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INTRODUCTION
Cet article ne va pas être consacré aux photographies post mortem du XIXe siècle, malgré l'engouement des collectionneurs pour ce genre particulier, mais aux photographes qui l'ont pratiqué.
A partir de l'été 1839, avec la commercialisation du Daguerréotype, les photographes effectuent des portraits des vivants et des morts, "L'artiste se déplace au domicile à la demande des personnes". Plusieurs daguerréotypes conservés et datés du début des années 1840 témoignent de ces premières photographies de défunts.
On peut supposer que cette pratique s'est répandue dès 1839 et que tous les photographes, ou du moins la plupart, ont offert cette possibilité à leur clientèle, sur plaque puis papier et autres matières, cependant les sources textuelles manquent pour pouvoir l'affirmer.
Ce premier relevé cite uniquement les noms des photographes dont l'offre de "Portraits après décès" ou plus rarement celle de "Portraits de personnes décédées" - ce sont les formules consacrées - est attestée (publicités et articles de journaux, annuaires, épreuves conservées et datées, étiquettes au dos des épreuves, enseignes, papiers à en-tête, ouvrages).
L'expression "post mortem" n'est alors employée dans les journaux que pour désigner un examen médical pratiqué après la mort et elle ne va, d'ailleurs, s'appliquer aux portraits photographiques qu'à partir du début des années 1890.
LES PUBLICITÉS DES PHOTOGRAPHES (1839-1859)
Si les premières publicités retrouvées pour des "Portraits au Daguerréotype" datent de 1839, celles mentionnant des "Portraits après décès" ne datent que de l'année 1843.
Cependant, M. NINET, photographe parisien, se dit en mai 1849, "connu depuis 8 ans [1841] pour les portraits après décès" et il n'hésite pas à qualifier son offre, cette année-là, de "Choléra-Daguerréotype" (plus de 4.000 parisiens morts du choléra à cette date ; Image 3).
Plusieurs photographes mentionnent, au plus tard en 1850, "portraits après décès", sur l'étiquette placée au dos de leurs daguerréotypes, comme Désiré MILLET (Paris) ou Eugène DISDÉRI (Brest, Finistère).
NADAR (Paris) l'inscrit en en-tête de ses lettres au plus tard en 1856 et M. VIVANCE (Paris), affiche dans les journaux, "spécialité de portraits après décès", dès 1858.
Cette offre est, soit mise en évidence au début ou à la fin de l'encart publicitaire par des caractères typographiques plus grands ou gras, soit intégrée dans une liste de spécialités.
Les formules récurrentes consistent à proposer, "des reproductions de tableaux, gravures objets d'art et portraits après décès. L'artiste se transporte à domicile à la demande des personnes", ou encore la "Reproduction après décès, et même de tableaux et portraits à l'huile".
M. VICTOIRE, en 1854, à Saint-Etienne (Loire), propose, "portraits après décès ; reproduction au daguerréotype des portraits daguerréotypés ou mignatures (sic), six fois plus grands que le modèle, portraits stéréoscopiques ; moulage au plâtre sur nature" (Le Mémorial de la Loire er de la Haute-Loire du 26 décembre 1854).
Ces phrases sont d'emblée ambiguës car si le photographe reproduit d'anciens portraits de personnes défuntes (dessins, peintures, daguerréotypes, masques mortuaires ou bustes) pour un usage intime de ses proches ou pour un inventaire après décès, il se déplace aussi au domicile des clients pour faire le portrait des vivants et des personnes qui viennent de décéder, parfois même, "sans augmentation de prix".
La "reproduction" implique cependant davantage celle d'un objet que d'un corps. Cela paraît logique, surtout pour des portraitistes itinérants qui restent peu de temps à chaque endroit.
Certaines formules sont cependant dépourvues de toute ambiguïté et impliquent bien le portrait photographique d'une personne à l'agonie ou décédée, comme celles de :
- DUNOT (de Paris) qui "se rend à domicile en cas de maladie ou de décès" (en 1848, à Chambéry, Savoie ; Le Patriote Savoisien du 15 juin 1848),
- d'Isidore DEMÉE (Paris), qui "Se charge de la reproduction des tombes et monuments funèbres. Il fait aussi, à domicile, le Portrait des personnes décédées" (étiquettes des années 1850).
