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dimanche 22 juin 2025

1391-VICHY : M. & MME SPINGLER, PHOTOGRAPHES (Enquête 2)


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS





ENQUÊTE 2

 

L'introduction à cette série d'enquêtes, ainsi que la bibliographie et sitographie correspondantes sont présentées dans l'article de l'enquête 1. 

Pour rappel, les photographes étudiés dans cette série sont ceux qui sont peu ou pas cités dans les documents vichyssois et dont l'identité n'est pas connue, ce qui pousse à rechercher des renseignements dans les autres lieux où ils pu naître, vivre, travailler et mourir.

Le terme "d'enquête" a été retenu car cette série affiche la méthode de recherche adoptée sous forme de journal. Les questionnements, les pistes et les résultats sont ainsi présentés au jour le jour, selon des enchaînements logiques ou intuitifs qui peuvent aussi bien conduire à des rebondissements qu'à des impasses. 

Une brève synthèse finale récapitule cependant les éléments collectés, en les présentant cette fois dans l'ordre chronologique traditionnel d'une biographie. 



M. & MME SPINGLER, PHOTOGRAPHES 


Les repères

Peu de notices semblent avoir été consacrées à ces photographes. 

- Jean-Marie Voignier écrit, en 1993 : "Spingler Georges, photographe Paris, rue Basse à Passy ; années 1860. Mme Georges Spingler poursuit l'activité vers le milieu des années 1870. Se trouve aussi à Vichy (Allier), en face du Casino" (Répertoire des Photographes de France au dix-neuvième siècle, Le Pont de Pierre, 1993).

- François Boisjoly indique, pour sa part, en 2009 : "Spingler Georges. Début d'activité : 1862. Technique : collodion humide. Activité principale : photographe de studio. Particularités : "Photographe de S.M. l'Impératrice". Inscrit dans le Bulletin de 1864. Sa veuve poursuit quelques temps l'activité. Adresse d'atelier : 3, rue Basse, Passy (Paris). Succursale : place de l'Hôtel-de-Ville, Vichy (Allier)" (Répertoire des photographes parisiens du XIXe siècle, Evergreen, 2009).

L'Atelier des photographes du XIX siècle, précise en 2010 : Georges SPINGLER - Paris -Début Activité en 1862 en studio - Adresse : 7 Grande Rue et 3 rue de Basse, Passy - Paris - Adresse d' atelier : 154 Rue du Faubourg Saint Antoine - Succursale à Vichy - Place de l'Hôtel de ville - Photographe de S.M. L' Impératrice. Á sa mort sa veuve poursuit l' activité quelques temps (site en ligne, ici).


L'atelier de Vichy

La recherche sur Vichy a donné lieu à peu de découvertes. Rien n'a été trouvé, concernant M. ou Mme Spingler en dehors des cartons-photos indiquant tour à tour leur adresse, "en face le Casino - Vichy" ou "Vichy - Place de l'Hôtel de Ville", et la représentation en élévation de la façade de leur atelier (sans leur nom) sur le Plan Rondepierre de Vichy, daté du 20 juin 1865.




2- RONDEPIERRE Emile, architecte et REYMOND Benoît, géomètre, 
Plan de Détails - Ville de Vichy, daté du 20 juin 1865.
partie sud-ouest de la ville (plan réorienté nord-sud),
Fonds patrimoniaux de Vichy.
L'auteur de ce plan ne représente que deux Établissements de Photographie, 
celui de Georges Spingler et celui de Paul Coutem,
 alors qu'à cette date il en existe au moins trois autres,
 ceux de Claudius Couton, de Paul Métenier et de Joseph Silli.

2a : détail du quartier, avec :
1- Le Casino (érigé entre novembre 1863 et juillet 1865)
2- La nouvelle Mairie (érigée entre fin 1863/début 1864 et début 1865)
3- L'Établissement, "Photographie de Paris".
Cet emplacement est ensuite dit "Aux deux Chalets" sur le Plan de 1866.

