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vendredi 14 octobre 2022

1266-FURNE FILS & H.TOURNIER-DE QUAND DATENT LES VUES DE NICE ?

 

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Image 1- FURNE Charles Paul (1824-1875) & TOURNIER Henri Alexis Omer (1835-1885), De Nice à Gênes par la corniche - N°5, Nice, Vue prise du Château vers le Mont-Chauve (non datée), détail, 
vues stéréoscopiques albuminées de 7x7,3 cm, sur carton de 17,5x8,4 cm, 
Collection personnelle.


DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 25/10/2023





INTRODUCTION


Les photographes-éditeurs et imprimeurs Charles Paul Furne (1824-1875) et Henri/Henry Alexis Omer Tournier (1835-1885) ont diffusé, sous le nom de "Furne Fils & H. Tournier", deux séries de stéréoscopies qui se suivent, "De Nice à Gênes par la Corniche" (vues 1 à 50) et "De Gênes à Florence" (vues 51 à 126).

La date de ces deux séries est très discutée (entre 1857 et 1861), les historiens français optant souvent pour une datation "vers 1859" et les chercheurs italiens pour une datation "vers 1860". 

Ces deux séries sont listées et détaillées dans un Catalogue intitulé "Photographie - Furne Fils et H. Tournier" dont deux exemplaires conservés ne comportent pas de date d'édition mais uniquement une indication portée au tampon manuel rouge, "1860" (BnF, ici) et "1861".

L'année de réalisation de ces séries va être recherchée au travers de l'étude de la vue intitulée, N°5 - Nice, Vue prise du Château - Vers le Mont-Chauve (Image 1 ci-dessus).


 

VUE N° 5


Description

Cette vue générale sud-est/nord-ouest, prise depuis la terrasse du Château, capture au premier plan le Cimetière du Château. Elle montre ensuite la partie nord de la ville avec sur la rive gauche du Paillon la Vieille Ville et la Place Victor et sur la rive droite la Colline de Carabacel, avant de dévoiler le cirque des montagnes environnantes (Images 1 ci-dessus et 2 ci-dessous).

Le premier élément qui peut être daté avec précision est le petit bâtiment de plan carré qui est présent dans l'allée du Cimetière du Château (Image ci-dessous). Il s'agit de la loge du gardien dont la construction s'est achevée en février 1859 (L'Avenir de Nice du 25 février 1859).


Image 2- FURNE Charles Paul (1824-1875) & TOURNIER Henri Alexis Omer (1835-1885), De Nice à Gênes par la corniche - N°5, Nice, Vue prise du Château vers le Mont-Chauve (non datée), détail,
vues stéréoscopiques albuminées de 7x7,3 cm, sur carton de 17,5x8,4 cm, 
Collection personnelle.



Sur la gauche de l'image, au pied de la partie orientale de la Colline de Carabacel, le long de la route de Saint-Barthélémy (futur boulevard Carabacel), s'échelonnent notamment, d'est en ouest et sur deux lignes parallèles, les maisons construites sur le lotissement de l'ancienne propriété du chanoine de Cessole.

Cette propriété, complantée d'agrumes dans sa partie basse et d'oliviers dans sa partie haute, appartenait en effet au chanoine Eugène Spitalieri de Cessole, abbé de Saint-Pons (Nice 1784-Nice 1864) depuis le 24 novembre 1855 (jugement du Tribunal civil de Nice). Elle était limitée au sud par la route de Saint-Barthélémy (dite aussi route du Ray et d'Aspremont) et comprenait des bâtisses à son extrémité orientale, près du chemin dit montée de Cimiez.

Les terrains à bâtir ont été acquis successivement par :

- Marie Boïldieu épouse Fighiera (née en 1813 à Toulon) le 14 juillet 1857, 

- par Antoine Francinelli (né en 1821 à Montefano) le 23 juillet 1857, 

- par Gabrielle Carrand veuve Joly (née en 1806 à Lyon) le 23 mars 1858 

- et par Antoine Marion (né en 1817 à Tournon-sur-Rhône) le 23 mars 1858 également. 

Dans la Revue de Nice du 1er octobre 1859 (p 5), on peut lire : "Sur le côteau de Carabacel, il vient de s'élever un quartier qui par l'élégance de ses constructions, autant que par la situation des lieux, est certainement un des plus beaux et l'un des plus salubres de tout le pays".

