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mercredi 22 octobre 2025

1417-LE DROIT FUNÉRAIRE FRANÇAIS AU XIXe SIÈCLE (DOSSIER I.A.)

 

 SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS



LIRE OU ÉCOUTER L'HISTOIRE (RÉDIGÉE AVEC L'I.A.)

LE TERRITOIRE DE L'OMBRE ET DE LA LOI



LE CADRE LÉGAL DES INHUMATIONS ET DES CIMETIÈRES EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE : 

DE LA RÉFORME HYGIÉNISTE À LA LAÏCISATION RÉPUBLICAINE



INTRODUCTION : LE CONTEXTE DE LA RUPTURE LÉGISLATIVE FUNÉRAIRE


Le XIXe siècle français constitue une période de transformation radicale du droit funéraire et de l'organisation spatiale de la mort. 

Hérité de l'Ancien Régime, le service funéraire était historiquement dominé par l'Église, notamment par les conseils de fabrique et les consistoires, qui géraient les cimetières, souvent situés dans ou autour des lieux de culte (inhumations intra-muros). 

Ces pratiques séculaires engendraient de graves problèmes d'hygiène et de salubrité publique en raison de la densité des sépultures au cœur des villes.

Le cadre législatif du XIXe siècle s'est construit autour de trois phases juridiques distinctes mais liées. 

La première phase, le Fondement Impérial de 1804, a imposé la rupture spatiale et la centralisation administrative. 

La deuxième phase, la Consolidation Administrative (1805-1870), a précisé les modalités de gestion et d'éloignement des cimetières. 

Enfin, la Réforme Républicaine (1870-1900) a inscrit les pratiques funéraires dans le mouvement de laïcisation, garantissant la neutralité du cimetière et la liberté de choix des obsèques.

L'ensemble de ces textes a défini le modèle français du service public funéraire communal.



LA FONDATION DU DROIT FUNÉRAIRE MODERNE (1804)


Le Décret Impérial du 23 Prairial An XII (5 juin 1804) : La Double Rupture

L'acte législatif fondamental qui structure le droit funéraire contemporain est le Décret Impérial du 23 Prairial An XII (5 juin 1804). Ce texte, promulgué sous Napoléon Bonaparte, visait une double rupture avec l'héritage de l'Ancien Régime.

D'une part, il répondait à des impératifs sanitaires. L'obligation principale était l'interdiction stricte des sépultures intra-muros pour éloigner les miasmes et les risques d'insalubrité des centres-villes.

Le décret imposait donc le transfert des cimetières hors des limites des communes et des habitations. Les grandes nécropoles modernes, telles que le Père-Lachaise, ont été créées à la suite de ce décret dès 1804, marquant l'avènement du cimetière extra-muros.

D'autre part, le décret répondait à des impératifs idéologiques et de police. Dans le contexte post-révolutionnaire, l'État entendait reprendre le contrôle sur la gestion des cimetières qui avaient été traditionnellement liés à l'Église.

Le décret a ainsi réalisé la municipalisation du service funéraire, transférant l'autorité de la Fabrique religieuse au Conseil Municipal et au Maire. Ce processus de reprise en main par l'autorité civile sur l'espace sépulcral est un préalable essentiel à la laïcisation complète qui sera mise en œuvre par la Troisième République.

Le décret de Prairial An XII a également établi des règles précises concernant l'éloignement. 

Le Décret du 7 mars 1808 a ensuite instauré un rayon de distance minimal autour des nouveaux cimetières transférés hors des communes.

Ce principe s'appliquait même aux villages les plus modestes. Afin d'assurer l'application uniforme sur le territoire, l'Ordonnance royale du 6 décembre 1843 étendit formellement à toutes les communes du royaume les prescriptions de Prairial en matière de translation des cimetières.


L'Institution du Régime des Concessions Funéraires

Un autre apport majeur du Décret de Prairial An XII fut l'établissement du régime des concessions funéraires, créant un droit d'usage privatif sur un espace public.

Le Titre III du décret, dans son Article 10, permeflait l'octroi de "concessions de terrains aux personnes qui désireront y posséder une place distincte et séparée, pour y fonder leur sépulture et celle de leurs parents ou successeurs et y construire des caveaux, monuments ou tombeaux".

Ce système initial, bien que ne mentionnant pas explicitement les termes de concessions "à perpétuité" ou  "temporaires", posait le principe de la sépulture familiale durable.

L'acquisition de ces concessions était, selon l'Article 11, initialement conditionnée par des obligations caritatives, nécessitant des "fondations ou donations en faveur des pauvres et des hôpitaux, indépendamment d’une somme qui sera donnée à la commune".

Ce mécanisme hybride introduit une logique de marché dans le service public funéraire, permettant aux familles d'acquérir un droit réel de jouissance sur un bien appartenant au domaine public communal.



LA GESTION ADMINISTRATIVE ET LE RÉGIME DES SÉPULTURES (1805-1870)


La Police des Cimetières et les Pouvoirs du Maire

Tout au long du XIXe siècle, la gestion des cimetières relève quasi exclusivement des communes, à l'exception de cas très marginaux comme les nécropoles militaires ou de rares cimetières confessionnels privés subsistants.

Le Maire exerce un pouvoir de police spéciale sur les lieux de sépulture, le désignant comme le garant de l'ordre public, de l'hygiène et de la salubrité.

Ses pouvoirs sont étendus : il est compétent pour choisir l'emplacement des concessions et délivre les autorisations nécessaires à toute inscription ou construction. Aucune inscription ne peut ainsi être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à son approbation.

Il est également chargé de veiller à ce que les règlements intérieurs du cimetière soient respectés, notamment en ce qui concerne l'entretien et les dimensions (hauteur des végétaux, emprise au sol) des sépultures.

L'administration a clarifié que l'aménagement du cimetière est une charge obligatoire. Une décision ministérielle de 1859 a confirmé que l'agrandissement d'un cimetière, lorsqu'il est destiné à pallier une insuffisance de terrain pour l'inhumation des morts, doit être considéré comme une "dépense obligatoire" pour la commune.


Les Formalités de l'Inhumation

L'inhumation est un acte strictement encadré par l'autorité administrative. Au XIXe siècle, comme aujourd'hui, l'inhumation d'une personne nécessitait obligatoirement la constatation du décès par un médecin et la délivrance d'un permis d'inhumer par l'autorité municipale (ou le Procureur en l'absence de certificat médical). Cette procédure garantissait le contrôle étatique de la mortalité par l'intermédiaire de l'état civil.

L'organisation des obsèques était également soumise à des délais stricts, initialement motivés par les préoccupations sanitaires. L'organisation des funérailles devait être réalisée dans un délai contraint (fixé plus tard à six jours) à compter du décès, soulignant la primauté des impératifs d'ordre public sur les considérations familiales ou religieuses immédiates.