2b : détail de l'image précédente, avec :
 l'Établissement, "Photographie de Paris",
situé à l'angle du boulevard du Prince Impérial et
 de la place de la nouvelle Mairie ou place de l'Hôtel-de-Ville.


Ces deux adresses révèlent-elles deux emplacements successifs ou bien un même emplacement, nommé de façons différentes ? 

L'adresse "face au Casino" (bâtiment érigé de novembre 1863 à juillet 1865) est assez ambiguë et pourrait indiquer un atelier situé rue du Parc, près ou dans l'Hôtel des Ambassadeurs.

Cependant, l'atelier Spingler a pu exister, dès 1863 ou 1864, sur la place où va se construire la nouvelle Mairie (achevée en janvier ou février 1865), le photographe préférant se recommander, dans un premier temps, du prestigieux Casino en projet ou en construction, malgré la place du Fatitot qui l'en sépare.


- Photographe anonyme, Vichy, La place et la Fontaine du Fatitot et la nouvelle Mairie
vue nord-sud non datée (fin du XIX° s., après 1866, date de l'installation de la Fontaine), 
avec l'emplacement où était (préalablement ?) installé 
l'Etablissement de Photographie de Georges Spingler (maison d'angle à gauche de l'image), 
fichier Wikipédia.



L'atelier de Paris

La recherche s'est axée ensuite sur les adresses parisiennes.

Les cartons-photos révèlent plusieurs adresses à Passy. Cette commune, située à l'ouest de Paris, a été rattachée à l'agglomération parisienne en 1860, constituant dès lors le 16ème arrondissement. Voici les adresses, présentées dans l'ordre chronologique supposé :

"3, rue Basse, 3 - Passy-Paris" ou "3, rue Basse, 3 - Paris"

- "7, Grande Rue, 7. - Passy-Paris" ou "7, rue de Passy - Paris" 

- "50, Rue de Passy, 50 - Passy-Paris".

Avec le rattachement à Paris et les nouvelles constructions, la dénomination des rues est changée en 1867 : la "rue Basse" devient la "rue Raynouard" et la "Grande Rue" prend le nom de "rue de Passy", ce qui implique au moins deux ou trois emplacements différents pour l'atelier de Spingler. 

La recherche dans les Annuaires-Almanachs Didot-Bottin n'a délivré, dans un premier temps, que peu de mentions de Georges Spingler mais ce n'était, en fait, qu'un problème de moteur de recherche. La consultation systématique des annuaires, année par année (par nom, par adresse, par profession) a donné davantage de résultats.

"Spingler (G.), phot." ou "Spingler, Georges, phot." y est cité à partir de 1863, ce qui semble impliquer une installation à cette adresse en 1862, venant confirmer les recherches antérieures. 

Cependant, "George (sic) Spingler, représenté par Ricordeau, à Paris" a déposé, le 30 octobre 1861, une demande de brevet d'invention de 15 ans pour un "kaléidoscope photographique automatique, avec un système de mouvement qui mobilise le disque photographique" (brevet n° 51791, accordé le 6 janvier 1862 ; I.N.P.I.). 

La date de dépôt de cette invention laisse supposer que Georges Spigler s'est formé à la photographie au tournant des années 1860. Il a probablement été tout d'abord employé, avant d'ouvrir son propre atelier à Passy.

L'adresse de M. Spingler n'est pas précisée dans la demande de brevet mais elle est, potentiellement, déjà située rue Basse-Passy, même si elle n'apparaît pas dans l'annuaire de 1862. Les premiers dépôts officiels de photographies à son nom sont d'ailleurs attestés dès l'été 1861 (Bibliographie de la France, n° 28 du 13 juillet 1861 p. 344 et n° 33 du 17 août 1861 p. 400).

Adresses parisiennes successives relevées :

- "3, rue Basse-Passy" (annuaires de 1863 à 1866) 

- Annuaires-Almanachs manquants (années 1867, 1868 et 1869)

"Passy, 7" (1870 et 1871) 

Annuaire-Almanach manquant (année 1872)

"Passy, 50" (1873)

- c'est ensuite "Spingler (Mme G.), phot." qui est citée, "Passy, 50" (1874), le nom disparaissant des annuaires dès 1875.

