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dimanche 30 mars 2025

1382-PASSER L'HIVER À NICE (1760-1860)-2 : LES BAINS DE MER

 

 SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- CAFFI Ippolito (1809-1866), Nice, vue de la plage prise depuis les Ponchettes
détail de l'extrémité occidentale de la plage du boulevard du Midi et de ses cabines de bains, 1852, 
vue sud-est/nord-ouest, huile sur carton, 28,5x44 cm, signée et datée, Collection particulière (Wikimedia)




INTRODUCTION

 

Dans la seconde moitié du XVIIIᵉ siècle, Nice est une ville-étape du Grand-Tour et une cité-frontière cosmopolite où se développe notamment une communauté britannique.

De nombreux textes vantent son climat hivernal, la douceur de ses températures, son ciel bleu ensoleillé, sa position abritée des vents et la pureté de son air marin, tous arguments qui incitent les élites européennes à venir passer l'hiver et se soigner dans la ville.

Les malades résident dans une location confortable, suivent un régime alimentaire adapté, fréquentent leurs concitoyens et s'adonnent essentiellement à des sorties au grand air, avec des promenades à pied en bord de mer, des balades en voiture et des courses en bateau aux environs. 

Très peu de textes, en revanche, évoquent l'attrait et la pratique thérapeutique des bains de mer à Nice avant 1820. 

La mer ne sert pas seulement au voyage, au commerce, à la pêche ou à la contemplation du spectacle de l'infini, mais encore aux bains, voire aux ingestions d'eau salée.

Déjà connus dans l'Antiquité, ces bains sont réintroduits en Angleterre vers 1700 et s'y répandent dans le second tiers du XVIIIᵉ siècle, avec les stations balnéaires de Scarborough et Brighton et les recommandations du Dr Richard Russell (1750) puis celles du Dr William Bunchan (1769) (Dr Russell, De Tabe glandulari, 1750, traduit en anglais sous le titre, Glandular Diseases, or A Dissertation on the Use of Sea Water in the Affections on the Glands, 1752 ; Dr Bunchan, Domestic Medicine, or A Treatise on the Prevention and Cure of Diseases, 5 volumes, 1769 ; James Clark, The Influence of Climate in the Prevention and Cure of chronic Diseases, 1829...).

Cette pratique, relayée par les traductions des traités britanniques, va gagner de nombreux pays d'Europe dès la seconde moitié du XVIII° siècle. En France, il faut noter la rédaction de l’ouvrage du Dr Hugues Maret (Mémoire sur la manière d'agir des bains d'eau douce et d'eau de mer, et leur usage, 1769) et le développement de stations balnéaires, comme celles d'Hyères et Sète au bord de la Méditerranée et de Dieppe et Boulogne-sur-Mer, au bord de la Manche.

Les bains de mer (eau froide en mouvement, riche en sel et matières organiques) sont recommandés pour un grand nombre d'affections, surtout pour les maladies respiratoires chroniques (poitrinaires et phthisiques atteints de la tuberculose pulmonaire) mais également les maladies rhumatismales, les problèmes gynécologiques, digestifs et dermatologiques, les troubles nerveux et les états d'anémie.

 

 

PRENDRE LES BAINS DE MER À NICE


 

LES ANNÉES 1760-1820


En 1766, l'édition de l'ouvrage du Dr Tobias Smollett, regroupant les lettres qu'il a écrites pendant ses séjours à Nice (1763-1765), concourt à populariser les bienfaits des bains de mer de la ville : 

"Lettre XXIII - Nice, le 19 décembre 1764 - Lorsque je me suis baigné en été, j'ai payé trente sols, équivalents à dix-huit pence, pour être transporté jusqu'à l'endroit de bain, qui se trouvait à un mile de chez moi.

Maintenant que je parle de la baignade, il peut être utile de vous informer que bien qu'il y ait une belle plage ouverte, s'étendant sur plusieurs miles vers l'ouest de Nice, ceux qui ne savent pas nager doivent prendre grand soin lorsqu'ils se baignent, car la mer est très profonde, et la descente est très abrupte à moins d'un mètre ou deux de la bordure de l'eau.

Les gens ici ont été beaucoup surpris lorsque j'ai commencé à me baigner au début du mois de mai. Ils trouvaient cela très étrange qu'un homme semblant consomptif [consumé par une maladie de poitrine] se jette dans la mer, surtout lorsque le temps était si froid ; et certains médecins prédisaient une mort immédiate. Cependant, lorsqu'ils ont constaté que je me portais mieux grâce au bain, certains officiers suisses ont essayé l'expérience, et quelques jours plus tard, notre exemple a été suivi par plusieurs habitants de Nice.

Cependant, il n'y a aucune commodité pour cette pratique, dont les femmes ne peuvent profiter entièrement à moins de renoncer à toute considération de décence ; car la plage est toujours bordée de bateaux de pêche et bondée de gens.

Si une dame devait assumer la dépense de faire dresser une tente sur la plage où elle pourrait mettre et enlever son costume de bain, elle ne pourrait prétendre entrer dans la mer sans des accompagnateurs appropriés ; et elle ne pourrait certainement pas plonger tête la première dans l'eau, qui est la méthode la plus efficace et la moins dangereuse de se baigner.

Tout ce qu'elle peut faire est d'avoir de l'eau de mer amenée chez elle et d'utiliser une baignoire, qui peut être préparée selon ses propres directives ou celles de son médecin" (traduction du texte original, T. Smollett, Travels through France and Italy, 2. vol., mai 1766, pp 355-56).