Les Actes Législatifs Fondamentaux (1804–1887)

- 23 Prairial An XII (5 juin 1804), Décret Impérial : Hygiène et Organisation - Obligation d'inhumation extra-muros ; municipalisation des cimetières ; introduction des concessions.3

- 7 Mars 1808, Décret Impérial : Police sanitaire - Fixation du rayon de distance minimal autour des nouveaux cimetières.

- 6 Décembre 1843, Ordonnance Royale : Consolidation - Étend l'application des prescriptions de Prairial An XII à toutes les communes.

- 14 Novembre 1881 Loi Neutralité et Laïcisation Suppression des divisions confessionnelles obligatoires ; instauration du cimetière public neutre et interconfessionnel.3

- 15 Novembre 1887 Loi : Liberté de Conscience - Garantie du droit de choisir la forme (civile ou religieuse) des funérailles.



LES GRANDES RÉFORMES DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE (1870-1900) : LA LAÏCISATION DU SERVICE FUNÉRAIRE


La fin du XIXe siècle, sous la Troisième République, est caractérisée par une série de lois visant à retirer définitivement l'influence religieuse sur le service public funéraire, parachevant ainsi la transition administrative initiée en 1804.


La Neutralité du Cimetière Communal (Loi de 1881)

La Loi du 14 novembre 1881 est un jalon essentiel dans la laïcisation de l'espace funéraire public. Elle a supprimé les divisions confessionnelles obligatoires au sein des cimetières. Jusqu'alors, de nombreux cimetières comportaient des carrés distincts réservés aux différentes confessions.

À partir de cefle loi, le cimetière communal a été déclaré interconfessionnel et neutre, interdisant toute ségrégation ou distinction par religion pour les inhumations. Cette mesure garantissait l'égal accès au lieu de sépulture pour tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances. 

La loi de 1881 s'inscrit directement dans la démarche de laïcisation républicaine, précédant de près la loi sur la liberté des funérailles et la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État.


La Liberté Individuelle et les Funérailles (Loi de 1887)

La Loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles a consacré la liberté de conscience individuelle même au moment de la mort. Ce texte garantit à chaque citoyen le droit de choisir le caractère civil ou religieux de ses obsèques.

Cefle loi complétait l'œuvre de neutralisation de 1881. Si la loi de 1881 neutralisait l'espace physique, celle de 1887 neutralisait le rituel, officialisant l'enterrement civil comme une option légale et protégée.

À l'époque, l'enterrement civil et le développement de la crémation (qui se développait à l'étranger) étaient des moyens pour les courants anticléricaux d'affirmer leur position vis-à-vis de l'Église. La loi garantit la liberté de culte, ou d'absence de culte, dans les cérémonies funéraires.


Le Débat sur le Monopole des Pompes Funèbres

Pendant la majeure partie du XIXe siècle, les services extérieurs des pompes funèbres étaient souvent exercés sous un monopole, initialement détenu par les fabriques et consistoires religieux, leur assurant une position économique prépondérante.

La remise en cause de ce monopole par l'autorité religieuse a constitué un objectif politique majeur pour les républicains dès le début de la Troisième République, notamment en raison des difficultés rencontrées pour organiser les enterrements civils.

Les débats parlementaires intenses ont marqué les années 1880, exacerbés par les tensions relatives aux refus de certaines fabriques d'assurer le service des libres penseurs.

Bien que la loi définitive qui met fin au monopole religieux et instaure un monopole communal ne soit adoptée qu'en 1904 16, la lutte pour la suppression du monopole des inhumations fut une des caractéristiques juridiques et politiques majeures de la fin du XIXe siècle.



L'ÉVOLUTION DU RÉGIME DES CONCESSIONS (DROIT DES BIENS FUNÉRAIRES)


Nature et Classification des Concessions

Le régime de la concession, introduit en 1804 4, est le fondement du droit funéraire des biens. La concession est juridiquement définie comme un acte par lequel la commune accorde à un particulier un droit d'usage privatif et exclusif sur une parcelle du cimetière.

Ce droit n'est pas un droit de propriété sur le sol, mais un droit réel de jouissance sur l'emplacement destiné à recevoir une sépulture familiale.

Bien que le Décret de Prairial An XII ait initialement posé le principe de la sépulture durable, l'administration du XIXe siècle a développé différentes classifications de durées, incluant :

- Les Concessions à Perpétuité : Droit accordé pour la durée d'existence du cimetière. Ces concessions étaient particulièrement recherchées par les familles aisées.

- Les Concessions Temporaires : (Par exemple, 5, 15, 30 ans). Leur prix était généralement acquitté en même temps que la taxe municipale d'inhumation.

L'administration communale conserve le droit, encadré par la loi, de reprendre les concessions. Cette possibilité s'applique aux concessions non perpétuelles arrivées à échéance et non renouvelées, ou aux concessions de toute durée tombées en état d'abandon (procédure de constatation).


La Monumentalisation et le Financement des Cimetières

La possibilité d'acquérir une concession a eu un impact profond sur l'esthétique et l'organisation des cimetières. Elle a permis l'individualisation des sépultures et leur monumentalisation.

L'initiative privée a rapidement couvert les espaces d'inhumation de monuments, allant au-delà des simples "signes indicatifs" que l'on pouvait poser sur les fosses communes.

Le régime des concessions joue un rôle significatif dans le financement de ce qui est devenu un service public communal. La vente des concessions, en particulier dans les grandes villes où le développement des cimetières extra-muros (comme le Père-Lachaise) était coûteux, a contribué partiellement à financer l'extension et la maintenance de ces nouveaux espaces périurbains.

Ce mécanisme a permis d'équilibrer l'obligation (confirmée en 1859) de dépense de la commune pour fournir de l'espace  avec des revenus générés par les familles cherchant une sépulture durable.


Pouvoirs de Police du Maire sur les Cimetières au XIXe Siècle

Domaine d'Application Fondement Légal (XIXe Siècle) Rôle et Responsabilité du Maire

- Localisation et Hygiène, Décret de Prairial An XII, Ordonnance de 1843 : Décision d'éloignement, gestion de l'aménagement (plan du cimetière), garantie de la salubrité publique.

- Inhumation et État Civil, Réglementation administrative : Délivrance du permis d'inhumer, respect des délais légaux et de l'ordre public funéraire.

- Ordre Public et Neutralité, Lois de 1881 et 1887 : Veiller à la neutralité du lieu, interdire la ségrégation confessionnelle, assurer la liberté de la cérémonie (civile/religieuse).3

- Gestion des Concessions, Décret de Prairial An XII (Art. 10), Jurisprudence : Aflribution des emplacements, gestion des durées, reprise des concessions en état d'abandon.



ANALYSE DES TENDANCES ET DES CONSÉQUENCES JURIDIQUES


La Centralité du Décret de Prairial An XII : Un Acte Polymorphe

Le Décret de 1804 est traditionnellement analysé comme une mesure d'hygiène publique. Cependant, son impact le plus profond réside dans le déplacement de l'autorité. 