Tous ces éléments semblent venir confirmer les renseignements déjà collectés, avec changement de dénomination et de numérotation de l'adresse et succession effectuée par Mme Spingler, après l'éventuel décès de son mari.


M. et Mme Spingler

Á ce stade de la recherche, il est devenu essentiel de découvrir l'identité de M. et Mme Spingler. Les premiers essais se sont avérés infructueux, pour deux raisons : une quarantaine de personnes portant en France les nom et prénom de "Georges Spingler", et la méconnaissance des nom et prénom de jeune fille de son épouse.

"Spingler" : ce patronyme à consonance britannique est en fait essentiellement présent dans une zone géographique allant de l'Allemagne au nord de la France. Ce n'est cependant qu'à partir du moment où la recherche s'est reportée sur le nom de "Spengler" que le mariage parisien du photographe a pu être retrouvé.

Le 8 février 1855, "George Jacob Christophe Spengler, garçon brasseur, domicilié rue Jean Robert, 11, à la Chapelle (commune qui sera rattachée à Paris en 1863, 18ème arr.), fils de Philippe Henry Spengler & de Madeleine Reis" a épousé, à l'église réformée des Batignolles (commune rattachée à Paris en 1860, 17ème arr.), "Françoise Gaillot, fille de Joseph Gaillot et Catherine Aubriot". L'acte de mariage ne précise ni la date ni le lieu de leur naissance. 

Françoise Gaillot, est née à Verdun, le 27 février 1837. 

Elle est la fille de Joseph Gaillot, charron (né à Saint-Mihiel, Meuse, le 9 octobre 1809) et de Catherine Aubriot (née à Saint-Mihiel, Meuse, le 3 septembre 1819), qui se sont mariés à Verdun (Meuse), le 12 avril 1836 et ont eu au moins 3 enfants. La famille Gaillot semble avoir quitté Verdun et s'être ensuite installée dans le 18ème arrondissement de Paris car c'est là que se mariera également leur fille cadette, Charlotte Gaillot (née en 1838), en 1865. 

La recherche, n'ayant pas permis de retrouver l'acte de naissance de George Spengler en France, s'est alors reportée en Allemagne. Sa famille a pu y être retrouvée, notamment à Francfort-sur-le Mun puis à Jugenheim près de Darmstadt (Grand-duché de Hesse, alors cité de manière erronée dans les actes civils français sous la désignation de "Saxe"). 

"Georg Jacob Christoph Spengler" est né à Darmstadt, le 7 février 1831. 

Il est le fils de Philipp Heinrich Spengler (Grand-duché de Hesse, 15 octobre 1798-décédé entre 1858 et 1866) et de Magdalena Reus(s) (Francfort, Grand-duché de Hesse, 22 juillet 1802-Wursen/Wurzen, Saxe, après 1866) qui se sont mariés à Mainz/Mayence (Rhénanie-Palatinat), le 21 novembre 1828 et ont eu 12 enfants (dont 2 mort-nés et 1 mort en bas-âge) entre 1826 et 1847 (dont 2 enfants nés avant leur mariage). 

Marie Spengler (1827-1858), l'une des sœurs de Georg Splenger, est venue, après son mariage avec Bernard Cheval()lier à Darmstadt en 1852, s'installer en France, à Sampigny (Meuse). Georg Spengler a-t-il accompagné ou rejoint le couple entre 1852 et 1855 ? Est-ce à cette occasion qu'il a rencontré Françoise Gaillot dans son département natal ?

De la même façon, est-ce ensuite la présence de Georg(e) Spengler à Paris qui a entraîné la venue de deux autres de ses sœurs en France et leur mariage dans le 18ème arrondissement de Paris : Wilhelmina Spengler (1834-1902) en 1856 puis Maria Elisabeth Spengler (1835-1913) en 1866 ?

Georg Spengler et Françoise Gaillot avaient donc respectivement, 24 ans et 17 ans, à la date de leur mariage à Paris, en 1855. Ils se sont rencontrés dans la Meuse ou dans la capitale. C'est donc entre 1855 et 1861 que Georges Spingler, et peut-être son épouse, se sont ensuite formés à la photographie.

