La perspective est une technique de représentation en deux dimensions (2D), sur une surface plane, d'éléments en trois dimensions (3D), tels qu'ils apparaissent vus à une certaine distance, dans une position donnée et en fonction du point de vue de l'artiste.
Le raccourci est un effet visuel qui traduit l'écrasement constaté d'un élément en perspective ; ce dernier se masque en effet en partie lui-même du fait :
-de sa position dans l'espace : parce qu'il est représenté dans sa longueur ou sa hauteur, perpendiculaire ou transversal au plan du support (par exemple un pied de face, un couteau posé obliquement sur une table, le corps d'un cheval vu de face ou de dos, un corps humain couché vu depuis les pieds ou la tête),
-du point de vue de l'artiste, anticipant celui du spectateur : vision frontale (de face), vision en plongée (de dessus), vision en contre-plongée (de dessous),
-de la présentation de l'œuvre : au sol (entraînant une vue plongeante : mosaïques, œuvres de Street Art, projections multimédia), au mur (entraînant une vision frontale ou oblique : mosaïque, tableau, peinture murale, photo, projections multimédia), en hauteur (peinture murale, sculpture positionnée sur un piédestal), au plafond (entraînant une vue en contre-plongée : plafonds et voûtes peints ou servant d'écran à une projection multimédia).
Cet artifice du raccourci, utilisé dès l'Antiquité (peinture grecque et peinture romaine), s'est multiplié à partir de la Renaissance italienne (XV° siècle, avec la théorisation de la perspective) et a explosé à l'âge du Baroque dans la peinture de chevalet (tableaux) et plus encore dans la peinture murale (murs et plafonds peints en trompe-l'œil). L'usage du raccourci est également présent dans les techniques plus récentes comme la photographie, la bande-dessinée, le cinéma, le cinéma d'animation, le roman-photo, la vidéo, la création numérique.
Peu visible dans un détail, le raccourci crée des effets saisissants lorsqu'il est employé pour :
-un membre (bras tendu ou jambe tendue de face semblant sortir de la peinture dans un effet 3D),
-un corps entier (chutant ou s'élevant, vu de dessous, ou bien couché, vu depuis la tête ou les pieds)
-ou une architecture (mise en abyme ou vision en plongée ou contre-plongée).
ONESIMOS (peintre), Athlète à la vasque, scène de palestre (ensemble et détail), vers 500-490 av. J.-C.,
coupe attique à figures rouges, H: 23 cm, Paris, musée du Louvre (un pied vu de profil mais également un pied vu de face, en raccourci).
Anonyme, Alexandre à la bataille d'Issos, II° siècle av.J.-C., détail (partie centrale) de la mosaïque de la Maison du Faune à Pompéi, Naples,
musée archéologique (copie d'un tableau hellénistique réalisé à la fin du IV° siècle av. J.-C. par Philoxénos d'Erétrie)
(noter le raccourci étonnant des chevaux donnant de la profondeur, du mouvement et du désordre à la scène).
UCCELLO Paolo (1397-1475), Bataille de San Romano, La contre-attaque, 1456, huile sur bois, 315x180 cm,
second panneau du tryptique conçu pour le Palais Médicis de Florence, Paris, musée du Louvre
(noter là aussi le raccourci des chevaux placés au centre et à droite).
MANTEGNA Andrea (ca 1431-ca 1506), Oculus peint en trompe-l'oeil, 1465-1474,
voûte de la Chambre des Époux, Mantoue, Palais ducal
(le plafond semble s'ouvrir sur le ciel ; les corps des putti sont vus en raccourci, et les personnages et le paon
apparaissent également vus en contre-plongée, penchés pour regarder comme le fond d'un puits).
MANTEGNA Andrea (ca 1431-ca 1506), Lamentation sur le Christ mort, vers 1480-1506, détrempe sur toile, 68x81 cm, Milan, Pinacothèque de Brera
(le corps couché transversalement est vu en raccourci depuis les pieds qui semblent, eux, sortir de la toile).
MICHEL-ANGE (Michelangelo di Lodovico Buonarroti Simoni) (1475-1564), Le Jugement Dernier, 1536-1541,
fresque de 17x13 m (représentant 400 personnes) peinte sur le mur de l'autel de la Chapelle Sixtine au Vatican (dans les lunettes les anges présentent les instruments de la Passion ; au centre le Christ Juge entouré de Marie, des saints et martyrs ; en bas à gauche la Résurrection des morts et à droite les damnés condamnés à l'Enfer) (de nombreux corps dénudés de ressuscités s'élevant et plus encore de damnés chutant sont vus en raccourci).
LE CORRÈGE (Antonio Allegri da Correggio) (v.1489-1534), La montée du Christ au Paradis, 1520-1523,
fresque peinte sur la coupole de l'église San Giovanni Evangelista de Parme
(sur la coupole, le Christ s'élève, entouré des apôtres et d'angelots,
alors que les pendentifs montrent les Évangélistes, accompagné chacun d'un docteur de l'Eglise).
LE CARAVAGE (Michelangelo Merisi da Caravaggio) (1573-1610), La Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, 1600, huile sur toile, 230x175 cm,
Chapelle Costa de l'église Santa Maria del Popolo de Rome
(tableau positionné sur l'un des murs latéraux et donc vu par le spectateur dans l'axe du corps de saint Paul).