En imposant le transfert des cimetières extra-muros par impératif sanitaire, le décret a rendu nécessaire l'acquisition et la gestion des terrains par l'administration civile, c'est-à-dire la municipalité.

Ce changement d'autorité sur l'immobilier funéraire a retiré le contrôle opérationnel des mains de la Fabrique religieuse.

Ce contrôle administratif précoce a rendu la laïcisation ultérieure du cimetière, menée par la IIIe République, structurellement possible. L'État n'a pas eu besoin d'exproprier l'Église des cimetières au moment de la Loi de 1881 3, car l'espace était déjà, depuis des décennies, propriété et responsabilité de la commune (un service public laïcisé de facto). 

L'action de 1804 a ainsi créé la condition spatiale et administrative nécessaire à l'établissement du principe de neutralité en 1881.


Le Paradoxe de l'Égalité et de la Stratification Sociale

Les lois républicaines de la fin du siècle (1881 et 1887) avaient pour objectif idéologique de garantir l'égalité et la neutralité confessionnelle dans la mort. Le service funéraire de base (l'inhumation en terrain commun) était un bien universel et gratuit.

Cependant, le maintien et l'essor du régime des concessions, initialement codifié en 1804, ont permis aux familles fortunées d'acquérir des droits d'usage exclusifs et permanents (concessions perpétuelles).

Le système a ainsi favorisé l'investissement dans des monuments ostentatoires, transformant le cimetière républicain, espace de neutralité légale et d'égalité devant la loi, en un lieu de forte stratification sociale et visuelle. 

Le droit à la sépulture était égalitaire, mais la possibilité de représentation du défunt était conditionnée par la richesse, créant un contraste saisissant entre les tombes anonymes et les mausolées durables.


La Primauté de la Police Administrative

L'encadrement des inhumations au XIXe siècle démontre que le droit funéraire est, fondamentalement, un droit de police administrative soumis au contrôle du Maire et du Préfet, avant d'être un droit civil de l'individu.

Le corps du défunt et le lieu de sépulture sont intégrés au domaine de la santé publique et de l'ordre. L'inhumation n'est pas un droit inconditionnel, mais un acte soumis à une autorisation administrative (le permis d'inhumer).

De même, l'usage des concessions est subordonné au pouvoir de police du maire pour les questions d'hygiène et d'ordre.

Ce modèle garantit que le maire demeure le gardien de l'équilibre entre les droits privés (le droit familial sur la concession) et l'intérêt général (la salubrité et l'optimisation de l'espace public).

La prépondérance de la police administrative assure la gestion et l'évolution du cimetière, même face aux droits acquis par les familles.



CONCLUSION : L'HÉRITAGE DU XIXe SIÈCLE


Le XIXe siècle fut déterminant pour l'établissement du droit funéraire français, opérant trois ruptures fondamentales. 

La rupture spatiale, imposant le cimetière extra-muros, a été la cause initiale de la rupture administrative, transférant la gestion de l'Église à la commune. Cefle municipalisation a rendu possible la rupture idéologique, consacrée par les lois de la Troisième République garantissant la neutralité de l'espace et la liberté de choix des funérailles.

Le modèle français qui en a émergé est celui d'un service public communal, universellement ouvert et neutre. Ce modèle repose sur un socle juridique complexe où le Décret de Prairial An XII de 1804 et les lois de laïcisation de 1881 et 1887 constituent les piliers légaux. 

L'héritage de ces lois demeure le squelette du droit funéraire actuel, dont les principes continuent de structurer le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).





vendredi 17 octobre 2025

1416-CASTAINGS : PORTRAITS STÉRÉOSCOPIQUES DES DE GRAAF


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- CASTAINGS Bernard Ambroise (1800-1876), Portraits stéréoscopiques
 de Jacob Christiann de Graaf
, Paris, sans date,
Collection privée W. (Allemagne).



VOIR SUR YOUTUBE LA VIDÉO DU MUSÉE CARNAVALET DE PARIS 

(2024, 3 MIN 32) INTITULÉE :

PARIS EN RELIEF : HISTOIRE DE LA STÉRÉOSCOPIE




INTRODUCTION


Trois daguerréotypes stéréoscopiques, conservés dans une Collection privée (Collection W., Allemagne), offrent des portraits de membres de la Famille néerlandaise de Graaf, réalisés par "Mr. Castaings", photographe parisien (Images 1 à 3).

Le but de cet article est d'étudier ce photographe et ces trois plaques daguerriennes qui, par ailleurs, semblent les seules connues de cet artiste.



I - LE PHOTOGRAPHE : BERNARD AMBROISE CASTAINGS (1800-1876)



SAINTE-MARIE-DE-GOSSE (LANDES)


Bernard Ambroise Castaings est né le 5 mai 1800 (16 floréal an VIII) à Pinaquy, commune de Sainte-Marie-de-Gosse (Landes). Il est le dernier né (des quatre fils) de Bertrand Castaings, charpentier (1768-1854) et de Jeanne Bertrande Lesbaches (1772-1846), qui se sont mariés dans cette commune le 21 novembre 1792.



PARIS


Instituteur

Rien n'est connu de la vie de Bernard Ambroise Castaings avant la date de son mariage (acte non retrouvé), avec Thérèse Labbé (née le 17 mai 1810 à Paris, 11ème arrondissement). Les époux ne semblent pas avoir d'enfant. 

Un emprunt, contracté le 23 mai 1842, par Bernard Ambroise, "instituteur", et son épouse, est cité dans plusieurs actes notariés postérieurs (rente annuelle viagère de 560 fr. ; actes des 29 mars 1846, 22 mars 1849 et 16 novembre 1859 ; Paris, Archives notariales de Charles Victor Lamy).

Cet emprunt est peut-être lié au Cabinet de lecture qu'il ouvre à cette époque (librairie-bibliothèque privée, permettant grâce à un abonnement modique du client, d'accéder à des journaux et ouvrages, à lire sur place ou à emporter). L'Annuaire Général du Commerce de 1844, situe ce dernier, boulevard Saint-Denis, 6  

Bernard Ambroise Castaings cède cependant ce Cabinet de lecture dans l'année 1844, à M. Hebert (Annuaire Général du Commerce de 1845) et devient maître de pension à la rentrée scolaire d'octobre 1844.

Il acquiert en effet un externat auprès de M. François Sanglier. Il porte cependant rapidement plainte contre ce dernier, ayant "été trompé tout à la fois et sur le nombre des élèves et sur le montant des pensions payées par chaque élève". Il gagne son procès mais se voit peu dédommagé (Journal des débats politiques et littéraires du 21 février 1845).

Bernard Ambroise Castaings est à nouveau dit, "maître de pension", dans l'Annuaire Général du Commerce de 1846 puis de 1847, rue du Faubourg Saint-Denis, 65, ainsi que dans l'acte notarié du 29 mars 1846 (rente viagère).