"Jacob (sic) Spingler, lithographe (!)âgé de 35 ans, rue Basse, 3, à Passy" est l'un des témoins du mariage à Paris (18ème arr.) de sa belle-sœur, Charlotte Gaillot, le 11 février 1865. La profession évoquée de "lithographe" est-elle une erreur de transcription (au lieu de "photographe") ou révèle-t-elle sa formation première, le métier de "garçon brasseur" n'étant que temporaire pour gagner sa vie à Paris ?

La date de décès de Georg(e) Spingler n'a pas été retrouvée à ce jour, contrairement à celle de son épouse.

"Françoise Gaillot, photographe, domiciliée, rue de Passy, 50, âgée de trente-cinq ans, née à Verdun (Meuse)(...), épouse de Georges Spingler (sic), photographe, âgé de quarante-six ans [42 ans], absent, sans nouvelles", est décédée à son domicile parisien le 14 octobre 1873. Le Journal des débats politiques et littéraires publiera, par erreur, dans son numéro du 21 octobre 1873, que c'est "M. Spingler, 35 ans, rue de Passy, 50", qui est décédé.

Voilà un décès et une disparition qui interrogent. Depuis quand Georges Spingler a-t-il disparu, poussant son épouse à assurer sa succession ?

Georges Spingler est peut-être resté actif jusqu'à la Guerre franco-prussienne de 1870-71 ou à la Commune de 1871, avant de disparaître au cours de cette période troublée (Liste des tués et blessés des francs-tireurs de Passy, Le Temps du 26 octobre 1870). Il est vrai qu'il cumulait alors deux handicaps : une nationalité germanique et une réputation de photographe officiel du Second Empire. 

Est-il mort vers 1870 ou bien a-t-il quitté Paris, voire la France ? A-t-il rejoint sa mère en Saxe ?

Son épouse a tout d'abord conservé l'atelier parisien sous le nom de son mari, avant d'afficher son nom d'épouse dans l'annuaire de l'année 1874 qui n'est cependant paru qu'après son décès.

L'Aide-Mémoire de Photographie affichera également le nom de "Spingler" dans la liste des photographes parisiens mais uniquement lors de l'année 1876 (pour rappel, le nom du photographe vichyssois, Paul Coutem, décédé en 1872, apparaîtra dans l'Aide-Mémoire de Photographie de 1876 à 1888).


Les photographies

Aucune vue de paysage urbain ou rural de Georges Spingler ne semble connue. Les photographies conservées montrent essentiellement des portraits dont des reproductions d'œuvres d'art, avec notamment :

- une série de 11 Portraits d'après l'estampe de Pré-Réformateurs et Réformateurs protestants (XV°-XVII° siècles) (Bibliographie de la France du 17 août 1861 p 400)

- le portrait, d'après l'estampe, du politique Merlin de Thionville (1863-1833), qui a participé à la Révolution française, au Consulat et au Premier Empire

- une maquette en plâtre du sculpteur Vital Gabriel Dubray (1813-1892), conservée au musée de Rouen, représentant le piédestal et la Statue équestre de Napoléon Ier à Rouen, qui préfigurent le Monument inauguré dans cette ville le 15 août 1865.

- ou encore la toile "Antiope", peinte par le Corrège vers 1524-1527 et conservée au musée du Louvre, prise en 1862 (Jules Gay, Iconographie des estampes à sujets galants et des portraits des femmes célèbres par leur beauté, 1868 p 185).

Georges Spingler réalise également les portraits photographiques de ses contemporains, comme :

- celui du pasteur calviniste à Paris, Athanase Josué Coquerel (1820-1875) (Bibliographie de la France du 13 juillet 1861 p 344)

- ceux de la Famille Bonaparte, avec l'Empereur Napoléon III, l'Impératrice Eugénie, le Prince impérial, la Princesse Clotilde et la Princesse Mathilde, en 1862 (Bibliographie de la France du 12 juillet 1862 p 320 et du 22 novembre 1862 p 544). 

