade, 
épreuve de 20x28 cm, P_240-1.r-7.-49, 
Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie).

Comparer avec la même vue de l'Album du Château de Compiègne, Photo RMN, ici.



Marie de Bade et Pierre Ferret

Après le décès de sa mère, Marie, désormais Grande-Duchesse de Bade, son époux le Duc de Hamilton et leurs enfants vont continuer à venir à Nice et à fréquenter l'atelier du photographe Pierre Ferret. Suite à une chute, son époux décède cependant à Paris, le 8 juillet 1863 (à l'âge de 52 ans).

Le même mois, Pierre Ferret fait paraître la petite annonce suivante : "M. P. Ferret - Photographe de Sa Majesté l'Empereur Napoléon III - Est de retour à Nice - Il profite de cette occasion pour informer sa Clientèle qu'on trouve chez lui, rue Chauvain, 10, des portraits de feu Sa Grâce le Duc d'Hamilton" (petite annonce parue en page 4 du Journal de Nice, de juillet à septembre 1863, AD 06).

Plusieurs portraits photographiques de Pierre Ferret, cette fois authentifiés par son nom et l'adresse de son nouvel atelier, rue Chauvain, 10, sont d'ailleurs conservés dans les Collections des Archives Nationales de Hongrie (albums P_240-1.r-22., r-27., r-28., r-30. et a.). 

Ceux qui datent du début des années 1860 montrent de nombreuses fois William Archibald Alexander (11ème) Duc de Hamilton (1811-1863) et ses enfants, en costume de ville ou en tenue écossaise, et même le portrait isolé de l'un de ses chiens. D'autres portraits, postérieurs à 1863, montrent son fils, William Alexander Louis Stephen (1845-1895), nouveau (12ème) Duc de Hamilton, et ses proches (Note 8).


Les autres brevets de Pierre Ferret

Pierre Ferret, dans un document daté d'avril 1860 est dit, "au service de la Grande Duchesse Stéphanie de Bade" mais également au service "du roi du Wurtemberg" (AD 06, 03FS 0624). Guillaume Ier (1781-1864), roi de Wurtemberg, semble à cette date, malgré plusieurs projets, n'avoir séjourné à Nice que lors de la saison d'hiver 1858-59.

L'Album de Compiègne, précédemment évoqué, offre à côté de la vue de la Villa Sabatier qui évoque le souvenir de la Grande-Duchesse Stéphanie de Bade, une vue de la "Villa De Orestis (Nice)" (absente de la Collection hongroise) qui renvoie pour sa part au souvenir de l'Impératrice de Russie, décédée le 1er novembre 1860 à Tsarskoïe Selo (Pouchkine, Russie) (Photo RMN, ici)

C'est en effet dans cette villa, située sur la Promenade des Anglais qu'a logé la veuve du Tsar Nicolas Ier (1825-1855), Alexandra Féodorovna, Impératrice Douairière de Russie (1798-1860), pendant une partie de la saison d'hiver 1856-57 et pendant toute la saison 1859-1860, et là qu'elle a reçu les visites du roi de Sardaigne, Victor Emmanuel II (1820-1878). 

Lors de l'Annexion française, les soldats piémontais qui gardent la villa de l'Impératrice de Russie vont, sur proposition de Napoléon III du 1er avril 1860, être remplacés par des soldats français, dès le 8 avril suivant.

Pierre Ferret peut, là encore, être l'auteur de cette photographie car il a réalisé les portraits des enfants et petits-enfants de l'Impératrice en 1858 et 1859 puis celui de l'Impératrice elle-même, en mai 1860.

"Avant son départ, S.M. L'Impératrice de Russie s'est fait photographier par M. Ferret. Cet artiste distingué avait déjà eu l'honneur de faire les photographies de S.A.I. le grand-duc Nicolas [1831-1891] et de la famille de la grande-duchesse Marie [1819-1876] (Revue de Nice du 2 juin 1860).

Pierre Ferret recevra d'ailleurs, deux mois plus tard, en récompense "de ce portrait si bien réussi (...), le titre de photographe de S.M. L'Impératrice" et "une bague en or ornée de diamants et d'un rubis" (Le Messager de Nice des 2 juin, 27 et 29 juillet 1860, AD 06).


