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mardi 26 janvier 2016

442-LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU DE LA VILLE DE NICE-PROJET PÉDAGOGIQUE-17





 - AURILI Riccardo (1864-1943), Tête du Christ, date inconnue (vers 1904-1914 ?),
bronze, Anvers, église Saint-Antoine de Padoue.
C'est encore un exemple de ces épreuves d'édition tirées en différentes matières et dimensions
 (galvanoplastie sur terre cuite notamment ; hauteur de 43 ou 55 cm).
Le Christ est représenté en buste, la tête levée, couronnée d'épines mais il existe une oeuvre semblable, tête baissée.



Reconstituer la vie et l'oeuvre d'un artiste est une tâche enthousiasmante. On échafaude des hypothèses ; ces hypothèses deviennent des certitudes ; ces certitudes deviennent des erreurs et ces erreurs s'effondrent enfin à la découverte d'un nouveau document.

Il y a trois mois, je ne connaissais pas l'existence du sculpteur Riccardo Aurili mais je connaissais l'une de ses œuvres au Cimetière du Château de la ville de Nice. C'est un vrai coup de cœur pour ces trois figures féminines sculptées sur la Tombe de Georgette F. qui a déclenché cette recherche. Ces trois figures allégoriques et réalistes à la fois, marquées par un long héritage symbolique et par l'époque de leur conception, constituent trois témoignages remarquables d'une formation traditionnelle au métier de sculpteur.

Je résume ci-dessous ce que je pense savoir de la carrière de Riccardo Aurili :

 - 1864 : naissance de Riccardo Aurili, en Italie, à Bibbona (Toscane, à près de 70 kms de Pise), fils de Lorenzo Aurili et de Rosa Pasciatini.
- fin des années 1870-début des années 1880 : formation de sculpteur à l'Académie des Beaux-Arts de Florence.
- vers 1884 : départ pour Bruxelles où il travaille pour la firme Carli Frères.
- vers 1889 : mariage avec Elisa Charlotte van Humbeeck, rencontrée à Bruxelles, puis installation à Paris.
- 1890-1904 : naissance de ses quatre enfants, Aurelio (1890-1915), Natalia (1891-1973), Atala (1893-1987), Brunetta (1894-1965), et expositions de ses œuvres à de nombreux Salons parisiens ; vers 1904/1905, il emmène toute sa famille à Florence.
- vers 1904/1905-1915 : vie à Florence avec sa famille et fonction de professeur à l'Académie où il a été élève ; en 1915, départ pour Nice, la même année que la mort à la guerre, de son fils Aurelio.
- 1915-1932/1933 : vie à Nice où il tient une boutique de bibelots et continue son métier de sculpteur-statuaire.
- vers 1932/1933-après 1935 : vie à Villeneuve-Loubet où il continue ses deux activités.
- après 1935-1943 : vie à Antibes et décès du sculpteur, le 21 août 1943, à près de 79 ans.


 - AURILI Riccardo (1864-1943), Atala, date (?),
épreuve en régule, inscrite sur le côté du drapé et titrée sur la base, H : 35,5 cm, vente aux enchères, Drouot, 2008.
Il existe de nombreuses épreuves d'édition de ce buste, de différentes dimensions.
Riccardo affectionne ce prénom, au point de le donner à l'une de ses filles. Atala est le prénom de l'héroïne indienne 
du roman éponyme de Chateaubriand, publié en 1801.



La découverte récente d'un article de journal du 16 avril 1916 concernant le fils de Riccardo, Aurelio Aurili, mort au Champ d'Honneur, remet cependant tout en question. On y apprend les choses suivantes :

- Aurelio, suivant les traces de son père, accomplissait en 1914 des études artistiques dans une Ecole d'Art de Bruxelles quand le pays a subi l'invasion allemande ; sa famille a alors quitté la Belgique et est partie s'installer dans la région natale de Riccardo, dans la région de Pise mais à Volterra, cette fois.

- A l'entrée en guerre de l'Italie (mai 1915), Aurelio s'est engagé dans l'armée ; plusieurs mois plus tard, il a été grièvement blessé au combat et il est décédé le 30 mars 1916 (et non 1915, comme je le croyais).



