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dimanche 30 juin 2024

1348-DEBRAY, SOUVENIR DES PYRÉNÉES, VUES MOSAÏQUES DE LUCHON


  SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


- DEBRAY (?-?), Vues de Luchon (Haute-Garonne), recto, sans date, 
tirage albuminé de 9,1x5,5 cm, sur carton de 10,5x6,2 cm, Collection personnelle.



INTRODUCTION


Jean Walburg de Bray ou Debray (Orléans 19 janvier 1839 - Nice 28 janvier 1901) est, dans la seconde moitié du XIX° siècle, l'un des photographes majeurs des Alpes-Maritimes et de la Principauté de Monaco. Pendant trois décennies (1863-1893), il se consacre aux paysages urbains et naturels du littoral méditerranéen. 

Dans son atelier et son magasin de Nice puis de Cannes, ainsi que chez plusieurs revendeurs de ces mêmes villes, il propose des tirages de tous formats, des séries conséquentes et des albums qui, le plus souvent, ne portent pas son nom mais celui du revendeur.

Jean Walburg de Bray cède son fonds niçois ("dix mille clichés") en 1881 puis cherche à céder son fonds cannois ("dix mille clichés") au début des années 1890 pour se consacrer à d'autres activités commerciales.



BIOGRAPHIE


Né en 1839 à Orléans (Loiret), d'un père pasteur, Jean Walburg de Bray a essentiellement passé sa jeunesse en Suisse, avec sa famille (dès 1846).

Il s'installe à Nice à 22 ans (en 1861), en tant que sculpteur et professeur de sculpture sur bois (objets d'art et mosaïques).

A la fin de sa première saison d'hiver, il annonce la fermeture estivale de son magasin, rue du Pont-Neuf, n° 6, au 5 mai 1862, prie les clients de récupérer les articles commandés, liquide les articles en bois de figuier et "les vues de Nice" (ses photographies ?) et fixe la réouverture au 1er octobre suivant (Journal de Nice du 30 avril 1862 p 3).

Part-il passer la saison estivale dans une autre région ? Rouvre-t-il son magasin à la date prévue ou renonce-t-il à cette activité pour se consacrer dès lors à la photographie (il est cité comme "photographe" dans les listes électorales dès 1864, dans les journaux dès 1865 et dans les annuaires dès 1869) ? Continue-t-il à alterner, dans les années suivantes, entre deux villes selon la saison ?

Malgré une recherche approfondie sur sa vie et sa carrière, plusieurs zones d'ombre subsistent donc (voir sa biographie détaillée, ici).


- DEBRAY (?-?), Vues de Luchon (Haute-Garonne), verso, sans date, 
carton de 10,5x6,2 cm, Collection personnelle.



VUES DE LUCHON


Debray photographe

Une très rare Carte de visite offre, au verso, les inscriptions suivantes, "Souvenir des Pyrénées. - DEBRAY, - Photographe, - LUCHON, - Vallée du Lys" et, au recto, huit très petites vues de Luchon (ou Bagnères-de-Luchon, Haute-Garonne), soulignées de leur titre : "Les Thermes", "Castel-vieil", "Allée de la Pique", "La Buvette", "Cascade d'Enfer", "Cascade du Cœur", "Villa Diana" et "Chalet Sapène" [ou Casino des Chasseurs].

S'agit-il du photographe Jean Walburg Debray, l'orthographe du nom comme l'absence de prénom se retrouvant de la même façon sur ses publicités niçoises de 1861 et 1862, ou bien d'un photographe homonyme ? 

Aucun photographe portant le nom de "Debray" n'est référencé à Bagnères-de-Luchon. 

Un photographe nommé "Pierre Edouard Brayy" a officié à Paris, vers 1860, rue Vieille-du-Temple, 97 (J-M. Voignier, Répertoire des Photographes de France au dix-neuvième siècle, Le Pont de Pierre, 1993 p 44). 

