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jeudi 4 février 2021

1177-DATER LES MONUMENTS FUNÉRAIRES

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1 - ALDEBERT Emile (1828-1924), Médaillon de bronze
de la Tombe d'Antonia Seren, épouse Hocquart
(1839-1893), 1879,
Nice, Cimetière du Château, Allée Brunel.



INTRODUCTION


Lorsque l'on s'intéresse à l'architecture et à la sculpture d'un monument funéraire, on cherche à dater sa réalisation avec précision. Si certaines des remarques qui vont suivre peuvent également s'appliquer aux Monuments aux Morts présents dans les villes, elles sont plus spécifiquement axées sur les monuments érigés sur les tombes du XIX° siècle et de la première moitié du XX° siècle.

Il faut tout d'abord rappeler que l'ensemble d'une tombe peut être homogène et contemporain ou très hétérogène et s'être étalé dans le temps, au gré de nouvelles inhumations, rénovations et ajouts (entourage, croix, stèle, sculpture, monument). 

Certaines photographies anciennes permettent d'ailleurs de révéler parfois un état disparu de la tombe et de repousser de plusieurs années la datation d'une sculpture ou d'un monument que l'on croyait avoir suivi de peu l'inhumation.


LES DATES ESSENTIELLES 


Les dates essentielles peuvent être trouvées sur la tombe, dans les registres d'état civil, les journaux, revues et ouvrages et sur des sites de généalogie.

- Il y a la date du décès : cette dernière apparaît dans l'acte de décès ; elle est ensuite présente sur la tombe mais parfois simplifiée (sans l'indication de jour et de mois) ou, plus rarement, erronée ; 

- la date d'achat de la concession au cimetière et son numéro ; par la suite, le numéro apparaît souvent sur le devant de la tombe mais n'est parfois présent que sur des plans du cimetière ou dans les registres des services municipaux ;

- la date de l'annonce des funérailles (faire-part, annonces dans les journaux) ;

- la date des funérailles (avec parfois un compte-rendu dans les journaux et revues) ;

- la date de l'inhumation (corps, cendres) ; le corps est souvent placé au dépositoire du cimetière, pendant plusieurs mois, en l'attente de la réalisation de son tombeau ou monument ;

- la date de commande du tombeau ou du monument (suite à une commande privée ou une souscription publique) ;

- la date d'installation du tombeau ou du monument et/ou sculpture (parfois signés et/ou datés),

- voire la ou les dates de cérémonies anniversaire devant la tombe (revues, journaux).

Si quelques jours séparent généralement le décès de l'inhumation, les dates de la commande puis de la réalisation et de l'installation du monument ou de la sculpture sont généralement plus éloignées mais situées dans l'année précédant le premier anniversaire du décès. 


LES EXCEPTIONS


Parfois cependant, l'enchaînement des dates se fait plus lentement, notamment dans le cas de célébrités. La date du décès n'est plus alors le seul indice majeur pour la datation du monument funéraire.

Le décès peut avoir eu lieu dans une ville (ou pays) mais l'inhumation avoir été prévue dans une autre ville, du fait de dispositions antérieures mises en œuvre par la famille, un notaire ou de dispositions postérieures, notamment dues au gouvernement.

Le transfert du corps peut avoir lieu rapidement ou bien se faire quelques mois ou quelques années après la date du décès. 

Le corps peut être à nouveau déplacé par la suite, afin de rejoindre un nouveau caveau familial situé ou non dans le même cimetière et la même ville ou bien un lieu prestigieux (Panthéon).

Il va alors de soi que la date d'installation des monument et sculpture présents sur la tombe est d'autant différée, même s'il arrive que ces derniers soient parfois également transférés avec le corps (ou réutilisés par une autre famille).

Le monument et la ou les sculptures présents sur la tombe peuvent également être très postérieurs aux dates de décès et d'inhumation, du fait d'une rénovation cherchant à préserver la mémoire sociale du défunt.