LE CARAVAGE (Michelangelo Merisi da Caravaggio) (1573-1610), Le souper avec les pélerins d'Emmaüs, 1601,
huile sur toile, 141x196,2 cm, Londres, National Gallery
(formidable raccourci des bras et des mains transversaux qui semblent notamment sortir de la toile dans un effet 3D).
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RUBENS Pierre Paul (1577-1640), La Chute des damnés ou Le Petit Jugement Dernier, 1620, huile sur bois, 288x225 cm, Munich, Alte Pinakothek
(comme chez Michel-Ange mais dans une foule plus nombreuse et désordonnée, les corps nus se tordent
et chutent vertigineusement, un instant transversaux avant de tomber la tête en bas ;
même couchés sur le sol, ils sont vus dans des raccourcis étonnants). |
FARELLI Giacomo (1624-1706) (tableau attribué à ), Déploration sur le corps du Christ, sans date, huile sur toile, Nantes, Musée des Beaux-Arts.
POZZO Andrea (1642-1709), L'Apothéose de saint Ignace de Loyola, 1685,
fresque, de 17x36 m, peinte en trompe-l'oeil sur le plafond de la nef de l'église
Saint-Ignace de Loyola, Rome (le saint, fondateur de la Compagnie de Jésus, est accueilli par le Christ et
Marie, et est entouré d'une allégorie de l'oeuvre des jésuites et des quatre continents convertis par elle)
(anamorphose à voir du centre de la nef ; le plafond quasi-plat se transforme
en un espace illusionniste profond avec la perspective accentuée des architectures
et les personnages vus en contre-plongée flottant dans un ciel infini).
TIEPOLO Giovanni Battista (1696-1770), Béllérophon chevauchant Pégase
et s'envolant vers la Gloire, 1746-47,
fresque de 6 m de diamètre du plafond du Palazzo Labia, Venise
(les formes sont vues en contre-plongée avec notamment l'obélisque allongé -symbole d'immortalité-, l'incroyable raccourci de Pégase vu de dessous et le putto de droite basculant sur le cadre de l'oculus dans un effet de trompe-l'oeil).
- MANET Edouard (1832-1883), Le Torero mort, 1864,
huile sur toile, 75,9x153,3 cm, Washington, NGA.
DEGAS Edgar (1834-1917), L'Etoile ou Danseuse sur scène, vers 1876-77,
pastel, 58x42 cm, Paris, Musée d'Orsay
(la vue plongeante, rare jusque là en dessin et peinture, se développe au XIX° siècle
avec l'influence de la photographie et des estampes japonaises).
RODTCHENKO Alexandre (1891-1956), L'Echelle d'incendie (avec un homme), 1925,
tirage gelatino-argentique, 18x24 cm, Moscou, Maison de la Photographie.
RODTCHENKO Alexandre (1891-1956), Au téléphone, 1928,
tirage gelatino-argentique, 39,5x29,2 cm, Collection particulière
(une vision photographique quasi-verticale, en plongée d'un corps en gros plan).
KERTESZ André (1894-1985), Carrefour, Blois, 1930,
23x19 cm, tirage au gélatino-bromure d'argent de 1935
(une vision photographique éloignée, quasi-verticale, en plongée, réduisant et écrasant les corps).
DALI Salvador (1904-1989), Christ de Saint Jean de la Croix, 1951,
huile sur toile, 205x116 cm
(le regard du spectateur se trouve placé au-dessus du corps réduit du Christ
et suit l'axe d'une croix exagérément allongée).
DALI Salvador (1904-1989), Ascension du Christ, 1958,
huile sur toile, 115x123 cm, Mexico, Collection Perez Simon
(incroyable vision en contre-plongée du corps du Christ en ascension avec un point de vue
qui n'est pas sans rappeler celui du Christ mort de Mantegna au XV° siècle ;
les pieds apparaissent agrandis et masquent une partie des jambes).
DALI Salvador (1904-1989), Dali et Gala, 1972-1973,
plafond central peint du Palais du vent, Théâtre-musée Dali-Gala de Figueras
(encore une vision en contre-plongée de corps surréalistes s'élevant dans des architectures
en trompe-l'oeil qui ne sont pas sans évoquer les visions d'Andrea Pozzo au XVII° siècle ;
les pieds apparaissent agrandis et masquent à nouveau une partie des jambes ;
les corps apparaissent également exagérément allongés et réduits).
FREUD Lucian (1922-2011), Reflet avec deux enfants - Autoportrait, 1965, huile sur toile, 91x91 cm, Madrid, Museo Thyssen-Bornemiska
(une vision étonnante de l'artiste saisi immense et en contre-plongée
face à des enfants de taille réduite en vision frontale).
CLAEYS Jean-Claude (né en 1951), planche extraite de Magnum Song, 1981, Editions Casterman
(la B.D. emprunte ici ses cadrages et ses plans à la photo et au cinéma, alternant dans le bandeau
supérieur un plan américain vu en contre-plongée puis un gros plan à la direction opposée).
TOSANI Patrick (né en 1954), Corps de dessous (CDD), 1996,
photographie couleur c-print, 218x151 cm, tirage de 10 exemplaires
(corps accroupi et tassé sur une plaque de plexiglas, vu en contre-plongée).
CORBEYRAN Eric (né en 1964, scénariste) et FORMOSA Gil (né vers 1959, dessinateur),
planche 21 extraite de Double Gauche, Dustin, tome 1, 2006, Editions Dargaud
(l'illustrateur multiplie les visions en plongée et contre-plongée liées au vol de la fée et au regard du héros
et finit par cette main qui semble en 3D et sortir du cadre de la vignette et de la planche) .