Au début des années 1850, il tient cette fois une institution, rue de la Banque, 5. 

La Société pour l'instruction élémentaire lui accorde une mention honorable pour l'année scolaire 1851-52, au titre de l'enseignement libre (Journal d'Education Populaire - Bulletin de la Société pour l'Instruction Elémentaire, juin-juillet 1852, p. 232).

Bernard Ambroise Castaings reste à cette adresse jusqu'en 1854 ou 1855 puis change d'adresse et de profession (Annuaire Général du Commerce de 1852, 1853, 1854 ; son nom est absent de celui de 1855).


2- CASTAINGS Bernard Ambroise (1800-1876), Portraits stéréoscopiques
 de Hendrica Petronilla Be
rg, épouse de Graaf, Paris, sans date,
Collection privée W. (Allemagne).


Photographe

La date de sa formation à la photographie n'est pas connue mais il s'installe donc en 1854 ou 1855, comme photographe, rue du Faubourg Saint-Denis, 66 et 67 (10ème arrondissement) (Annuaire Général du Commerce de 1856). 

En septembre 1856, il prend ensuite un associé :

"Suivant acte sous signature privée, fait double à Paris [chez M. Pergeaux, agent d'affaires], le dix septembre mil huit cent cinquante-six, enregistré le seize du même mois, M. Bernard-Ambroise CASTAINGS DE NOLIBOY [!], artiste en photographie et en daguerreotype, demeurant à Paris, faubourg Saint-Denis, 67, et M. Alexandre-Eléonore THIERRY, rentier, demeurant à Vaugirard, rue de Sèvres, 82 [commune qui ne sera annexée à la ville de Paris qu'en 1859], ont formé entre eux une société de commerce en nom collectif qui, aura pour objet l'exploitation de la photographie. 

Cette société durera six années consécutives à partir du quinze septembre mil huit cent cinquante-six. Le siége est présentement à Paris, faubourg Saint Denis, 67. La raison sociale sera CASTAINGS et THIERRY, et les signatures des deux associés seront obligatoires pour engager la société" (Le Droit du 20 septembre 1856).

Rien n'a été découvert sur la suite de cette société mais il est probable que c'est une association financière et que M. Thierry n'exerce pas la profession de photographe.

"Castaing (sic), daguerréotypes" (Annuaire-Almanach du Commerce, de 1857 à 1861) puis "Castaing (sic), photographe" (Annuaire..., de 1862 à 1865), officie toute une décennie à cette adresse de la rue du Faubourg Saint-Denis, 67.

Cependant, c'est bien sous le nom de "Castaings" (avec le "s" final) qu'il identifie ses épreuves conservées, que ce soit au revers des trois portraits stéréoscopiques sur plaques daguerriennes étudiés, "Mr. Castaings, - Artiste Professeur" (texte imprimé) ou des deux cartes de visite sur papier connues, "Castaings - 67, Faubg. St. Denis" (tampon manuel à l'encre bleue ; Collections privées).

A l'automne 1860, "Castaings, soixante ans, photographe, faubourg Saint-Denis, 67, prévenu d'outrage à la morale publique et de publication de dessins sans autorisation", se voit condamné à quatre mois de prison et 800 fr. d'amende, pour ses photographies obscènes de sept jeunes blanchisseuses, lingères, brocheuses ou fleuristes, âgées de 17 à 21 ans (Le Droit du 11 octobre 1860).

Âgé de 65 ans, il cesse toute activité professionnelle en 1865. Après cette date, son nom n'est plus cité dans les annuaires parisiens. 

Le 13 février 1876, il décède "à son domicile du quai [de] Jemmapes, 108 [10ème arrondissement], âgé de 75 ans (...), instituteur, époux de Thérèse Labbée (sic), âgée de 64 ans, sans profession". Il est inhumé, le 15 février, au Cimetière de Saint-Ouen.

Son épouse décèdera le 15 août 1882, à l'âge de 72 ans, à son domicile de la rue du Point du jour, 65 (16ème arrondissement). Elle sera inhumée, le 17 août, au Cimetière des Batignolles (17ème arrondissement).



II - LES PORTRAITS DE LA FAMILLE DE GRAAF


Description

Les trois plaques (en cuivre argenté de 17x8,5 cm environ ?), conservées en Allemagne (Collection privée W.), présentent trois personnes dont deux sont identifiées : le notaire  d'Utrecht (Pays-Bas), Jacob Christiaan de Graff (Utrech 1814-Utrecht 1895) (Image 1) et Hendrica Petronilla Berg (Amsterdam 1817-Utrecht 1879) (Image 2), qui se sont mariés à Utrecht le 12 mai 1842.

Le couple ne semblant pas avoir eu d'enfant, la troisième personne, qui est une jeune femme, est potentiellement l'une des jeunes soeurs célibataires de Jacob Christiaan de Graff, Clasina Hilledonga (1830-1876) ou Johanna Berendina de Graaf (1832-1866) (Image 3).

Les trois personnes sont photographiées dans le studio du photographe Bernard Ambroise Castaings, comme le rappelle l'étiquette collée au verso de chacun des daguerréotypes stéréoscopiques : 

"Rue du Faubourg-Saint-Denis, n° 67, - à côté de celle des Petites Écuries. -  PORTRAITS SUR PLAQUE ET SUR PAPIER  - M. CASTAINGS, ARTISTE PROFESSEUR. - se transporte à domicile après décès.".

Les trois portraits présentent, d'une manière traditionnelle, chacun des personnages assis (les deux femmes sur une chaise et l'homme sur un siège non visible), tourné de trois-quarts et cadré de près (corps coupés aux genoux, tête centrée et proche du sommet de l'image). 

Il appuient leur bras droit sur une petite table, recouverte d'une nappe et placée au-devant d'un rideau. Ils sont élégamment vêtus d'habits alternant les tissus sombres et clairs. 

Les femmes portent une coiffe (bonnet ou capote de soie), attachée sous le menton par un grand noeud, un châle à rayures sur les épaules et une robe à motifs géométriques. L'homme porte une veste sombre et longue (au genou), un noeud papillon large et noir sur une chemise blanche et un gilet et un pantalon clairs ; il présente obliquement, de la main gauche, une canne de marche au pommeau en ivoire.

La lumière venant de la droite et l'application discrète de couleurs illuminent les zones les plus claires : les chairs (visages et mains), une partie des tissus (vêtements, nappe, rideau) et l'or des bijoux (chaîne de montre de M. de Graff, alliance et montre au poignet de son épouse).

Il est cependant à noter que les mêmes éléments du décor, comme la nappe ou le rideau, peuvent varier de couleur d'un portrait à l'autre (homme et femmes), voire entre les deux épreuves d'un même portrait (M. de Graaf).


