4

4

mardi 25 octobre 2016

603-LA PYRAMIDE DE GAMBETTA (1883-1909) AU CIMETIÈRE DU CHÂTEAU, NICE




- WILSON George Washington (1823-1893), Gambetta, Tomb, Cemetery, Nice,
Registered G. W. W., Trade Mark,
Glass Magic Lantern Slide 24 D-25 from "The French Riviera and Monte Carlo",
Collection personnelle.


DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 07/09/2024



LA PYRAMIDE DE GAMBETTA : UN MONUMENT ÉPHÉMÈRE CONSERVÉ PENDANT 25 ANS



Le précédent article ne pouvant plus intégrer tous les documents collectés du fait de l'histoire parallèle, au cimetière du Château, de deux tombeaux successifs et d'une pyramide commémorative dédiés à Léon Gambetta, un nouvel article a semblé nécessaire. C'est ainsi l'occasion de faire le point, les nouveaux documents textuels et iconiques ayant sans cesse précisé, complexifié et remis en question l'histoire de cette pyramide.


VOIR L'ARTICLE PRÉCÉDENT 



LE PREMIER EMPLACEMENT DE LA PYRAMIDE : AU DOS DU TOMBEAU DE GAMBETTA
(1883-c.1891)



- Emplacements du Tombeau (vert) et de la Pyramide de Gambetta (rouge), repérés sur une partie du plan 
du Cimetière du Château, daté du 16 décembre 1964, Archives Municipales de la Ville de Nice.
Ces emplacements seront occupés de 1883 à 1909 pour le tombeau, 
et de 1883 à 1891 pour la pyramide.
La tombe de Léon Gambetta est la tombe familiale acquise par lui en avril 1878 dans l'Allée du Brûloir.




A la suite des obsèques de Léon Gambetta à Nice, le samedi 13 janvier 1881, une Pyramide en bois noirci, regroupant une partie des innombrables couronnes de fleurs qui ont accompagné le convoi funéraire, est érigée au-dessus de l'allée où est située sa tombe, sur le plateau supérieur du Cimetière du Château, 

Ce monument provisoire occupe l'emplacement retenu pour établir un monument de pierre dont le projet reste à définir.

La Pyramide est érigée entre le 16 janvier 1883, où les couronnes sont encore signalées dans la partie basse du cimetière autour de la grande Croix centrale, et le 20 janvier, où elles recouvrent et entourent désormais ce monument, dans un espace délimité par des barrières en bois (Le Petit Niçois des 16 et 21 janvier 1883 p 2 ; Le Phare du Littoral de 17 et 22 janvier 1883 p 1). 

L'artiste niçois, Alexandre Fiori, termine en mars 1883 une sculpture d'1m 50, composée d'une colonne toscane tronquée, portant un médaillon du grand patriote, qui repose sur un piédestal élégant orné d'inscriptions. La colonne peut s'enlever, dévoilant sur le piédestal la reproduction de la Pyramide du Château chargée de couronnes (Le Petit Niçois du 18 mars 1883).

Une lettre de l'amie de Gambetta, Léonie Léon (1838-1906), datée du 30 mars 1883, rappelle, après sa visite au cimetière, le projet du gigantesque monument qui dominera la ville et la mer, à l'emplacement indiqué "par une pyramide chargée de toutes les couronnes" (Emile Pillias, Léonie Léon, amie de Gambetta, Paris, 1935 p 192). 

Une photographie du Port de Nice vu du Mont-Boron (1883, Collection privée) révèle la silhouette de la pyramide trônant au sommet de la Colline du Château, alors que les Docks du port sont en construction.

Un guide de Nice en anglais, préfacé en novembre 1883, signale que la pyramide de bois fait environ 6 m de hauteur. Contrairement aux guides ultérieurs, le monument est décrit en détail mais jugé peu digne du grand homme avec ses couronnes déjà usées par le soleil et la pluie, nourrissant de leur décomposition les herbes folles d’une parcelle entourée d’une grossière palissade en bois (English Guide to Nice and its environs, London, 1883 p 50).

Dans les journaux locaux, il faut attendre le deuxième anniversaire de la mort de Gambetta en 1885, pour trouver à nouveau mention de cet "immense trophée funèbre (qui) domine la ville", au dos du tombeau de Gambetta, décalé légèrement vers le sud, deux allées plus haut, au centre du rebord occidental du Plateau supérieur du cimetière (Le Petit Niçois du 1er janvier 1885, pp 1-2). 

