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jeudi 20 octobre 2022

1267-LOUIS CRETTE ET CHARLES NÈGRE, "NICE, JARDIN PUBLIC"


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS 


- CRETTE Louis (c.1824-1872), Nice - Paillon, le Jardin public, vue non datée,
Carte de visite de 6,7x10,4 cm, Collection personnelle.





DERNIÈRE MODIFICATION DE CET ARTICLE : 17/06/2023




LOUIS CRETTE, "NICE, JARDIN PUBLIC"


Présentation

Cette vue du Jardin public, du Pont-Neuf et des quais du Paillon a été prise par Louis Crette (c.1824-1872) dont la présence à Nice est attestée de 1854 à 1865.

Le tirage albuminé est collé sur un carton de 6,7x10,4 cm, portant au verso les mentions : "L. Crette - Photographe de L.M. - L'Empereur Napoleon III - Et - Le Roi Victor Emmanuel II".

Louis Crette est "Photographe de S.M. le Roi Victor Emmanuel" au plus tard en janvier 1858 et "Photographe de LL. M.M. L'Empereur des Français et Le Roi de Sardaigne" dès septembre 1860. Il devient "Photographe de LL. M.M. - L'Empereur Des Français - Et - le Roi d'Italie" à partir d'avril 1861.

Le verso de la vue étudiée semble donc impliquer un tirage postérieur à octobre 1860. La prise de vue est-elle cependant contemporaine ou antérieure à cette date ?


Ètat des lieux

La vue sud-ouest/nord-est, prise en hauteur depuis un étage des bâtiments qui bordent le côté occidental du Jardin public, montre au tout premier plan l'étendue de ce jardin.

Créé entre décembre 1851 et avril 1852 sur un terrain situé sur la rive droite du Paillon, près de son embouchure, le Jardin des Plantes a adopté un plan circulaire avec une fontaine centrale et des allées rayonnantes bordées de bancs de pierre.

Le Jardin a continué d'être aménagé dans les années suivantes et a reçu de nouvelles plantations (voir une aquarelle d'Urbain Garin de Cocconato (1813-1877) de 1853, sur le site de l'Académia Nissarda, ici; et une photographie anonyme sur le site des Archives Départementales des Alpes-Maritimes, vers 1855, cote 01NUM 0008/GLT00246). 

En 1854, le Jardin a été agrandi vers le sud, sur un plan désormais triangulaire, avec des allées bordées de treillages conduisant à la fontaine maintenue à son emplacement originel. 

Dans son ouvrage Nice, édité en janvier 1857, Auguste Burnel donne une longue description du Jardin :

"Ce jardin lui-même qui ne date que de cinq ans à peine, voit croître de jour en jour les deux lignes de sycomores et de tilleuls qui bordent les allées du nord et de l'ouest. Au centre du jardin, douze ou treize poivriers déjà fort beaux, laissent tomber leur feuillage élégant comme celui du saule-pleureur autour du bassin dont le jet d'eau rafraîchit l'atmosphère.

Dans les allées qui rayonnent autour du bassin, des centaines de jeunes arbustes de tous les climats s'élèvent et promettent de fournir, dans quelques années, les ombrages les plus charmants. 

L'arbre de Judée, le cèdre du Liban, le néflier du Japon, le laurier-rose, le laurier-cerise, le pin du Nord, le myrte, le chêne vert, le datura arborea, le tamarin de l'Inde, le phytolacca, l'acacia-parasol, le magnolia, etc., etc., et une foule d'autres espèces destinées les uns à devenir de hautes futaies, les autres à conserver une hauteur de quelques pieds seulement, ont été plantés dans le Jardin-Public. 

C'est par milliers qu'il faut compter les individus qui doivent un jour décorer cette promenade charmante" (Auguste Burnel, Nice, ouvrage rédigé en 1856, préfacé le 15 décembre 1856 et édité en janvier 1857, pp 134-135)L'auteur ajoute en appendice l'inventaire de tous les arbres, arbustes et plantes qui décorent le Jardin.

Le Constitutionnel du 8 avril 1858 (pp 2-3), dresse un état des lieux plus rapide : "La promenade des Anglais conduit au jardin public, dessiné en triangle et planté d’arbres de toutes les essences : oliviers, vernis du Japon, magnolias, bruyères arborescentes, althéas, palmiers, rosiers en fleurs, géraniums, etc., qui tous y réussissent à merveille. La musique de la garnison y joue deux fois la semaine"

En juin 1859, la Famille Tiranty offre à la Ville un magnifique palmier qui devient le plus bel ornement du Jardin, côté sud, à l'est de l'estrade de la musique (L'Avenir de Nice des 19 et 20 juin 1859). La transplantation ayant lieu peu après la victoire franco-sarde de Magenta sur les troupes autrichiennes (le 4 juin 1859), il est proposé de donner ce nom au palmier mais c'est l'appellation de "Palmier de l'Annexion" qui sera retenue dans les années 1860. Emile Négrin ne cessera cependant de répéter dans les éditions successives de ses Promenades de Nice que "le palmier de l'Annexion (...) en 1860 fut transporté là tout venu..." (Les Promenades de Nice, 1867 p 57).

