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vendredi 26 novembre 2021

1210-MONACO-LA PRINCIPAUTÉ DE 1856 À 1870




Image 1 - Vue panoramique de Monaco, avec le futur Etablissement de Bains et le futur Casino, 
estampe éditée en une du journal L'Eden le 30 mai 1858,
et accompagnée du texte suivant, "Une transformation s'opère sous nos yeux. En face du vieux Monaco si riant et si pittoresque, s'élève une cité nouvelle sur le riche plateau des Spélugues. Puissante par ses capitaux et les hommes qui sont à sa tête, la Société des bains de Monaco, vient de jeter les fondements d'un monument grandiose [le Casino] autour duquel vont se grouper de magnifiques hôtels et des villas élégantes"


DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 01/07/2024


LA PRINCIPAUTÉ  DE MONACO (1856-1870)


Introduction

L'Etablissement de Bains

Le Casino

La voie ferrée

L'usine à gaz

La Condamine

Les Spélugues

Photographies et estampes



INTRODUCTION


Cette recherche a pour cadre historique les débuts du règne du prince Charles III de Monaco (1856-1889), à l'époque de la création de la Société des Bains de Monaco (1856), de la cession des territoires de Roquebrune et de Menton à la France (1861), de la desserte de la Principauté par la ligne télégraphique (1862) et la voie ferrée françaises (1868) et de la suppression des impôts personnels fonciers et mobiliers (1868-69). 

En 1856, les habitations de la Principauté sont concentrées au sommet du Rocher fortifié. Les côteaux de La Condamine et des Spélugues (cavernes) qui descendent à la mer sont quasiment dépourvus de toute construction. C'est l'évolution de ces deux nouveaux quartiers qui va être étudiée ici, au-travers de quelques réalisations emblématiques principalement relatées par le Journal de Monaco.


Image 2a - Vue panoramique de Monaco, avec le futur Etablissement de Bains et le futur Casino, 1858,
vignette gravée sur bois par GERARD (?-?), d'après un dessin de l'architecte
 GODINEAU DE LA BRETONNERIE Henri Alexandre (?-1877), et éditée en une du journal L'Eden, à partir du 20 juin 1858.



L'ÉTABLISSEMENT DE BAINS


La Société des Bains de Monaco, créée par MM. Léon Langlois et Albert Aubert, obtient du prince Charles III, le 26 avril 1856, le privilège exclusif de construire et d'exploiter un établissement de bains et une maison de jeux.

Les thermes sont érigés dans l'année suivante, à l'ouest du Rocher, sur un terrain acquis dans l'anse du Canton (ravin) (futur pavillon du Prince Frédéric Guillaume de Wurtemberg acquis en mars 1862), et la maison de jeux est établie sur le Rocher.

Fin 1857, les difficultés financières contraignent cependant les administrateurs à envisager la cession de la Société à M. Daval. Ce dernier l'acquiert le 3 janvier 1858 (ordonnances princières des 3 et 6 avril 1858).

Dès lors naît le projet d'un grand établissement de bains (balnéothérapie et hydrothérapie), situé du côté est du Rocher, à La Condamine, le long de la plage de sable fin près du Port d'Hercule, et d'un Casino sur le plateau des Spélugues (cavernes), conçus par l'architecte Godineau de la Bretonnerie. Les deux premières unes des 30 mai et 20 juin 1858 du journal L'Eden (futur Journal de Monaco) présentent les projets des futurs bâtiments insérés dans le panorama de la Principauté (Images 1 et 2a). Les terrains sont achetés et les deux réalisations sont entamées en mai 1858 (Image 2b).


Image 2b - Vue et description du futur Etablissement de Bains, éditée dans le journal L'Eden, du 27 juin 1858.



Les constructions se voient cependant stoppées par la faillite de la Société en avril 1859. 

La nouvelle Société des Bains de Mer de Monaco, administrée par François Léon Lefebvre (ordonnance du 29 mai 1859), relance la construction de l'Etablissement de Bains, inaugure ce dernier en octobre 1859 et le termine l'été 1860. 