A la fin de l'année 1887, la dégradation des couronnes est rappelée ainsi que le souhait d'un monument pérenne : 

"Vers le centre de la terrasse supérieure, se dresse une sorte de pyramide Égyptienne aux larges proportions. De simples voliges passées au noir de fumée y remplacent le granit des pharaons. Il est vrai que ce sapin n'est qu'un bois d'attente (monument provisoire)

Des couronnes jaunes, blanches, noires, en jais ou en immortelles, nues ou sous verre, revêtent les quatre faces de la pyramide, agrémentées de regrets assortis. Il y en a de toute provenance et de toute rhétorique : villes et sociétés, comités radicaux et lycées ont pareillement donné. Deux fourgons amenèrent de Paris ces funèbres palmes. Quelques auvents de fer blanc, construits à l'économie (absents des photographies conservées, postérieures) s'efforcent de protéger les plus précieuses ; mais le soleil et la tempête en ont déjà raison. Égrenés, fanés, montrant la corde avec la paille, ces pauvres trophées de la Mort meurent à leur tour. Les lambeaux de crêpe décoloré flottent au vent (...). 

Les anges de marbre qui pleurent sur les tombes voisines semblent prendre en pitié ce délaissement (...). La ville, les fleuves, la mer bleue et les monts violacés, est-il plus souhaitable horizon ? Elle voit tout cela, la noire pyramide, et de toutes parts elle est vue, sinistre, comme l'époque personnifiée dans celui qu'elle garde. Au-dessous d'elle, car elle ne fait que marquer la place où surgira le monument..." (Stéphen Liégeard, La Côte d'Azur, octobre 1887, pp 194-196).


- NEURDEIN FRERES, Nice, Vue générale prise du Mont Boron, ensemble et détail, entre 1884 et 1888,
tirage albuminé, 12x18, 5 cm, Collection privée.



L'une des images rapprochées les plus anciennes de cette pyramide semble cette plaque de verre colorisée pour lanterne magique qui fait partie d'une série de 25 vues, intitulée The French Riviera and Monte-Carlo ou The French Riviera and Monaco. Cette série qui est l'œuvre du photographe écossais George Washington Wilson (1823-1893) ou de ses fils n'est pas datée mais connue pour être postérieure à 1883 et antérieure à 1902. 

Si la ligne de montagnes qui apparaît sur la droite indique bien le nord-est, la pyramide est cependant encore positionnée au dos du tombeau de Gambetta et montre la montagne du fait qu'il n'y a alors aucune tombe ni monument sur le Plateau supérieur pouvant en boucher la vue (vue depuis le sud-ouest en direction du nord-est).
 
Le personnage qui pose du côté gauche, sur le rebord occidental du Plateau supérieur, est le photographe lui-même dont les traits nous sont connus par ses autoportraits peints. La photo est donc antérieure à sa mort en mars 1893. 

De plus, G.W. Wilson a rédigé un petit texte d'accompagnement à une série plus conséquente de 70 vues (The French Riviera and Monte-Carlo), publié en 1889 sous le titre, "Ten days in the French Riviera & Monaco". Il est donc fort probable que cette image colorisée soit issue d'un cliché de 1889.

La présence de la figure humaine permet de réaliser la hauteur des barrières qui entourent le monument (d'environ 1 m 70).  


- WILSON George Washington (1823-1893), Gambetta's Tomb, Cemetery, Nice, 1889,
"Registered G. W. W., Trade Mark",
Glass Magic Lantern Slide 24 D-25 from "The French Riviera and Monte Carlo".



L'image colorisée suivante montre le tombeau de Gambetta et la pyramide commémorative sous le titre, "Shrine to Léon Gambetta, photochrom print n° 1168", issue de la série, "Views of Architecture, monuments and other sites in France", datée entre 1890 et 1900. 

J'ai pu établir, en fonction des couronnes et des plaques du tombeau de Gambetta mais également des dates gravées sur les tombeaux voisins, que cette photographie ne pouvait qu'être antérieure à décembre 1890, date de l'inhumation du père de Gambetta dans la tombe et de la présence ostensible d'une couronne de la ville de Nice offerte en son hommage.