La figure sculptée d'une naïade est ajoutée à la fontaine (signalée en novembre 1859).

L’estrade qui accueille l’orchestre militaire est agrandie suite à la décision du Conseil municipal du 10 mai 1861 (AM, 1D1-1, f. 86v).


- CRETTE Louis (c.1824-1872), Nice - Paillon, le Jardin public, vue non datée,
Carte de visite de 6,7x10,4 cm, Collection personnelle.
La vue montre le nord-est du Jardin avec les allées bordées de treillages conduisant vers le rond-point de la fontaine entourée de poivriers et de bancs de pierre (à gauche de l'image).
Noter la présence, sur la rive gauche du Paillon, à l'entrée du Pont-Neuf, de la base et de l'extrémité supérieure de l'Obélisque émergeant des arbres (obélisque offert par la communauté juive de Nice à Carlo Felice, déplacé en août 1861).




Datation

Si l'on compare la vue de Louis Crette aux vues du Jardin public prises notamment par Miguel Aleo (1863) ou Jean Andrieu (1863 et 1865), la végétation du Jardin apparaît nettement moins développée sur la vue étudiée.

La vue de Louis Crette ne laisse deviner, sur la gauche, que l'angle de la fontaine nord, et ne montre pas, sur la droite, le fameux "Palmier de l'Annexion" planté en juin 1859. Elle ne montre pas non plus l'estrade de la musique militaire qui l'accoste. 

Si la date précise d'installation de cette estrade reste inconnue, les concerts de la Garnison (antérieurement donnés dans le jardin de l'établissement littéraire Visconti) sont pour leur part attestés au Jardin public dès 1855 (L'Avenir de Nice du 6 janvier 1855 p 2 ; Le Constitutionnel du 13 avril 1858 ; Allgemeine Zeitung München, 1858 [1], p  1276 ; Guide Baedeker, La Suisse, Les Lacs italiens, Milan, Turin, Gênes et Nice, 1859 p 334).

Les recadrages sont certes fréquents sur les vues de petites dimensions mais il existe un tirage de 24x30 cm conservé aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes qui présente la même vue, plus nette et détaillée, mais avec un cadrage identique (AD, 10FI 4603 - ici).

Ce grand format pouvait appartenir à un Album de vues de Nice et ses environs. Or Louis Crette a réalisé un tel album au printemps 1861 et en a notamment offert un exemplaire à l'Empereur Napoléon III (Le Messager de Nice du 6 mai 1861). 

Il a cependant collaboré antérieurement avec le peintre Jacques Guiaud (1810-1876) pour l'édition, en décembre 1857, de lithographies inspirées de ses photographies : deux vues isolées puis dix vues réunies dans un album intitulé Nice Pittoresque sont en effet signalées dans Le Courrier de la Librairie des 12 et 19 décembre 1857. Des publicités seront diffusées dans L'Avenir de Nice et Les Echos de Nice en 1858 et l'album sera réédité en 1859.

Parmi les deux vues isolées puis les dix vues de l'album édité à Paris ("imp. lith. Lemercier") et Nice ("Debecchi" [sic]), figure une vue de Nice intitulée Jardin public qui est manifestement inspirée de la vue étudiée.


- GUIAUD Jacques (1810-1876), Jardin Public., 1857,
lithographie en couleur accompagnée des mentions suivantes : 
au-dessus du titre, Dessiné d'après nature et lithographié par Guiaud.,
et au-dessous du titre, à gauche, Nice, A. Debecchi (sic) Edit. Libraire R. du Pont Neuf, vis-à-vis l'Hôtel des Etrangers, et à droite, Imp. Lemercier, Paris.
vue de 13,5x20,5 cm sur planche de 27,5x36 cm, Collection privée.
Voir un autre exemplaire de cette lithographie au Rijksmuseum d'Amsterdam (ici).



Jacques Guiaud a respecté la photographie de Louis Crette mais en a cependant élargi la vision afin de montrer la fontaine jaillissante située au nord-ouest du Jardin. Il a modifié quelques détails, et ajouté des figures humaines et animales et la couleur afin de donner vie à l'ensemble.

Les vues de Louis Crette et de Jacques Guiaud sont proches dans le temps de l'ouvrage d'Auguste Burnel dont un autre passage décrit également la végétation des quais : "je citerai les boulevarts du Pont-Neuf et du Pont-Vieux [sur la rive gauche du Paillon, à droite de l'image] avec leurs belles plantations de platanes (...) ; la rangée d'acacias qui, sur la rive droite du Paillon, s'étend depuis l'Hôtel Chauvain jusqu'au Jardin-Public" [visible sur la gauche de l'image] (Auguste Burnel, Nice, 1857 p 134).


La vue étudiée de Louis Crette peut donc être datée vers 1857. Elle est l'une des photographies les plus anciennes connues des quais du Paillon et témoigne d'un état des lieux éphémère. 