Comme prévu, le bâtiment bas (galerie de 80 m de long), fait de briques et de bois, est semblable à un long chalet. Il est dominé par trois pavillons situés au centre et aux extrémités (administration centrale et côtés femmes et hommes) et aligne ses cabines en bord de plage. Il se voit par la suite doublé à l'arrière, uniquement du côté est, par un bâtiment parallèle de la hauteur des pavillons, entrepris à l'automne 1861 et terminé au premier trimestre 1862 (Images 3, 5, 6).

L'Etablissement de Bains est cédé le 31 mars 1862 et la Société le 31 mars 1863 (ordonnance du 2 avril) à M. François Blanc qui va apporter capitaux, confiance, stabilité, développement et richesse à la nouvelle Société des Bains de Mer de Monaco et Cercle des Etrangers et à l'ensemble de la Principauté. 


Image 3 - BERTRAND (?-?)Les Bains de Mer de la Ville de Monaco, 1864,
estampe extraite de l'ouvrage du Dr Lubanski, Guide aux stations d'hiver du littoral méditerranéen : Hyères, Cannes, Nice, Menton, Monaco, préfacé en juillet 1864 et édité en 1865, p 542 bis.

L'Etablissement des Bains de Mer est doublé à l'arrière d'une seule aile est.



Les Bains sont dits augmentés de nouvelles dépendances en juin 1865 et capables de recevoir plus de malades en septembre. C'est probablement l'établissement hydrothérapique d'hiver qui vient d'être complété par l'ajout d'une aile symétrique du côté ouest, une aile étant affectée aux femmes et l'autre aux hommes (soins et pension) (Images 10 et 12).


LE CASINO


A partir de 1856, la Société des Bains de Monaco (MM. Langlois et Aubert) installe le Casino dans un bâtiment situé sur le Rocher. Le grand bal d'ouverture a lieu dans la première semaine de janvier 1857. L'adresse est dite place du Château jusqu'en octobre 1858 puis place du Palais.

Au printemps 1858, la nouvelle administration de la Société (M. Daval) envisage un projet de construction sur le plateau des Spélugues (rebaptisé l'Elysée-Alberti) et achète l'ensemble des terrains du plateau au comte Rey (Images 1 et 2). La pose de la première pierre du Casino, a lieu le 13 mai 1858. Le Casino et l'hôtel qui l'accoste restent cependant inachevés du fait de la faillite de la Société en avril 1859. 

Suite à la reprise de la Société des Bains de Monaco (M. Lefebvre) en mai 1859, le Casino quitte la place du Palais pour la propriété du marquis Garbarino, rue de Lorraine (Rocher), dans l'attente d'une villa située au nord-est de La Condamine (future Pension Bellevue), près du ravin de Sainte-Dévote, au centre d'un jardin dominant la mer. Le Casino ouvre à cette adresse le 15 octobre 1859. La Société des Bains inaugure à la même date le Grand Hôtel de Russie dans les anciens locaux du Casino de la place du Palais puis, à côté de lui, l'Hôtel Bellevue, début octobre 1860.

Le chantier des Spélugues reprend en février 1862, sous la direction de l'architecte Godineau de la Bretonnerie qui en avait tracé les plans en 1858.

Le Casino comprend des salles de bal, de concert, de théâtre, de lecture et de jeux ainsi que des salons privés. Il est inauguré le 18 février 1863 (52 m de façades). L'Hôtel de Paris érigé en 1862-1863 et le café-restaurant bâti en annexe en 1863 sont pour leur part inaugurés le 1er et le 14 janvier 1864, sous la nouvelle direction de François Blanc (Image 4). 