Enfin, il arrive que monument et sculpture soient antérieurs au décès du fait que :

- l'individu a lui même préparé sa dernière demeure, achetant la concession, choisissant l'architecte, le sculpteur ou le marbrier et le type de réalisation ;

- l'individu est inhumé dans un caveau familial qui possède déjà un monument ou une sculpture ;

- l'individu a possédé de son vivant son portrait (buste de pierre ou de bronze) ou une statue religieuse ou allégorique qui a été par la suite installée sur sa tombe ;

Enfin, les portraits de couple en médaillon (mari et femme) ont parfois été réalisés et installés sur la tombe suite au décès de l'un des conjoints, l'autre ne décédant que quelques années ou décennies plus tard.


LES INSCRIPTIONS


Les caveaux étant souvent familiaux, il y a l'indication de plusieurs noms et prénoms, généralement accompagnés de leur date de naissance et de décès, gravés et doublés par des lettres de plomb sur la pierre tombale, voire une épitaphe, un extrait de poème ou un verset de la Bible. 

Sur le devant de cette même dalle apparaît bien souvent, les lettres C.A.P. (Concession A Perpétuité) suivies du  numéro de la concession. Quand on possède les repères chronologiques de ces mêmes numéros, l'achat de la concession peut être daté avec précision. Il doit être mis en relation avec la date de décès de l'un des noms présents, sachant que ce dernier peut être le seul, peut ne plus apparaître ou ne pas être le plus ancien, plusieurs membres de la famille inhumés dans d'autres tombes, voire d'autres cimetières, ayant pu être rapatriés dans cette nouvelle concession.

Le nom du marbrier apparaît également sur le devant ou le côté de cette même dalle, souvent sans prénom (plusieurs générations de marbriers dans une même famille) et surtout sans date.

Le nom de l'architecte et parfois du sculpteur peuvent apparaître aux mêmes emplacements, gravés ou bien inscrits sur une plaque métallique. Le nom du sculpteur peut apparaître également sur une sculpture en ronde-bosse (en pied ou en buste) ou en relief (stèle, médaillon, frise, porte), souvent accompagné de la date de réalisation. 

Sur les sculptures en pied, la signature et parfois la date se trouvent souvent sur le socle ; sur les bustes, au revers de l'épaule droite, sous l'épaule gauche ou sur le socle ; sur les médaillons, à l'intérieur, sur le pourtour ou en-dessous.

Dans un monument funéraire, le nom du verrier, du mosaïste, voire du peintre, peut être également présent et parfois accompagné de la date de réalisation.

Enfin, le nom du fondeur ou du serrurier peut apparaître sur une sculpture métallique (bronze, fer) ou sur une plaque pour signer les accessoires de la tombe (entourage, porte, croix, guirlandes et couronnes).

Plusieurs signatures, parfois accompagnées de dates, peuvent donc coexister sur une même tombe et être contemporaines ou décalées dans le temps. Malheureusement, ces précieuses indications n'ont parfois pas été apposées, ont disparu, sont inaccessibles au regard ou sont devenues illisibles. L'étude du style d'architecture ou de sculpture du monument donne quelques repères mais plus approximatifs.

Dans le cas d'inhumations rapprochées dans le temps, au sein d'un même caveau, il est très difficile d'attribuer la commande du monument ou de la sculpture à la suite de l'un ou l'autre des décès. La présence d'un portrait sculpté peut parfois permettre de trancher. Le prénom (ou son initiale) précédant le nom de famille du caveau révèle souvent la personne qui a commandé le monument après le décès de l'un de ses proches.


DES EXEMPLES


Voici quelques exemples choisis parmi les tombes du Cimetière du Château de Nice afin d'illustrer les remarques et exceptions précitées.


- TOMBE ET MONUMENT D'ALEXANDRE HERZEN (Moscou 6 avril 1812-Paris 21 janvier 1870) 


2 - Monument de la Tombe d'Alexandre Herzen (1812-1870), 1875,
Nice, Cimetière du Château, Premier Plateau dit Protestant.