Shrine to Léon Gambetta, 1890,
photochrom print n° 1168 from Views of Architecture, monuments and other sites in France,
ensemble daté entre 1890 et 1900, Washington, Library of Congress, Prints and Photographs Division.
Cette même photographie en noir et blanc, a été éditée en carte postale par STAERCK Frères, à Paris
et sa date de circulation la plus ancienne, connue à ce jour, est 1904.



Beaucoup de visiteurs de l'époque ayant tendance à croire que le tombeau de Gambetta se trouve sous la pyramide, une haute pancarte est, vers 1890, positionnée à la tête de la tombe pour l'indiquer clairement. Elle restera en place jusqu'à la construction du nouveau tombeau.




LE DEUXIÈME EMPLACEMENT DE LA PYRAMIDE : AU CENTRE DU PLATEAU SUPÉRIEUR (c.1891-1909)



- Emplacements du Tombeau (vert) et de la Pyramide de Gambetta (rouge), repérés sur une partie du plan du Cimetière du Château, daté du 16 décembre 1964, Archives Municipales de la Ville de Nice.
Ces emplacements seront occupés de 1883 à 1909 pour le tombeau, et de 1891 à 1909 pour la pyramide.



La Pyramide, entourée de ses barrières d'origine, est ensuite déplacée au centre du Plateau Supérieur. Elle y est probablement installée vers 1891, à une date où l'ensemble du Plateau supérieur est réaménagé et les tombes anciennes supprimées. Aucune des tombes actuelles du Plateau Gambetta n'est en effet antérieure à 1895 (plan des concessions du 11 avril 1896).

Des vues stéréoscopiques rapprochées de la Pyramide à son nouvel emplacement ont été diffusées par Underwood & Underwood dès 1892.


- UNDERWOOD & UNDERWOOD (Elmer Underwood , 1859-1947 & Bert Elias Underwood, 1862-1943), 
Tomb of Gambetta, Cemetery at Nice, France, détail, 1892,
vue sud-ouest/nord-est, vues stéréoscopiques, 
Washington, Library of Congress, Prints and Photographs Division.


Deux photographies de Jean Gi(l)letta témoignent également du nouvel emplacement de la Pyramide. Elles ont été prises d'un point de vue surélevé vers 1891-1892. 


- GILLETTA Jean (1866-1933), carte cabinet, La Pyramide de Gambetta, vers 1891-1892,
vue sud-nord, Collection personnelle.
Le rectangle de barrières qui encadre la pyramide est constituée de 4 éléments sur ses petits côtés et de sept sur ses grands ; ses grands côtés sont par contre positionnés désormais au sud et au nord.
Une carte Cabinet identique porte au verso la date manuscrite du "jeudi 10 février 1898". 


- GILLETTA Jean (1866-1933), N° 429, La Pyramide de Gambetta, vers 1891-1892,
vue sud-nord, photographie non datée,
Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole.
Le rectangle de barrières qui encadre la pyramide est encore constitué de 4 éléments sur ses petits côtés et de sept sur ses grands ;
ses grands côtés sont par contre positionnés désormais au sud et au nord.
La photo montre dans le lointain (sur la gauche de l'image), un grand bâtiment, le Couvent des Ursulines (1878),
 qui cédera la place en 1906 à l'Hôtel de l'Hermitage.


- GILLETTA Jean (1866-1933), N° 429, La Pyramide de Gambetta, détail, vers 1891-1892,
vue sud-nord, photographie non datée, détail des couronnes du sommet de la Pyramide,
Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole.
On peut lire notamment, "Au Grand Patriote - Les Républicains - De La Commune de La Chambre - Savoie", "Les Conseilliers (sic) Municipaux - De Troyes -- A Gambetta", "Les Etudiants de Montpellier - A Gambetta", "Les Républicains de Vizille - Au Grand Patriote - Gambetta", "La Loge Maçonnique de Sedan - Gambetta", "Les Employés de la Mairie du XX Arrondissement - A Léon Gambetta", "Au Patriote Gambetta - Les Habitants de Provins", "Au Patriote - Syndicat des Débitants de Boissons - Reims", "De Givet - A Gambetta", "A Gambetta", "Souvenir".



La pyramide se voit entourée par de nouvelles barrières fin 1892 ou début 1893. 