Ce texte est riche en enseignements. Le Dr Smollett, qui tente par ses voyages d'améliorer son état de santé, se baigne à l'ouest de la ville de Nice, dans un premier temps en été et sans provoquer de réaction. Ses bains de printemps sont, en revanche, jugés suicidaires mais comme ils s'avèrent efficaces, ils se voient bientôt imités. Il est probable que l'exemple de Tobias Smollett puis son récit à succès ont permis à certains baigneurs d'avancer la saison des bains au printemps.

Le docteur note également que la plage niçoise ne dispose ni de tentes ni d'assistants de bains indispensables aux femmes, et que ces dernières se voient réduites à prendre des bains d'eau de mer dans la baignoire de leur domicile, ce qui atteste un tel usage dès cette époque, avec de l'eau probablement livrée par le personnel d'une maison de bains.


""A Nice, nous avons trouvé l'Hôtel des quatre nations, une auberge convenable et raisonnable (...). Tout le quartier a l'air d'une station balnéaire anglaise. La ville est très animée et enrichie par l'afflux d'étrangers qui y viennent pour profiter du climat en hiver, et un grand nombre de personnes y sont accueillies".

-  James Edward Smith, A Sketch of a tour on the continent in the years 1786 and 1787, in The Monthly Review, 1793 p 163.

 

Les témoignages concernant les bains font malheureusement défaut dans les cinq décennies suivantes. Les journaux citent en effet les personnalités qui vont "passer l'hiver à Nice" mais ne précisent que très exceptionnellement que c'est "pour y prendre les bains de mer", comme c'est le cas, l'été 1818, pour Hortense de Beauharnais (1783-1837) [fille adoptive de Napoléon Ier et mère du futur Napoléon III], duchesse de Saint-Leu (Gazzetta di Firenze du 7 juillet 1818).


 

LES ANNÉES 1820-1830


Les traités médicaux et les installations de bains

En 1822, le Dr Pierre Richelmi édite un ouvrage sur le climat de Nice et consacre un passage à l'eau du golfe qu'il décrit protégée des vents par les montagnes environnantes, calme sous un ciel serein, et plus chaude en hiver et plus fraîche en été que celle de toutes les rades connues, du fait de sa grande profondeur :

"En effet, sur la plus grande étendue de ce rivage, à portée de cette ville (si l'on en excepte, jusqu'à un certain point, le quartier du Lazareth, où le peu de profondeur de la plage permet de s'élancer en toute sécurité), les baigneurs sont embarrassés de trouver un local assez sûr et assez propre pour se baigner, et en se baignant, pour peu qu'ils s'écartent des bords de l'eau, ils se trouvent sitôt sans appui sur la plante des pieds, courant le risque de se noyer, s'ils ne savent point prendre promptement leur parti à la nage. Note : Des Actionnaires font maintenant travailler à un établissement de bains de mer, froids, et chauds, qu'ils se proposent de mettre en activité avant la fin du mois d'août".

"Il y a, outre cela, à Nice, deux établissements de bains publics, à la température que l'on désire, d'eau simple ou d'eau de la mer, que l'on rend hépato-sulfurées si on les demande. On a deux endroits assez propices pour les bains de mer : un aux Ponchettes et l'autre au Lazareth (...). On trouve chez le docteur Binet, dans la place du Lycée, un établissement pour des bains de vapeur, et on a, à Nice, à un prix fort modéré, des bateaux, pour faire sur la mer des courses à volonté, qui sont si utiles aux poitrinaires"  (P. Richelmi, Essai sur les agrémens et la salubrité du climat de Nice, 1822, pp 53-54 et 176-177).

L'auteur pointe ainsi des inconvénients déjà évoqués par Tobias Smollett : le manque d'installations de bains dont des tentes pour se changer et probablement l'absence de filets délimitant la zone de baignade, du fait d'une étendue d'eau rapidement profonde, à l'exception du Lazaret. Les plages de ce quartier, située à l'est de la ville, au pied du Montboron, offrent d'ailleurs, même si l'auteur ne le précise pas, du sable au lieu des galets qui caractérisent les autres plages. 

Il est difficile de savoir si le projet d'établissement du Lazaret, peut-être inspiré de celui des Bains Vailhen érigés à Marseille en 1820, a abouti car il n'est plus jamais cité par la suite. Cependant, un privilège par patentes a bien été accordé, le 6 septembre 1822, à une Société d'actionnaires "pour un établissement flottant de bains de mer dans le port de Nice" (G. Flandin, Recueil des édits, lettres-patentes, manifestes et ordonnances publiés dans le Duché de Savoie dès le 10 septembre 1814, 1829, vol. 15, p 141). 

En 1826, Rosalinde Rancher cite, à la suite du Dr Richelmi, deux établissement de bains publics à Nice, soit le même nombre que celui signalé depuis les années 1810 (Reichard, Guide des voyageurs en Italie et en Suisse, 1816  ; Guide des Voyageurs en Italie, 1819 p 71). Il précise cependant que l'un est situé sur la place Victor et l'autre sur la place de la Paix : "On est très-bien servi dans chacun d'eux, et on y trouve des bains d'eau douce et d'eau de mer qu'on envoie chercher pour cet usage" (Guide des Etrangers à Nice, 1826 p. 67).