Alexandre Herzen philosophe, démocrate et "agitateur" russe est décédé le 21 janvier 1870  à Paris au 172, rue de Rivoli, à l'âge de 57 ans. Son corps a été provisoirement déposé au Cimetière parisien du Père-Lachaise, le 24 janvier, après ses funérailles. Alexandre Herzen avait en effet souhaité, par testament daté du 1er août 1852, reposer un jour auprès des corps de sa femme et de ses enfants enterrés à Nice et qu'il y soit élevé un monument. 

Du fait de la guerre franco-prussienne de 1870 puis de la Commune de Paris de 1871, ce vœu a cependant été repoussé. 

Le transfert du corps n'a été réalisé qu'au premier trimestre de l'année 1873 dans le Premier Plateau protestant et orthodoxe du Cimetière du Château. Une statue de bronze le représentant en pied a été par la suite commandée à l'artiste russe Parmen Petrovitch Zabila (ou Parmenion Zabello, 1830-1917) puis coulée dans les Fonderies du Val d'Osne mais elle n'a été installée sur la tombe sur un piédestal de marbre qu'en 1875 (soit cinq ans après la date du décès) (FIG. 2).

Voir l'étude détaillée de la tombe.


- TOMBE ET MONUMENT DE LEON GAMBETTA (Cahors 2 avril 1838-Ville-d'Avray 31 décembre 1882)



3 - Monument de la Tombe de la Famille Gambetta, avril 1909,
Nice, Cimetière du Château, Plateau Supérieur, renommé Plateau Gambetta.



Léon Gambetta, président du conseil des ministres, est décédé dans la nuit du 31 décembre 1882 au 1er janvier 1883, dans sa Maison des Jardies de Ville-d'Avray, au sud-ouest de Paris, à l'âge de 44 ans. Des funérailles nationales ont été organisées en hommage du grand homme, à Paris, le 6 janvier 1883. Son corps à été provisoirement déposé au Cimetière parisien du Père-Lachaise le même jour.

Le transfert du corps pour Nice (incomplet et embaumé), grâce à la ténacité du père, a été effectué par un train spécial qui a quitté Paris le 12 janvier et est arrivé à Nice le lendemain matin ; un cortège officiel a accompagné le char funèbre, après un parcours dans toute la ville, jusqu'au Cimetière du Château.

Le corps a cependant été placé au dépositoire du cimetière pour la nuit avant d'être inhumé le lendemain 14 janvier dans la tombe familiale située dans l'Allée du Brûloir. Léon Gambetta avait lui-même acquis cette concession à la suite du décès de sa tante maternelle, Jeanne/Jenny Massabie à Nice le 28 mars 1878 et avait fait réaliser le monument orné du portrait de cette dernière, un médaillon de bronze exécuté par le sculpteur parisien Auguste Préault (1809-1879), entre avril et novembre de la même année.

La tombe de Léon Gambetta ne présentant pas d'effigie du grand démocrate et étant étroite et modeste, le projet d'un monument plus prestigieux fut envisagé dès janvier 1883 mais fut repoussé pendant plusieurs décennies. 

Il ne fut réalisé qu'en avril 1909 (soit 26 ans après la date du décès). A cette date, les corps de la famille Gambetta furent transférés sur le Plateau Supérieur et des éléments de l'ancienne tombe réinstallés dans le nouveau monument réalisé par l'architecte des jardins et cimetières de la Ville, Alban Gaillandre, dont le médaillon de bronze de Jenny Massabie (signé et daté). L'indication, sur le monument, des dates de naissance et de décès de membres de sa famille est cependant erronée (Jeanne Massabie est née le 13 janvier 1807 et non 1808 et le père de Léon Gambetta, Joseph, est décédé le 4 décembre 1890 et non 1888) (FIG. 3). 

Aucune effigie de Léon Gambetta ne fut installée dans ce nouveau lieu du fait qu'un monument prestigieux venait de lui être consacré dans la ville. La nouvelle concession a été prise en charge par la Ville et l'ancienne concession rendue par la Famille Gambetta pour réattribution.

Voir l'étude détaillée de la tombe.