- DELARUE Joseph Jules (1839-1925), Nice. Tombeau de Gambetta, février 1893,
photographie extraite de l'album, Nice & Ses Environs,
© S. Rigollot-Image'Est (FI-0892-0310) (voir, ici).
Noter, dans le titre, la confusion entre le Tombeau de Gambetta (situé allée du Brûloir) et la Pyramide de Gambetta, située sur le plateau Supérieur.


- NEURDEIN FRÈRES, Nice et la Baie des Anges - Vue prise du Mont Boron, vers 1894,
image tirée de l'album de 12 photographies, Panoramas de la Côte d'Azur, Paris, BnF (voir sur Gallica).


- NEURDEIN Etienne (1832-1918) et Louis-Antonin (1846-1914), Editeurs/Imprimeurs,
 459, Nice, La Pyramide Gambetta,
vue sud-ouest/nord-ouest, carte postale colorisée non circulée, postérieure à 1904 
mais la prise de vue date du milieu ou de la fin des années 1890.
La marque ND a perduré de 1885 à 1913, Collection personnelle.
L'original de cette photographie est l'un des clichés de l'album Riviera conservé 
aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes sous la cote : 10FI 5238/12 (tirage de 19,5x26,5 cm), 
attribué à Rabbe & Tommasi mais dont l'auteur est en fait Jean Giletta. 
Comparer notamment les barrières entourant la Pyramide avec celles visibles 
sur l’une des vues précédentes intitulée, Shrine to Léon Gambetta (vers 1890).
La date la plus ancienne connue à ce jour de circulation de cette carte postale est août 1903.


- NEURDEIN Etienne (1832-1918) et Louis-Antonin (1846-1914), Editeurs/Imprimeurs, 
carte postale, 438, Le Tombeau de Gambetta, vers 1895-1900,
vue ouest-est, 
carte postale écrite, timbrée et datée au revers, du 25 octobre 1904,
la marque ND a perduré de 1885 à 1913, Collection personnelle.
Repérer notamment le recul de la Pyramide par rapport au Tombeau en comparant
 avec l’une des vues précédentes intitulée, Shrine to Léon Gambetta (vers 1890).
D'autres éléments sont à noter : la présence en tête de tombe de la pancarte indicative, la présence de la couronne offerte par la Ville lors de l'inhumation du père de Gambetta, la disparition d'une plaque de marbre au pied du tombeau de Gambetta (signalée présente en 1887 et 1889 mais signalée disparue en 1898), la présence d'une porte vitrée à la tombe voisine.


- Photographie d'amateur, Nice, La Pyramide de Gambetta, vers 1895-1900,
vue sud-est/nord-ouest,
tirage de 3,7x4,8 cm monté sur support et cadre Pocket Kodak de 7,3x8,5 cm,
Collection personnelle.
Cette photographie ne peut qu'être postérieure à juillet 1895, date de la première sortie de l'appareil Pocket Kodak (1895-1900) et antérieure à la suppression de la Pyramide au début de l'année 1909.


- POIDEVIN Fernand (1868-1919), Nice, Monument de Gambetta, détail, 1899,
vue sud-est/nord-ouest, vues stéréoscopiques sur plaque de verre positive de 11x4,5 cm,
Archives Départementales de la Somme, Fonds Poidevin, cote 29FI732, ici).



Ces vues montrent des tombes placées uniquement à la périphérie du Plateau, le centre étant dépourvu de toute occupation (espaces d'herbe et allées de gravier), en dehors de la Pyramide. Les concessions ne commenceront, en effet, à entourer la Pyramide de Gambetta qu'à partir de l'année 1900, le centre du Plateau supérieur devenant l'un des lieux les plus convoités d'inhumation, grâce à cette proximité prestigieuse.

Au début de l'année 1901, en prévision de la 27e fête fédérale de gymnastique et de la venue du Président de la République Emile Loubet à Nice, de gros aménagements du Cimetière du Château sont réalisés afin de permettre le déroulement de deux cérémonies successives d'hommage à Gambetta et d'accueillir les cortèges.

Un nouvel emplacement de la Pyramide semble nous être révélé par le tableau, peint par Octave Guillonnet (1872-1967), qui relate la cérémonie des Sociétés de gymnastique du lundi 8 avril après-midi. Le peintre, dépêché sur place pour faire des croquis et probablement des photos, a choisi un point de vue élevé (escabeau ?) afin de dominer la foule. Alors que les tombes sont représentées avec fidélité, l'emplacement de la Pyramide de ce tableau (exposé au Salon de 1905) est cependant une invention du peintre.


