4

4

mardi 2 janvier 2018

790-ALLAN KAPROW, "18 HAPPENINGS IN 6 PARTS", NEW YORK, 1959





- 18 Happenings in Six Parts, octobre 1959 - Salle 2 et photos des artistes.


COLLABORATION ET CO-CRÉATION ENTRE ARTISTES : 
DUO, GROUPES, COLLECTIFS EN ARTS PLASTIQUES DU DÉBUT DES ANNÉES 1960 À NOS JOURS.
ALLAN KAPROW

TÉLÉCHARGER LE TEXTE DE L'ARTICLE EN BAS DE PAGE



ALLAN KAPROW (1927-2006), ARTISTE AMÉRICAIN

Allan Kaprow entame des études d'art en 1943. Il  étudie notamment la Peinture dès 1947, avec Hans Hofmann, et l'Histoire de l'Art dès 1950 avec Meyer Shapiro, professeur devant lequel il soutient ensuite une thèse sur le peintre Piet Mondrian (1872-1944). Il est l'un des fondateurs de la Galerie Hansa à New York en 1952 et il enseigne à l'Université dès 1953. 

Marqué par l'Action Painting de Jackson Pollock (1912-1956), il expose des peintures abstraites en 1957. Il suit également les séminaires de John Cage (1912-1992) entre 1956 et 1958 et y rencontre de nombreux artistes. 


Il va retenir de Pollock la mise en espace de la peinture et le déplacement dans l'oeuvre, de Cage la volonté de fusionner art et vie et la scénarisation d'évènements intégrant des sons (voir le dossier pédagogique du Centre Pompidou) et il va donner désormais priorité à l'acte créateur plutôt qu'à l'objet créé. Dès 1957, il réalise des assemblages et des environnements puis, en 1958, des évènements où l'espace et le temps deviennent les matériaux privilégiés.





18 Happenings in six Parts, octobre 1959 - Affiche recréée lors de la réinvention en 2008 pour le LACE (Los Angeles Contemporary Exhibitions).



18 HAPPENINGS IN 6 PARTS

Ce "happening" (évènement en train de se produire) scénarisé par Allan Kaprow en 1959 (l'artiste a 32 ans) marque la date de naissance officielle de ce type d'art et institue l'adoption du terme, même si cette pratique et ce terme sont antérieurs. 

En septembre 1959, des invitations sont envoyées à un public choisi pour la manifestation qui va se dérouler à six reprises, en soirée, début octobre (les 4, 6, 7, 8, 9 et 10), pour inaugurer la nouvelle Galerie Reuben (New York, 61th Fourth Avenue) dont Allan Kaprow est également le cofondateur. Sur le carton, il est précisé aux invités : "you will become part of the happenings ; you will simultaneously experience them"


A leur arrivée au deuxième étage de la Galerie, les spectateurs se voient remettre des instructions précises (programme et 3 cartes agrafées) : "La manifestation est divisée en six parties (...) Chaque partie contient trois happenings qui se produisent à la fois. Le début et la fin de chacun seront signalés par une cloche. A la toute fin, deux coups de cloche seront entendus (...) Il n'y aura pas d'applaudissements après chaque happening mais vous pourrez applaudir après le sixième si vous le souhaitez". Les spectateurs sont également invités à ne pas fumer, ni sortir pendant la manifestation.




- 18 Happenings in Six Parts, octobre 1959.




Ces instructions définissent également le placement des spectateurs et le moment de quitter leur siège afin de se déplacer successivement dans les trois espaces qui divisent la galerie. Ces déplacements ont pour but de leur faire vivre une expérience différente et unique selon le point de vue adopté dans chacun des espaces et la sélection des happenings au déroulement simultané, mais également de les faire participer à l'oeuvre par leur présence colorée, leurs bruits et surtout leur déambulation.



18 Happenings in Six Parts, octobre 1959 - Allan Kaprow à la flûte, accompagné de Lucas Samaras au violon
 et de Shirley Prendergast et  Rosalyn Montague (Salle 1, quatrième partie).




Chacun des trois espaces, séparés mais interconnectés, est matérialisé par des cloisons formées de bâches plastiques translucides, tendues sur des cadres de bois et de panneaux couverts de matières épaisses, de mots peints ou de collages d'objets, morceaux de miroirs ou rangées de fruits en plastique. 