Les bâtiments du Casino (Cercle des Etrangers), ses annexes (hôtels, restaurants, cafés, magasins, villas, kiosques), ses terrains et plantations (palmiers de La Bordighera, essences rares et massifs de fleurs, fontaines, terrasses et escaliers) ne cesseront plus d'être multipliés, agrandis et rénovés, notamment sous la direction de l'architecte Dutrou et du maître-jardinier Aensfeld.

Une nouvelle salle de jeux est aménagée en 1864 et inaugurée le 1er janvier 1865. Une deuxième terrasse est créée début 1865 (citée dès avril) pour encadrer au sud les jardins du Casino (Image 10) et des palmiers y sont plantés fin juillet 1865, avec notamment un bosquet ouest. La salle des Concerts est en rénovation en septembre 1865.

Un grand réservoir stockant l'eau de deux sources est bâti au nord-ouest du site en 1867. Le Café Divan (au nom évocateur du célèbre café de Toulouse situé place du Capitole) est construit à l'emplacement d'une ancienne écurie, face à l'Hôtel de Paris, dès août 1867, et ouvert dans la première quinzaine de janvier 1868. De chaque côté du café, deux magasins sont bâtis et ouvrent en décembre 1868. Dès l'année suivante, le café prend le nom de Café de Paris. 

Une nouvelle et vaste Salle de jeux (de 31x14 m), dite Salle mauresque, est érigée à l'est du Casino dès le 1er juillet 1868 et inaugurée le 1er janvier 1869Une nouvelle salle de restaurant, réalisée également en 1868, lui fait face désormais.

Une troisième terrasse agrémentée de jardins, située au-dessous des précédentes et dominant la voie ferrée, est en cours de réalisation à partir de juin 1869. Elle est plantée de palmiers en septembre de la même année, avec notamment un bosquet est. Un grand escalier permet d'accéder à la gare.

Une vaste succursale de l'Hôtel de Paris est entreprise dès le 22 octobre 1868 (pose de la première pierre) et ouverte le 15 janvier 1870. Les façades du Casino sont pour leur part modifiées à partir de juillet 1869. Un nouveau bâtiment (salle de billard, salon des dames, magasin), adjoint au Café de Paris, est en construction en janvier 1870 et achevé au cours de l'été.

Un établissement de tir au pistolet et à la carabine est installé à proximité du Casino dès janvier 1869. Devant son succès, un site de plus grande ampleur, comprenant un tir aux pigeons, est envisagé dès le mois de juin et commencé en août, en contrebas du Casino et de la voie ferrée, tout au bord de la mer. Il n'est cependant ouvert qu'en novembre 1871 et inauguré en février 1872. 

Le Tir est relié par un pont de fer surplombant la voie ferrée à la grande terrasse du Casino. Un pavillon latéral accueille notamment les tireurs au pistolet et les tireurs à la carabine sur cibles mais un pavillon ouvert et central abrite les tireurs au-devant d'une grande plateforme en hémicycle où sont lâchés les pigeons. Cette dernière, érigée dès 1870 (Image 13), va être renforcée par de grandes arcades aveugles en 1871. Un premier Grand Concours International de Tir aux Pigeons est organisé les 7 et 8 février 1872.


Image 4 - HUYOT Jules (1841-1921), Monaco, Casino et Grand Hôtel de Paris au Quartier de Spélugues, 1864, estampe extraite de l'ouvrage du Dr Lubanski, Guide aux stations d'hiver du littoral méditerranéen : Hyères, Cannes, Nice, Menton, Monaco, préfacé en juillet 1864 et édité en 1865, p 554 bis.

Le sommet du plateau est encore très boisé. Les bâtiments de la Société des Bains sont organisés autour d'une place nord à rond-point végétal. Le Casino, dont la façade est dominée par trois frontons triangulaires, est accosté à l'ouest par le haut bâtiment à pavillons latéraux de l'Hôtel de Paris.