VOIR LA SUITE DE CET ARTICLE



NOTES 


1- Quatre séjours de Stéphanie de Bade à Nice, sont attestés dans les années 1840 et 1850 : entre novembre 1841 et mai 1842, dans une maison éloignée du bord de mer ; entre novembre 1855 et avril 1856, dans une maison non précisée ; entre novembre 1857 et avril 1858, dans l'une des Villas Lyons/Lions, Promenade des Anglais à partir de novembre puis, dès janvier 1858, à la Villa de Cesoles/Cessole, à Saint-Barthélemy ; entre octobre 1859 et février 1860, Maison Bonfort, rue de France.

2- "Le sieur Ferret (Pierre), Ouv[rier] Photographe, né à Veuvet [Veuvey-sur-Ouche], Côte d'Or, demeurant à Nice, quai Masséna, allant à Paris et Bade - passeport neuf délivré à sa demande et le dépôt d'un passeport du Préfet de Police du 30 août 1851 - âgé de 41 ans et demi" (Archives départementales des Alpes-Maritimes, 01Z 0232, n° 127).

3- Cet album a été mis en lumière par Didier Gayraud dans son ouvrage, La photographie à Nice, Monaco et dans les Alpes-Maritimes au XIX° siècle, édité par l'Académia Nissarda fin 2016 et augmenté et réédité fin 2022. 

4- Les photographies de Stéphanie de Bade sont extrêmement rares et ne permettent pas la mise en comparaison. Il est donc difficile d'affirmer que ces portraits sont bien les siens, d'autant que Stéphanie et sa fille Marie se ressemblent.

5- Les dates auxquelles Stéphanie de Bade a occupé cette villa de l'architecte Victor Sabatier, située rue Longchamp (et conservée de nos jours), restent inconnues mais il est vrai que la Grande-Duchesse a multiplié les séjours et parfois changé de résidence au cours d'une même saison. 

6- Les Archives nationales de Hongrie (Magyar Országos Levéltár) semblent conserver des éléments des Archives du Grand-Duché de Bade et notamment un grand nombre de photographies échelonnées sur toute la seconde moitié du XIX° siècle et au-delà, probablement parce que la fille du Duc de Hamilton, Mary Victoria (1850-1933) s'est mariée en secondes noces, à Budapest, avec le Comte hongrois Tasziló Festetics de Tolna (1850-1933) et y a fini ses jours. La partie qui date des années 1850 offre : 

- d'une part, des vues du Comté de Nice, parfois datées de "1856" (épreuves sur papier salé de deux formats, environ 19x25 cm et environ 31x41 cm), avec 48 vues dont 4 sont en double (soit 44 vues différentes) et 2 sont, malgré leur titre, celles de lieux extérieurs au Comté de Nice (soit 42 vues du Comté de Nice dont 26 de la ville de Nice) (Archives nationales de Hongrie, Magyar Országos Levéltár, P_240-1, albums de vues, P_240-1.r-2., r-7., r-10., r-11) (voir la Note 18) 

- et d'autre part des portraits réalisés à Nice, souvent datés de "1855" (l'un de "May 1855") ou de "1856" (formats divers d'environ 8x11 cm, 15x19 cm, 21x27 cm, 25x32 cm, 30,5x38 cm) (Archives nationales de Hongrie, Magyar Országos Levéltár, albums de portraits, P_240-1.r-23., r-24. et a.).

7- Stéphanie de Bade est décédée à Nice, à l'âge de 70 ans, le 29 janvier 1860 à 1h 30 de l'après-midi dans un lieu controversé : Maison Bonfort rue de France, Villa Lions Promenade des Anglais ou encore Maison Bouvier, non située

8- À la fin des années 1850 et au début des années 1860, le Duc et la Duchesse de Hamilton et leurs trois enfants ont souvent été photographiés. Les portraits de leur fille Mary Victoria enfant (1850-1922) restent particulièrement rares. Plusieurs portraits de la famille, réalisés à Paris par le photographe Eugène Disdéri (1819-1889), sont conservés dans les Collections du Musée d'Orsay.