- Article de journal du 16 avril 1914, relatant la mort, au Champ d'Honneur, d'Aurelio Aurili.
Document provenant du site : Documenti et Immagini della Grande Guerra : 14-18.it/


Ces assertions obligent à reconsidérer l'ensemble de la carrière de Riccardo. En dehors de sa date de naissance, de ses études d'art à Florence, de son mariage et de rares œuvres datées, rien de sa carrière n'est sûr. Si la famille vit à Bruxelles en 1914, cela peut vouloir dire que :

- Riccardo n'a pas été travailler à Bruxelles dans les années 1880 et qu'il n'a pas rencontré sa future femme là-bas mais qu'il a peut-être quitté Florence directement pour Paris au début des années 1880 (avant 1884), afin d'y compléter sa formation de sculpteur à l'Ecole des Beaux-Arts, où il aurait été notamment l'élève d'Auguste Dumont (1801-1884) avant d'exposer par la suite au Salon des Artistes Français dans les années 1890-1904.
Riccardo a peut-être rencontré Elisa Charlotte van Humbeeck à Paris et s'est marié dans cette ville. Il a peut-être quitté Paris, vers 1904/1905, pour s'installer à Bruxelles (ville de la famille de son épouse) et y est resté jusqu'à l'invasion allemande de l'été 1914.

C'est seulement à cette période-là que Riccardo a travaillé pour la firme Carli Frères (46-48, rue l'Olivier, à Shaerbeck). Suite à quelques recherches, cette firme bruxelloise des frères Carli, Auguste (1868-1930) et François (1872-1957), filiale de leur atelier marseillais, n'a pas été créée avant le tournant du XX° siècle (attestée en 1902 avec le mouleur Gustave van Vaerenbergh, 1873-1927) et n'a de toutes façons pas pu collaborer avec Riccardo Aurili avant cette date.

Je comprends mieux désormais pourquoi les historiens dataient la mort de Riccardo Aurili de 1914 : c'est parce que jusqu'à cette date, ils avaient pu suivre sa carrière mais qu'ensuite, Riccardo ayant disparu avec la guerre, ils en avaient déduit qu'il était mort, d'autant que tous pensaient qu'il était né à une date bien antérieure à la réalité et le considéraient très âgé en 1914.

- Riccardo n'a peut-être jamais enseigné à l'Académie des Beaux-Arts de Florence. 
Son titre de "professeur" spécifié dans l'article relatant l'inauguration du Monument au cycliste Luigi Fiaschi en novembre 1914, est peut-être dû à ce métier exercé à Bruxelles (à partir de quelle date ? dans l'école où son fils a suivi des études ?) ; en tout cas, sur le monument évoqué, réalisé en 1914, l'artiste ne précède pas sa signature du terme de "professeur" mais signe, "R.Aurili scultore".


- AURILI Riccardo (1864-1943), Monument funéraire de Luigi Fiaschi (1888-1914), détail de la signature sur le relief en bronze, 1914,
Firenze, Cimitero delle Porte Sante,
marbre et bronze, H : 2,50 m, un buste en marbre du cycliste domine une stèle de pierre timbrée d'un bas-relief en bronze de 150x77 cm,
 représentant une jeune femme offrant des roses en souvenir du défunt.
Photographie : beniculturali.it/


- Si, dans les annuaires niçois de 1915 à 1932, Riccardo ne fait précéder son nom de l'abréviation, "prof.", qu'à partir de l'année 1926, il signe cependant avec cette mention des oeuvres de la même période, le Tombeau Georgette F. du Cimetière du Château de Nice vers 1918-1925, le Buste de Femme de "Février 1923" et la Tombe J.M. non datée du Cimetière de Digne.

N.B. : J'ai trouvé quelques jours après avoir rédigé cet article, une oeuvre en vente sur Internet, numérotée, marquée "Made in Belgium" et signée "Prof. Aurili" qui semble prouver que Riccardo Aurili, lors de son séjour en Belgique (vers 1904/1905-1914), signe déjà de son nom précédé de la mention de "professeur", ce qui renforce l'hypothèse concernant son emploi d'enseignant à Bruxelles.






