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lundi 5 décembre 2022

1275-NICE, LES ATELIERS DE PHOTOGRAPHES DANS LES ANNÉES 1860-1


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


- VAGLIO Jean (vers 1825/26-1900), Portrait de femme, recto, vers 1863-1865 (?),
tirage albuminé oblong de 5,5x9 cm sur carton de 6,1x10,5 cm, Collection personnelle.

DERNIERE MISE A JOUR DE CET ARTICLE : 12/10/2023



INTRODUCTION


Après avoir rédigé, en cinq ans, plus de 400 biographies de photographes ayant exercé à Nice au XIX° siècle, il m'a semblé intéressant de trouver un juste milieu entre une vision d'ensemble et une vision de détail, par l'analyse d'une période particulière permettant de croiser les données. 

Après avoir étudié les années 1840-1860, il m'a paru logique d'étudier désormais la période comprise entre 1860 et 1870, de l'année de l'Annexion française à celle de la chute du Second Empire.

Les annuaires et les guides de la ville n'affichent qu'un petit nombre d'ateliers de photographes, passant de 4 à la fin des années 1850 à 9 à la fin des années 1860, avec peu de variations annuelles de noms et d'adresses mais des listes partielles.

J'ai petit à petit constitué deux listes tirées des biographies rédigées : une première liste des noms des photographes cités dans la décennie puis une liste, extraite de la précédente, comprenant les seuls noms des photographes titulaires d'ateliers mais avec la précision de leurs années d'activité et de leurs adresses, voire des noms de leurs collaborateurs, prédécesseurs et successeurs.

Les résultats me semblent surprenants :106 photographes ont travaillé à Nice dans la décennie étudiée, ce qui représente 26 % des 405 photographes listés entre 1840 et 1900, et 49 photographes ont été titulaires d' un atelier, soit 46 % des 106 professionnels de la décennie, avec en moyenne 1 employé photographe par atelier. 

Cette deuxième liste pose cependant tout à la fois des problèmes de conception et d'affichage, avec le choix entre un tableau unique donnant une vision globale mais comportant un nombre de pages trop conséquent et devenant de ce fait illisible ou, solution qui a été retenue ici, quelques petits extraits choisis révélant des données isolées accompagnées de commentaires mais donnant une vision forcément partielle, simplifiée et éclatée.



LES PHOTOGRAPHES TITULAIRES


Les deux tiers des photographes titulaires ont tenu leur atelier moins de 5 ans et les autres entre 6 et 11 ans mais ce pourcentage reste très artificiel, certains photographes le possédant depuis les années 1850 ou le conservant pendant les années 1870. Quatre photographes seulement ont tenu un atelier des années 1850 aux années 1870 (Pierre Ferret, Antoine Rossi, Joseph Silli et Miguel Aleo).

Pour établir plus précisément la liste des photographes titulaires et de leurs adresses, il a été nécessaire de vérifier puis de reporter l'ensemble des éléments de leur biographie et notamment :

- Les dates auxquelles ils se sont implantés à Nice.

Il y a ceux qui sont nés dans cette ville, ceux qui y sont seulement venus passer une ou plusieurs saisons d'hiver, ceux qui s'y sont installés toute l'année ou même définitivement.

Certains photographes titulaires d'un atelier dans une autre ville sont venus passer une seule saison à Nice (visite, exposition, repérage) avant de s'y installer plusieurs années plus tard et d'y ouvrir un atelier à cette date (Charles Nègre ; Wilhelm Bienmüller ; Pierre Constant Michel).

- Les dates auxquelles ils se sont formés à la photographie puis l'ont pratiquée en amateurs dans un cadre privé ou dans le cadre restreint de leur atelier de peintre. 

Certains sont restés des photographes amateurs pendant de nombreuses années à Nice, exerçant une autre profession, avant d'ouvrir un atelier à leur nom. Albert Pacelli chanteur puis professeur dans les années 1850, ne devient par exemple titulaire d'un atelier de photographie qu'en 1863, associé à Michel Schemboche. 

- Les dates auxquelles ils ont abandonné totalement leur ancienne profession (peintre, opticien, musicien, coiffeur, professeur, cuisinier...) ou seulement partiellement, l'une ou l'autre profession étant alors alternativement citée.

Jean Vaglio, est ainsi tout à tour cité comme cuisinier ou photographe et François Rosselli, comme professeur de langue italienne ou photographe.

