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mercredi 21 juin 2023

1303-NICE, DEUX LITHOGRAPHIES IMPROBABLES DES ANNÉES 1860


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°2), sans date, 
lithographie en couleurs, 21x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
 Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Nice, Archives Municipales.



INTRODUCTION


Cet article s'inscrit dans une recherche tendant à répertorier toutes les modifications urbaines (constructions, aménagements, mobilier urbain, plantations) opérées à Nice entre 1850 et 1900, près de l'embouchure du Paillon.



PANORAMA N° 2


Présentation

Les Archives Municipales de Nice conservent deux lithographies non datées (acquises en 2018) des villes de Nice (21 Fi 1, ici) et de Marseille (21 Fi 2, ici).

Celle de Nice, en couleurs, mesure 21x75 cm et est intitulée, "Panorama De La Ville de Nice - (n°2)". 

Le titre est accompagné des indications suivantes, "Asselineau lith." (au-dessus du titre), "Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil" (en bas à gauche) et "Imp. Frick fres, rue de la Vlle Estrapade, 17, Paris" (en bas à droite). Un exemplaire identique est conservé à Nice à la Bibliothèque Municipale de Cessole (Académia Nissarda, ici).

La vue aérienne, prise depuis le sud-ouest (depuis un emplacement en hauteur qui n'existe pas), montre la ville et son environnement (avec une grande place accordée à la mer) et plus particulièrement l'embouchure et les quais du Paillon, vus depuis sa rive droite, avec au tout premier plan le Jardin Public.


2- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°2), sans date, 
lithographie en couleurs, 21x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
 Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Nice, Archives Municipales.



La vue

Certains éléments de l'image impliquent une date :

- postérieure à fin 1863, du fait de l'agrandissement du Jardin public effectué sur le lit du Paillon, 

- postérieure à 1864, du fait de l'aménagement de la partie du Jardin gagnée sur le Paillon et de la présence de palmiers sur le quai Masséna (ou quai des Palmiers, printemps 1864) et de la présence du Pont des Anges ou Pont Napoléon III à l'embouchure du Paillon (décembre 1863-décembre 1864),

- postérieure à 1865, du fait de la présence du grand escalier descendant à la mer (octobre 1864-janvier 1865) près du Pont Napoléon III, à l'extrémité orientale de la Promenade des Anglais, de la présence du Cosmographe de Joseph Ouvière (été 1865) près de cet escalier, et de la disparition du grand bâtiment de la Gare provisoire, implanté sur la place des Phocéens (de janvier 1863 à septembre 1865),

- postérieure à 1866, du fait de la disparition des vieilles bâtisses du quai Saint-Jean-Baptiste (démolies entre mars et juillet 1866), et de la présence du restaurant (érigé d'octobre à décembre 1866) attenant à l'Hôtel de la Pension Suisse qui comprend la Tour Bellanda aux Ponchettes,

- postérieure à 1867, du fait de la présence du Grand-Hôtel sur le quai Saint-Jean-Baptiste (érigé entre février et septembre 1867 à l'emplacement des vieilles bâtisses démolies), et du Kiosque à musique du Jardin public (installé de septembre à décembre 1867),

- postérieure à 1868, du fait de la présence de l'Hôtel de la Paix sur le quai Saint-Jean-Baptiste (érigé au sud du Grand-Hôtel de janvier à septembre 1868), et de la présence du pont-square Masséna (érigé sur le cours du Paillon, face au Grand-Hôtel entre mars 1867 et août 1868), déjà pourvu de ses plantations (février 1869).


3- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°2), détail, 
lithographie en couleurs, 21x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
 Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Nice, Archives Municipales.