LA VOIE FERRÉE


Suite à l'accord passé avec la France en 1861, la ligne de chemin de fer, devant relier Nice à la frontière italienne en longeant le bord de mer et en traversant la Principauté, est entamée dès le printemps 1864 (expropriations). Tranchées, remblais, murs de soutènement, tunnels et viaducs sont ensuite réalisés en plusieurs chantiers parallèles, sur les 15,5 km séparant Nice de Monaco de l'automne 1864 à l'été 1867 puis, suite aux expropriations du printemps 1865, sur les 3, 5 km du territoire de la Principauté de fin 1866 à 1869. 

Deux gares sont commencées en juin 1867 : celle dite de Monaco (près La Condamine), située à l'entrée occidentale du territoire de la Principauté, au nord et en contrebas du Rocher, et celle dite de Monte-Carlo (quartier des Spélugues ou de La Costa rebaptisé ainsi par ordonnance princière du 1er juin 1866), en contrebas du Casino, dominant la mer. Leurs fondations sont prêtes en août. 

Leurs matériaux de construction sont livrés début septembre 1867 mais la voie ferrée séparant les deux gares n'étant pas achevée et nécessitant encore de gros travaux, priorité est donnée à la construction de la gare de Monaco. 

Cette dernière, après des travaux de terrassement et de déblaiement puis de fondations (juillet et début août), est entreprise dès fin août 1867 (Image 11). Elle est dite en cours d'achèvement fin décembre mais n'est décrite qu'à la fin du mois de juin 1868, avec un pavillon de briques, un abri et un bâtiment en bois destinés aux voyageurs, un salon d'accueil en pierre pour le prince et une remise en bois pour ses voitures

La gare de Monaco reçoit ses premiers voyageurs le 19 octobre 1868, ouvrant une nouvelle ère à la Principauté. Dès juin 1870, les bâtiments existants sont cependant jugés trop exigus et un projet de reconstruction est envisagé (Image 12).

A Monte-Carlo, le monumental mur de soutènement de 230 m de long et de 11, 50 m de haut situé au-dessous du Casino, commencé fin novembre 1866, est encore inachevé en juillet et septembre 1867 (Images 8, 9 et 13). La tranchée et le tunnel de la Douane, la tranchée du Casino, le viaduc à trois arches (de 12 m d'ouverture) et la tranchée du Portier sont entrepris dès septembre 1867.

La construction du long et haut viaduc au-dessus du ravin de Sainte-Dévote est entamée en décembre, afin de relier les quartiers de La Condamine et de Monte-Carlo. Trois des piles sont terminées en février 1868 et les six arches sont en cours d'achèvement en juin 1868, laissant augurer une fin du viaduc au cours de l'été (Image 13).

Le site de la future gare de Monte-Carlo, entrepris en septembre 1867, voit les fondations des bâtiments débuter en octobre et leur élévation est toujours en cours au printemps 1868. En l'attente de leur achèvement et de l'ouverture de la section de voie permettant de l'atteindre, une gare provisoire en bois est construite en septembre 1868 près de celle de La Condamine ; elle va permettre, dès le mois suivant, d'accueillir puis d'acheminer les voyageurs vers le Casino grâce à des omnibus tirés par des chevaux. 

La voie ferrée reliant les deux gares ainsi que la gare de Monte-Carlo sont achevées en 1869 mais ne sont mises en service qu'en fin d'année, lors de l'ouverture de la ligne reliant Monaco à Menton, le 6 décembre 1869.


L'USINE À GAZ


A partir de juin 1864, la Société des Bains conçoit le projet d'installation d'une usine à gaz, destinée à fournir l'éclairage de la ville en pleine expansion, et recherche son futur emplacement. 

En mars 1865, c'est en arrière du Port d'Hercule, sur la propriété Gastaldy, que le site est choisi pour l'usine et son premier gazomètre cylindrique de stockage. Les travaux, commencés fin avril 1865, s'achèvent en janvier 1866 (Image 6). 

L'allumage des fourneaux se fait dans la première semaine de janvier et l'inauguration de l'éclairage au gaz de la Principauté a lieu le 5 février suivant.