Un ouvrage britannique, édité la même année, évoque à nouveau le manque d'installations de la ville de Nice : "L'apparence de la ville est, dans l'ensemble, riche, active et joyeuse : ce pourrait être un bon endroit pour se baigner en mer en été, si des installations étaient fournies.

J'ai décrit à une personne, à qui une telle entreprise pourrait convenir, les cabines de bain utilisées à Weymouth et Brighton [sur les côtes de la Manche au sud-est et au sud de Londres] ; il a dit qu'il serait nécessaire d'obtenir l'autorisation du gouvernement, - l'autorisation du gouvernement pour permettre à deux roues de charrette d'entrer dix mètres dans la mer, et d'en ressortir !" (traduction d'un passage de, Four Years in France, 1826, reproduit dans, The Monthly Review, September-December 1826 p. 102).

Deux éléments de cet extrait sont à relever : l'absence de "cabines de bains sur roues" ou "bathing-machines" (attestées par ailleurs dès le premier tiers du XVIIIᵉ siècle en Angleterre) et le souhait de pouvoir "se baigner en été", qui montre encore la prédilection pour cette saison, même chez un Britannique.


"Nice, Bains de mer, en Sardaigne."

- Dr Engelmann et Reichard, Manuel pour les voyageurs en Allemagne et dans les pays limitrophes
Francfort, 1827 p 118.


Les Bains George(s) semblent s'implanter en 1834, dans une maison située rue de France, parallèle à la Promenade des Anglais, mais cet établissement reste étrangement absent des annuaires (Image 5).

La pratique de ce type de bains de mer peut se faire dans un établissement, à la séance ("au cachet") ou sur abonnement, ou être assurée par service spécial au domicile de la personne.

Début 1838, le londonien Ferdinand Guarducci, qui vient d'inaugurer son nouvel Hôtel de la Pension Anglaise, place du Jardin des Plantes, annonce au sein même de ses locaux, une offre de "Fresh and Salt Water Baths" (Galignani's Messenger du 20 janvier 1838).

En 1839, le Dr Weber évoque la question des bains dans le seul passage suivant de son Guide pour les étrangers à Nice, l'une des stations d'hiver les plus réputées du nord de l'Italie en raison de son climat doux (traduit de l'allemand) : "Le quartier au-delà du port, en direction de Montboron, s'appelle Lazareth, bien que le bâtiment qui porte ce nom ait été complètement détruit par l'explosion d'un moulin à poudre situé à proximité en 1794. La mer a englouti la plupart des ruines, et il ne reste que quelques vestiges de murs émergeant des rochers, pittoresques sur fond de bleu profond.

C'est ici un endroit paisible et sûr pour se baigner, où les masses rocheuses abritent de petites grottes et cavernes artificielles, semblables à des cabines de bain, offrant sécurité aux femmes et aux enfants. La vue depuis cet endroit est également très belle" (E. Weber, Handbuch für Fremde in Nizza, einem seines mi/den Klimas wegen berühmtenWinter-Aufenthaltes in Ober-Italien, Heidelberg, Frankfurt & Leipzig, 1839 p 42).



LES ANNÉES 1840


Les traités médicaux et les installations de bains

En 1842, le Dr J. Stummés, dans un ouvrage consacré aux bains de mer, met ceux de Nice en valeur : "Parmi tous les établissements de bains marins, cités [Dieppe, Boulogne-sur-Mer, Royan, La Rochelle, Marseille, Nice, Gênes, Livourne, Naples, Trieste, Bad Doberan en mer Baltique et Ostende en mer du Nord], je considère ceux de Nice comme les plus avantageux, non pas par leur élégance et leur magnificence – car en cela ils sont surpassés par ceux de France – mais bien pour de nombreux autres avantages, qui sont en harmonie avec la position topographique favorable de ses plages maritimes.

En effet, Marseille possède de nombreuses usines chimiques dont les résidus sont jetés dans la mer, polluant ainsi une grande partie de la côte. Les rives de Gênes sont presque inaccessibles et sans plage. À Livourne, il faut se rendre en barque au lieu où l'on prend les bains.

En revanche, Nice présente une plage couverte de galets très fins, sur laquelle passe une eau limpide et exempte de toute saleté, car les conduites communiquent avec le petit fleuve du Paillon, qui divise la ville et ses faubourgs.

Avec un grand confort, on peut loger agréablement dans les maisons voisines, qui sont presque touchées par les vagues de la mer, et se déshabiller sous des tentes appropriées ou dans une cabine ("macchina") adaptée et mobile. En outre, la température de l'eau de mer, qui monte généralement à +17°, et celle de l'atmosphère, modérée et constante, méritent une attention toute particulière.

L'utilisation des bains de mer est recommandée du 15 juillet au 1er septembre ; les Anglais, au contraire, commencent leur saison de bains seulement en septembre, et l'étendent jusqu'à octobre, voire même jusqu'à la fin de novembre : ils ont reconnu que pendant cette période, l'eau de mer possède une action tonique et sédative plus efficace. La saison consiste généralement à prendre entre 20 et 25 bains.

Il serait superflu de mentionner le climat favorable de Nice, étant donné qu'il est généralement reconnu comme le meilleur d'Europe ; je me permets simplement de remarquer que, du mois de mai jusqu'en septembre, on jouit d'un temps invariablement clair, et la mer est presque toujours calme, ce qui permet d'utiliser les bains pendant trois mois sans interruption. L'an dernier, pendant les deux mois où j'ai utilisé les bains marins à Nice, leur utilisation a seulement été suspendue pendant cinq jours à cause d'une mer agitée" (Dr J. Stummés, Intorno al uso de' bagni del mare, Pavia, 1842, traduction du texte en italien, pp. 6-7).