Un peintre nommé "Achille Hector Camille Debray" a pour sa part exposé au Salon de 1834 un tableau de la Cascade de la vallée du Lys et une Vue des Pyrénées mais il est né à Paris en 1799 et est décédé dans cette même ville en 1842 (Explication des ouvrages de peinture et dessins, sculpture, architecture et gravure des artistes vivans (sic) exposés au Musée Royal, Paris, 1834 p 48).


- DEBRAY (?-?), Vues de Luchon (Haute-Garonne), recto, sans date, 
tirage albuminé de 9,1x5,5 cm, Collection personnelle.


Ces vues de Debray font écho aux images luchonnaises des années 1850 et de la première moitié des années 1860 :

- aux lithographies de Victor Petit (1850), de Pierre Gorse (1856 et 1858), de Charles Mercereau (entre 1853 et 1864) et d'Eugène Cicéri (1860) ; 

- aux photographies de Farnham Maxwell-Lyte (milieu des années 1850), du vicomte J. Vigier (vers 1855), d'Aimé Civiale (1857 et 1858), de Furne Fils et H. Tournier (1858), de Ferrier père, fils & Soulier (entre 1860 et 1864) et de Jean Andrieu (1862-63).


     

- DEBRAY (?-?), Vues de Luchon (Haute-Garonne), recto, détail de la "La Buvette", sans date, 
tirage albuminé de 9,1x5,5 cm, sur carton de 10,5x6,2 cm, Collection personnelle.



La vue de Debray intitulée "La Buvette" représente la buvette d'eau sulfureuse, également dénommée "La Buvette du Pré", qui est située légèrement en hauteur, à l'ouest de l'Etablissement thermal de Luchon. 

C'est un petit édifice en bois de plan circulaire, constitué d'un seul niveau et surmonté d'un haut toit couronné d'un lanternon, le tout couvert de chaume. Il sera plusieurs fois agrandi et surélevé par la suite.


- DEBRAY (?-?), Vues de Luchon (Haute-Garonne), recto, détail de la "Villa Diana", sans date, 
tirage albuminé de 9,1x5,5 cm, sur carton de 10,5x6,2 cm, Collection personnelle.




La vue de la "Villa Diana" (située à proximité de la Buvette du Pré) semble pour sa part impliquer le début des années 1860, cette villa ayant été bâtie par Edmond Chambert (l'architecte qui a érigé l'Etablissement thermal) entre 1859 (plans) et 1863, pour l'Italienne Giuseppina Botti (Alice de la Taille, "L’œuvre de l’architecte Edmond Chambert à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne)", Patrimoines du Sud [Online], 9 | 2019).

Une date vers 1862-1864 est tout à fait envisageable pour la Carte de visite étudiée et pourrait correspondre à un séjour luchonnais de Jean Walburg de Bray, sans qu'il soit toutefois possible de l'affirmer. 


Carte de visite Mosaïque

Le fait de regrouper plusieurs très petites photographies sur une seule Carte de visite (d'environ 6x10 cm) semble d'ailleurs caractéristique d'une mode parisienne née dans la première moitié des années 1860. 

La Carte Mosaïque évoque notamment les portraits regroupés par dizaines ou même centaines (avec ou sans séparation) sur les cartons d'Eugène Disdéri, de Pierre Petit ou de V. Maucomble (jusqu'à 300 portraits), les collections (35 Monnaies de la France) et plus encore les vues d'un même site réunies sur les cartons de De Torbechet, Allain & Cie (35 Monuments de Paris) ou sur ceux d'Henry Tournier (13 Vues de Rome ; 12 Vues de Bagnères-de-Luchon, prises en 1858 avec Charles Furne, mais diffusées en Carte mosaïque à partir de 1861).

Dans les Alpes-Maritimes, une seule Carte de visite mosaïque, anonyme, est à ce jour connue. Elle présente huit petites vues dépourvues de titre, affichant seulement le nom de la ville, "CANNES", au bas du tirage.