La Villa Boïeldieu est l'unique sujet de la vue N°6 de la série de Furne Fils et H. Tournier du fait de la renommée de cette famille de musiciens, notamment le grand-père et l'oncle de Marie Claire Boïeldieu, les compositeurs François Adrien Boieldieu (1775-1834) et Adrien Boieldieu (1815-1883). 

Cependant, malgré le titre, ce n'est pas la Villa Boïeldieu qui a été photographiée mais les villas qui sont situées derrière elle (Image 3).



Image 3- FURNE Charles Paul (1824-1875) & TOURNIER Henri Alexis Omer (1835-1885), De Nice à Gênes par la corniche - N°6, Nice, Villa Boeldieu (sic) (non datée), détail,
vues stéréoscopiques albuminées de 7x7,3 cm, sur carton de 17,5x8,4 cm, 
Vienne (Autriche), Albertina Museum, Foto GLV2000_17730.

Le titre est erroné. Cette vue ne montre pas la Villa Boïeldieu mais les deux premières
 des quatre Villas Joly, accostées sur la droite de la Villa Francinelli.



Ce sont les dates de construction des Villas Joly qui vont plus particulièrement retenir notre attention car deux des villas apparaissent en construction sur la vue N° 5 (Image 2), alors que les deux autres sont déjà terminées sur cette même vue mais également sur la vue N° 6 (Image 3).


Les Villas Joly

Gabrielle Carrand est née à Lyon le 16 février 1806. Âgée de vingt-et-un ans, elle a épousé dans cette même ville, le 19 septembre 1827, Etienne Joly (né le 14 novembre 1791), avec lequel elle a eu trois enfants. Son mari est cependant décédé à Lyon le 23 mai 1845, à l'âge de 53 ans. 

Dans les années 1850, la veuve Joly habite désormais Nice, dans la même ville que sa fille Anne Joly (née à Lyon le 21 juin 1830), mariée depuis le 1er janvier 1850 à l'architecte Jacques Nicolas (né à Nice le 26 avril 1811) et mère de trois enfants 

Le 23 mars 1858, Gabrielle Carrand veuve Joly achète au chanoine Eugène Spitalieri de Cessole une parcelle de terrain située au quartier de l'Empeirat, au pied de la colline de Carabacel, le long du chemin sud de Saint-Barthélémy, entre les propriétés Boïeldieu au sud-est, Francinelli au nord-est, Don Bosco à l'ouest et Belli de Venanson au nord (AD06, 023/220, fol. 454-456). 

Dès l'achat de ce terrain, le projet de la veuve Joly est de faire construire un ensemble de villas de rapport sous la direction de son gendre, l'architecte Jacques Nicolas (qui réalise notamment la construction de la Villa Boïeldieu voisine). 

Elle entreprend ainsi la réalisation d'une première villa puis emprunte à plusieurs reprises à Pierre Jacques Audiffret (Jausiers c.1781-Nice 1865), afin de poursuivre la réalisation de trois autres villas. 

En garantie, la veuve Joly hypothèque le terrain et dresse à chaque fois l'état des lieux des "maisons construites, en construction et à construire", dans les actes notariés des 12 juillet et 22 octobre 1859 et des 16 janvier et 28 novembre 1860 (AD06, 03E 007/007, fol. 232-233 et 293-295 ; 03E 007/008, fol. 9-10 et 137-138).

En juillet et octobre 1859, ce sont deux villas qui sont attestées alors que la troisième est dite "encore en en construction". En janvier 1860, ce sont cette fois trois villas qui sont citées puis quatre en novembre 1860.


Image 4- FURNE Charles Paul (1824-1875) & TOURNIER Henri Alexis Omer (1835-1885), De Nice à Gênes par la corniche - N°5, Nice, Vue prise du Château vers le Mont-Chauve (non datée), détail,
vues stéréoscopiques albuminées de 7x7,3 cm, sur carton de 17,5x8,4 cm, 
Collection personnelle.

Deux des Villas Joly, la villa sud et la villa nord-ouest sont encore en construction.
Les villas voisines sont pour leur part terminées (voir également l'Image 3).




