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L'INHUMATION DE 7e CLASSE À PARIS, AU XIXe SIÈCLE
UNE INHUMATION POPULAIRE À PARIS, AU XIXe SIÈCLE
(DÉROULEMENT ET COÛTS)
INTRODUCTION
La Règlementation
Le XIXe siècle en France, et particulièrement à Paris, est une période de profonde réorganisation des pratiques funéraires, motivée par des impératifs hygiénistes et une rationalisation économique croissante.
Le mouvement commence avec le Décret de Prairial An XII (1804), qui formalise l'obligation d'enterrer les défunts hors des limites des cités, une mesure fondamentale qui va préparer la ségrégation géographique des cimetières et l'éloignement des morts modestes (1).
Afin de gérer ce service public essentiel, l'État établit rapidement un monopole, garantissant à la fois salubrité et uniformité tarifaire. Le décret impérial du 18 août 1811 est crucial car il instaure les premiers tarifs officiels et les standards de construction des cercueils, fixant une hiérarchie de prix basée sur la taille et le matériau (bois ou plomb) (2).
Ce cadre réglementaire est ensuite affiné au fil des décennies. L'ordonnance royale du 11 septembre 1842 remplace le système initial de six classes de funérailles par un système plus complexe de neuf classes (2).
La codification de ce système est achevée par l'homologation, par décret du 2 octobre 1852, du cahier des charges des pompes funèbres de Paris, confirmant la spécificité détaillée de ces neuf classes au sein de la capitale (3).
Lec Classes funéraires
Le choix d'une classe funéraire au XIXe siècle est bien plus qu'une simple transaction, il s'agit d'un marqueur social public, une codification réglementée de la richesse ou de la pauvreté du défunt et de sa famille. Cette stratification est intrinsèquement liée au système des concessions dans les cimetières, l'inégalité du faste du convoi se répercutant dans la permanence de la sépulture (1).
L'existence de neuf classes donnae l'impression d'une offre exhaustive adaptée à toutes les couches de la société. Cependant, l'analyse démographique et économique du système révèle une réalité contrastée. Les trois classes les plus coûteuses (1re, 2e et 3e) ne représentent jamais plus de 3% des enterrements payants effectués à Paris entre 1860 et 1875 (2).
Cela démontre que le luxe ostentatoire des grandes funérailles servait principalement de façade statistique et de référence sociale, validant le statut des élites mais masquant la réalité des pratiques funéraires majoritaires.
La fonction principale de ce système hiérarchique était de légitimer le monopole et de justifier les tarifs appliqués aux classes populaires, lesquelles assuraient le volume des transactions et la stabilité financière de la compagnie concessionnaire. La codification des classes officialisait ainsi l'inégalité socio-économique dans le rituel public de la mort.
LA 7e CLASSE D'INHUMATION
Une Inhumation ordinaire
Pour documenter le déroulement d'une inhumation dite "ordinaire" ou "hors célébrité," il est impératif de s'écarter de l'image d'Épinal des fastes du Second Empire et de se concentrer sur les choix majoritaires de la population. L'examen des registres des compagnies de pompes funèbres à Paris révèle une concentration écrasante des choix dans le bas de l'échelle tarifaire.
Entre 1860 et 1875, les trois dernières classes payantes (7e, 8e et 9e) représentent entre 59% et 64% de toutes les sépultures payantes choisies par les familles parisiennes (2).
Au sein de ce groupe, la 7e classe s'impose comme le véritable standard social de la dignité minimale payante, représentant à elle seule la moitié des enterrements payants effectués par la compagnie Vahard durant cefle période (2).
Choisir la 7e classe permet aux familles modestes d'acquérir une reconnaissance sociale minimale par le biais d'un service payant, évitant ainsi l'humiliation d'avoir recours à l'inhumation gratuite.
Le déroulement du convoi et de la cérémonie pour une 7e classe est caractérisé par sa sobriété et son efficacité logistique.
Le Service religieux
Le rôle de l'église dans le déroulement des funérailles est garanti mais l'apparat est strictement proportionnel au tarif. Pour la 7e classe, le service religieux se limiet à la prestation liturgique de base. Les ornements somptueux de l'église, les draperies riches et la présence nombreuse du clergé (chape et étole) étant réservés aux classes 1 à 4. Le rituel public de la 7e classe est bref et fonctionnel.
Un Char funèbre modulaire
Le transport funéraire est assuré par la compagnie concessionnaire. Le char funèbre ou corbillard joue un rôle central dans la distinction des classes. Par souci d'économie de la part du monopole, les véhicules ne sont pas uniques à chaque classe. Une même caisse ou châssis peut servir à plusieurs niveaux de prestation, a différenciation des classes résidant dans les éléments amovibles et les garnitures textiles (3).
Pour une 7e classe, le char funèbre est dépouillé. Les éléments d'apparat tels que les galeries, les panaches de plumes ou les tentures luxueuses sont soit absents, soit réduits à leur expression la plus simple et la plus usagée. La compagnie de pompes funèbres optimise sa logistique en vendant l'illusion de la stratification par l'ajout ou le retrait d'ornements extérieurs, tout en maintenant une base matérielle standardisée.
Le convoi funéraire pour une 7e classe est minimal, se composant du char funèbre et potentiellement d'une simple voiture de deuil ou de clergé. Le nombre de porteurs et le personnel d'honneur sont également réduits au strict minimum réglementaire. L'économie de la mise en scène est donc totale : l'investissement est concentré sur l'aspect visible du cortège (le seul moment où la dignité payée est publiquement affichée) mais avec une contrainte budgétaire maximale.