Ce texte présente une période de bains qui s'étend de mai à novembre, selon les nationalités, et atteste, pour la première fois, la présence d'installations sur les plages de Nice, de tentes en toile et de cabines de bain en bois.

Dans l'Encyclopédie des gens du monde, parue la même année, l'article consacré aux Bains de mer en général (vol. 17, 1842 pp 549-550) donne une vision française et globale de leur usage et définit la saison idéale, à "la fin de l'été". 

L'auteur distingue les bains de pleine mer et ceux pris en baignoire où l'on "est privé de l'effet des vagues, du mouvement libre, du renouvellement constant de l'eau et de l'air si vif de la mer" mais où l'eau peut-être échauffée et mêlée à d'autres médicaments.

Au milieu des années 1840, quatre établissements de bains publics sont cités à Nice : place Victor, Maison Donaudy, place du Gouvernement, près la Poste aux lettres et place du Jardin des Plantes (Bains des Quatre Saisons), Maison Trabaud. 

Un quatrième s'ajoute courant 1846, rue Saint-Français-de-Paule, près le Théâtre (Antoine Risso, Nouveau guide du voyageur à Nice, 1844 p 76 ; L'Indicateur Niçois pour 1844, 1845, 1846, 1847 et 1848).


Remarques

Les bains de mer "à la lame" (dans les vagues) continuent à se dérouler essentiellement en été, après le départ des hivernants, et semblent être essentiellement une pratique des étrangers domiciliés à l'année dans la ville : "Pendant l'été, bien que la chaleur soit modérée par une brise marine, le séjour devient inconfortable en raison de la sécheresse, des mouches et des moustiques, de l'excès de poussière sur les routes, et d'autres désagréments liés à cette saison. 

Malgré cela, de nombreuses familles étrangères y restent pour profiter des bains de mer; d'autres se rendent sur les collines environnantes, notamment au Belvédère, un endroit très frais et agréable, ainsi que dans d'autres campagnes charmantes" (traduction d'un passage de Notizie topografiche et statistiche degli Stati Sardi, 1847 p 722).

Les hôtels niçois mettent en évidence, dans leurs publicités, leur position abritée des vents, leur proximité des promenades publiques, leur exposition au midi, leur vue sur mer et leur proximité de la plage. 

Dès 1848, l'Hôtel de Londres est pris en charge par M. Estienne, propriétaire à Marseille des "Grands Bains de la Méditerranée", établissement qu'il continue d'ailleurs de diriger pendant les étés (Le Nouvelliste du 19 novembre 1848). 


La famille impériale de Russie

L'été 1845, la grande-duchesse Hélène de Russie (1807-1873) est à Gênes, auprès de sa belle-sœur, l'Impératrice Alexandra de Russie (1798-1860). Les deux femmes, souffrantes, se sont fait annoncer à Nice.

Cependant, c'est sans l'Impératrice que la grande-duchesse Hélène vient à Nice, et pour la seule journée du 6 septembre 1845. "Questionnée sur le motif d'un séjour aussi court et d'un départ aussi précipité, l'aimable princesse répondit en souriant : ce voyage n'est qu'un caprice de femme souffrante ; j'ai voulu venir prendre un bain de mer, déjeuner et dîner à Nice" (Le Sémaphore de Marseille du 14 septembre 1845). 

Ce bain a probablement été pris sur la plage. 


2- Photographe anonyme, Vue de la Promenade des Anglais, Nice 1856, détail de la vue est-ouest
 
montrant la partie orientale de la Promenade des Anglais et l'Hôtel Victoria, récemment ouvert (1855) et, sur la plage, un groupe de cinq ou six cabines de bains en bord de voie et une en bord de mer,
épreuve de 19x26 cm, P_240-1.r.11.-10, Magyar Országos Levéltár (Archives nationales de Hongrie). 
L'auteur de cette photographie peut être Pierre Ferret, Henri de Rostaing ou Louis Crette.



LES ANNÉES 1850


Les traités médicaux

Aux nombreux traités médicaux spécifiques à la ville de Nice, rédigés dans les années 1840 (Dr Farr, Naudot, de Corvey, Provençal, Camous), viennent s'ajouter ceux des années 1850 (Dr Lee, Fitz-Patrick, Lubanski, Pollet). Il est vrai qu'avec l'afflux des malades, les médecins de toutes nationalités se sont multipliés dans la ville.

Edwin Lee, dans l'ouvrage, Nice et son climat, édité en 1851, fait le point sur la question des bains (p 41) : "Il y a dans la ville trois ou quatre établissements assez commodes pour les bains d'eau douce et d'eau de mer. On peut aussi prendre dans la saison convenable des bains en pleine mer au moyen des maisonnettes sur roues, comme on en voit aux bains de mer en Angleterre et en France".


Les projets de Casino

Le projet de M. de Fiers d'établir un Casino à Nice, exclusivement accessible aux étrangers l'hiver (comme il en existe à Aix-les-Bains, l'été), est révélé début 1850 mais au moment de son échec. Autorisé par la municipalité, il est en effet refusé par le gouvernement (Bulletin de Paris du 3 février 1850 ; Le Droit du 12 janvier 1851). 