Image 5 - Photographe anonyme et dépourvue de titre, distribuée par la Librairie Visconti de Nice, Chartier successeur,
Vue panoramique nord-est/sud-ouest du Rocher de Monaco et de La Condamine, 1864,
tirage albuminé de 21,2x8,1 cm, collé sur un carton de 27x11,9 cm, Collection personnelle.

La végétation est dense à La Condamine et les constructions peu nombreuses et regroupées dans l'anse du Port.
 L'Etablissement de Bains est doublé seulement d'une aile orientale, accostée par la haute Villa de Millo.



LA CONDAMINE


Dans la seconde moitié des années 1850, les terrains de La Condamine (Images 1 à 3), situés au pied du Rocher, sont recouverts d'une végétation dense constituée de vergers d'oliviers, de citronniers, d'orangers et de caroubiers et de champs de violettes (Image 5). Ils ne comportent que de rares bâtiments groupés à proximité du Port d'Hercule dont le bureau de la Marine, l'entrepôt et quelques maisons. Le nouvel Etablissement de Bains est érigé à proximité, le long de la plage, à partir de 1858. L'attraction de La Condamine est ensuite renforcée par le tracé de la future voie ferrée qui entraîne spéculation et morcellement des propriétés.

Au milieu des années 1860, deux bâtisses seulement sont nommées : la Villa de Millo à l'ouest (près des Bains, citée dès mai 1864) (Images 3, 5, 6 et 9), et le Palais et la Villa de la Condamine à l'est (propriété de M. de Villemessant bâtie sur des terrains acquis auprès de M. Siraudin en février 1865, près du ravin de Sainte-Dévote). Ce sont ensuite les constructions des villas Muratore, Vatrican, Blanqui, des maisons Marquet, Neri, Gavone, de l'Hôtel du Louvre et de l'usine à gaz puis, entre 1867 et 1870, de nouveaux hôtels, de la gare de Monaco et de deux lotissements qui vont fortement réduire la végétation.

En 1869-1870, l'avenue Caroline se borde de maisons, une nouvelle avenue qui lui est perpendiculaire est commencée entre le port (rue du Port), la place d'Armes et la gare (avenue de la Gare), et le large quai rectifié, conduisant des Bains au ravin de Sainte-Dévote, est bordé de trottoirs (boulevard de la Condamine). Située entre le Rocher et Monte-Carlo, La Condamine devient le quartier central de la Principauté (Image 12).


Image 6 - Photographe anonyme et dépourvue de titre, vendue par la Librairie Visconti de Nice, Chartier successeur, Vue panoramique de la Condamine et des Spélugues, fin 1868,
tirage albuminé de 21,2x8,1 cm, collé sur un carton de 27x11,9 cm, Collection personnelle.
 
Sur la gauche de l'image, la haute Villa de Millo (propriété citée dès mai 1864) ; au centre, l'Etablissement de Bains avec ses ailes est et ouest (1865) ; sur la droite, le gazomètre de l'usine à gaz (inaugurée en janvier 1866) puis le Port. 

Dans le golfe, se remarque le bateau à vapeur Charles III, construit à Bordeaux et entré en service pour relier Monaco à Nice le 19 octobre 1866. 



LES SPÉLUGUES


Dans la seconde moitié des années 1850, le plateau des Spélugues, beaucoup plus abrupt et aride (sauf à son sommet) que celui de La Condamine, accueille à son extrémité orientale le chantier du Casino (1858) (Images 1 et 4). Ce pôle d'attraction entraîne, vers 1860, la construction des premières villas, chalets et hôtels. Les rocs sont taillés à coups de mine et les terrains, une fois aplanis, sont recouverts d'une couche de terre végétale.

A la cession de la Société des Bains de 1863, François Lefebvre conserve une partie occidentale des terrains des Spélugues qu'il va vendre un à un, et François Blanc gère la partie orientale (Casino) comme un lotissement (achat et revente de terrains, construction d'hôtels, construction, location et vente de villas). Une nette accélération des chantiers se note à partir de cette année-là, du fait de l'achèvement du Casino mais également de la facilitation administrative des démarches d'acquisition (Image 6).