3- CASTAINGS Bernard Ambroise (1800-1876), Portraits stéréoscopiques
 d'une jeune femme de la Famille
 de Graaf, Paris, sans date,
Collection privée W. (Allemagne).


Datation

La date du voyage en France du notaire Jacob Cristiaan de Graaf et des ses proches n'est pas connue. 

Si l'on se fonde sur les renseignements qui concernent la carrière de Bernard Ambroise Castaings, ces portraits peuvent être datés entre 1854/55 et 1865.

Bernard Ambroise Castaings se dit, lors de son association en 1856, "artiste en photographie et en daguerreotype", fait la publicité pour ses "daguerréotyypes" dans les annuaires suivants puis s'y désigne comme, "photographe", dès 1862.

On serait donc tenté de dater les portraits étudiés du milieu des années 1850 mais rien ne permet de l'affirmer.

L'effet de stéréoscopie (défini dans les années 1830) s'applique aux plaques daguerriennes dès 1839. Cependant, son développement est freiné, au niveau des portraits, par de nombreuses contraintes, notamment liées à la réalisation de deux images décalées (réalisées successivement par le même appareil ou, parfois, simultanément par deux appareils) et aux longs temps de pose. 

Si certains photographes se spécialisent dans les portraits stéréoscopiques sur plaques daguerriennes dès le milieu des années 1840, il faut cependant attendre l'invention du premier objectif binoculaire, en 1850, pour voir se développer ce genre.

Le succès populaire des portraits stéréoscopiques s'accroît dans les années suivantes mais l'usage du collodion albuminé, qui dès lors favorise la photographie sur verre puis sur papier, entraîne la disparition progressive des plaques daguerriennes.

L'Exposition Universelle de Paris en 1855, marque le net recul du daguerréotype, sauf pour les épreuves stéréoscopiques auxquelles certains artistes vont rester fidèles pendant plusieurs années encore.

"Le portrait stéréoscopique est en ce moment en vogue (…). Réussi comme épreuve [effets de relief] et intelligemment colorié, le portrait stéréoscopique a un charme sans égal" (Eugène Disdéri, Panthéon de l'Industrie, 1855, p. 22).

 "Le daguerréotype sur plaque est bien abandonné aujourd’hui et n’a qu’un petit nombre de représentants à l’Exposition, en Angleterre, en France et aux États-Unis ; quelques-uns ont cependant envoyé des plaques où l’on retrouve poussées à leur perfection toutes les qualités du genre. Ce sont principalement des portraits ou des épreuves stéréoscopiques" (Gazette Nationale du 26 octobre 1855).

À l’Exposition de Paris de 1861, "la photographie l’emporte tellement sur la daguerréotypie que celle-ci est à peu près abandonnée" (Le Sémaphore de Marseille du 5 septembre 1861).

"Le daguerréotype, malgré la perfection à laquelle il était arrivé présentait cependant encore de grands inconvénients, le miroitage de la plaque, l’impossibilité de reproduire avec un premier type un nombre indéfini d’épreuves, le prix élevé des épreuves..." (Le Temps du 22 octobre 1861).




mardi 14 octobre 2025

1415-LA CRÉATION DE L'HOMME (MYTHES NORDIQUES)

 

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LA CRÉATION D'ASK ET D'EMBLA DANS LA MYTHOLOGIE NORDIQUE




LA CRÉATION DE L'HOMME


De nombreux mythes de création de l'Homme impliquent le démembrement d'un être primordial. Ce thème est particulièrement puissant car il relie la création de l'univers à un acte de sacrifice. Le corps d'un géant, d'un dieu ou d'un ancêtre est démembré pour former les différents éléments du cosmos.

L'auto-engendrement est un autre motif commun. Il met en scène une divinité primordiale qui se crée elle-même, souvent à partir du néant ou d'une matière. Ce concept souligne l'idée que le créateur est tout-puissant et n'a nul besoin d'aide extérieure.

Un point de convergence très fréquent est l'utilisation de l'argile, de la boue ou de la terre pour modeler les premiers êtres humains. Ce motif est universel et relie l'homme directement à la nature.

Dans certaines traditions cependant, les humains sont façonnés à partir du bois d'un arbre. Ce motif est particulièrement présent dans les mythologies nordiques.

La femme peut être issue des mêmes matières que l'homme, d'un assemblage de qualités divines ou encore d'une côte de l'homme.





dimanche 12 octobre 2025

1414-FAIRE LE "PORTRAIT APRÈS DÉCÈS" EN FRANCE (1839-1859)


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS

1- MILLET Désiré François (actif vers 1848-1868), Portrait d'homme après décés (non identifié), vers 1854,
daguerréotype sur cuivre argenté de 9x7 xm, dans un sous-verre de 15x13 cm,
Paris, BnF (Gallica).

Ce portrait peut être daté vers 1854, du fait de l'étiquette collée au verso. 
Cette dernière affiche l'adresse de la "Rue Montesquieu, 6" (entre 1853 et 1860)
 mais pas encore la mention de l'Exposition Universelle de Paris (1855).


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(2021, 5 MIN 19) INTITULÉE :

LA PHOTOGRAPHIE POST MORTEM



INTRODUCTION


Cet article ne va pas être consacré aux photographies post mortem du XIXe siècle, malgré l'engouement des collectionneurs pour ce genre particulier, mais aux photographes qui l'ont pratiqué.

A partir de l'été 1839, avec la commercialisation du Daguerréotype, les photographes effectuent des portraits des vivants et des morts, "L'artiste se déplace au domicile à la demande des personnes". Plusieurs daguerréotypes conservés et datés du début des années 1840 témoignent de ces premières photographies de défunts.  

On peut supposer que cette pratique s'est répandue dès 1839 et que tous les photographes, ou du moins la plupart, ont offert cette possibilité à leur clientèle, sur plaque puis papier et autres matières, cependant les sources textuelles manquent pour pouvoir l'affirmer.

Ce premier relevé cite uniquement les noms des photographes dont l'offre de "Portraits après décès" ou plus rarement celle de "Portraits de personnes décédées" - ce sont les formules consacrées - est attestée (publicités et articles de journaux, annuaires, épreuves conservées et datées, étiquettes au dos des épreuves, enseignes, papiers à en-tête, ouvrages).

L'expression "post mortem" n'est alors employée dans les journaux que pour désigner un examen médical pratiqué après la mort et elle ne va, d'ailleurs, s'appliquer aux portraits photographiques qu'à partir du début des années 1890.


2- Annonce de M. Fontaine, parue dans L'Aube (Troyes) du 24 juin 1843, Paris, BnF (Retronews).




LES PUBLICITÉS DES PHOTOGRAPHES (1839-1859)


Si les premières publicités retrouvées pour des "Portraits au Daguerréotype" datent de 1839, celles mentionnant des "Portraits après décès" ne datent que de l'année 1843. 