La situation est également difficile à appréhender pour les peintres dont le début de carrière de photographe reste souvent inconnu. Le peintre lillois Eugène Degand, par exemple, ouvre un atelier saisonnier de peinture à Nice en 1863 mais ses premières photographies connues ne datent que de 1865 et il n'ouvre un atelier de photographie à une adresse séparée qu'au moment de son installation définitive dans la ville fin 1869-début 1870.

- Les dates auxquelles ils ont ouvert à Nice un atelier de photographie à leur nom avec parfois un associé ou un gérant. 

De rares photographes se sont spécialisés uniquement dans le paysage et ont donc disposé d'un laboratoire mais pas d'un studio de portraits ouvert au public (Miguel Aleo ; Jean Walburg de Bray). 

- Les dates auxquelles ils ont changé d'adresse.

Ils ont parfois occupé, successivement, deux adresses (Pierre Ferret ; Michel Schemboche ; Charles Nègre ; Félix Trajan ; Wilhelm Bienmüller, Pierre Dubreuil), trois adresses (Léon Puget), voire cinq adresses (Antoine Rossi) dans la décennie.

- Les dates auxquelles ils ont arrêté le métier de photographe (départ, faillite, changement de profession, retraite, maladie grave, décès).

Quelques peintres-photographes ont notamment cessé d'exercer la profession de photographe pour se recentrer sur leur carrière de peintre (Pierre Constant Michel), la date précise de cet arrêt restant inconnue. Les noms dont l'activité de photographe est bien attestée dans les années 1850 mais plus du tout dans la décennie suivante, n'ont pas été retenus dans la liste ci-dessous (Gilbert Mallard ; Alexandre Clérissy).



LES ATELIERS DE LA DÉCENNIE


Les ateliers des années 1860 (sans considération d'adresse) avec les noms de leurs titulaires ou gérants se répartissent ainsi :


1860 (7 ateliers) : Aleo - Anfossi (?) - Crette - Ferret (Père) - Rossi Ant. - Schemboche & Cottalorda - Silli. 

1861 (10 ateliers) : Aleo - Anfossi (?) - Crette - Ferret (Père) - Lemière (qui prend en fin d'année Cartié pour gérant) - Moosbrugger - Puget - Rossi Ant. - Schemboche & Cottalorda - Silli. 

1862 (12 ateliers) : Aleo - Anfossi (?) - Cartié & Boutet R. (gérants de l'atelier Lemière) - Crette - Ferret (Père) - Moosbrugger - Neubauer - Petit (qui prend en fin d'année Riollet pour gérant) - Puget - Rossi Ant. - Schemboche (seul) - Silli. 

1863 (17 ateliers) : Aleo - Anfossi (?) - Cartié & Boutet R. (gérants puis Lemière) - Crette - De Bray - Ferret (Père) - Moosbrugger - Nègre - Neubauer - Pacelli - Puget - Riollet (gérant de l'atelier Petit) - Rossi Ant. - Schemboche (désormais seul) - Silli - Trajan - Thierry de Ville d'Avray.

1864 (20 ateliers) : Aleo - Anfossi (?) - Crette - De Bray - Deydier - Ferret (Père) - Lemière - Messy (Père) - Meurisse - Moosbrugger - Mouë (gérant de l'atelier Petit) - Nègre - Neubauer - Puget - Riollet (gérant de l'atelier Petit) - Rossi Ant. - Schemboche & Pacelli - Silli - Trajan - Thierry de Ville d'Avray - Victor.

1865 (21 ateliers) : Aleo - Crette - De Bray - Deydier - Ferret (Père) avec Ghémar (mais en début d'année seulement) - Lemière - Léonard de Saint-Germain - Messy (Père) - Meurisse - Moosbrugger (puis avec pour gérant Puget) - Mouë (gérant de l'atelier Petit) - Nègre - Neubauer - Pacelli (seul) - Puget - Raphaelli - Rossi Ant. - Silli - Thierry de Ville d'Avray - Trajan & Lejeune - Vaglio.

1866 (20 ateliers) : Aleo - De Bray - Deydier - Ferret (Père) - Lemière - Léonard de Saint-Germain - Messy (Père) - Michel P.C. - Moosbrugger (avec pour gérant Puget puis Chardonnet) - Mouë (gérant de l'atelier Petit) - Nègre - Pacelli - Passeronny - Puget - Raphaelli - Rossi Ant. - Silli - Thierry de Ville d'Avray - Trajan & Lejeune - Vaglio.