 - Reproduction par NEURDEIN Frères (éditeurs) du tableau d'Octave GUILLONNET (1872-1967),
 carte postale, 980 Gr., Salon de 1905, La Jeunesse de France au tombeau de Gambetta, 1901, 
tableau exposé au Salon de 1905 et représentant la cérémonie d'hommage du 8 avril à Gambetta, 
organisée par l'Union des Sociétés de Gymnastique de France à Nice (du 6 au 9 avril 1901).
Une reproduction dessinée (1906) puis gravée (1908 et 1913) de ce tableau sera exécutée par François-Xavier Lesueur.


POUR TOUR SAVOIR SUR OCTAVE GUILLONNET ET L'HISTOIRE DE CE TABLEAU VOIR
LE SITE DE MONSIEUR HERVÉ DUBOIS


 - Reproduction par NEURDEIN Frères (éditeurs) du tableau d'Octave GUILLONNET (1872-1967), La Jeunesse de France au tombeau de Gambetta, 1901,
détail montrant le 8 avril 1901 l'emplacement de la Pyramide de Gambetta, Collection personnelle.
On aperçoit, en haut du tableau, la silhouette de l'extrémité de la Pyramide de Gambetta, et plus à droite, la Chapelle T. et plusieurs autres monuments funéraires datés entre 1900 et début 1901 et qui existent toujours.
Si l'on se fie à ce tableau, qui ne fut présenté qu'au Salon de 1905, la pyramide semble avoir été positionnée à l'angle de l'actuelle allée Défly (à l'arrière de la tombe) et de l'Allée Pacôme (allée perpendiculaire), dans un espace très étroit pour la recevoir.
Je n'ai pas réussi à avoir, sur place, une vue actuelle semblable mais il est vrai que la configuration des lieux a été en partie modifiée et que je n'ai pu accéder à un point de vue aussi surélevé. Il me reste cependant un fort doute sur certains aspects de cette vision peinte, l'artiste ayant d'ailleurs supprimé la chapelle voisine de la tombe de Gambetta (notamment présente sur les photographies du lendemain) pour mettre cette dernière en valeur.
Il est possible que l'artiste ait souhaité intégrer la pyramide commémorative dans son tableau alors qu'elle n'était pas visible de l'allée du tombeau. Octave Guillonnet n'a exposé sa peinture (2,60x4 m) qu'au Salon de 1905, quatre ans plus tard. Il a pu, dans ce même temps, vouloir montrer le nouvel emplacement choisi pour la pyramide par la municipalité, vers 1902-1903. Si c'est le cas, il aurait dû positionner la pyramide à droite et non à gauche de la grande chapelle (Chapelle T., 1899-1900) mais il est vrai que cela l'aurait rendue encore moins visible.



Je ne connais qu'une seule photo (ci-dessous) du même jour de la 27e fête fédérale de gymnastique montrant la pyramide, publiée dans Le Monde illustré du samedi suivant (13 avril 1901 p 278) mais cette dernière ne laisse entrevoir aucun monument autour qui puisse permettre de déterminer son emplacement. 


- BOUËT Léon (1857-1911), photographe, Nice, Les couronnes au monument de Gambetta, le 8 avril 1901,
image publiée dans "Le Monde Illustré" n° 2298 du 13 avril 1901 p 278 (Collection personnelle),
avec probablement M. Cazot, président de l'Association gambettiste de Paris, et M. Cazalet, président de l'Union des Sociétés de Gymnastique posant devant le monument.



La photo fait se détacher le monument sur le ciel et présente les deux principaux organisateurs de la cérémonie. Deux éléments sont cependant à noter : la pyramide est entourée de barrières basses et une fontaine semble marquer le centre de la face visible.

La pyramide ne peut pas être à l'emplacement indiqué du tableau d'Octave Guillonnet car ce dernier est étroit et bordé de tombes. La photo d'avril 1901 montre au contraire un emplacement dégagé, trois ou quatre concessions seulement ayant été acquises au centre du Plateau à cette date. 