- AURILI Riccardo (1864-1943), Adonis (?), vers 1904/05-1914,
plâtre patiné, 46x16x18 cm sur socle de marbre poli de 12,5x12,5x14 cm. 



- Son titre de "professeur de l'Académie des Beaux-Arts de Florence", cité dans le dossier de 1935 du Monument au roi Albert 1er érigé à Antibes, ne fait peut-être référence qu'au titre d'Académicien honoraire qui lui a été décerné en mai 1919. D'ailleurs, son implication dans ce dernier monument s'explique d'autant plus par les événements que Riccardo a vécus pendant la guerre et ces derniers éclairent son attachement au roi, bien au-delà de la seule nationalité de son épouse (et de ses enfants ?). 

- Riccardo n'a peut-être jamais eu d'adresse fixe en Italie depuis son départ des années 1880, ce que semble prouver son installation à Volterra en 1914 et 1915 lorsqu'il a fui la Belgique. Il a cependant gardé des liens permanents avec sa famille et sa région natale et y est revenu régulièrement pour les vacances. 
Son périple en vélo de l'été 1895, reliant Florence-Paris par la Suisse avec le français Vallot confirme cette hypothèse. 
La réalisation du Monument à Luigi Fiaschi pour le Cimetière des "Porte Sante" de Florence en 1914, a eu lieu, pour sa part, pendant la période où le sculpteur a résidé à Volterra.

- Riccardo n'est pas venu à Nice en 1915, suite à la mort de son fils (tué en 1916) mais probablement suite à l'entrée en guerre de l'Italie, en mai 1915. Il a rejoint dans cette ville, son frère ou parent, Ernest(o) Aurili.

- Il est probable, que Riccardo ait exposé à Florence (et même ailleurs en Italie) et mené une double carrière parallèle entre l'étranger (Paris, Bruxelles, Nice) et la région de Florence (portraits, monuments funéraires, Monuments aux morts de la Guerre). 
Cette dernière hypothèse m'a permis de découvrir à Pieve Santo-Stefano (Toscane, près d'Arezzo, à 65 kms au sud-est de Florence), le Monumento ai Caduti della Grande Guerra, réalisé pendant la période niçoise de RiccardoCe monument a été érigé en 1925 sur la place Santo-Stefano et a ensuite déplacé en 1958 dans les jardins du Ponte Nuovo (cf. Pieve Santo Stefano : storia della città). On peut s'interroger sur la figure du soldat représenté et se demander si elle n'est pas un hommage personnel du sculpteur à son fils Aurelio (hommage ou portrait).


Un voyage sur place (avril 2016) a permis de constater que cette sculpture n'a pas été réalisée par Riccardo Aurili mais par l'Atelier d'Antonio Frilli.
- AURILI Riccardo (1864-1943), Monumento ai Cadudi della Grande Guerra, 1925,
Pieve Santo Stefano, Jardins du Pont-Neuf.
Le monument de marbre est érigé en 1925 sur la grand place et inauguré le 3 septembre de la même année ; il n'a été positionné à l'endroit actuel qu'en 1958. Il représente un soldat en habits, saisi en mouvement, au combat, incliné et pointant vers l'avant, comme dans un corps à corps, sa baïonnette au canon. Il a été reproché à cette sculpture, la présence d'un casque plus proche de l'armée britannique que de l'armée italienne.
Photographie : Monumenti della Guerra. Le site présente par erreur cette sculpture comme une oeuvre d'Antonio Frilli, probablement du fait de la mauvaise lecture de la signature.


Bien des questions restent encore sans réponse. Les œuvres réalisées pour la Toscane ont-elles été sculptées à l'étranger ou bien réalisées sur place pendant ses vacances d'été ? Bénéficiait-il d'un atelier dans la maison familiale ou partageait-il l'atelier de Raffaëllo Romanelli à Florence ? L'oeuvre signée par ces deux artistes "professeurs", Femme nue se séchant, assise sur une jardinière, ne peut donc pas dater de la période où Riccardo était potentiellement professeur à l'Académie de Florence et demeure difficile à positionner dans le temps, même si elle reste forcément postérieure à 1904.