1867 (20 ateliers) : Aleo - Bannicke - Bienmüller - De Bray - Ferret (Père) - Lemière (puis avec pour gérant Poullan) - Léonard de Saint-Germain - Messy (Père) - Michel P.C. - Moosbrugger (avec pour gérant Chardonnet) - Nègre - Pacelli - Passeronny - Puget - Raphaelli - Rossi Ant. - Silli - Thierry de Ville d'Avray - Trajan & Lejeune - Vaglio.

1868 (21 ateliers) : Aleo - Bannicke - Bienmüller - Chiapella - De Bray - Ferret (Père) - Léonard de Saint-Germain - Messy (Père) - Michel P.C. - Moosbrugger (avec pour gérant Chardonnet) - Nègre - Numa Blanc - Pacelli - Poullan (gérant de l'atelier Lemière) - Puget - Raphaelli - Rossi Ant. - Silli - Thierry de Ville d'Avray - Trajan & Lejeune - Vaglio.

1869 (27 ateliers) : Aleo - Bannicke - Bienmüller - Boisson - Chiapella - De Bray - Degand - Delahaye G. - Dubreuil - Ferret (Père) - Guigoni - Messy (Père) - Michel P.C. - Moosbrugger (avec pour gérant Chardonnet) - Nègre - Numa Blanc - Pacelli - Poullan (gérant de l'atelier Lemière) - Puget - Raphaelli - Roche - Rossi Ant. - Silli - Solaris - Thierry de Ville d'Avray - Trajan & Lejeune - Vaglio.

1870 (27/28 ateliers) : Aleo - Bannicke - Bienmüller - Blanc d'Aubigny - Bonnet (?) - Chiapella - De Bray - Degand - Delahaye G. - Dubreuil - Ferret (Père) - Guigoni - Lejeune (seul) - Messy (Père) - Michel P.C. - Montel - Moosbrugger (avec pour gérant Chardonnet) - Nègre - Numa Blanc - Pacelli - Poullan (gérant de l'atelier Lemière) - Puget - Raphaelli - Rossi Ant. - Silli - Thierry de Ville d'Avray - Trajan (seul) - Vaglio.


En une décennie, le nombre d'ateliers se voit presque multiplié par 4. Il passe de 7 en 1860, à 21 en 1865, et à 27 en 1870, avec deux hausses notables en 1863 et 1869. L'Annexion française du Comté de Nice a contribué à cette hausse mais cette dernière n'est cependant pas significative entre 1860 et 1862. L'arrivée du train (1863) semble davantage déterminante.

Le choix de listes annuelles, plutôt que de listes saisonnières, a été motivé par le projet de comparer les listes établies ci-dessus avec les listes des annuaires et des guides de la ville qui s'avèrent de deux à trois fois moins conséquentes. 

Les deux options comportaient de plus le même défaut d'enfermer les ateliers dans des dates trop précises (de janvier à décembre ou d'octobre à mars). Certes de nombreux ateliers ne sont restés ouverts que pendant la saison d'hiver alors que d'autres l'ont été presque toute l'année mais les documents (publicités, actes d'état civil, arrêtés de voierie) ont montré qu'il était difficile de distinguer l'activité des photographes saisonniers de ceux installés définitivement. 

Certains photographes saisonniers ont en effet passé le printemps et même l'été à Nice  comme les photographes pérennes et, inversement, ces derniers ont, comme les saisonniers, rejoint pendant une partie de la saison chaude leur ville, région ou pays d'origine, souvent Paris ou parfois Turin, ou bien une ville de cure comme Vichy (Allier) où ils possédaient un autre atelier.

De la même façon, si de nombreux ateliers ont été créés ou cédés au début de la saison d'hiver, d'autres l'ont été en janvier et à d'autres périodes de l'année. Il est donc tout aussi difficile de préciser les dates d'arrivée et de départ de chacun des photographes dans le cadre d'une saison ou d'une année. Lorsque ces dates ont été révélées par les documents, elles ont été intégrées dans les biographies individuelles mais il a fallu se contenter de citer l'année concernée dans les listes ci-dessus, quitte à faire apparaître deux noms de photographes lors d'une même année, alors qu'ils n'ont pas travaillé en même temps mais successivement.