La présence de la fontaine permet, pour sa part, de connaître le positionnement de la pyramide car cette fontaine est présente sur plusieurs photos postérieures dans l'axe central du Plateau Supérieur, côté est. 

La photo ci-dessus est donc une vue ouest-est du centre du Plateau mais on peut constater que la pyramide ne présente plus la même face qu'au dos du tombeau de Gambetta (empilement des couronnes différent). La pyramide a été pivotée d'un demi-tour et c'est l'ancienne face tournée à l'est qui fait désormais face à l'ouest. Il est possible que ce pivotement ait été volontaire pour exposer aux visiteurs des couronnes en meilleur état. De plus, les barrières entourant la Pyramide ont été fortement raccourcies, probablement du fait qu'elles étaient abimées à leur base.

Quelques photographies des premières années du XX° siècle témoignent de cet état des lieux.


Nice, Cimetière du Château, le Plateau Supérieur avec la Pyramide de Gambetta
détail, vers 1898-1903,
plaque verre stéréoscopique négative, vues prises depuis l'angle nord-est
 de la partie centrale du Plateau supérieur, Collection personnelle.



Une vue contemporaine est conservée dans la dernière demeure de Gambetta, la Maison des Jardies de Sèvres (ici).

Deux dessins montrent également la Pyramide, l'un publié en novembre 1902, l'autre en janvier 1903. 

Le premier offre, pour une fois, une vue panoramique du nord vers le sud et dévoile la configuration de l'époque d'une partie du Plateau d'entrée et du Plateau supérieur, avec le détail de leurs monuments. A l'occasion de la Fête des Morts de 1902, Le Petit Niçois publie le dessin ci-dessous (sans légende) accompagné du texte suivant : "Voici d'abord la pyramide élevée à la mémoire de Léon Gambetta et la tombe où reposent les restes mortels du grand patriote. Hélas ! si la tombe est pieusement entretenue, il n'en est pas de même du monument qui est dans un état de délabrement regrettable" (Le Petit Niçois du 2 novembre 1902 page 2).



- Journal "Le Petit Niçois", Plateau d'entrée du Cimetière du Château dominé par la Pyramide de Gambetta, novembre 1902 (vue nord-sud),
illustration parue dans Le Petit Niçois du 2 novembre 1902 page 2.



Le second dessin transforme partiellement le paysage et allonge notablement la silhouette de la pyramide. Exécuté le 1er janvier 1903, il montre cependant les nouvelles couronnes de fleurs accrochées aux barrières qui ont été probablement déposées à l'occasion du vingtième anniversaire de la mort de Gambetta. 

Voici le texte qui accompagne ce dessin : "Aujourd'hui 1er janvier (1903), c'est l'anniversaire de la mort du grand orateur, survenue en 1883 (...). A quelques mètres de là (de sa tombe), au centre du cimetière, s'élève une grande pyramide en bois sur laquelle sont attachées les innombrables couronnes que toutes les sociétés républicaines, les loges maçonniques, les sociétés de secours mutuel, la Ligue française de l'Enseignement, etc., se sont empressées d'offrir à l'ardent patriote que fut Léon Gambetta, à celui qui ne désespéra jamais de la République, quand beaucoup avaient perdu tout espoir" (Après l'Ecolerevue illustrée d'enseignement populaire du 20 janvier 1903 p 196).


- FILLOL Léon-Louis (?-?), La Pyramide de Gambetta, Revue "Après l'Ecole", janvier 1903,
vue (sud-ouest/nord-est) colorisée sur papier calque pour projection lumineuse,
dessin exécuté le 1er janvier 1903 (vingtième anniversaire de la mort de Léon Gambetta, d'où les nouvelles couronnes suspendues aux barrières) et publié le 20 janvier 1903 dans, "Après l'Ecole" (revue illustrée d'enseignement populaire, pp 193-196, fig. 15a),
Nice, Bibliothèque du Chevalier de Cessole.


- FILLOL Léon-Louis (?-?), Fig. 15. - Le tombeau de Gambetta au cimetière de Nice, 1903,
 vues pelliculaires pour projections lumineuses colorées et vernies,
extraites d'une série de 24 vues sur la Côte d'Azur, éditée après 1903 par la Librairie Cornely (Paris),
dans le cadre de la revue pédagogique, "Après L'Ecole" (créée en 1895), Collection personnelle.
Le dessinateur, illustrateur, lithographe parisien, Léon-Louis Fillol est né à Marseille et a été actif des années 1880 aux années 1910.