Les lieux vont être en effet profondément transformés dans les années 1860 avec une rive droite du Paillon entièrement remodelée. 

Le Jardin est fortement agrandi au sud-est sur un terrain gagné sur le lit du Paillon à partir de mai 1863. De nouvelles plantations y sont effectuées dont douze palmiers provenant de Villefranche en juin 1863 et un myrte colossal venant du quartier de Saint-Etienne fin septembre de la même année. Du fait du nouveau plan rectangulaire aux angles curvilignes, la fontaine est repositionnée au centre du nouveau jardin en octobre de la même année (Les Echos de Nice du 6 octobre 1863).




CHARLES NÈGRE, "NICE, JARDIN PUBLIC"

Présentation

Après l'étude de la vue du Jardin Public par Louis Crette, voici celle d'une vue des mêmes lieux par Charles Nègre (1820-1880) dont la présence est attestée à Nice de 1863 à 1878.


- NÈGRE Charles (1820-1880), Nice, Jardin public, vue non datée, 
négatif sur verre au collodion (ici inversé) de 18x24 cm, fichier Wikipédia, 
Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 08FI 0017 (ici).
Noter la disparition de l'Obélisque du Pont-Neuf (depuis août 1861).



La vue sud-ouest/nord-est est à nouveau prise de l'étage d'un bâtiment ouest qui borde le Jardin public (Hôtel des Anglais) mais elle montre désormais la présence, au sud du Jardin, du Palmier de l'Annexion (transplanté en juin 1859) et de l'estrade de musique (agrandie en 1861).

C'est d'ailleurs lors d'un concert de musique militaire que cette vue a été prise. Les musiciens sont assis à la périphérie de l'estrade et le public est réparti tout autour (flou de bougé). La végétation des parties nord et ouest du Jardin est la plus fournie et la fontaine n'est pas visible.

Au-delà du Jardin s'allongent les quais du Paillon avec, du sud au nord, les quais Masséna et Saint-Jean-Baptiste sur la rive droite, et sur la rive opposée, la place des Phocéens et les boulevards du Pont-Neuf et du Pont-Vieux.


Datation

En face du Jardin public, sur la place des Phocéens, se remarque à l'extrémité droite de l'image, la toiture du long bâtiment de la gare provisoire de chemin de fer. Cette gare provisoire a été érigée entre fin janvier et début avril 1863 (Le Messager de Nice), afin de conduire dès le 10 avril les premiers voyageurs de chemin de fer à la gare de Vence-Cagnes, grâce à un service d'omnibus tirés par des chevaux (la ligne Cagnes-Nice ne sera livrée que le 18 octobre 1864). Le bâtiment de la gare provisoire devait être démoli en 1864 mais il a accueilli les Expositions d'avril 1865 et n'a été démonté qu'à la fin du mois de septembre 1865 (Journal de Nice du 22 septembre 1865). 

La vue étudiée peut donc être datée entre juillet 1863 (installation de Charles Nègre à Nice) et septembre 1865 (suppression du bâtiment de la gare provisoire).

Dans le Jardin public, l'estrade de la musique apparaît située à l'ouest du Palmier de l'Annexion alors qu'elle va être déplacée à l'automne 1864, au sud-est de ce même Palmier lors de l'aménagement du nouveau terrain en jardin de style anglais et de l'achèvement de la construction du nouveau Pont Napoléon III à l'embouchure (Le Journal de Nice du 14 octobre 1864).

Le quai Masséna apparaît bordé de palmiers tout du long, y compris dans la partie allant du Jardin au Pont Neuf où ils ont remplacé les acacias. Or ces 34 palmiers, "à la chevelure liée en faisceau" destinée à faciliter leur transport de Bordighiera à Nice, n'ont été plantés qu'entre fin mars et début mai 1864 (Journal de Nice des 26 mars, 18 avril et 19 mai 1864).

Les concerts de musique donnés au Jardin public pendant la saison d'hiver, du 5 novembre 1863 au 19 juin 1864, par le 22ème puis le 3ème Régiment d'Infanterie, les jeudis et dimanches après-midi, sont réduits pendant la saison d'été aux soirées du jeudi comme l'annonce le Journal de Nice du 19 juin 1864 (le concert du dimanche ayant désormais lieu en soirée sur le Cours).

La datation de la vue étudiée se voit donc resserrée entre avril et juin 1864. 

La photographie de Charles Nègre montre une partie du public du concert équipé d'ombrelles ou de parapluies. Du fait de l'absence d'ombres portées, il s'agit en fait de parapluies. Or le Journal de Nice décrit en détail la météo de ce printemps 1864. 

Nice, le département des Alpes-Maritimes et le Sud de la France souffrent de sécheresse en avril (Journal de Nice du 14 mai 1864). Quelques orages ont cependant lieu en mai et c'est probablement dans cette période que la photographie de Charles Nègre a été prise, lors d'un concert du 3ème Régiment d'Infanterie. Il s'agit peut-être du jeudi 12 mai ou du dimanche 22 mai 1864, entre 14h 30 et 16h 00 (Journal de Nice des 14 et 23 mai 1864).