NATIONALITÉ ET CÉLEBRITÉ


Les photographes implantés à Nice jouissent souvent d'une réputation antérieure, acquise à Paris ou dans leur ville et pays d'origine, certains photographes de nationalité étrangère ayant d'ailleurs vécu et exercé préalablement en France (Wilhelm Bienmüller ; Michel Schemboche).

Sur les 49 photographes titulaires :

- 25 (soit 51 % env.) sont nés en France et la plupart d'entre eux habitent ou ont habité à Paris,

-  10 (soit 20 %) sont nés dans les Etats sardes, dont 7 à Nice, mais optent en majorité pour la nationalité française entre 1860 et 1862, les autres optant pour la nationalité italienne,

- 2 sont nés à Rome (4 % env.) (Silli, Guigoni), 

- 4 sont de nationalité incertaine dont 3 sont soit Français, Sardes ou Italiens et 1 (Victor) est né au Brésil mais de parents de nationalité inconnue (8 % env.),

- 4 sont nés dans les Etats allemands (8 % env.) (Moosbrugger, Neubauer, Bienmüller, Bannicke), 

- 2 aux Pays-Bas (4 % env.) (Ghémar ; Degand né à Lille de parents nés aux Pays-Bas), 

- 1 en Pologne (2 % env.) (Schemboche), 

- et 1 à Cuba (colonie espagnole, 2 % env.) (Aleo). 

Il n'y a donc aucun photographe anglais malgré la présence forte et ancienne des hivernants de cette nationalité.

La réputation de tous ces photographes, et par voie de conséquence de leurs ateliers, est parfois liée à la célébrité de leur professeur de peinture ou de photographie puis à leur carrière propre, à leurs recherches et innovations dans le domaine de la technique photographique, à leur participation aux grandes expositions et à leur nombre de succursales nationales et internationales.

A Nice, les photographes se connaissent entre eux et fréquentent les milieux artistiques. Ils fournissent parfois des portraits aux journaux nationaux et des vues aux ouvrages locaux, retranscrits sous forme d'estampes. 

Leurs noms sont cités dans les journaux, au-delà de leurs propres publicités, lors de participation à des concerts (en tant que musiciens ou chanteurs), à des œuvres de solidarité et de bienfaisance (dons) ou à des procès mais très peu d'articles leur sont consacrés sauf lorsqu'ils créent leur atelier, photographient un grand évènement, une personnalité du monde de la politique ou du spectacle ou lorsqu'ils exposent des séries ou albums de vues de Nice et de leurs environs. Les photographes les plus anciennement implantés dans la ville (depuis les années 1840 ou les années 1850) bénéficient cependant de l'attention des journalistes et du public (Pierre Ferret et Louis Crette notamment).

Les professionnels affichent sur leur devanture et leurs cartons-photos les armoiries et brevets obtenus auprès des familles royales et impériales qu'ils ont photographiées (le plus souvent à Nice mais parfois ailleurs), celles de leurs Majestés : L'Impératrice douairière de Russie, le Roi du Wurtemberg et la Grande Duchesse Stéphanie de Bade, le Roi Louis de Bavière, le Prince Oscar de Suède et de Norvège, le Roi Wilhelm Ier de Prusse et bien entendu le Roi de Sardaigne puis d'Italie Victor Emmanuel II, l'Empereur Napoléon III, le Prince Napoléon et le Prince de Monaco.

En fonction de tous les critères évoqués, peu de noms de photographes et d'ateliers niçois sont mis en lumière dans les années 1860, en dehors de ceux (par ordre chronologique d'implantation à Nice) de Pierre Ferret, Louis Crette, Joseph Silli, Miguel Aleo, Pierre Petit, Charles Nègre, Jean Walburg de Bray, Léonard de Saint-Germain, Numa Blanc (Père) et Blanc d'Aubigny, ce qui laisse dans l'ombre les 40 autres photographes dont Antoine Rossi qui a exercé sur l'ensemble de la décennie ou le paysagiste Eugène Degand.

Tous ces ateliers sont uniquement tenus par des hommes (pour la plupart âgés entre 35 et 50 ans), même si certaines épouses ont probablement collaboré avec eux au-delà des tâches d'accueil et de gestion ; les textes de la période ne qualifient qu'une seule femme de "photographe", Anne Rolla, et sans attester d'atelier à son nom (recensement de 1866).


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