- ou encore de Pierre Amédée FLÉCHEUX (en 1855, à Paris) ou de Louis CHAMUSSY, peintre-photographe de Paris (en 1859, à Chambéry, Savoie), qui affirment que l'artiste "peut se transporter à domicile pour les portraits après décès" (Gazette de Savoie du 28 novembre 1859),
Le photographe (parfois également peintre) concurrence directement le peintre qui effectue alors le même type de déplacement car il peut bientôt imiter, "la miniature dans sa plus belle perfection" (daguerréotype colorisé), transférer le portrait sur toile ou le diffuser par le biais de l'estampe.
Les défunts sont photographiés couchés dans leur lit, les yeux clos (les bébés dans leur berceau ou les bras de leur mère), assis sur un siège ou parfois même installés et maintenus debout, seuls ou accompagnés d'un ou plusieurs de leurs proches, les yeux ouverts.
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3- Annonce de M. Ninet, parue dans Le Peuple (Paris) du 17 mai 1849, Paris, BnF (Retronews). |
LES PHOTOGRAPHES
La recherche n'a permis de retrouver qu'une cinquantaine de photographes (dont six femmes) affichant leur offre de "portraits après décès", ce qui est très peu, avec une dizaine seulement dans les années 1840, une quarantaine dans les années 1850, et aucun dans de grandes villes françaises (comme celle de Lyon).
Les résultats sont cependant faussés par les seuls documents conservés et accessibles en ligne mais également par le fait que de nombreux photographes font peu de publicités, ne mentionnent pas toujours l'ensemble de leurs spécialités ou ne précisent leurs portraits après décès qu'à certaines périodes de leur carrière.
Ainsi, M. LEGROS, actif à Paris depuis 1842, n'incorpore-t-il dans ses publicités la mention, "reproductions en tous genres, portraits après décès", qu'à partir de mars 1859.
Rares sont ceux en effet, qui comme M. FONTAINE, à Paris (dès 1843, itinérant - Image 2) ou M. VICTOIRE à Saint-Etienne (dès 1851), affichent cette spécialité pendant de nombreuses années.
Que cette liste, de surcroît non exhausive, reflète ou non la partie émergée de l'iceberg, les photographes affichant, "Portraits après décès", semblent se multiplier dès la toute fin des années 1840.
Un article paru dans La Presse Théâtrale du 11 novembre 1855, fait le point sur ce sujet :
"La mode, à ce qu'il paraît, exige expressément que les familles fassent portraiturer leur défunt immédiatement après décès (...) ; les fortunes bourgeoises se contentent de l'ancienne plaque de Daguerre.
A coté du deuil officiel (...), il y a la fantaisie de la douleur et l'extravagance des regrets. Elles sont multiples dans leurs expressions (..). Il y a des morts montés en broche, en épingle, en porte-monnaie...".
En 1855 encore, Eugène Disdéri fait paraître un article intitulé justement, "Portraits après décès", dans le Panthéon de l'Industrie (pp 23-24) :
"Nous avons pour notre part fait une multitude de portraits après décès ; mais nous l'avouons franchement, ce n'est pas sans répugnance. Pourquoi d'ailleurs, pour avoir le portrait d'un parent, d'un ami, d'un enfant, attendre que la mort vienne les enlever à notre affection.
Nos yeux ne se reposent-ils pas plus volontiers sur les traits pleins de vie et d'animation que sur des traits contractés par les convulsions de l'agonie.
Quelle reproduction peut-on obtenir, lorsqu'un cadavre, dont déjà la décomposition commence, est horizontalement couché sur un lit, que parfois on ne peut même rouler vers la fenêtre.
Puis, les raccourcis viennent encore enlever à la mince ressemblance que l'on peut obtenir dans des conditions défavorables.
Chaque fois que nous avons été appelé à faire un portrait après décès, nous avons vêtu le mort des habits qu'il portait habituellement. Nous avons recommandé qu'on lui laissât les yeux ouverts, nous l'avons assis près d'une table, et pour opérer, nous avons attendu sept ou huit heures, de cette façon nous avons pu saisir le moment ou les contractions de l'agonie disparaissant, il nous était donné de reproduire une apparence de vie.
C'est le seul moyen d'obtenir un portrait convenable, et qui ne rappelle pas à la personne pour laquelle il est cher, ce moment si douloureux qui lui a enlevé ce qu'elle aimait".