Une ville nouvelle se développe, coupée par le boulevard du Casino et longée par les voies parallèles sans cesse améliorées (pentes adoucies, rues élargies, bordées de trottoirs et d'arbres) de la route de Menton, de l'avenue de La Costa et de l'avenue des Spélugues (dite ensuite de Monte-Carlo) et bientôt par la voie de chemin de fer.

Des hauteurs du côteau à la mer et du ravin de Gaumates (ou de Sainte-Dévote) au Casino, de blanches villas, tournées vers la mer, couronnées de terrasses et précédées de jardins remarquables arborés et fleuris, s'étagent sur quatre niveaux de terrains. Elles sont généralement la propriété d'hivernants étrangers et majoritairement de Français Parisiens. Plusieurs villas ont le même propriétaire qui en destine une partie à la location ou la vente. 

Une douzaine de constructions sont réalisées dans les années 1860 dont d'ouest en est :

- les deux Villas Briguiboul (Villa Colombe citée en août 1863), 

- la Villa Dusautoy ou Villa Hortensia (érigée entre 1863 et 1867 ; future Villa Zlotnicki ou Villa Waleska), 

- la Villa Seguy ou Villa des Palmiers (érigée entre 1865 et 1866 ; future Villa Jouët ou Villa de La Tour), 

- la Villa Lefebvre (érigée vers 1863-64), 

- la Villa Griois ou Villa Auguste (terrain acquis en avril 1860), 

- la chapelle de l'Immaculée-Conception (érigée en 1867 par Madame mère et veuve Griois)

- la Villa Kellermann acquise par Saint-Aubin (en novembre 1864), 

- la Villa Chompret (érigée vers 1864), 

- une villa (érigée vers 1862) qui devient l'Hôtel d'Angleterre (ouvert en janvier 1865 ; futur Bureau du Télégraphe), 

- la Villa Blanc (érigée vers 1868-69) puis la Villa Violette (citée dès 1866) dont les jardins se confondent avec ceux situés à l'arrière de l'Hôtel de Paris (ouvert en janvier 1864) (Images 6 à 9 et 13). 


Image 7 - ANDRIEU Jean (1816-apr.1872), 563. Port de Monaco. Environs de Nice, B.K. Editeur, début 1863, détail de l'une des deux vues stéréoscopiques de 7,7x7,4cm, collées sur carton de 17,5x8,8 cm, Collection personnelle.

Sur le plateau des Spélugues, on découvre, à gauche de l'image, tout d'abord la Villa Briguiboul ou Villa Colombe, située dans l'anse, au bas de l'avenue des Spélugues. Elle est citée dès 1863 et accueille des hôtes célèbres, comme le poète Joseph Méry (1797-1866) et le compositeur Ernest Reyer (1823-1909) pendant l'hiver 1865

Au milieu du plateau, positionnée au-dessus de l'avenue des Spélugues, c'est la grande Villa Auguste, érigée suite à l'achat du terrain en avril 1860. Henri de Villemessant raconte sa visite de février 1865 de cette Villa d'Auguste Griois, "fils d'un ancien notaire de Paris [père décédé]. Comme il est l'un des premiers fondateurs du nouveau Monaco, tout naturellement il a choisi sa place. De sa maison bâtie sur une colline, il voit à droite le joli petit rocher de Monaco qui semble avoir été placé là pour lui servir de décor, et à gauche le Casino, les maisons et les hôtels qui dans cinq ou six ans formeront une vraie ville (...) Comme le marbre, et le marbre de Carrare s'il vous plaît, est meilleur marché que la pierre chez nous, on en a mis partout et vous marchez sur des mosaïques polies et chatoyantes. Chaque petit appartement a sa chambre, son cabinet de travail, son cabinet de toilette et sa terrasse dont les rampes sont en marbre blanc. Il y règne une simplicité opulente, ce vrai luxe qu'est l'heureuse alliance de la richesse et du goût. Autour de la maison, poussent en pleine terre des cactus dont les énormes branches ont l'air de candélabres" (Journal de Monaco des 26 février et 5 mars 1865).