Entre fin mars 1858 et fin novembre 1860, soit en l'espace de 2 ans et 8 mois, les quatre villas ont donc été érigées. Leurs bâtiments sont décrits dans les actes notariés précités ainsi que dans plusieurs actes postérieurs dont celui de la vente de la propriété par Gabrielle Joly à son gendre Jacques Nicolas (veuf depuis le 25 janvier 1863), le 15 avril 1865 (AD06, 007/016).

Il ressort de ces descriptions que les quatre villas s'échelonnent sur deux lignes, l'une d'entre elles au bord du chemin et les trois autres en arrière. Ces trois villas existent encore de nos jours sous le nom de Villa Beau-Site, la quatrième ayant cédé la place en 1879 à la Villa Mayrargue(s) au bord du boulevard Carabacel (actuel Hôtel Impérial). 

Les photographies contemporaines montrent que les trois Villas Joly situées à l'arrière sont pourvues de balcons et surtout de corniches ondulantes en stuc qui vont faire leur renommée dans les guides touristiques postérieurs. La villa sud offre quant-à-elle un portique ondulant et une terrasse supérieure rectiligne mais ornée de figures féminines allégoriques et de grands vases en stuc. 

Deux photographies, antérieures à la vue étudiée, une vue stéréoscopique de Joseph Silli (1826-1884) conservée dans une Collection privée (automne 1858) et une vue transparente pour lanterne magique de J. Lévy (Isaac Lévy, dit Georges, 1833-1913) conservée au Eastman Museum de Rochester (Etat de New York) (Fonds Ferrier, printemps 1859), permettent de vérifier l'ordre chronologique de construction des Villas Joly en lien avec leur emplacement géographique respectif (Image 5 ci-dessous).


Image 5- J. LEVY (1833-1913), Vue panoramique de Nice, printemps 1859,
transparent gélatino-argentique de 8,3x10,2 cm, édition postérieure,
Rochester, Eastman Museum, 1988.0403.0365,
Courtesy of the George Eastman Museum.

Le cadrage effectué par le photographe ne permet pas de vérifier la présence ou l'absence de la loge du gardien du cimetière (achevée en février 1859) qui aurait pu permettre de confirmer la datation de cette vue.




La vue de Joseph Silli (vers fin 1858) et celle de J. Lévy (vers début 1859) montrent seulement deux des Villas Joly. 

Celle qui est située au centre-nord du terrain, est couverte et semble quasiment terminée (gros œuvre) mais elle comporte encore quelques échafaudages sur ses façades et est encore dépourvue de fenêtres et volets. Celle qui est située au nord-est du terrain est visiblement en construction (Image 6 ci-dessous).


Image 6- J. LEVY (1833-1913), Vue panoramique de Nice, détail, printemps 1859,
transparent gélatino-argentique de 8,3x10,2 cm, édition postérieure,
Rochester, Eastman Museum, 1988.0403.0365,
Courtesy of the George Eastman Museum.

Cette vue a été prise par la Maison "Ferrier Père, Fils et Tournier" à l'époque où J. Lévy était leur assistant. Ce dernier a ensuite été l'un de leurs successeurs, "M. Léon & J. Lévy" et a exploité et enrichi leur fonds.

La vue montre les deux premières Villas Joly en construction
 et les emplacements encore vacants des deux suivantes.




Du fait que la vue N° 5 de Furne Fils et H. Tournier montre l'ensemble des quatre villas dont deux encore en construction, cela permet de penser que :

- la première villa a été érigée au centre-nord du terrain (deuxième ligne) dès avril 1858 et a probablement été terminée l'hiver suivant, au début de l'année 1859 ; elle est composée d'un rez-de-chaussée surmonté de deux étages et d'une façade sud de couleur bleue, percée de sept baies par niveau (Villa située à gauche sur l'Image 3) ;

- la deuxième villa a probablement été commencée quelques mois après la première, durant l'automne 1858, au nord-est du terrain (deuxième ligne) ; elle a été achevée (gros œuvre) au plus tard à la fin du printemps suivant car elle est citée dans l'acte du 12 juillet 1859 ; elle est dite "grande" et composée d'un rez-de-chaussée surmonté d'un entresol, de deux étages et d'un belvédère, et présente une façade sud couleur lilas, percée également de sept baies par niveau (Villa située au centre sur l'Image 3) ;