Vers 1903-1904, la Pyramide de Gambetta est à nouveau attestée en arrière de la fontaine, avec ses nouvelles barrières basses au tracé déformé (environ 0, 70 m de hauteur). Son emplacement exact peut être déterminé du fait de la présence des tombes environnantes. 


- Anonyme, photographie stéréo, Nice, Mausolée de Gambetta, ensemble et détail, vers 1903-1904,
tirages albuminés sur carton, 8,8x17,2 cm, Collection privée de M. Denis Raquin Chenillet.
Les photos stéréoscopiques ci-dessus sacrifient à la mode qui a duré d'environ 1850 à 1950, en montrant deux vues prises avec un appareil à double objectif. Ces photos, regardées avec un stéréoscope, recréaient la vision oculaire en relief. 
Ces vues de la pyramide révèlent en arrière-plan, sur la droite, la Chapelle des Familles P.-B.-C. érigée au plus tôt en 1903, sur une concession acquise en septembre 1902. Les tombes visibles sur la gauche datent, pour leur part, des années 1899-1900. Les caractéristiques de la carte stéréoscopique, et en particulier, la façon d'écrire et de positionner le titre, permettent d'attribuer ces clichés au photographe Eugène Hanau (?-?), actif des années 1870 à 1915. Ce dernier accompagne souvent ses cartes stéréoscopiques d'un encadrement portant les mentions "Edition E.H. Paris - Collection Universelle" (avec parfois au verso, "Photographies Stéréoscopiques De Tous Pays - Eugène Hanau - Faubourg Saint-Martin 35 Paris"). D'autres vues stéréoscopiques de Nice du même auteur ont été conservées et un grand nombre d'entre elles date vers 1903-1904. 



La carte postale ci-dessous (possédée en trois exemplaires postés en 1908 et 1909) offre une vue inverse à la précédente (sud-est/nord-ouest). La photo date probablement de fin 1906-début 1907 avec, à droite, une tombe recouverte de couronnes (concession acquise en février 1904) encore dépourvue de monument. A l'horizon, se détache d'ailleurs le grand bâtiment de l'Hôtel Hermitage qui dès 1906 a succédé au Couvent des Ursulines rencontré sur les photographies précédentes.


- Cimetière du Château (Plateau supérieur, allée interne, côté ouest) : 
Nice - La Pyramide Gambetta, vers 1906-1907,
vue sud-nord (Collection personnelle).
A l'extrême gauche de l'image, on aperçoit la pancarte qui indique l'emplacement du Tombeau de Gambetta.



La carte postale suivante (postée en mars 1907) montre une vue, restreinte du fait du format vertical, et prise légèrement plus à l'ouest. Elle peut dater, au plus tard, du tout début de l'année 1907.


- FOUCACHON éditeur, Puget-Théniers : carte postale colorisée, Nice - La Pyramide Gambetta, vers 1907,
vue sud-nord, carte postale écrite, timbrée et datée du 29 mars 1907,



La carte postale ci-dessous révèle une vue d'ensemble du Plateau supérieur (du sud vers le nord). Elle montre au fond deux monuments qui datent au plus tôt de 1904, une chapelle néo-byzantine érigée sur une concession acquise début 1904 et une stèle couronnée d'une urne drapée érigée sur une concession acquise en février 1904

La carte montre également, au premier plan sur la droite, une tombe recouverte de fleurs dont la concession date de novembre 1904 et qui ne recevra un monument qu'au cours de l'année 1907. La prise de vue peut donc être datée entre 1905 et 1907.



- CAMOUS Éditeur, Nice, Le Cimetière et la Pyramide de Gambetta, vers 1905-1907
 carte écrite au verso, en 1909 (?), Collection personnelle.
Au nord, la dalle recouverte de fleurs de la Tombe Alfred L., visible sur l'avant-dernière carte postale,
 a cédé la place à un monument couronné d'une urne drapée.



Enfin, l'image suivante est publiée en page une du journal Le Petit Niçois du 2 novembre 1907. C'est la dernière image connue de la pyramide à cet emplacement. La photographie montre essentiellement la face ouest entourée de barrières basses, en arrière de la fontaine. La légende de l'image indique à tort, "Tombeau de Gambetta" mais le texte de l'article l'appelle, "Monument de Gambetta".