Cependant, M. NINET, photographe parisien, se dit en mai 1849, "connu depuis 8 ans [1841] pour les portraits après décès" et il n'hésite pas à qualifier son offre, cette année-là, de "Choléra-Daguerréotype" (plus de 4.000 parisiens morts du choléra à cette date ; Image 3). 

Plusieurs photographes mentionnent, au plus tard en 1850, "portraits après décès", sur l'étiquette placée au dos de leurs daguerréotypes, comme Désiré MILLET (Paris) ou Eugène DISDÉRI (Brest, Finistère).

NADAR (Paris) l'inscrit en en-tête de ses lettres au plus tard en 1856 et M. VIVANCE (Paris), affiche dans les journaux, "spécialité de portraits après décès", dès 1858.

Cette offre est, soit mise en évidence au début ou à la fin de l'encart publicitaire par des caractères typographiques plus grands ou gras, soit intégrée dans une liste de spécialités. 

Les formules récurrentes consistent à proposer, "des reproductions de tableaux, gravures objets d'art et portraits après décès. L'artiste se transporte à domicile à la demande des personnes", ou encore la "Reproduction après décès, et même de tableaux et portraits à l'huile"

M. VICTOIRE, en 1854, à Saint-Etienne (Loire), propose, "portraits après décès ; reproduction au daguerréotype des portraits daguerréotypés ou mignatures (sic), six fois plus grands que le modèle, portraits stéréoscopiques ; moulage au plâtre sur nature" (Le Mémorial de la Loire er de la Haute-Loire du 26 décembre 1854).

Ces phrases sont d'emblée ambiguës car si le photographe reproduit d'anciens portraits de personnes défuntes (dessins, peintures, daguerréotypes, masques mortuaires ou bustes) pour un usage intime de ses proches ou pour un inventaire après décès, il se déplace aussi au domicile des clients pour faire le portrait des vivants et des personnes qui viennent de décéder, parfois même, "sans augmentation de prix"

La "reproduction" implique cependant davantage celle d'un objet que d'un corps. Cela paraît logique, surtout pour des portraitistes itinérants qui restent peu de temps à chaque endroit. 

Certaines formules sont cependant dépourvues de toute ambiguïté et impliquent bien le portrait photographique d'une personne à l'agonie ou décédée, comme celles de :

- DUNOT (de Paris) qui "se rend à domicile en cas de maladie ou de décès" (en 1848, à Chambéry, Savoie ; Le Patriote Savoisien du 15 juin 1848),

- d'Isidore DEMÉE (Paris), qui "Se charge de la reproduction des tombes et monuments funèbres. Il fait aussi, à domicile, le Portrait des personnes décédées" (étiquettes des années 1850).

 - ou encore de Pierre Amédée FLÉCHEUX (en 1855, à Paris) ou de Louis CHAMUSSY, peintre-photographe de Paris (en 1859, à Chambéry, Savoie), qui affirment que l'artiste "peut se transporter à domicile pour les portraits après décès" (Gazette de Savoie du 28 novembre 1859),

Le photographe (parfois également peintre) concurrence directement le peintre qui effectue alors le même type de déplacement car il peut bientôt imiter, "la miniature dans sa plus belle perfection" (daguerréotype colorisé), transférer le portrait sur toile ou le diffuser par le biais de l'estampe.

Les défunts sont photographiés couchés dans leur lit, les yeux clos (les bébés dans leur berceau ou les bras de leur mère), assis sur un siège ou parfois même installés et maintenus debout, seuls ou accompagnés d'un ou plusieurs de leurs proches, les yeux ouverts. 


3- Annonce de M. Ninet, parue dans Le Peuple (Paris) du 17 mai 1849, Paris, BnF (Retronews).



LES PHOTOGRAPHES


La recherche n'a permis de retrouver qu'une cinquantaine de photographes (dont six femmes) affichant leur offre de "portraits après décès", ce qui est très peu, avec une dizaine seulement dans les années 1840, une quarantaine dans les années 1850, et aucun dans de grandes villes françaises (comme celle de Lyon).

Les résultats sont cependant faussés par les seuls documents conservés et accessibles en ligne mais également par le fait que de nombreux photographes font peu de publicités, ne mentionnent pas toujours l'ensemble de leurs spécialités ou ne précisent leurs portraits après décès qu'à certaines périodes de leur carrière. 

Ainsi, M. LEGROS, actif à Paris depuis 1842, n'incorpore-t-il dans ses publicités la mention, "reproductions en tous genres, portraits après décès", qu'à partir de mars 1859.

Rares sont ceux en effet, qui comme M. FONTAINE, à Paris (dès 1843, itinérant - Image 2) ou M. VICTOIRE à Saint-Etienne (dès 1851), affichent cette spécialité pendant de nombreuses années.

Que cette liste, de surcroît non exhausive, reflète ou non la partie émergée de l'iceberg, les photographes affichant, "Portraits après décès", semblent se multiplier dès la toute fin des années 1840.

Un article paru dans La Presse Théâtrale du 11 novembre 1855, fait le point sur ce sujet :

"La mode, à ce qu'il paraît, exige expressément que les familles fassent portraiturer leur défunt immédiatement après décès (...) ; les fortunes bourgeoises se contentent de l'ancienne plaque de Daguerre. 

A coté du deuil officiel (...), il y a la fantaisie de la douleur et l'extravagance des regrets. Elles sont multiples dans leurs expressions (..). Il y a des morts montés en broche, en épingle, en porte-monnaie..."

En 1855 encore, Eugène Disdéri fait paraître un article intitulé justement, "Portraits après décès", dans le Panthéon de l'Industrie (pp 23-24) :

"Nous avons pour notre part fait une multitude de portraits après décès ; mais nous l'avouons franchement, ce n'est pas sans répugnance. Pourquoi d'ailleurs, pour avoir le portrait d'un parent, d'un ami, d'un enfant, attendre que la mort vienne les enlever à notre affection.

Nos yeux ne se reposent-ils pas plus volontiers sur les traits pleins de vie et d'animation que sur des traits contractés par les convulsions de l'agonie.

Quelle reproduction peut-on obtenir, lorsqu'un cadavre, dont déjà la décomposition commence, est horizontalement couché sur un lit, que parfois on ne peut même rouler vers la fenêtre.

Puis, les raccourcis viennent encore enlever à la mince ressemblance que l'on peut obtenir dans des conditions défavorables.

Chaque fois que nous avons été appelé à faire un portrait après décès, nous avons vêtu le mort des habits qu'il portait habituellement. Nous avons recommandé qu'on lui laissât les yeux ouverts, nous l'avons assis près d'une table, et pour opérer, nous avons attendu sept ou huit heures, de cette façon nous avons pu saisir le moment ou les contractions de l'agonie disparaissant, il nous était donné de reproduire une apparence de vie. 

C'est le seul moyen d'obtenir un portrait convenable, et qui ne rappelle pas à la personne pour laquelle il est cher, ce moment si douloureux qui lui a enlevé ce qu'elle aimait".