C'est le seul texte conséquent qui aborde frontalement le sujet autour duquel règne une forte gêne. Les autres textes se contentent de citer le fait que le corps a été photographié, parfois avant ou après l'embaumement. Tout juste apprend-on qu'un drap ou une couverture est souvent tendu par le photographe, sur le mur en arrière du lit.
De brèves anecdotes humoristiques, des extraits de feuilletons ou de vaudevilles publiés dans les journaux, évoquent parfois une enseigne du boulevard affichant "Portraits après décès", l'inscription, "Portraits après décès ou avant. Au choix" (La Lumière du 8 mai 1858 p 75) ou bien le rasage avant photographie, des hommes alités depuis quelques temps.
Le problème est souvent le manque de lumière évoqué tant par Disdéri (Le Panthéon de l'Industrie, 1855) que par Nadar (La Presse Théâtrale du 11 novembre 1855).
"Un photographe qui a la spécialité des portraits après décès, allèche le client par quelques épreuves remarquables, il se garde bien de dire qu'il fait coucher, dans un lit placé dans son atelier, un joyeux "vivant" de ses amis, d'après lequel il fait le "portrait après décès" (Le Propagateur du 2 février 1854).
Cette anecdote n'est pas sans évoquer le célèbre, "Autoportrait en noyé" réalisé, par dépit, par Hippolyte Bayard en 1840 et accompagné au revers de la légende suivante :
"Le cadavre du monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, l’inventeur du procédé dont vous venez de voir et dont vous allez voir les merveilleux résultats (...).
Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé ! Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la Morgue, personne ne l’a encore reconnu ni réclamé !".
Pour en revenir, cependant, au problème de la lumière, M. MILLET (Paris) précise, dès le milieu des années 1850, dans l'étiquette qu'il colle au dos de ses daguerréotypes (verso du portrait en tête d'article, Image 1) et dans le prospectus qu'il distribue à l'Exposition Universelle de Paris de 1855 :
"Levées de Tombeaux dans les Cimetières, Eglises et autres Monuments, ainsi que les Portraits après décès, tant le jour que la nuit, à l'aide de la lumière électrique" (Image 4).
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4- Détail d'une étiquette collée au revers d'un daguerréotype de M. Millet (verso de l'Image 1), Paris, vers 1854, Paris, BnF (Gallica). |
La liste ci-dessous ne cite les photographes qu'à partir de documents datés et n'englobe donc pas les années intermédiaires. Elle permet d'attester parfois l'activité de photographes que l'on croyait plus tardifs.
La plupart des photographes listés sont itinérants. De passage dans une ville, ils annoncent, dans la presse locale, leur présence pour une ou plusieurs semaines, se disant "de Paris".
Certains d'entre eux possèdent en effet un atelier dans la capitale mais d'autres s'y sont formés et sont désormais installés en province. Ils se disent, "Elève de M. Daguerre", "Elève de Lerebourd (sic)", "Elève de M. Béquet" ou "Elève de M. Daguerre, de M. Chevallier (sic) et autres maîtres de Paris".
- 1839 :
- 1840 :
- 1841 :
- 1842 :
- 1843 : M. ÉTIENNE Fils (Dijon, Côte-d'Or) - M. FONTAINE (Troyes, Aube) - M. RAMEYE (Montpellier, Hérault)
- 1844 :
- 1845 : M. et Mme FONTAINE (Troyes, Aube)
- 1846 : M. AMAND (Troyes, Aube) - M. et Mme FONTAINE (Troyes, Aube) - M. LOMBARD (Roanne, Loire)
- 1847 : Anonyme (Fontainebleau, Seine-et-Marne)
- 1848 : M. DUNOT (Chambéry, Savoie)
- 1849 : M. BOURDON (Paris, Seine) - M. et Mme FONTAINE (Dole, Jura) - M. FOUQUET (Bourges, Cher) - M. KALTENBACHER (Troyes, Aube)