Les articles de presse consacrés à Georges Spingler se réfèreront d'ailleurs essentiellement au Portrait de l'Impératrice debout (Image ci-dessous) dont une estampe, dessinée par F. Morin et gravée par Henry Duff Linton (1815-1899), sera ensuite publiée dans L'Univers Illustré, n° 301 du 10 février 1864 puis exposée au Salon de 1865 (Le TempsLe Journal des Débats politiques et littéraires et La Presse du 10 février 1864 : Collection Musée Ingres Bourdelle). 

- ceux du préfet de police à Paris, Symphorien Boit(t)elle (1813-1897) (Bibliographie de la France du 15 juillet 1865 p 328), du duc Victor de Broglie, homme politique (1785-1870) ou encore du missionnaire Charles Emile Bouillevaux (1823-1913) avant son retour en Indochine en 1866...

- et de nombreuses autres personnes se rendant à ses ateliers de Passy et de Vichy, hommes, femmes et enfants dont des écoliers. 


- SPINGLER Georges, Portrait de l'Impératrice Eugénie [de Montillo (1826-1920)], 1862,
tirage albuminé de 9x5,4 cm, sur carton de 10x6 cm,
Paris, musée Carnavalet, Histoire de Paris.



Comme l'ont révélé les historiens Jacques Kuhnmunch et Laure Chabanne, Georges Spingler a consacré deux importantes séries de portraits à l'Impératrice Eugénie, introduit aux Tuileries auprès d'elle par Édouard Delessert (Catalogue des peintures du château de Compiègne, articles mis en ligne en 2020, ici et ici).

Édouard Delessert (1828-1898) est peintre, photographe, archéologue, homme de lettres, homme d'affaires, exploitant des eaux minérales naturelles de Passy et ami de l'Impératrice

Certaines des photographies de la famille impériale (1862) portent d'ailleurs le cachet et le timbre sec d'Édouard Delessert, ce dernier ayant laissé à Georges Spingler la possibilité de les commercialiser à son nom. 

A partir d'un choix opéré dans ces photographies, deux tableaux ont été ensuite réalisés par Antoine Valentin Jumel de Noireterre (1824-1902) : les Portraits de l'Empereur Napoléon III et du Prince Impérial et le Portrait du Prince Impérial enfant.

Il faut préciser qu'au début des années 1860, Édouard Delessert habite la même "rue Basse-Passy" (au n° 7) que Georges Spingler (au n° 3). Tous deux déposent notamment des brevets d'invention en 1861. Ils font également don de photographies, l'été 1863, à la mairie du 16ème arrondissement, pour une loterie de bienfaisance (Le Temps du 9 juillet 1863 ; Le Monde Illustré du 8 août 1863). 

Est-ce auprès d'Édouard Delessert, photographe depuis le milieu des années 1850 et présent à plusieurs expositions (1855, 1861, 1862, 1863) que Georges Spingler s'est formé à la photographie ? L'implantation de l'atelier de Georges Spingler dans la même rue qu'Édouard Delessert trouve-t-elle ainsi son explication ? C'est probable.

Ernest Lacan, dans un article rédigé en octobre 1862, évoque les deux photographes : "Puisque je parle d'images, je ne peux pas oublier le portrait de l'Impératrice qui est publié par M. Georg Spingler (sic), préparateur de M. Édouard Delessert. Il s'agit de l'un des portraits les plus authentiques et les plus achevés jamais réalisés ; il a également permis au jeune artiste modeste d'obtenir le titre de photographe de cour" (Photographisches Archiv., Band III, Nr. 35, November 1862 p 241).

Le cousin d'Édouard Delessert, Benjamin Delessert (1817-1868), habite également la même rue Basse-Passy (au n°11) et pratique lui-aussi la photographe. Il est notamment intéressé par la reproduction des œuvres d'art et en particulier des estampes, un centre d'intérêt très présent dans la production de Georges Spingler (ancien lithographe ?) au début des années 1860.