Un nouveau projet de Casino est cette fois déposé en juin 1853, par la famille Schneider. Ce Casino se verrait doté de salons de jeux et de loisirs (salle de bals et de concerts, salon de billard, salle de lecture, salons pour dames, galerie de tableaux, petit musée d'histoire naturelle, restaurant, café), situé au milieu de jardins (serre et ménagerie) mais également couplé avec un établissement de bains (L'Avenir de Nice des 22 et 26 juin 1853). 

Le projet est accepté par la municipalité mais, lui aussi, refusé par le ministre piémontais de l'Intérieur en octobre. Cependant, une nouvelle demande est faite dans les semaines suivantes et est cette fois acceptée (Gazette du Midi des 28 octobre et 5 décembre 1853). 

Le Casino ouvre le 4 janvier 1854 dans la propriété Pollan, située sur la Promenade des Anglais, avec tout d'abord un grand pavillon de bois qui accueille notamment une salle de bals et de concerts (L'Avenir de Nice du 7 janvier 1854 ; Marie de Solms, Nice ancienne et moderne, Florence, 1854 p 93) (Image 3). 


3- Publicité pour le Casino de Nice, parue dans L'Avenir de Nice du 7 janvier 1854,
Archives Départementales des Alpes-Maritimes.



L'établissement fait cependant faillite au bout de trois mois (Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 01FS 1217, 06FS 0180 et 0181 ; L'Avenir de Nice des 4 et 5 juin 1854).


Les installations de bains

Au printemps 1852, une belle et grande maison meublée, située près du port de Nice, en bord de mer et en plein midi, est proposée à la vente ou à la location pour devenir "un hôtel avec établissement de bains de mer, dont Nice se trouve encore privée, malgré la nécessité tous les jours mieux sentie, par le grand nombre d'étrangers qui de toutes les parties du globe viennent pour rétablir leur santé sous un aussi beau ciel et jouir d'un climat aussi doux, si justement et universellement renommé.

Un pareil établissement serait recherché en toutes saisons, par les nombreux habitants qui viennent passer le quartier d'hiver et par ceux auxquels sont ordonnés les bains des eaux de la Méditerranée dont on peut jouir depuis le mois d'avril à fin octobre (Le Sémaphore de Marseille des 15, 29 avril, 6 et 9 mai 1852).

Cette grande maison est très probablement la nouvelle Maison Salvi, située au Lazaret et bâtie en 1850. Si aucun établissement de bains ne va à nouveau y être créé, l'Hôtel Royal s'y installera cependant fin 1857.

Le 8 juin 1852, L'Avenir de Nice publie le manifeste municipal suivant, déclinant le règlement des bains de mer : 

- "1° Il est réservé aux baigneurs la partie de la plage du Lazaret comprise entre le petit séminaire et le port, et celle comprise entre l'extrémité Est de la Terrasse et la rampe du boulevard du Midi. 

- 2° Il est réservé aux baigneuses l'endroit dit des "payrou" depuis les rochers jusqu'à l'extrémité Est de la Terrasse, ainsi que la partie du rivage comprise entre la rampe du boulevard du midi et l'embouchure du Paillon. Des signaux spéciaux indiqueront d'une manière précise les susdites limites.

- 3° Les personnes qui se baigneront devront se couvrir décemment et s'abstenir de tout acte inconvenant, sous les peines portées par la loi".

Quelques remarques s'imposent : ce règlement est publié début juin, ce qui semble impliquer une saison de bains qui commence à cette date : il délimite des zones de plages spécifiquement réservées aux femmes et aux hommes mais sans inclure la plage qui longe la Promenade des Anglais ; il cherche, enfin, à lutter contre l'habitude masculine de prendre des bains de mer entièrement nu.

Le 4 décembre 1852, un long article publicitaire intitulé "L'Hiver à Nice" paraît dans le Journal des débats politiques et littéraires : "Aux portes de la France, et sur le seuil de l'Italie, Nice est à cinq jours de Londres, à quatre de Paris, de l'Allemagne et de la Suisse (...). 

Pour les maladies rebelles ou chroniques, peu de villes offrent, comme Nice, autant de ressources pour les combattre : soit sous le rapport du service médical exercé par d'habiles praticiens du pays et de l'étranger, soit par la facilité de faire usage des bains de mer en tout temps, etc. (...).

On trouve à Nice (...) de nombreux établissements de bains ; d'excellens hôtels, pensions, maisons meublées et délicieuses villas (...) ; enfin des logements confortables à la portée de toutes les fortunes" (Journal des débats politiques et littéraires du 4 décembre 1852).

Pierre Mary, qui tient la maison de bains proche du Théâtre-Italien (depuis 1846), fait établir fin 1852 un souterrain voûté, au sol pavé de marbre, qui part de la rue Saint-François-de-Paule, passe sous le boulevard du Midi et accède directement à la plage par une porte percée dans le mur de digue, permettant tout à la fois le passage des baigneurs et celui des conduites destinées à puiser l'eau de mer.

En juillet 1853, il fait réaliser des travaux sur la plage pour y installer des cabines de bains puis inaugure son établissement début décembre, face à la porte de son tunnel (L'Avenir de Nice des 25 septembre, 17 octobre et 15 décembre 1852 et des 9 juillet et 7 décembre 1853).