- 1850 : M. BARBE (Evreux, Eure) - M. et Mme BOCHET (Vienne, Isère) - M. FIXON (Paris, Seine) - M. VERNEUIL (Arras, Pas-de-Calais)
- 1851 : M. A. BERTRAND (Paris, Seine) - M. FIXON (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire)
- 1852 : Artistes anonymes (Melun, Seine-et-Marne) - M. A. BERTRAND (Paris, Seine) - M. DUNOT (Paris, Seine) - M. DUPONT (Paris, Seine) - M. FIXON (Paris, Seine) - M. et Mme FONTAINE (Bourg-en-Bresse, Ain) - M. Emile G. (Vienne, Isère) - M. THALAMAS (Toulouse, Haute-Garonne) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire)
- 1853 : M. BLANDIN (Reims, Marne) - M. F. CURE (Paris, Seine) - M. DESMONTS (Marseille) - O. PETITOT et Ch. POUPAT (Bourges, Cher) - M. VAUTE (Paris, Seine) - M. VERNEUIL (Saint-Omer, Pas-de-Calais)
- 1854 : Anonyme (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) - M. Charles VION (Pris, Seine)
- 1855 : MM. COLLET Frères (Le Mans, Sarthe) - M. DISDÉRI (Paris, Seine) - M. E. FIXON (Paris, Seine) - M. GUEUVIN (Paris, Seine) - M. MILLET (Paris, Seine) - M. NADAR (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire)
- 1856 : M. NADAR (Paris, Seine) -
- 1857 : M. BILORDEAUX (Paris, Seine) - M. Louis CRETTE (Le Cannet, Alpes-Maritimes) - M. DELAROCHE (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire)
- 1858 : M. ABEL (Paris, Seine) - M. F. CURE (Paris, Seine) - Mme Veuve DUPONT (Bourges, Cher) - MM. MADIGNIER et LAMBERTON (Saint-Etienne, Loire) - Mme MARIE (Chalon, Saône-et-Loire) - M. NADAR (Paris, Seine) - MM. PACAULT Frères (Bourges, Cher) - M. THIÉBAULT (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) - M. VIVANCE (Paris, Seine)
- 1859 : Anonyme (Saint-Quentin, Aisne) - Anonyme (Ancenis, Loire-Inférieure/Loire-Atlantique) - M. Louis CHAMUSSY (Chambéry, Savoie) - Mme DUPONT (Bourges, Cher) - LEGROS (Paris, Seine) - MÉTÉNIER ET LETELLIER (Bourges, Cher) - M. NADAR (Paris, Seine) - MM. PACAULT Frères (Bourges, Cher) - M. et Mme VAUVERT (Bar-sur-Seine, Aube).
Cette liste ne mentionne pas les dates approximatives, impliquées par les épreuves ou les étiquettes des daguerréotypes des photographes des années 1850 suivants :
- BASTIEN (Paris, Seine), A. BERTRAND (Paris), BLANC DAUBIGNY (Paris), CASTAINGS (Paris), Melle CHAMBEFORT (itinérante), DELANOY (Paris), DEBUSSY (Paris), Isidore DEMÉE (Paris), DISDÉRI (Brest, Finistère, et itinérance), DODERO (Marseille, Bouches-du-Rhône), GUSTAVE (Paris), HEROZ (Paris), Adolphe LAMAILLE (Paris), LAPANNE (Paris), LAUTIER (Paris), MARROT (Paris), MILLET (Paris), PILLAS (Paris), RUEF (Paris), SABATIER-BLOT (Paris), L. SAMSON & G. DESCHAMPS (Paris)...
PORTRAITS DE DÉFUNTS CÉLÈBRES
Des photographes parisiens comme DISDÉRI ou NADAR semblent, dès le milieu des années 1850, "avoir accaparé la spécialité de photographier les personnages importants après leur mort" (Nadar, Portrait du banquier et collectionneur Louis Fould, mort à Paris le 20 avril 1858 : Le Figaro du 25 avril 1858). Il est à noter qu'Eugène DISDÉRI, affichait déjà, vers 1850, la mention "Portraits après décès" au dos de ses daguerréotypes (Brest, Finistère, et itinérance)
Fin juillet 1857, est "exposée chez Giroux, à Paris, une belle photographie" de BILORDEAUX, représentant le chansonnier Béranger, mort le 16 du mois, qui est reproduite par l'estampe :
"La tête, peu defigurée, bien qu'extrêmement amaigrie, repose sur un oreiller. Une grande douceur, une parfaite sérénité, le calme viril de la raison supérieure que logea cette noble et belle tête. en demeurent l'expression. Cette image est très émouvante, et, depuis son exposition, est l'objet du plus douloureux et du plus pieux empressement" (L'Indépendant de la Charente-Inférieure du 25 juillet 1857).