Cependant, c'est bien "sous la direction d'Édouard Delessert" que Georges Spingler réalise, puis dépose en juillet 1862, une série de reproductions photographiques de tableaux anciens (Bibliographie de la France du 19 juillet 1862 p 332).

Georges Spingler réalise par ailleurs des photographies des trois chiens Bull-Terriers d'Édouard Delessert (notamment reproduites sous forme d'estampe dans, Les Trois Règnes de la Nature du 30 janvier 1864 p 37). D'autres clichés de chiens du photographe, alternativement cité sous les noms de "Spengler" et de "Spingler", paraissent également dans cette même revue (Les Trois Règnes de la Nature, du 23 janvier, 6 février et 10 septembre 1864).

En croisant les adresses présentes dans les Annuaires-Almanach de Paris, avec celles affichées au verso des photographies de Georges Spingler, il semble qu'au moins sept types de cartons-photos, imprimés à l'encre noire ou de couleur (rouge ou mauve) et affichant les armoiries du Second Empire dans un dessin plus ou moins agrandi ont été utilisés par Georges Spingler puis son épouse, probablement dans l'ordre chronologique ci-dessous. 

Il faut cependant préciser que certains de ces cartons-photos ont été contemporains, mettant en avant l'adresse de Paris ou bien celle de Vichy et en insérant ou non les inscriptions au sein d'un grand médaillon décoratif. 

La mention, "Photographe - De S.M. - L'Impératrice", qui date de 1862, est présente sur la plupart des cartons-photos (sauf ceux postérieurs à 1870). Cela implique, pour 1861 et le début de l'année 1862 mais également pour 1871 et le début de l'année 1872, l'existence de deux autres types de cartons-photos, qui restent inconnus à ce jour.

Ce type de carton-photo qui affiche la seule adresse du "3, Rue Basse, 3 - Passy-Paris" 
est le plus ancien conservé et peut dater vers 1862-1863/64. 
Il a cependant été précédé d'un autre type de carton-photo en 1861 (inconnu).


Ces cartons-photos  qui affichent, "en face le Casino - Vichy" et "Rue Basse, 3 - Paris", peuvent dater vers 1863/64-1865/66.


Le carton-photo de gauche qui affiche "3, Rue Basse, 3 - Passy-Paris - Vichy - Place de l'Hôtel de Ville" (avec une majuscule à "Hôtel") peut dater vers 1865-1867, 
alors que celui de droite, qui affiche deux nouvelles adresses, "7, Grande Rue, 7 - Passy-Paris - Vichy. - Place de l'hôtel de Ville" (avec une minuscule à "hôtel"), peut dater vers 1867-1868.


Le carton-photo de gauche qui affiche désormais la seule adresse parisienne, "7, Rue de Passy" (nouvelle dénomination de la rue), peut dater vers 1868-1870, 
alors que le carton-photo de droite qui est désormais dépourvu des références au Second-Empire et affiche l'adresse avec un nouveau numéro (numérotation renouvelée ou nouveau déménagement ?) est le plus tardif et peut dater vers 1872-1873.
Un type de carton-photo intermédiaire (inconnu) a donc existé, affichant vers 1871-1872, l'adresse du 7, rue de Passy, dépourvue des références aux Second-Empire.



La date de décès de M. Spengler

Il est toujours difficile d'arrêter une recherche alors que la date de décès du photographe reste inconnue.

L'étude de la fratrie de Georg(e) Spengler a cependant révélé que sa sœur Dorothea Magdalena Spengler (1829-1897) a émigré aux Etats-Unis en juin 1852 et s'y est mariée, et que son autre sœur Marie Elisabeth Spengler (1837-1873), épouse Nosbonne, y est partie en novembre 1869. Elles ont toutes les deux fini leurs jours, avec leur époux et leurs enfants, dans des villes du Michigan, proches de Détroit. Est-il possible que George Spengler les ait rejointes ? 

Par acquit de conscience, des recherches généalogiques ont alors été entreprises sur les critères suivants : "Georg(e) Spengler", né à Darmstadt en 1831 et vivant dans le Michigan dans les années 1870. 