Plus à droite, une bâtisse basse fait face à une villa érigée vers 1862 et située au-dessous de l'avenue des Spélugues puis ce sont les bâtiments du Casino et du Grand Hôtel, érigés en 1862 et 1863.


Image 8 - ALEO Miguel (1824-c.1900), Monaco - Les Spélugues, détail, début 1867,
tirage albuminé de 14,2x9,2 cm, Collection personnelle.

 De gauche à droite, une dizaine de villas s'échelonnent le long des voies qui mènent au Casino et à ses bâtiments annexes. 

A gauche de l'image, au-dessus de la Villa Briguiboul ou Villa Colombe, deux bâtisses se sont ajoutées entre 1863 et 1867, celle du sommet étant la Villa Dusautoy (future Villa Zlotnicki ou Villa Waleska). 

Au même niveau mais plus à droite, la Villa Seguy ou Villa des Palmiers (future Villa Jouët ou Villa de la Tour) s'est construite entre 1865 et 1866 sur un terrain acheté à la famille Griois qui occupe toujours la Villa Auguste voisine. En arrière de l'espace compris entre la Villa Seguy et la Villa Auguste se devine la Villa Lefebvre, érigée vers 1863-64.

En contrebas, une bâtisse basse a été construite en bord de mer. Plus à droite et au-dessus de la voie ferrée qui longe le grand mur de soutènement désormais achevé (érigé entre novembre 1866 et l'été 1867), deux villas côte à côte : la Villa Chompret bâtie vers 1864 et une villa construite vers 1862 qui est devenue l'Hôtel d'Angleterre, ouvert en janvier 1865 (futur bureau du télégraphe). 

Enfin, c'est la Villa Violette, citée dès 1866 (future Villa Wagatha) dont les jardins se confondent avec ceux qui sont situés à l'arrière de l'Hôtel de Paris puis la terrasse sud du Casino avec son bosquet de palmiers (plantés en juillet 1865 en remplacement des pins originels).


Image 9 - Photographe anonyme et dépourvue de titre, vendue par la Librairie Visconti de Nice, Chartier successeur, Vue panoramique de la Condamine et des Spélugues, détail de l'Image 6, fin 1868, 
tirage albuminé de 21,2x8,1 cm, collé sur un carton de 27x11,9 cm, Collection personnelle.

Au tout premier plan de l'image apparaît, à La Condamine, la haute Villa de Désiré de Millo (agent immobilier) dont la construction date de la fin de l'année 1863

 Sur le plateau des Spélugues se remarque à côté de la Villa Seguy (érigée entre 1865 et 1866), la nouvelle chapelle de l'Immaculée-Conception érigée en 1867 par Madame mère et veuve Griois (qui lèguera à sa mort sa fortune à des œuvres de charité). La date de construction de cette chapelle a été difficile à déterminer jusqu'à la découverte d'une photographie qui la montre, alors que le site de la gare n'a pas encore été déboisé.

Plus à droite, au-dessus du grand mur de soutènement (érigé entre novembre 1866 et l'été 1867) et en face de l'Hôtel d'Angleterre, un grand hôtel (future Villa Blanc) est visiblement en construction ; le Journal de Monaco du 1er novembre 1868 rapporte que dans la matinée du 31 octobre, "un ouvrier charpentier est tombé du haut du quatrième étage d'une maison en construction, en face de l'Hôtel d'Angleterre. Le malheureux s'est cassé un bras"



PHOTOGRAPHIES ET ESTAMPES


Les plus anciennes photographies conservées montrant la Principauté de Monaco datent de la seconde moitié des années 1850 (rares) puis des années 1860. Elles sont généralement dépourvues de date et parfois anonymes