C'est le seul texte conséquent qui aborde frontalement le sujet autour duquel règne une forte gêne. Les autres textes se contentent de citer le fait que le corps a été photographié, parfois avant ou après l'embaumement. Tout juste apprend-on qu'un drap ou une couverture est souvent tendu par le photographe, sur le mur en arrière du lit.

De brèves anecdotes humoristiques, des extraits de feuilletons ou de vaudevilles publiés dans les journaux, évoquent parfois une enseigne du boulevard affichant "Portraits après décès", l'inscription, "Portraits après décès ou avant. Au choix" (La Lumière du 8 mai 1858 p 75) ou bien le rasage avant photographie, des hommes alités depuis quelques temps. 

Le problème est souvent le manque de lumière, évoqué tant par Disdéri (Le Panthéon de l'Industrie, 1855) que par Nadar (La Presse Théâtrale du 11 novembre 1855).

"Un photographe qui a la spécialité des portraits après décès, allèche le client par quelques épreuves remarquables, il se garde bien de dire qu'il fait coucher, dans un lit placé dans son atelier, un joyeux "vivant" de ses amis, d'après lequel il fait le "portrait après décès" (Le Propagateur du 2 février 1854). 

Cette anecdote n'est pas sans évoquer le célèbre, "Autoportrait en noyé" réalisé, par dépit, par Hippolyte Bayard en 1840 et accompagné au revers de la légende suivante : 

"Le cadavre du monsieur que vous voyez ci-derrière est celui de M. Bayard, l’inventeur du procédé dont vous venez de voir et dont vous allez voir les merveilleux résultats (...).

Le gouvernement, qui avait beaucoup trop donné à M. Daguerre, a dit ne pouvoir rien faire pour M. Bayard et le malheureux s’est noyé ! Oh ! instabilité des choses humaines ! Les artistes, les savants, les journaux se sont occupés de lui pendant longtemps et aujourd’hui qu’il y a plusieurs jours qu’il est exposé à la Morgue, personne ne l’a encore reconnu ni réclamé !".

Pour en revenir, cependant, au problème de la lumière, M. MILLET (Paris) précise, dès le milieu des années 1850, dans l'étiquette qu'il colle au dos de ses daguerréotypes (verso du portrait en tête d'article, Image 1) et dans le prospectus qu'il distribue à l'Exposition Universelle de Paris de 1855 : 

"Levées de Tombeaux dans les Cimetières, Eglises et autres Monuments, ainsi que les Portraits après décès, tant le jour que la nuit, à l'aide de la lumière électrique" (Image 4).


4- Détail d'une étiquette collée au revers d'un daguerréotype de M. Millet (verso de l'Image 1), Paris, vers 1854,
Paris, BnF (Gallica).



La liste ci-dessous ne cite les photographes qu'à partir de documents datés et n'englobe donc pas les années intermédiaires. Elle permet d'attester parfois l'activité de photographes que l'on croyait plus tardifs.

La plupart des photographes listés sont itinérants. De passage dans une ville, ils annoncent, dans la presse locale, leur présence pour une ou plusieurs semaines, se disant "de Paris"

Certains d'entre eux possèdent en effet un atelier dans la capitale mais d'autres s'y sont formés et sont désormais installés en province. Ils se disent, "Elève de M. Daguerre", "Elève de Lerebourd (sic)", "Elève de M. Béquet" ou "Elève de M. Daguerre, de M. Chevallier (sic) et autres maîtres de Paris".


- 1839 :

- 1840 :

- 1841 :

- 1842 :

- 1843 : M. ÉTIENNE Fils (Dijon, Côte-d'Or) - M. FONTAINE (Troyes, Aube) - M. RAMEYE (Montpellier, Hérault)

- 1844 : 

- 1845 : M. et Mme FONTAINE (Troyes, Aube)

- 1846 : M. AMAND (Troyes, Aube) - M. et Mme FONTAINE (Troyes, Aube) - M. LOMBARD (Roanne, Loire)

- 1847 : Anonyme (Fontainebleau, Seine-et-Marne)

- 1848 : M. DUNOT (Chambéry, Savoie)

- 1849 : M. BOURDON (Paris, Seine) - M. et Mme FONTAINE (Dole, Jura) - M. FOUQUET (Bourges, Cher) - M. KALTENBACHER (Troyes, Aube) 

- 1850 : M. BARBE (Evreux, Eure) - M. et Mme BOCHET (Vienne, Isère) - M. FIXON (Paris, Seine) - M. VERNEUIL (Arras, Pas-de-Calais)

- 1851 : M. A. BERTRAND (Paris, Seine) - M. FIXON (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) 

- 1852 : Artistes anonymes (Melun, Seine-et-Marne) - M. A. BERTRAND (Paris, Seine) - M. DUNOT (Paris, Seine) - M. DUPONT (Paris, Seine) - M. FIXON (Paris, Seine) - M. et Mme FONTAINE (Bourg-en-Bresse, Ain) - M. Emile G. (Vienne, Isère) - M. THALAMAS (Toulouse, Haute-Garonne) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire)

- 1853 : M. BLANDIN (Reims, Marne) - M. F. CURE (Paris, Seine) - M. DESMONTS (Marseille) - O. PETITOT et Ch. POUPAT (Bourges, Cher) - M. VAUTE (Paris, Seine) - M. VERNEUIL (Saint-Omer, Pas-de-Calais)

- 1854 : Anonyme (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) - M. Charles VION (Pris, Seine)

- 1855 : MM. COLLET Frères (Le Mans, Sarthe) - M. DISDÉRI (Paris, Seine) - M. E. FIXON (Paris, Seine) - M. GUEUVIN (Paris, Seine) - M. MILLET (Paris, Seine) - M. NADAR (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) 

- 1856 : M. NADAR (Paris, Seine) -

- 1857 : M. BILORDEAUX (Paris, Seine) - M. Louis CRETTE (Le Cannet, Alpes-Maritimes) - M. DELAROCHE (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) 

- 1858 : M. ABEL (Paris, Seine) - M. F. CURE (Paris, Seine) - Mme Veuve DUPONT (Bourges, Cher) - MM. MADIGNIER et LAMBERTON (Saint-Etienne, Loire) - Mme MARIE (Chalon, Saône-et-Loire) - M. NADAR (Paris, Seine) - MM. PACAULT Frères (Bourges, Cher) - M. THIÉBAULT (Paris, Seine) - M. VICTOIRE (Saint-Etienne, Loire) - M. VIVANCE (Paris, Seine)

- 1859 : Anonyme (Saint-Quentin, Aisne) - Anonyme (Ancenis, Loire-Inférieure/Loire-Atlantique) -  M. Louis CHAMUSSY (Chambéry, Savoie) - Mme DUPONT (Bourges, Cher) - LEGROS (Paris, Seine) - MÉTÉNIER ET LETELLIER (Bourges, Cher) - M. NADAR (Paris, Seine) - MM. PACAULT Frères (Bourges, Cher) - M. et Mme VAUVERT (Bar-sur-Seine, Aube).