Une publicité postérieure précisera que l'établissement renommé, "Polythermes. Bains de la Méditerranée, rue St-François-de-Paule et boulevard du Midi, offre une grande variété de services : bains d'eau douce, bains de mer chauds et froids, bains sulfureux, bains de vapeur et bains minéraux adaptés à toutes les conditions et disponibles en hiver comme en été. Monsieur Mary, dans son établissement, a construit une élégante allée couverte permettant l'accès sécurisé à la mer pour des exercices de natation sous la surveillance de maîtres nageurs compétents" (Auguste Burnel, Nice, janvier 1857, Appendice publicitaire).

Depuis le début des années 1850, le sieur Charles Faraut tient une cabine de bains sur la plage du Boulevard du Midi, face à l'Hôtel Paradis. En mai 1853, il rappelle dans une petite annonce son offre de services (Image 4), les sauvetages qu'il a opérés par le passé et la perte récente de ses installations qu'il va rétablir (L'Avenir de Nice des 18 mai et 4 juin 1853 ; Pierre Cauvin, Guide du Commerce, 1855, vol. 2 p 87 : L'Avenir de Nice du 25 février 1860). 


4- Petite annonce de Charles Faraut parue dans L'Avenir de Nice des 18 mai et 4 juin 1853 (Archives Départementales des Alpes-Maritimes)


Il est à noter que les cabines de bains à Nice ne se réduisent pas, dans les années 1850, à celles de Charles Faraut et de Pierre Mary sur la plage du boulevard du Midi mais qu'il existe celles du sieur Georges et du sieur Lambert sur le Promenade des Anglais, même si les noms de ces derniers n'apparaissent dans les documents qu'au tournant des années 1860 (Image 5).

Quelques tableaux, aquarelles, estampes et photographies témoignent de ces cabines niçoises des années 1850, le plus souvent vues de loin. Elles semblent encore peu nombreuses, positionnées au bord ou en retrait du rivage, sur les plage du boulevard du Midi (Image 1) et de la Promenade des Anglais (Image 2). De rares tentes sont visibles, constituées de tissus qui ferment un espace parallélépipédique ou pyramidal.

Les cabines en bois, de plan carré, polygonal ou rectangulaire, sont horizontales, en forme de cabanes posées sur des tréteaux ou bien de roulottes, généralement équipées d'une paire de grandes roues à l'avant et de plus petites à l'arrière. 

Ces cabines mobiles, "bathing-machines" ou "voitures-baignoires", sont semblables aux cabines anglaises et européennes dont témoignent de plus nombreuses et anciennes représentations mais sans que l'on puisse vérifier si, comme elles, elles sont emmenées dans les vagues par des chevaux, sont équipées d'une "voile" ou "capote" masquant la descente des femmes dans l'eau et sont accostées d'un "baigneur" professionnel ("conducteur", "maître-nageur", "guide", "accompagnateur") veillant à immerger, assister et surveiller la personne.

En 1855, Pierre Cauvin, dans son guide niçois, ajoute aux quatre maisons de bains jusque-là citées, la maison créée par le Dr Provençal, au quartier de Riquier, rue de Villefranche (citée dès 1852). 

Il cite également l'Etablissement hydrothérapique, ouvert vers 1854 rue de France, Maison Brès, dirigé par le Dr Lubanski l'hiver, en alternance avec celui de Longchêne près de Lyon, l'été.

Il cite encore l'Établissement de bains atmosphériques Millet/Milliet, à proximité de la Villa Bermon(d), au quartier de Saint-Etienne (Pierre Cauvin, Guide du Commerce. Indicateur niçois, suivi d'un Cicerone de l'étranger pour Nice et ses environs, 1855, vol. 1 pp 70 et 132 ; vol. 2 p 66). 

Après le succès de leur établissement de Lyon, les frères Millet ont inauguré le 15 février 1854, un établissement similaire à Nice, afin de renforcer les bienfaits thérapeutiques de l'air comprimé par l'influence bénéfique d'un climat salubre et ensoleillé (L'Avenir de Nice du 17 février 1854 ; Annali universali di medicina, Milano, 1856, vol. CXV p 221).

Enfin, l'ouvrage publie l'annonce de l'Ecole spéciale de Commerce, d'Industrie et d'Agriculture, située à Nice rue Victor, qui précise notamment sa prise en charge des "bains de mer, visites du médecin, médicaments" des élèves (Pierre Cauvin, op. cit., 1855, vol. 2 p 131).

Malgré la présence importante de Français, Bavarois et Russes à Nice, c'est l'influence étrangère anglaise qui prédomine encore dans la ville, avec agences de locations anglaises, magasins anglais, pharmacies, médicaments et médecins anglais.

Nice se voit d'ailleurs de plus en plus souvent comparée à la station balnéaire de Brighton, pour sa réputation, les bienfaits de son climat et ses bains de mer ou sea-bathing mais avec une plage ensoleillée de galets gris et rugueux où les cabines de bains ou bathing-machines n'ont été que récemment introduites (John Oldmixon, Gleanings from Piccadilly to Pera, 1854 p. 112 ; Chamber's Journal of Popular Literature, Science and Arts, February 3 1855 p. 65 ; John Murray, Hand-Book for Travellers in Northern Italy, 1856 p. 75 ; Le Siècle du 13 septembre 1858).