- la troisième villa a été commencée au printemps 1859, au nord-ouest du terrain (deuxième ligne), à l'époque de l'achèvement (gros œuvre) de la deuxième ; elle est citée en construction dans les actes du 12 juillet et du 22 octobre 1859 et a probablement été terminée au plus tard au printemps 1860 ; elle offre un rez-de-chaussée surmonté de deux étages et une façade sud percée de cinq baies par niveau ;

- enfin, la quatrième villa a été érigée au sud-est du terrain (première ligne, en avant de la deuxième villa), entre le début de l'année 1860 (absente de l'acte du 16 janvier 1860) et la fin de l'année 1860 car elle est citée dans l'acte du 28 novembre 1860 ; comme la précédente, elle offre un rez-de-chaussée surmonté de deux étages et une façade sud percée de cinq baies par niveau.

Le plan de la ville de Nice signé du 12 septembre 1860 confirme cet état des lieux (Image 7 ci-dessous).


Image 7- Plan de la Ville de Nice, détail de la colline de Carabacel, 12 septembre 1860
Nice, Archives Municipales, 1Fi 001/18.

Les indications en rouge sont les modifications prévues par le Plan régulateur avec notamment le tracé du futur boulevard Carabacel bordé d'arbres (1864-1866).

Les indications en blanc ont été ajoutées pour identifier une partie des éléments présents dont la Villa Marion (1858-1859), la Villa Francinelli (1857-1858), la Villa Boïeldieu (1857-1858) les quatre Villas Joly (1858-1860) et le nouvel Hôpital civil Saint-Roch (1853-1859), situé au sud-ouest du chemin de Saint-Barthélémy.




La vue étudiée de Furne Fils et H. Tournier montre la troisième villa (nord-ouest) de la propriété Joly en fin de travaux, couverte et badigeonnée mais encore dépourvue de volets, et la quatrième villa (sud) en cours de travaux, ni couverte ni badigeonnée (dernier niveau en construction), ce qui semble impliquer une date au premier semestre 1860 (printemps ?) (Image 8 ci-dessous).


Image 8- FURNE Charles Paul (1824-1875) & TOURNIER Henri Alexis Omer (1835-1885), De Nice à Gênes par la corniche - N°5, Nice, Vue prise du Château vers le Mont-Chauve (non datée), détail,
vues stéréoscopiques albuminées de 7x7,3 cm, sur carton de 17,5x8,4 cm, Collection personnelle.
Deux des Villas Joly, la villa sud et la villa nord-ouest sont encore en construction.
Les villas voisines sont pour leur part terminées.





ÉPILOGUE


La série "De Nice à Gênes par la Corniche" diffusée par Furne Fils & H. Tournier a donc débuté à Nice au cours du premier semestre 1860 (printemps ?) et s'est continuée jusqu'à Gênes. 

La série "De Gênes à Florence", si sa numérotation n'est pas artificielle, a pu être réalisée dans les semaines suivantes.



ADDENDA


Voici une publicité parue dans la Revue Européenne du 1er novembre 1861 et dans la Revue des Deux-Mondes du 15 décembre 1861. Elle met en évidence deux éléments : la série De Nice à Gênes est citée et l'association "Furne Fils et H. Tournier" n'existe plus.

Il est nécessaire de s'interroger sur la durée de cette association car elle apparaît antérieure au décès de Charles Furne Père (1794-1859) et date probablement de l'année 1857 ou du tout début de l'année 1858.

Les deux hommes sont admis le 18 avril 1858 en tant que membres de la Société Française de Photographie et "font hommage à la Société d'épreuves destinées tant à sa collection qu'à la vente qui doit avoir lieu prochainement" de "plusieurs reproductions de tableaux et gravures" (Bulletin de la S.F.P. 1858 p 113 et p 154). 

Les premières séries régionales semblent seulement éditées au second semestre 1858, "Vues de Bretagne, phot. par Furne fils. Paris, Furne fils et Tournier" (Courrier de la Librairie pour la France et l'Etranger du 28 août 1858 p 771) et, Provence et Languedoc, "200 planches photographiques pour stéréoscope. - Paris, Furne fils et Tournier" (La Photographie du 31 octobre 1858 p 2).


- Publicité parue dans la Revue Européenne du 1er novembre 1861, vol. 18, n° 67 p 208.

Un cadre rouge a été ajouté à l'image pour attirer l'attention sur certaines parties du texte.