Cette vue semble donc au plus tôt dater de début 1869 mais plusieurs éléments posent cependant problème, tels que :

- l'absence de l'escalier à double rampe situé boulevard du Midi, face à la rue Bréa, et permettant d'accéder à la plage (milieu des années 1830) (Image 3 ci-dessus),

- l'absence des deux séries de trois balcons de la longue façade occidentale de la Maison Gauthier-Donaudy, bâtie à l'angle de la place des Phocéens et du boulevard du Midi (milieu des années 1830) (Image 3 ci-dessus),

- l'absence des eucalyptus et des arbustes intercalés avec les palmiers le long du Jardin Public et du quai Masséna (1864-1866) (Image 3 ci-dessus et Image 4 ci-dessous),

- l'absence de la remise qui accoste le restaurant de l'Hôtel de la Pension Suisse (premier semestre 1867) et l'absence de la baraque en bois située dans l'angle sud-ouest du bastion du boulevard du Midi (décembre 1867) (Image 3 ci-dessus),

- l'absence de la transformation de la place des Phocéens en square, avec notamment la plantation du grand palmier de juillet 1867 puis des arbres et arbustes accompagnés de la Fontaine des Tritons au printemps 1868 (Images 3 ci-dessus et Image 4 ci-dessous),

- l'absence dans le Kiosque à musique (Jardin public) des plantations effectuées à sa base en mars 1868 et des luminaires au gaz installés sur les colonnettes de son pavillon en mai 1868 (Image 4 ci-dessous),

- la présence d'un grand escalier à l'extrémité occidentale du quai du Midi qui n'a jamais existé à cet emplacement (Image 3 ci-dessus), 

- la présence de deux lignes de grands palmiers bordant la Promenade des Anglais, alors que seulement quelques palmiers de deux tailles différentes ont été intégrés dans la partie occidentale d'une seule des deux lignes d'arbustes et de haies (entre 1862 et 1869) (Image 4 ci-dessous),

- la présence de palmiers le long du quai Saint-Jean-Baptiste, alors que des plantations ne vont été effectuées à cet emplacement qu'au début de l'année 1870 et avec d'autres essences d'arbres (Image 4 ci-dessous).


4- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°2), détail, 
lithographie en couleurs, 21x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
 Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Nice, Archives Municipales.



Contrairement au "Panorama du Port et de la Ville de Marseille", cette image n'a pas été dessinée d'après nature par Asselineau mais seulement lithographiée par lui et on peut s'interroger sur le ou les modèle(s) dessiné(s) ou photographié(s) dont il s'est inspiré.


La légende

Les textes imprimés fournissent également des repères chronologiques :

- l'éditeur anglais F. Sinnett, tout d'abord signalé, Galerie ou Passage Colbert (Rotonde), 11 puis 9 et 10, dans les ouvrages des années 1840 et 1850, n'a occupé le 17, rue d'Argenteuil qu'à partir de 1860,

- l'Imprimerie Frick frères (dont Louis Edouard Frick né en 1814) n'a occupé l'adresse du 17, rue Vieille de l'Estrapade, que de 1859 à 1874 (Dictionnaire en ligne des Imprimeurs-Lithographes élaboré par l'Ecole nationale des chartes, ici),

- le lithographe, Léon Auguste Asselineau (1808-1889) est notamment l'auteur d'un "Panorama de la Ville de Nice" (sans indication de numéro) et d'un "Panorama du Port et de la Ville de Marseille" édités en 1869 (Bibliographie de la France, 1869, respectivement du 9 janvier p 24, n° 37 et du 5 juin, p 278 n° 716 - GoogleBooks). 

Le Panorama de Nice édité en janvier 1869 a été logiquement réalisé fin 1868 et correspond peut-être au Panorama n°1. Le Panorama n°2 peut être contemporain ou légèrement postérieur mais la mention de son édition n'a pu être retrouvée.


5- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°1), sans date, 
lithographie en couleurs, 34,5x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Collection privée.



PANORAMA N° 1


Un exemplaire du "Panorama de la Ville de Nice - (n° 1)" (34,5x75 cm) est cependant conservé dans une Collection privée et présente les mêmes indications imprimées que le Panorama n°2 (Image 5 ci-dessus). 