- TOMBE ET MONUMENT DE JEAN-CHARLES LESAGE (Courtomer 23 janvier 1799-Courtomer 19 juillet 1883) 


 4 - Monument de la Tombe de Jean Charles Lesage (1799-1883), vers 1884,
Nice, Cimetière du Château, Allée Lesage.


Jean Charles Lesage (né en 1799), ancien maire et Conseiller général de l'Orne, chevalier de la Légion d'Honneur, aimait depuis les années 1860, passer les hivers dans la ville de Nice où le soleil soulageait ses rhumatismes. Il y avait acquis une villa, rue Lamartine, et souhaitait se faire inhumer au Cimetière du Château. 

Fin 1882, il a rédigé un testament offrant un legs de 100,000 francs à la ville de Nice dont le revenu permettrait d'attribuer annuellement 300 francs aux pauvres et le solde aux embellissements de la ville.

Après son décès dans sa ville natale de Courtomer (Orne), le 19 juillet 1883, à l'âge de 84 ans, son corps a été transféré à Nice sur la demande de son notaire et y est arrivé le lundi 23 juillet au soir. Le lendemain matin, un cortège municipal s'est formé à la gare et son corps, placé sur un char élégant, a été conduit à l'église Notre-Dame pour une messe en musique. Après un parcours dans la ville, notamment devant sa villa, le convoi s'est rendu au Cimetière du Château. 

Après un discours de M. Bermond, adjoint au maire, le corps de M. Lesage a été placé au dépositoire, en l'attente de la réalisation de son tombeau par la Ville de Nice. Un monument, comprenant notamment deux anges en pied et en pierre, a été commandé à un sculpteur italien, le nom de ce dernier comme la date d'installation du monument restant inconnus (vers 1883-84 ?) (FIG. 4).

La Ville de Nice utilisera le legs pour réaliser, aux Ponchettes, en 1888-1889, l'escalier de la montée au Château ("Escalier Lesage").


- TOMBE ET MONUMENT D'ANTONIA ONORATA SEREN-HOCQUART (Nice 20 février 1839-Nice 3 mai 1893)


5 - Stèle de la Tombe d'Antonia Seren-Hocquart (1839-1893), vers 1893-1894,
Nice, Cimetière du Château, Allée Brunel.



Suite au décès d'Antonia Onorata Hocquart (née Seren), le 3 mai 1893, rentière, âgée de 54 ans, cette dernière fut inhumée à Nice dans l'Allée Brunel du Cimetière du Château. 

La tombe reçut par la suite (vers 1893-1894 ?), un monument sur lequel fut apposé son portrait (médaillon de bronze signé et daté), réalisé par le sculpteur marseillais Emile Aldebert (1828-1924) en 1879 (soit 14 ans avant son décès) (FIG. 1 et 5).


- TOMBE ET MONUMENT DE ROBERT HUDSON (Londres 21 janvier 1845-Nice 27 janvier 1936)


6 - Edicule de la Tombe de Robert Hudson (1845-1936), 1920-1926,
Nice, Cimetière du Château, Plateau Gambetta.



Robert Hudson était un riche anglais qui possédait une maison à Nice. Âgé de 72  ans, il décida au début de l'année 1917 d'acquérir dans cette ville l'une des concessions prestigieuses du Plateau Gambetta

Il s'adressa ensuite vers 1920 (projet daté du 26 avril 1921), au sculpteur Louis Maubert (1875-1949) pour réaliser son mausolée en forme de mastaba (signé L. Maubert), avec à l'est une porte de bronze sculptée (signée et datée L. Maubert 1921) précédée de deux lions de pierre, à l'ouest un vitrail du Christ souffrant signé des verriers lyonnais G. Decôte et C. Blanchon et daté de 1926, et sur le toit, une figure de la Douleur

Robert Hudson, devenu Premier Baron de Borwick en 1922, mourut le 27 janvier 1936, à l'âge de 91 ans et fut, selon son vœu réaffirmé par testament de l'année précédente, inhumé dans le monument qu'il avait fait ériger (10 ans auparavant).

Voir l'étude détaillée de la tombe.