L'ouvrage d'Henri Martin, consacré à l'ancien président de la République éphémère de Venise, Daniele Manin, mort à Paris, le 22 septembre 1857, est orné d'une belle gravure le représentant, "d'après une photographie exécutée quelques heures après sa mort" (photographe non cité ; La Gironde du 25 mai 1859).
Le 3 janvier 1858, la tragédienne Rachel est à l'agonie au Cannet (Alpes-Maritimes). Sa soeur, Sarah Félix, fait appeler le photographe parisien Louis CRETTE.
Ce dernier, photographe du roi de Sardaigne, alors actif à Nice (et Turin), prévenu par dépêche télégraphique, arrive dans la nuit, après le décès, et réalise le portrait le lendemain.
"La mort n'a de complaisance pour personne, et le photographe rendit cette figure et ce corps tels que la mort les avait faits. Les mains crispées l'une dans l'autre étaient saisies par une suprême convulsion. Des plaques livides marquaient ce visage défiguré par la rigidité du cadavre , et l'ensemble de tout cela formait un tableau dont l'impression était plus pénible que touchante" (La Presse du 3 mai 1858).
Le portrait très réaliste de Rachel sur son lit de mort est ensuite, à la demande de Sarah Félix, retouché et adouci par le photographe Louis GHÉMAR, en avril à Paris.
Cependant, alors que Sarah ne souhaitait pas livrer les traits de Rachel défunte au public, un dessin "divinisant" l'actrice, effectué d'après l'une des épreuves de GHÉMAR, par Frédérique O'Connell (qui avait réalisé quatorze portraits de Rachel de son vivant), est exposé et vendu dans les Magasins Goupil et Cie fin avril, démultiplié par la photographie et l'estampe et fourni à la presse, d'où le procés qui se tient au Tribunal civil de la Seine en juin 1858.
Frédérique O'Connell perd ce procès et le dessin et toutes ses reproductions sont saisis :
"Attendu que nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d'une personne sur son lit de mort, quelle qu'ait été la célébrité de cette personne et le plus ou moins de publicité qui se soit attaché aux actes de sa vie.
Attendu que le droit de s'opposer à cette reproduction est absolu, qu'il a son principe dans le respect que commande la douleur des familles, et qu'il ne saurait être méconnu sans froisser les sentimens les plus intimes et les plus respectables de la nature et de la piété domestique".
Il est à noter que la loi s'oppose à l'exposition et à la vente du portrait de toute personne sans son consentement, que la personne soit célèbre ou non et qu'elle soit encore vivante ou non au moment de sa diffusion (procès du photographe Emile Defonds, pour avoir exposé en vitrine, après son décès, le Portrait de la jeune Eugénie Sergent en costume de bal, réalisé de son vivant ; Moniteur des Arts du 24 novembre 1859 ; procés, à l'issue différente, du photographe Michel Szweyer, Portrait du poète polonais Adam Mieckiewicz (1798-1855), contre Nadar et les héritiers du poète ; Le Droit du 5 janvier 1860 ; La Presse du 1er avril 1860).
Plusieurs procès auront lieu à ce sujet au milieu du XIXe siècle : "En principe, le portrait d'une personne ne peut être exposé sans son consentement de son vivant, et celui de sa famille après son décès. Toutefois les tribunaux ont le droit de rechercher si la famille a, dans ce dernier cas, un intérêt sérieux et légitime à s'y opposer" (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, 1860 p 173).
On pourrait multiplier les exemples de portraits de célébrités sur leur lit de mort, comme :
- la poétesse Marceline Desbordes-Valmore décédée à Paris le 23 juillet 1859 (à 73 ans) et photographiée par NADAR (qui réussit à la rendre jeune et belle, Image 5),
- ou Jean-Baptiste Vianney, dit le curé d'Ars, mort le 4 août 1859 et photographié le 5 à Ars-sur-Formas (Ain) (photographe non cité)...
Il faut enfin rappeler que le parquet qui, dès cette époque, commence à faire réaliser des portraits de détenus (vivants) afin de permettre de les identifier et de les apréhender à nouveau, fait également réaliser des portraits de victimes de suicide ou de meurtre, afin de permettre leur identification ou bien de verser ces portraits, en tant que preuves, au dossier du procès à venir (Le Phare de la Loire du 5 janvier 1856 ; Journal des débats politiques et littéraires du 25 août 1856).