Cette liste ne mentionne pas les dates approximatives, impliquées par les épreuves ou les étiquettes des daguerréotypes des photographes des années 1850 suivants : 

- BASTIEN (Paris, Seine), A. BERTRAND (Paris), BLANC DAUBIGNY (Paris), CASTAINGS (Paris), Melle CHAMBEFORT (itinérante), DELANOY (Paris), DEBUSSY (Paris), Isidore DEMÉE (Paris), DISDÉRI (Brest, Finistère, et itinérance), DODERO (Marseille, Bouches-du-Rhône), GUSTAVE (Paris), HEROZ (Paris), Adolphe LAMAILLE (Paris), LAPANNE (Paris), LAUTIER (Paris), MARROT (Paris), MILLET (Paris), PILLAS (Paris), RUEF (Paris), SABATIER-BLOT (Paris), L. SAMSON & G. DESCHAMPS (Paris)...


5- NADAR (Félix Tournachon dit) (1820-1910), 
Portrait de profil de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) sur son lit de mort, fin juillet 1859, 
épreuve de la fin du XIX° siècle sur papier albuminé, Paris, BnF (Gallica).



PORTRAITS DE DÉFUNTS CÉLÈBRES


Des photographes parisiens comme DISDÉRI ou NADAR semblent, dès le milieu des années 1850, "avoir accaparé la spécialité de photographier les personnages importants après leur mort" (Nadar, Portrait du banquier et collectionneur Louis Fould, mort à Paris le 20 avril 1858 : Le Figaro du 25 avril 1858). Il est à noter qu'Eugène DISDÉRI, affichait déjà, vers 1850, la mention "Portraits après décès" au dos de ses daguerréotypes (Brest, Finistère, et itinérance)

Fin juillet 1857, est "exposée chez Giroux, à Paris, une belle photographie" de BILORDEAUX, représentant le chansonnier Béranger, mort le 16 du mois, qui est reproduite par l'estampe : 

"La tête, peu defigurée, bien qu'extrêmement amaigrie, repose sur un oreiller. Une grande douceur, une parfaite sérénité, le calme viril de la raison supérieure que logea cette noble et belle tête. en demeurent l'expression. Cette image est très émouvante, et, depuis son exposition, est l'objet du plus douloureux et du plus pieux empressement" (L'Indépendant de la Charente-Inférieure du 25 juillet 1857).

L'ouvrage d'Henri Martin, consacré à l'ancien président de la République éphémère de Venise, Daniele Manin, mort à Paris, le 22 septembre 1857, est orné d'une belle gravure le représentant, "d'après une photographie exécutée quelques heures après sa mort" (photographe non cité ; La Gironde du 25 mai 1859).

Le 3 janvier 1858, la tragédienne Rachel est à l'agonie au Cannet (Alpes-Maritimes). Sa soeur, Sarah Félix, fait appeler le photographe parisien Louis CRETTE. 

Ce dernier, photographe du roi de Sardaigne, alors actif à Nice (et Turin), prévenu par dépêche télégraphique, arrive dans la nuit, après le décès, et réalise le portrait le lendemain. 

"La mort n'a de complaisance pour personne, et le photographe rendit cette figure et ce corps tels que la mort les avait faits. Les mains crispées l'une dans l'autre étaient saisies par une suprême convulsion. Des plaques livides marquaient ce visage défiguré par la rigidité du cadavre , et l'ensemble de tout cela formait un tableau dont l'impression était plus pénible que touchante" (La Presse du 3 mai 1858).

Le portrait très réaliste de Rachel sur son lit de mort est ensuite, à la demande de Sarah Félix, retouché et adouci par le photographe Louis GHÉMAR, en avril à Paris. 

Cependant, alors que Sarah ne souhaitait pas livrer les traits de Rachel défunte au public, un dessin "divinisant" l'actrice, effectué d'après l'une des épreuves de GHÉMAR, par Frédérique O'Connell (qui avait réalisé quatorze portraits de Rachel de son vivant), est exposé et vendu dans les Magasins Goupil et Cie fin avril, démultiplié par la photographie et l'estampe et fourni à la presse, d'où le procés qui se tient au Tribunal civil de la Seine en juin 1858. 

Frédérique O'Connell perd ce procès, et le dessin et toutes ses reproductions sont saisis : 

"Attendu que nul ne peut, sans le consentement formel de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d'une personne sur son lit de mort, quelle qu'ait été la célébrité de cette personne et le plus ou moins de publicité qui se soit attaché aux actes de sa vie.

Attendu que le droit de s'opposer à cette reproduction est absolu, qu'il a son principe dans le respect que commande la douleur des familles, et qu'il ne saurait être méconnu sans froisser les sentimens les plus intimes et les plus respectables de la nature et de la piété domestique".

Il est à noter que la loi s'oppose à l'exposition et à la vente du portrait de toute personne sans son consentement, que la personne soit célèbre ou non et qu'elle soit encore vivante ou non au moment de sa diffusion (procès du photographe Emile Defonds, pour avoir exposé en vitrine, après son décès, le Portrait de la jeune Eugénie Sergent en costume de bal, réalisé de son vivant ; Moniteur des Arts du 24 novembre 1859 ; procés, à l'issue différente, du photographe Michel Szweyer, Portrait du poète polonais Adam Mieckiewicz (1798-1855), contre Nadar et les héritiers du poète ; Le Droit du 5 janvier 1860 ; La Presse du 1er avril 1860). 

Plusieurs procès auront lieu à ce sujet au milieu du XIXe siècle : "En principe, le portrait d'une personne ne peut être exposé sans son consentement de son vivant, et celui de sa famille après son décès. Toutefois les tribunaux ont le droit de rechercher si la famille a, dans ce dernier cas, un intérêt sérieux et légitime à s'y opposer" (Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, 1860 p 173).

On pourrait multiplier les exemples de portraits de célébrités sur leur lit de mort, comme :

- la poétesse Marceline Desbordes-Valmore décédée à Paris le 23 juillet 1859 (à 73 ans) et photographiée par NADAR (qui réussit à la rendre jeune et belle, Image 5), 

- ou Jean-Baptiste Vianney, dit le curé d'Ars, mort le 4 août 1859 et photographié le 5 à Ars-sur-Formas (Ain) (photographe non cité)... 

Il faut enfin rappeler que le parquet qui, dès cette époque, commence à faire réaliser des portraits de détenus (vivants) afin de permettre de les identifier et de les apréhender à nouveau, fait également réaliser des portraits de victimes de suicide ou de meurtre, afin de permettre leur identification ou bien de verser ces portraits, en tant que preuves, au dossier du procès à venir (Le Phare de la Loire du 5 janvier 1856 ; Journal des débats politiques et littéraires du 25 août 1856).