Ces types de panneaux sont l'oeuvre d'Allan Kaprow qui les a créés et utilisés dès 1957 dans ses "environnements", afin de créer des espaces modulables dans lesquels il se déplaçait et faisait se déplacer les spectateurs, alors qu'il intervenait, du sol au plafond, par la peinture, le collage et l'assemblage. Ces panneaux "réarrangeables" ou réorganisables sont notamment conservés au Centre Georges Pompidou et au MAC Lyon.



- KAPROW Allan (1927-2006), Kiosk, 1957-1959.

18 Happenings in six Parts, octobre 1959 - Allan Kaprow réalisant les cloisons.
Voir sur Getty Images la préparation de la salle avec Robert Whitman, Robert Thompson et Jay Milder.


- KAPROW Allan (1927-2006), Rearrangeable Panels, 1957-1959,
bois, miroir, peinture, feuilles de chêne, aluminium, textile, bitume, lampes électriques,
243 x 150 x 149 cm, Paris, MNAM,
 cloisons à l'assemblage évolutif  selon le choix de l'artiste (ou du commissaire d'exposition), utilisé dans 18 Happenings in six Parts, octobre 1959.




Chacun des trois espaces reçoit un nombre différent de chaises pliantes variant la composition du public mais également un éclairage individualisé, rouge et blanc dans la première pièce, bleu dans la deuxième, et blanc et bleu dans la troisième.

Une cloche signale le début et la fin de chaque happening, et dans chaque espace contenant quelques accessoires (objets et meubles), se déroulent des actions mais également des projections de diapositives (une dizaine à chaque fois, passées rapidement) et des diffusions de sons électroniques par haut-parleurs. 


Les performers, qui sont des artistes et non des acteurs, ont minutieusement répété les actions qui ont été rédigées et rigoureusement scénarisées par Allan Kaprow. Si certaines actions ont été attribuées avant même la manifestation (cf. le carton d'invitation ci-dessous), d'autres sont attribuées au hasard, juste avant leur exécution minutée, par le biais d'instructions écrites distribuées par Allan Kaprow




- 18 Happenings in six Parts, octobre 1959 - Revers du carton d'invitation.


- 18 Happenings in six Parts, octobre 1959 - Rosalyn Montague pressant des oranges.




Allan Kaprow lui-même intervient mais également Rosalyn Montague, Shirley Pendergast, Janet Weiberger, Lucas Samaras, Robert Whitman ... 

Ils et se déplacent et agissent simplement, tout en gardant le visage impassible. Ils utilisent les accessoires présents et accomplissent des actions comme marcher, parler (répéter le mot "well" ou "but"), jouer à un jeu, jouer d'un instrument de musique, presser des oranges, balayer le sol, grimper à une échelle, brandir une pancarte, crier un slogan politique ou s'asseoir sur une chaise. 

Sam Francis, Red Grooms, Dick Higgins, Lester Johnson, Alfred Leslie, Jay Milder, George Segal et Robert Thomson vont également peindre une toile vierge et non apprêtée tendue sur les cloisons. Les éléments perçus par les spectateurs sont tout à la fois visuels et sonores, quotidiens et artistiques.



- 18 Happenings in six Parts, octobre 1959 - KAPROW Allan, The Sandwich Man.




Parmi les accessoires, celui de "l'Homme-sandwich" a fait l'objet d'une préparation particulière. La construction, de forme humaine, possède un pot de peinture renversé en guise de tête et un bras en bois tenant des cartes ; son corps est constitué d'un grand miroir sur le devant et le dos renvoyant à la complexité de l'espace. L'ensemble est monté sur des roues dépourvues de pneus, permettant de le pousser d'une pièce à l'autre. 

A l'intérieur de la construction se trouve un tourne-disque et un éclairage, débranchés puis rebranchés à chaque déplacement. Le disque "Helena polka" est notamment diffusé avec force quand deux artistes du second espace (cinquième partie) peignent simultanément des lignes verticales et horizontales des deux côtés de la salle.



- Allan Kaprow avec The Sandwich Man.
Voir sur Getty Images Shirley Prendergast avec The Sandwich Man.




Sur les 90 minutes de la manifestation, les événements chronométrés ont été encadrés par un total de « non-événements » chronométrés eux-aussi, les intervalles (de 2 et 5 min) et les pauses occupant plus de temps que les actions elles-mêmes.