Auguste Burnel dans l'ouvrage, Nice, édité en janvier 1857 (p 33), aborde à son tour la question des bains : "Déjà un assez grand nombre de familles étrangères ont pris l'habitude de venir passer la saison des bains à Nice, et cette année (1856) on a pu remarquer que l'émigration, en tête de laquelle figurent la Lombardie et le Piémont, avait pris une importance considérable.

J'ajoute qu'indépendamment de l'avantage des bains de mer, Nice peut offrir à l'étranger les ressources de l'hydrothérapie et même celle des eaux minérales. En effet, Nice est placée à quelques heures seulement des établissements hydrothérapiques de Saint-Dalmas [géré successivement par des hôteliers de Nice] et de la chartreuse de Pesio [avec le Dr Brandéis qui officie également à Nice]".

Le Dr Pollet rappelle, dans ce même ouvrage, que "l'époque la plus favorable pour les bains de mer, à Nice, est entre le commencement de juin et la fin de septembre" (Dr Pollet, "Lettre à l'Avenir sur les bains de mer", dans, Auguste Burnel, Nice, janvier 1857, Appendice pp 205-218).

L'Hôtel Victoria, tenu par M. Zicchitelli (Image 2), qui a déménagé sur la Promenade des Anglais en 1855, reste désormais ouvert toute l'année, "sur le littoral à l'ouest de la ville, avec une belle exposition sud, pratique en hiver pour les invalides, et en été pour les baigneurs, en dehors de la ville et près de la plage" (Murray, Hand-book for Travellers in Northern Italy, 1858 p 69).

Le 27 avril 1857, la Société de Bains de Nice voit le jour, autour d'un projet dirigé par le Dr Alexandre Lubanski. La société recueille les fonds nécessaires dès le mois d'août et conçoit un grand établissement au bord du rivage du Lazaret, avec une aile consacrée aux bains de mer et l'autre aux bains d'eau douce (Élévation non datée du bâtiment, Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 2Q 69).

"On va construire à Nice des bains de mer sur le belle plage de Montboron. Karr, ce roi des baigneurs a pris sous sa protection ce projet qui va devenir une utilité européenne" (Joseph Méry fait dans son ouvrage, Ems et les bords du Rhin, 1858 p 16).

Malheureusement, ce projet ne va pas aboutir du fait de problèmes de procédure (procès entamé en mars 1858, Gazzetta de Tribunali, 1859 pp 247-248), alors qu'un établissement de bains et qu'une maison de jeux ont été ouverts à Monaco et que deux nouveaux projets plus grandioses y sont commencés.

Alphonse Karr va dénoncer cet échec dans sa revue Les Guêpes de juillet 1859 : "Nice n'a pas voulu avoir de bains de mer : - Nice est coquette et capricieuse, - elle veut être aimée pour elle-même. - Le docteur Lubanski a voulu établir à Nice des bains de mer. 

- Au moment de l'exécution, le syndic Barralis, notaire de profession, qui avait, sinon rédigé, du moins lu et approuvé l'acte de société, a refusé de verser le montant de sa souscription à cause d'une irrégularité dans cet acte. Nice aurait de charmants bains de mer ; l'eau y est tiède depuis le mois de mai jusqu'au mois de novembre ; les femmes y restent jolies, - ce qui n'a pas lieu sur les plages de l'Océan".

Seul, le Dr Lefèvre va créer, vers 1859, un petit établissement d'hydrothérapie au Lazaret .

Dans l'article consacré aux Bains de mer de son Dictionnaire universel de la vie pratique à la ville et à la campagne de 1859 (pp 174-76), Guillaume Belèze cite vingt-huit stations balnéaires françaises et affirme que, "Ostende en Belgique et Nice dans les Etats sardes sont, à l'étranger, les bains de mer les plus fréquentés par les Français"

Il évoque également les costumes de bains français alors en vigueur, avec pour les hommes, caleçon ou gilet-caleçon de tricot sans manches et, pour les femmes, large pantalon et blouse à manches-courtes, en laine et de même couleur, ainsi que bonnet, chaussons, peignoir (pour se sécher) et pelisse ou manteau (pour traverser la plage).

5- Publicité pour les Bains George parue dans L'Avenir de Nice des 1er juin, 11 juin et 9 juillet 1859 p 4,
Archives Départementales des Alpes-Maritimes.



La famille impériale de Russie

Dans la seconde moitié des années 1850, ce sont surtout les séjours de la famille impériale de Russie qui viennent asseoir la réputation de Nice et de ses bains de mer, avec notamment les deux longs séjours de l'Impératrice douairière Alexandra Feodorovna de Russie (du 26 octobre 1856 au 21 avril 1857 et du 17 octobre 1859 au 1er juin 1860) et les multiples séjours de la grande-duchesse Hélène (du 16 novembre 1856 au 1er juillet 1857, quelques semaines en décembre 1857, en mai et juin 1858, entre novembre 1858 et janvier 1859 puis en juin 1860 et octobre 1861).


"Jamais, depuis que Nice existe, tant de têtes couronnées ou princières n'avaient paru dans ses murs, et surtout n'y avaient fait un aussi long séjour".

- Auguste Burnel, Nice, ouvrage rédigé en 1856 et édité en janvier 1857, p 41.


Les deux femmes vont d'ailleurs être, dès 1857, parties prenantes au sein de la Société des Bains de Nice, tant sur le plan financier que celui de la conception de l'établissement envisagé au Lazaret.