C'est une vue aérienne plus claire et lumineuse des mêmes lieux mais prise cette fois depuis le sud-est (d'un emplacement en hauteur qui n'existe pas) (Image 6 ci-dessous). 


6- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°1), sans date, 
lithographie en couleurs, 34,5x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Collection privée.



Le Panorama montre, côté sud, l'étendue de la Promenade des Anglais (avec une plus grande part accordée à la mer que dans le Panorama n° 2) mais ne dépasse pas, côté nord, le Pont-Neuf même s'il révèle l'intérieur de la place Masséna (Image 6 ci-dessus).

Il révèle au tout premier plan une partie de la rive gauche du Paillon. Le square des Phocéens apparaît d'une ampleur inhabituelle, pourvu de ses plantations et de la Fontaine des Tritons de 1868 mais avec un plus grand nombre de palmiers que dans la réalité.

Le bastion (belvédère ou batterie) de l'embouchure, côté quai du Midi, apparaît planté de haies, précédé d'une ligne de palmiers et pourvu d'un grand escalier occidental, tous éléments qui n'ont jamais existé (Image 7 ci-dessous).


7- ASSELINEAU Léon Auguste (1808-1889), Panorama De La Ville De Nice - (n°1), détail, 
lithographie en couleurs, 34,5x75 cm, Paris, F. Sinnett Editeur, 17, rue d'Argenteuil, 
Imprimerie Frick frères, rue de la Vieille Estrapade, 17, Paris,
Collection privée.



LES DEUX PANORAMAS


Les deux panoramas de Nice présentent des aspects très fidèles à la réalité mais quelques détails inventés. Ils semblent inspirés de projets niçois, d'estampes ou de photographies. 

Les éléments architecturaux sont globalement fidèles aux photographies contemporaines, même si certains détails ont été :

- omis : remise de l'Hôtel de la Pension Suisse, double escalier du boulevard du Midi, série de balcons de la Maison Gauthier, baraque en bois du bastion du Midi, 

- agrandis : Cosmographe d'Ouvière

- ou ajoutés : grand escalier du bastion du Midi qui a probablement été projeté car il se retrouve dans d'autres lithographies mais n'a jamais été réalisé. 

Ce sont surtout les plantations représentées qui s'avèrent fantaisistes, avec notamment le nombre, l'emplacement et la hauteur des palmiers. 

Le Panorama n°2 peut paraître antérieur au Panorama n°1 par l'absence des plantations du square des Phocéens faites en 1868 mais il montre les plantations du pont-square Masséna réalisées au début de l'année 1869 et celles du quai Saint-Jean-Baptiste effectuées au début de l'année 1870, même si ces dernières ont pu être anticipées.

Les deux lithographies n'ont pas pu être conçues avant 1867 (réalisations du Grand-Hôtel, du pont-square Masséna et du Kiosque à musique ; projets du square des Phocéens et de l'Hôtel de la Paix), sont antérieures à 1874 (changement d'adresse de l'Imprimerie Frick frères) et semblent toutes les deux dater de l'année 1869. La présence d'une numérotation sur chacun des deux panoramas plaide également en faveur de leur contemporanéité.

Il semble cependant que ces deux panoramas soient des rééditions de vues de 1867, en partie inspirées des projets niçois en cours de réalisation. La Bibliographie de la France du 21 décembre 1867 (p 592, n° 1922) signale en effet l'édition suivante : "Panorama de Nice : Vue prise au-dessus du Jardin anglais - Vue prise au-dessus de la place des Phocéens. Paris, imp. Monrocq".




lundi 5 juin 2023

1302-NICE : LE BOULEVARD DU MIDI-2 (LES TROIS ÎLOTS OCCIDENTAUX)

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


DERNIÈRE MODIFICATION DE CET ARTICLE : 19/03/2024



LES TROIS ÎLOTS OCCIDENTAUX DU QUAI DU MIDI



INTRODUCTION


A la fin des années 1820, la rue Saint-François-de-Paule et la place Charles-Albert sont inachevées et la place des Phocéens et le quai du Midi n'existent pas encore.