S'il y a beaucoup d'individus portant ces nom et prénom aux Etats-Unis, peu d'entre eux réunissent l'ensemble de ces critères. Très rapidement, un individu se détache et pourrait correspondre. 

Il est recensé en 1870 à Hamtramck (banlieue de Détroit, Michigan) : "George Spengler, 39 ans, né en 1831, à Hessen Darmstadt, patron de bar".

Est-ce le photographe étudié ? Il semble que oui. Certes, il a été garçon brasseur au milieu des années 1850 mais le retrouver, "Saloon Keeper", en 1870 est une véritable surprise.

La recherche se focalise alors sur cet homme qui se marie dès le 22 décembre 1870 à Détroit, à l'âge de 38 ans (39 ans), avec une dénommée, Mary Magdalena "Shuckert", âgée de 17 ans (née vers 1853-55 à Macomb Co., Michigan).

Ce nom rappelle étrangement (en version anglaise) celui de la sœur de George Spengler, Dorothea Magdalena Spengler, partie aux Etats-Unis en juin 1852, pour se marier le 8 août 1852 à Détroit, avec son fiancé allemand, Gustav Phillip Friedrick "Schuchard" (né vers 1829-30 à Ulrischstein, Grand-duché de Hesse). Ce dernier avait-il un oncle ou un parent émigré aux Etats-Unis depuis une vingtaine d'années, d'où le choix de cette destination ?

Différents documents transcrivent d'ailleurs le nom de l'épouse de George Spengler, comme "Spruetch", "Schukut", "Schuchaid", "Schuhard", "Schukart" ou encore, "Schuchard", avec d'ailleurs des prénoms qui varient tout autant dans leurs transcriptions, Mary Magdalena, Maria Madelina, Madeline, Madiline, Majoline... 

Le recensement de la ville de Détroit de 1880 liste cette fois, "George Spengler, 47 ans [49 ans], patron de bar", son épouse Magdalena, 26 ans et leurs trois enfants Magdalena, 8 ans [ou Lena, née vers 1872], Gustav E., 6 ans [né le 4 octobre 1875] et Wilhelmina, 3 ans [née le 28 juillet 1876].

Nouveau pays, nouvelle vie (profession et épouse). Les homonymes étant nombreux, il a semblé cependant nécessaire de trouver une preuve irréfutable qui identifie le photographe de Paris et Vichy au patron de bar de Détroit, né lui-aussi à Darmstadt en 1831.

Cette preuve a été fournie par la date de décès de ce dernier : le 26 octobre 1885, à Détroit. Le relevé précise en effet qu'il y est décédé "à 54 ans, 8 mois et 19 jours", ce qui situe sa date de naissance au 9 février 1831. Or, le photographe étudié est né le 8 février 1831 et il est probable que la déclaration de décès n'a été effectuée qu'au lendemain de sa mort.

Avait-t-il quitté le territoire français suite à l'annonce de la déclaration de Guerre de la France à la Prusse du 19 juillet 1870 ? 

La date de son mariage américain (22 décembre 1870), implique une rencontre antérieure avec sa future épouse et une installation antérieure en tant que patron de bar.

Il apparaît donc possible que George Spengler ait quitté la France pour les Etats-Unis, fin juillet ou début août 1870, qu'il se soit embarqué au Havre, ait traversé l'Atlantique et gagné New York en deux mois de navigation environ puis ait accompli un ou deux jours de train pour parvenir à Détroit, fin septembre 1870 au plus tôt. 

Il est difficile de préciser davantage. Son épouse française a-t-elle eu connaissance de son départ pour les Etats-Unis ou est-elle restée sans nouvelles ? Est-ce que ce sont seulement les deux témoins du décès de cette dernière qui sont restés dans l'ignorance du devenir de M. Spingler ?

Ce dernier passait-il la saison à Vichy lorsque la France a déclaré la guerre à la Prusse ? A-t-il gagné directement le port du Havre ? On est, certes, dans un mauvais roman où se posent notamment des questions relatives à l'état du couple et à celui de ses finances en 1870.