Ces vues sont identifiables, avec de haut en bas et de gauche à droite : Le quartier des Anglais, Le Cours et la Croisette, Le Port, Le Casino de la Croisette, Le Château de Vallombrosa, La Villa Alexandra (ou Tripet), Le Château de la Bocca, La Villa Victoria (ou Woolfield).

La plupart de ces édifices cannois datent des années 1850. 


- Photographe anonyme, Vues de Cannes, recto, détail de la vue du Casino, sans date,
tirage albuminé, Collection privée.

- Photographe anonyme, Vues de Cannes, recto, détail de la vue du Cours et de la Croisette, sans date,
tirage albuminé, Collection privée.



Le Casino de la Croisette ou Casino Cresp a été cependant entrepris sur des terrains acquis en novembre 1861, a vu son gros œuvre achevé en juin 1862 et a été inauguré le 9 août 1863 (voir l'article de ce blog, ici).

La vue montrant le Cours et la Croisette implique pour sa part une date antérieure à 1864 car elle ne montre pas le Grand Hôtel dont la première pierre a été posée le 10 juin 1863 et dont l'inauguration a eu lieu le 1er octobre 1864.

Il est donc probable que cette Carte de visite de Cannes date au plus tôt du printemps 1862 et au plus tard de l'été 1863. Elle peut donc être contemporaine de celle de Luchon mais sans qu'il soit possible, à nouveau, de l'attribuer à Jean Walburg Debray.


Jean Walburg Debray à Luchon ?

Jean Walburg Debray a-t-il, au cours de sa vie, accompli des séjours ou travaillé dans les les Pyrénées, comme plusieurs photographes implantés à Nice ? 

Louis Ferret a possédé en effet une succursale à Bagnères-de-Luchon, vers 1877-1880, Numa Blanc Père a quitté Nice pour Pau et Bagnères-de-Luchon, de 1879 à 1887 et Joseph Messy a possédé une succursale à Cauterets, vers 1883-1908.

Jean Walburg de Bray a été membre de la Société Française des Archives photographiques, historiques et monumentales (Paris), depuis sa création en 1876. Il a notamment participé à la souscription internationale ouverte par cette société pour ériger, en 1883, un Monument à Louis Daguerre à Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise), la ville natale de l'inventeur de la Photographie.

Son nom se voit logiquement cité dans la liste des souscripteurs (Revue photographique, n° 7, d'août 1883) mais apparaît, étrangement, à deux reprises : "De Bray, Nice, 5 fr." (p 97) et "De Bray, Luchon, 5 fr." (p 98).

L'orthographe même du nom du photographe et souscripteur, suivi du même montant, laisse peu de doute sur le fait qu'il s'agit de la même personne, ayant souscrit au titre de deux villes, voire de deux ateliers, et relance l'hypothèse.

Cependant, si l'on admet que Jean Walburg de Bray, implanté à Nice et Cannes, ait pu accomplir des saisons estivales à Bagnères-de-Luchon (cure ou villégiature) et y posséder un atelier pendant une ou plusieurs périodes de sa vie, cela interroge sur l'existence et la conservation de ses photographies, même laissées anonymes ou portant le nom de l'un de ses revendeurs (libraires notamment).

On ne retrouve pas en effet, dans les vues luchonnaises et pyrénéennes, les éléments caractéristiques de ses photographies, notamment ses vues panoramiques, ses étiquettes de titre collées sur les Cabinets ou ses grands formats signés "WB" (Walburg de Bray) dans le négatif.



ÉPILOGUE


Avec la découverte d'une nouvelle photographie, tout ce que l'on croit connaître de la carrière d'un photographe est remis en question.

Malgré quelques indices troublants, les preuves restent insuffisantes pour pouvoir affirmer que le photographe vivant dans les Alpes-Maritimes, Jean Walburg de Bray, a réalisé et signé des vues de Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne) au début des années 1860 et a, par la suite, renouvelé des séjours et des prises de vue dans cette ville.

Cet exemple montre la difficulté à appréhender la formation et les débuts des photographes du XIX° siècle mais, également, à nommer leurs succursales (locales, nationales ou internationales) en l'absence de sources documentaires déterminantes.