L'Impératrice est frêle et semble souffrir de tuberculose et de problèmes cardiaques. Si les journaux ne rapportent aucun récit de bain de mer pris par l'Impératrice à Nice, c'est pourtant la raison de ses séjours, sur le conseil de ses médecins (Gazette de France du 11 février 1845 ; La Patrie du 1er mai 1858). 

L'Impératrice est certes une habituée des saisons d'été dans des stations thermales (Bade ; Ems le plus souvent ; Kreuth ; Fischbach...) mais plus rarement dans des stations balnéaires (Odessa en 1828).

La grande-duchesse Hélène souffre pour sa part de maux qui ne sont pas connus mais chacun des articles de journaux se complaît à répéter qu'elle séjourne à Nice "pour prendre des bains de mer". 

La grande-duchesse est elle-aussi une habituée des saisons thermales (Ems, Ischl, Réval/Tallinn...) mais plus encore des stations balnéaires de la Manche et de la mer du Nord (avec notamment, Scheveningen, près La Haye, Pays-Bas en 1829 ; Brighton, Angleterre, en 1831 ; Dieppe, France, en 1840 ; Ostende, Belgique en 1858). 

A Nice, une cabine et un ponton de bois sont mis à sa disposition dès le mois de mars 1857 et ses bains précoces semblent à nouveau avancer la saison des bains. 

Dans les années suivantes, ce sont les Bains Lambert qui revendiqueront le fait d'avoir été l'établissement de son altesse la grande-duchesse Hélène et même d'en avoir, pour un temps, porté le nom (Le Courrier des Ardennes du 5 novembre 1862 ; La Gazette des Eaux du 19 novembre 1863 ; Guide Joanne, Les stations d'hiver de la Méditerranée, 1882 p 12).

Léopold Amat écrira, en 1864, que la grande-duchesse "prit ses bains sur la plage de la Promenade des Anglais, où un baraquement informe et par trop rustique avait été improvisé" (L Amat, De la nécessité d'un Casino à Nice, 1864 p 16).



SYNTHÈSE


La fréquentation de la ville de Nice par les ressortissants des pays d'Europe du Nord s'est essentiellement développée à partir de la seconde moitié du XVIII° siècle, du fait de l'attrait de son climat hivernal bienfaisant.


"Non seulement on a joui et on jouit à Nice d'une santé parfaite, faite pour attirer constamment les étrangers que le désir d'échapper aux rigueurs des hivers, ou le besoin de respirer un air doux et tempéré, fait affluer sous cet heureux climat...".

- Gazette nationale du 18 février 1805.


La pratique des bains de mer semble longtemps restée confidentielle, parce qu'elle avait essentiellement lieu en été (de juillet à septembre) et parce que la ville ne disposait pas d'installations spécifiques qui auraient pu faire sa réputation. Cependant, la saison des bains semble s'être progressivement allongée. 

Les maisons de bains publics, peu nombreuses au départ, mais offrant des bains de mer sur place et à domicile, ont commencé à se multiplier à partir des années 1830. Les premières tentes et cabines de bains sont apparues vers 1840, permettant aux hivernants, et en particulier aux femmes, de bénéficier en début de séjour, de bains de mer praticables jusqu'à mi-novembre.

Le nombre d'hivernants a régulièrement augmenté avec, en parallèle, une part croissante de visiteurs non pas attirés par des raisons médicales mais par les plaisirs de la villégiature. Cette évolution a eu deux effets majeurs : les prix des locations ont fortement augmenté et les demandes d'activités de divertissement se sont intensifiées. Dans ce contexte, les bains de mer ont pu progressivement devenir une activité mondaine prisée.


"De mon temps Nice était Nice, et n'était pas la vie de château dans le jardin des Hespérides. Alors on y allait pour guérir, aujourd'hui on y est pour jouir".

- La France du 31 mars 1842


Ce n'est vraiment qu'à partir des années 1850 que des établissements de soins se sont ouverts dans la ville et que les cabines de bains se sont multipliées sur les plages, couplées avec des écoles de natation. De grands hôtels ont commencé à rester ouverts pendant l'été, alors que cette saison était jusque-là désertée par les étrangers, notamment du fait de leur crainte des fortes chaleurs, des rayons solaires et de la grande luminosité. 

Dans la seconde moitié des années 1850, l'exemple fameux de la grande-duchesse Hélène de Russie a non seulement popularisé la pratique des bains de mer à Nice mais également leur usage dès le mois de mars. Désormais, les cabines de bains se verront le plus souvent mises à l'abri des tempêtes pendant la mauvaise saison mais installées sur les plages niçoises de mars à octobre.


 "Nice, 12 novembre 1857 - Hier, j'ai vu des femmes délicates se plonger dans la mer, comme on le fait ailleurs en juillet et en août".

La Patrie du 17 novembre 1857.


Le gouvernement et la municipalité n'ont cependant pas su répondre aux besoins et aux désirs croissants des étrangers et n'ont favorisé ni l'ouverture d'un grand établissement de bains en bord de plage ni celle d'un casino offrant des salons de jeux et de loisirs.

Ce n'est qu'après l'annexion française de 1860 que de tels projets pourront être réalisés et que l'afflux des étrangers se verra non seulement facilité mais encore accru par l'ouverture d'une ligne de chemin de fer. 

Cependant, en dépit de l'intérêt ancien pour le quartier du Lazaret et ses aspects pittoresques et sécurisés, c'est auprès de la nouvelle ville et plus particulièrement sur la Promenade des Anglais que ces projets s'épanouiront.