Une recherche plus approfondie des registres de l'agglomération de Detroit et du Michigan, avec cette fois le nom de "Schuchard", a permis d'apprendre que "Magdalena Schuchard, épouse Spengler" a également accouché d'une fille prénommée Frances Alvina, le 10 août 1880.

Un nouveau relevé a cependant fait voler en éclats l'hypothèse du départ de Spingler pour Détroit en juillet 1870. En effet, il semble que "Madalina Schuchard  (sic), épouse de George Spengler", a accouché d'une fille mort-née en février 1871, ce qui implique une conception antérieure au mariage ("Illegitimate Stillborn"), voire même à juillet 1870 (vers mai) ! 



SYNTHÈSE


M. et Mme Spingler

"Georg Jacob Christoph Spengler" est né à Darmstadt (Grand-duché de Hesse) le 7 février 1831. 

Vers 1852-1855, il est venu en France, probablement d'abord à Sampigny (Meuse) puis, à Paris.

Il a rencontré Françoise Gaillot, née le 28 février 1837 à Verdun (Meuse), et l'a épousée à Paris (18ème arr.), le 8 février 1855, alors qu'il était "garçon brasseur".

Entre 1855 et 1861, il s'est formé à la photographie (auprès d'Edouard Delessert ?) puis a ouvert son propre atelier, sous le nom de "Georges Spingler", en 1861. Il s'est installé, avec son épouse, dans une maison sise à Passy, rue Basse, 3 puis Grande Rue, 7. Le couple ne semble pas avoir eu d'enfants.

La réalisation de nombreux Portraits de la Famille Impériale en 1862 et, en particulier, de l'Impératrice Eugénie, a assuré sa réputation. 

Il a ensuite décidé l'ouverture d'une succursale d'été à Vichy,  en 1863 au plus tôt et en 1865 au plus tard. Il a conservé cette succursale jusqu'en 1867 au plus tôt et 1869/70 au plus tard.

Georges Spingler a cependant disparu à la toute fin des années 1860.

Son épouse semble alors avoir pris la suite de l'atelier parisien, Grande Rue, 7 puis, dès 1872, rue de Passy, 50. S'était-elle formée à la photographie vers 1860, en même temps que son époux ou avait-elle appris avec ce dernier au cours des années 1860 ? 

Françoise Gaillot, épouse Spengler/Spingler est malheureusement décédée à 35 ans, le 14 octobre 1873, d'une cause inconnue. Rien n'est connu non plus de la succession de leur atelier et de leurs biens.

"George Spengler" a, pour sa part, émigré aux Etats-Unis, au plus tard en 1870, et s'est installé comme patron de bar dans la ville de Détroit (Michigan), où vivaient déjà des membres de sa famille. 

Il s'est remarié dans cette ville, le 22 décembre 1870, avec Mary Magdalena Shuckert (née en 1853 à Macomb Co., à 45 km au nord de Détroit). Le couple semble avoir eu 5 enfants (dont 1 mort-né) dans la décennie suivante.

George Spengler est décédé à Detroit, le 25 octobre 1885, à l'âge de 54 ans.


Leur présence à Vichy

La question de départ qui cherchait à préciser les années où Georges Spingler, peut-être assisté de son épouse, a effectué des saisons estivales à Vichy, n'a pu être résolue avec certitude.

On peut imaginer que ce sont les cinq séjours de l'Empereur Napoléon III à Vichy, entamés en 1861, qui ont incité Georges Spingler à se rendre dans cette ville. Le premier séjour du photographe a peut-être été précisément motivé par le départ de l'Impératrice pour Vichy, fin juillet 1863 (séjour qu'elle a écourté et n'a jamais renouvelé).

Le seul repère fiable de la présence du photographe à Vichy (en dehors de ses cartons-photos), reste la représentation de son atelier sur le Plan de ville daté du printemps 1865. 

Quant aux dates des derniers séjours de Georges Spingler à Vichy, on peut envisager, notamment du fait de l'affichage, au dos de ses cartons-photos, de son adresse parisienne de la "rue de Passy, 7" coexistant avec celle de son atelier de Vichy, une période entre 1867 et 1869/70.