- Journal "Le Petit Niçois" du 2 novembre 1907 p 1.
Documents numérisés et en ligne du Conseil Général des Alpes-Maritimes 
(Archives Départementales).



Il est à noter qu'il existe cependant un article du Petit Parisien du 21 avril 1908 mais la photo publiée est une photo plus ancienne (fin des années 1890), comme le prouvent les barrières hautes.


- Journal "Le Petit Parisien" du 21 avril 1908 p 2.




LA DESTRUCTION DE LA PYRAMIDE ET SON REMPLACEMENT PAR LE NOUVEAU TOMBEAU DE GAMBETTA DÉBUT 1909


- Emplacement du nouveau Tombeau (vert) de Gambetta, repéré sur une partie du plan du Cimetière du Château,
 daté du 16 décembre 1964, Archives Municipales de la Ville de Nice.
Cet emplacement est occupé de début 1909 à nos jours. 


En 1893, lors d'une visite d'hommage au grand homme (dixième anniversaire de sa mort), le député Albert Tournier espère, en gravissant la colline, que l'emplacement choisi pour la tombe de Léon Gambetta soit celui d'une "aire d'aigle que, le soir, les nuages (doivent) effleurer de leur blancheur humide". "Au-dessus de cette tombe humble et timide, écrit-il, s'étend un large espace vide dominant le champ de repos. Les nombreuses couronnes des funérailles, aux rubans fanés sous la ruisselée des pluies septembrales, aux perles égrenées, aux fleurs desséchées et pourries sont disposées sur les cotés d'une haute pyramide quadrangulaire. Cette pyramide pourrait disparaître et faire place à un monument aussi simple qu'on le voudra mais non étranglé par les promiscuités posthumes, et vraiment digne de recevoir les cendres du grand citoyen".

L'auteur fait donc le souhait public du transfert du tombeau, en lieu et place de la pyramide, "sur le monticule que dorent les premiers feux de l'aurore, sur qui le soleil, en se retirant vers l'Estérel, décoche ses dernières flèches et où le grand disparu pourra dormir tranquille sur les rêves de l'infini" (Albert Tournier, homme de lettres et député, dans, Gambetta, Souvenirs anecdotiques, Paris, Librairie Marpon et Flammarion, 1893, pp 325-332).

Le souhait de voir le tombeau déplacé à un endroit plus dégagé n'est exaucé par le Maire de Nice, Honoré Sauvan, que 16 ans plus tard, et c'est bien sur le Plateau supérieur (au centre de l'actuel Plateau Gambetta), en remplacement de la pyramide de bois, qu'est érigé, début 1909, le monument actuel.

La destruction de la pyramide a lieu assez tardivement, au premier trimestre 1909, probablement au mois de mars. Le nouveau tombeau ne prend d'ailleurs pas exactement la place de l'ancienne pyramide car il est installé, cette fois, en avant de la fontaine.

"L'emplacement ancien, submergé par l'assaut continuel des tombes, écrit Pierre-Barthélémy Gheusi en 1909, disparaissait presque parmi les monuments nouveaux ; la ville a décidé le transfert de la sépulture, telle qu'elle fut construite par Gambetta, sur le terre-plein où l'on avait, en 1883, érigé la pyramide en planches qui disparut littéralement sous l'amoncellement des fleurs et des couronnes envoyées à Nice des quatre coins du monde. De là, entre le ciel ligure, presque toujours pur et profond, et la mer incomparable, au centre d'une région encadrée par les glaciers étincelants des Alpes et le seuil mobile de l'Orient des aventures et des légendes, les pèlerins émus du Tombeau (de Gambetta) verront resplendir à leurs pieds (...) le pays délicieux qui fut la dernière conquête de la France territoriale" (Pierre-Barthélémy Gheusi, parent et biographe de Gambetta, dans, Gambetta par Gambetta, Lettres intimes et souvenirs de famille, Paris, Société d'Editions Littéraires et Artistiques, 1909, pp 404-405).

Pendant quelques décennies, le souvenir de la pyramide va perdurer, maintenu par les photographies et les cartes postales qui vont continuer à circuler et permettre, aujourd'hui encore, d'en retracer l'histoire.




VOIR ÉGALEMENT