L'ÉCONOMIE DE LA MORT (CLASSES POPULAIRES)
Le Coût de la Prestation (Hors Concession)
La ventilation des coûts pour les classes populaires révèle une priorité accordée à l'apparat extérieur, le rituel social visible (le cortège, le personnel, les tentures) par rapport à la qualité du contenant (le cercueil).
Alors que le coût d'un convoi de 4e classe est mentionné à 254 francs (5), les exemples documentés de dépenses totales pour les classes plus basses confirment l'importance de l'investissement dans le rituel.
Un enterrement de 4e classe peut coûter jusqu'à 426 francs (incluant les décorations de la maison du deuil), tandis qu'un service de 6e classe pour un enfant de 7 ans s'éleve à 126 francs (2).
Pour l'exemple de 4e classe à 426 francs, le cercueil en sapin uni, sans garniture intérieure ou extérieure ni plaque, ne coûte que 20 francs.
Pour l'exemple de 6e classe à 126 francs, le cercueil en sapin simple sélectionné par la famille (le moins coûteux disponible) ne coûte que 12 francs, soit environ 10% du coût total du service extérieur.
Le faible coût alloué au cercueil pour les classes populaires s'explique par le fait que l'État et la compagnie saventt que ces bières simples en sapin suffiront amplement à contenir les restes jusqu'à la décomposition biologique nécessaire avant la réutilisation du terrain commun après cinq ans (1). L'économie des pompes funèbres est donc principalement une économie de la perception sociale.
Le décret de 1811 a fixé des prix de référence pour les cercueils réglementés, permettant aux familles ayant plus de moyens d'opter pour une meilleure qualité ou durabilité : un cercueil en chêne de 2 mètres, équipé de six poignées en fer poli, coûte 60 francs, tandis qu'une bière en plomb de la même taille afleignait 250 franc (2).
L'Inhumation gratuite (Indigents)
À l'extrémité inférieure du spectre se trouvent les indigents, pour qui la prestation funéraire est entièrement gratuite (3).
Ce service est financé par une taxe prélevée sur les Parisiens (initialement 10 francs pour les enfants de moins de 7 ans et 20 francs pour les adultes ; ce montant est abaissé à 6 francs après 1853) (2).
La compagnie fournit une bière gratis qui, selon les registres internes, coûte entre 2 et 9 francs à la compagnie. Le choix de la famille est limité au strict minimum, généralement la couleur du drap mortuaire (noir ou blanc) et le nombre de pans du cercueil (six ou huit). Ce système garantit que même les plus pauvres bénéficient d'une sépulture individuelle, respectant ainsi les exigences d'hygiène et la dignité humaine de base.
LE LIEU DU REPOS
La hiérarchie des tombes et le système des concessions
Si le système des classes funéraires codifie l'inégalité dans le déroulement du rite, le système des concessions l'institutionnalise dans l'espace physique du cimetière.
L'ordonnance du 6 décembre 1843, qui étend les principes du décret de Prairial, établit trois catégories de concessions payantes, qui sont l'équivalent direct des classes des funérailles (1).
- Perpétuelles: Héritées de l'Ancien Régime, elles garantissent l'éternité du repos. Elles sont très coûteuses et stratégiquement situées sur les grands axes des cimetières pour une visibilité maximale (1).
- Trentenaires: D'une durée de 30 ans.
- Temporaires: Dites quinzenaires (15 ans).
Le véritable standard funéraire pour les classes modestes et les indigents n'est cependant aucune de ces concessions payantes mais le terrain commun, alloué gratuitement pour cinq ans) (1).
Afin de faire face au manque d'espace chronique dans les cimetières urbains, le sol est donc inlassablement rouvert et les fossoyeurs font face à des corps en décomposition ou à des ossements de squelettes, qu'ils doivent entasser sur le côté pour faire place aux nouvelles sépultures (6).
L'exil géographique des morts modestes
L'inégalité spatiale est accentuée par la politique municipale des cimetières. À partir du Second Empire, de nouveaux et vastes cimetières parisiens sont créés extra muros (hors les murs de Paris, comme Pantin ou Thiais). Ces cimetières périphériques sont majoritairement affectés aux inhumations à durée limitée (terrain commun), c'est-à-dire les sépultures des classes modestes et des pauvres (1).
Par contraste, les cimetières plus anciens ou ceux qui sont restés intra muros (comme le Père Lachaise ou Montparnasse) sont réservés aux concessions perpétuelles. Ce phénomène est décrit comme un "nouvel exil des morts mais un exil des morts modestes ou pauvres" (1). Les riches achetent l'éternité du repos et la proximité symbolique du centre urbain, tandis que les pauvres acceptent la temporanéité et l'éloignement physique.
Cette politique a une conséquence existentielle profonde : la gratuité de l'inhumation pour les plus démunis a pour prix la garantie de l'oubli matériel. La durée du souvenir des morts, même chérie par les familles, arrive à durer plus longtemps que la trace physique de la tombe en terrain commun (1).
La tombe comme marqueur de la citoyenneté post-mortem
Le système des classes funéraires au XIXe siècle agit comme un miroir fidèle de la société industrielle. Il remplace les distinctions d'Ancien Régime par une hiérarchie purement économique et réglementée. L'acquisition d'une concession perpétuelle réservée aux classes supérieures, souvent assortie d'un momument, représente l'achat d'un droit de cité éternel dans la nécropole urbaine et la garantie matérielle de la mémoire familiale.
Inversement, l'inhumation ordinaire des classes modestes n'est qu'une transaction logistique et hygiénique dont la durée est strictement limitée par la biologie et la réglementation municipale. Le rôle du monopole, en rationalisant l'offre de neuf classes, institutionnalise l'inégalité de la mémoire, offrant aux riches l'éternité matérielle et aux pauvres une dignité éphémère.