Si Allan Kaprow souhaitait un art de l'éphémère,  non commercialisable, il a cependant beaucoup écrit et théorisé sur ses happenings (partitions chorégraphiques détaillées, quatre cents feuilles de notes, dessins, textes, poèmes, croquis, manifestes, lettres de collecte de fonds et échanges techniques cryptiques avec des ingénieurs du son) et il a laissé la possibilité de les rejouer en les modifiant. 




- L'un des carnets de travail d'Allan Kaprow pour 18 Happenings in Six Parts.




"18 Happenings in six parts" a été réinventé notamment : 

- par Allan Kaprow lui-même en 1988 à Arlington (Texas, sur l'invitation de Jeff Kelley, voir un extrait vidéo de 3 min) puis New York,
- par André Lepecki, commissaire américain, lors de la rétrospective posthume d'Allan Kaprow à Munich en 2006 ("Kaprow au Haus der Kunst"), 
- par Jeffrey Deitch à New York en 2007 (voir des photos),
- par l'artiste américain Steve Roden au Los Angeles Contemporary Exhibitions en 2008, 
- par Rosemary Butcher, chorégraphe anglaise, à Londres en 2010 (voir un extrait vidéo de 12 min), 
- et par l'artiste espagnole Dora Garcia, avec les étudiants de la HEAD de Genève à la Fondation Tàpies de Barcelone en 2014 (voir un extrait vidéo de 7 min)



AUTRES OEUVRES 



- KAPROW Allan (1927-2006), An Apple Shrine, 1960.
Un environnement chaotique (sanctuaire, antre mal éclairé réalisé dans le sous-sol d'une galerie) évoquant le tourbillon urbain de la société urbaine, par son accumulation de déchets, journaux froissés, chiffons, paille, dans un labyrinthe qui débouchait sur une évocation de la nature par des pommes.


- KAPROW Allan (1927-2006), Words, 1962,
environnement interactif, 2 petites salles, rouleaux de toile peintes à la main avec lettres manuscrites, tourne-disques avec mots enregistrés par Kaprow, ampoules rouges et blanches, petite pièce bleu foncé - graffiti, craie de couleur suspendue, bandes découpées de draps, phonographe jouant des chuchotements.
Alors que des voix enregistrées sont diffusées, les spectateurs entrent successivement dans une grande salle "architecturale" et "publique" puis une plus "organique" et "intime" où sont accrochés des textes (évocation des textes urbains, affiches, publicités...) qu'ils peuvent décrypter et abonder.


- KAPROW Allan (1927-2006), Eat (dessin du plan de l'environnement), 1964, 
environnement dans des caves de New York, les deux derniers week-end de janvier,
les visiteurs, sur réservation, déambulent dans les caves et se voient offrir par des performers du vin et de la nourriture.


- KAPROW Allan (1927-2006), Yard, happening, 1961/1967,
recréation à Pasadena (Californie), de l'oeuvre née en 1961 à New York, cour de la Galerie Martha Jackson. 
Les visiteurs se déplacent tant bien que mal sur des piles de pneus qu'ils réarrangent à volonté.


- KAPROW Allan (1927-2006), Fluids, happening, 3 jours d'octobre 1967, Pasadena et Los Angeles, 
photo Denis Hopper, l'artiste, avec l'aide de participants recrutés par affiches publicitaires, construit une vingtaine d'enclos aux murs ininterrompus constitués de blocs de glace, livrés aux intempéries et laissés à fondre ; cette construction est un acte vain (inutile et éphémère) qui permet de vivre l'art comme expérience, dans le travail et l'entraide.


- KAPROW Allan (1927-2006), Five Minutes Delay ou Barriers, 1993,
Biennale de Lyon, 7 circuits constitués d'une centaine de barrières métalliques standard, conduisant le public en file, de l'extérieur à l'intérieur de la Biennale.
Ces deux œuvres résument les apports de Kaprow tout à la fois dans la construction d'espaces, le lien entre art et vie, la participation du spectateur et le positionnement de l'oeuvre hors du musée.


TÉLÉCHARGER LE TEXTE DE L'ARTICLE 



POUR EN SAVOIR PLUS SUR LES HAPPENINGS
LIRE LES ARTICLES EN LIGNE

D'OLIVIER LUSSAC
"HAPPENINGS - FLUXUS : DE L'ACTION PAINTING A L'ACTION DE RUE", 2010

DE JEANNE WILLETTE
"NEW YORK AND THE HAPPENINGS", 2012