Ces photographies sont l'œuvre d'une quinzaine de photographes hivernants ou résidents de la région (Monaco, Nice, Menton) dont Louis Crette, Joseph Silli, Alphonse Davanne, Miguel Aleo, Jean Andrieu, Jean Walburg De Bray, Eugène Degand, Albert Pacelli, Adolphe Braun, William White Rouch, Pierre Dupeyrot, Hermann Noack, Charles Lenormand et Etienne Neurdein. Peu de vues connues portent le nom de Pierre Ferret et aucune celui de Madame Fontaine ou d'Emile Messy, malgré leurs publicités de l'époque.

Quelques estampes sont également conservées. Elles sont souvent rattachées à la date de leur publication dans des journaux ou revues mais proviennent de dessins antérieurs ou inspirés de photographies plus anciennes.


Image 10 - Photographe anonyme et dépourvue de titre, vendue par la Librairie Visconti de Nice, Chartier successeur, 
Vue panoramique du Rocher de Monaco depuis les terrasses du Casino de Monte-Carlo, vers 1867-1868, 
tirage albuminé de 21,2x8,1 cm, collé sur un carton de 27x11,9 cm, Collection personnelle

On aperçoit à La Condamine l'Etablissement de Bains et la Villa de Millo.


Image 11 - ALEO Miguel (1824-c.1900), Monaco, fin 1867,
tirage albuminé de 14,2x9,2 cm, Collection personnelle.

Au pied du Rocher, le terrain a été déboisé et aplani pour y accueillir la future gare. A droite de l'image, sur le côté occidental du Rocher se remarquent deux cabanes de chantier. 

Sur la gauche de l'image, on aperçoit le gazomètre (1865) et l'Etablissement de Bains avec la deuxième aile du bâtiment hydrothérapique (1865).


Image 12 - DEROY Isidore Laurent (1797-c.1886), détail, vers 1870
lithographie en couleurs de 49,3x33 cm, Paris, BnF (Gallica), Recueil, Collection de Vinck, Un siècle d'histoire de France par l'estampe, 1770-1870, vol. 163.

"A l'entrée de la station de Monaco s'élève un bâtiment destiné à servir de remise aux voitures du Prince ; plus loin sont les quais, l'un couvert, l'autre découvert ; puis un pavillon très coquet, construit en briques de Saint Henri. Près de là se trouvent l'abri et le bâtiment destinés aux voyageurs. A ce bâtiment, on a annexé un salon réservé à S.A.S. Cette construction est en belles pierres de Beaucaire" (Journal de Monaco du 21 juin 1868).



Image 13 - DEROY Isidore Laurent (1797-c.1886), détail, vers 1870
lithographie en couleurs de 49,3x33 cm, Paris, BnF (Gallica), Recueil, Collection de Vinck, Un siècle d'histoire de France par l'estampe, 1770-1870, vol. 163.

La voie ferrée parcourt le nord de La Condamine, traverse le viaduc de Sainte-Dévote, s'enfonce dans le tunnel et la tranchée de la Douane, débouche en bord de mer le long du grand mur de soutènement puis fait un arrêt à la station de Monte-Carlo (l'accès au Casino peut se faire en voiture à cheval par un chemin ou à pied par l'escalier monumental qui gravit les terrasses).

Le Tir aux pigeons est bien visible tout au bord de la mer, avec son bâtiment occidental et sa plateforme circulaire (pas encore renforcée de grandes arcades aveugles).


Image 14 - Article du journal Le Curieux intitulé, "De Monaco à Monte-Carlo et à la frontière italienne en chemin de fer",
retranscrit dans le Journal de Monaco du 14 décembre 1869.





VOIR ÉGALEMENT

ALBUM DE JEAN WALBURG DE BRAY, "PRINCIPAUTÉ DE MONACO", VERS 1875

MONACO, LA GARE DE LA CONDAMINE (1860-1890), HISTOIRE ET REPRÉSENTATIONS