Ce second article a pour but d'étudier plus en détail la construction des trois îlots occidentaux du futur quai ou boulevard du Midi dans les années 1830 (actuel quai des Etats-Unis) et plus particulièrement la Maison Gauthier.


VOIR LA PREMIÈRE PARTIE DE CET ARTICLE



LES TERRAINS


Les documents conservés aux Archives municipales attestent l'attribution des terrains dès 1829 et 1830 mais la plupart des demandes d'autorisation de construction ne sont déposées qu'en 1833 et 1834, avec des plans de bâtiments conçus par l'ingénieur Joseph Lacroix.

Le laps de temps entre la date d'achat des parcelles et le début des constructions est de trois ou quatre ans. Cela peut s'expliquer en partie par les travaux de terrassement qui font suite à l'arasement des bases subsistantes des anciens bastions et remparts (années 1820), le couvrement de ruisseaux sur ces terrains au passé marécageux, la réduction du nombre de bras du Paillon à son embouchure (Image 2) et l'endiguement indispensable de ce dernier (1832-1836).

Cependant, la raison principale est autre. Dès la fin des années 1820, la municipalité cherche à récupérer ces terrains pour y établir un quartier neuf. Or, deux lavoirs et séchoirs à blé y existent depuis le début du XIX° siècle (AM, D 303). 

Le plus oriental a été bâti sur les terrains de Jean Antoine Mignon, loués en juillet 1813 puis achetés en octobre 1817 par Jean Baptiste Bagnaro. Le plus occidental a été érigé sur des terrains loués par la municipalité  en juillet 1813 à Antoine Faraut (Image 1).


1- Estratto di une porzione della parte del Piano d'abbellimento..., non daté,
 Nice, Archives Municipales, D 303.

Ce plan (vers 1830 ?) montre, sur le terrain des futurs îlots, les espaces occupés par les deux lavoirs à blé ("lavatojo da grano") et les magasins d'Antoine Faraut (A) et Jean baptiste Bagnaro (B), ainsi que la caserne des Carabiniers et sa cour occidentale.



Dans un premier temps, la municipalité négocie avec les héritiers du lavoir oriental Bagnaro (familles Bagnaro/Blancon/Gares) afin de pouvoir construire la caserne des Carabiniers Royaux sur un terrain situé à l'est de leurs magasins et réalise son projet. Elle met parallèlement fin au bail de location des héritiers du lavoir occidental Faraut (familles Mascarello/Monde/Trabaud) et vend les terrains en plusieurs lots.

Les familles des deux lavoirs font cependant un recours et demandent notamment, en compensation, des terrains de superficies semblables pour s'y réinstaller. Le litige va mettre plusieurs années avant d'être réglé.  

La famille propriétaire finit par vendre tous ses terrains et la famille locataire déménage. Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'ensemble des bâtiments des deux lavoirs à blé peuvent être démolis et que les nouvelles constructions sont entamées.

La chronologie des trois îlots (numérotés par la suite d'est en ouest), peut être établie d'après les plans de la période 1829-1835, conservés aux Archives Municipales et Départementales (Image 2).

Ces trois îlots donnent au nord sur la rue Saint-François-de-Paule et au sud sur le futur quai du Midi qui ne prendra ce nom qu'en 1853. Ils sont séparés par trois rues qui prendront, la même année, les noms de rues Sulzer, Bréa et Van Loo (d'est en ouest).



L'ÎLOT ORIENTAL 


L'Îlot A, futur n° 9, quai/boulevard du Midi (actuels n° 105, quai des Etats-Unis et n° 26 rue Saint-François-de-Paule), est situé entre les futures rues Sulzer et Bréa et formé de deux lots (Images 2 et 8) : 

          - au nord, la Caserne des Carabiniers Royaux, érigée vers 1829-1830, avec une cour d'abord située sur son côté ouest (Image 1) puis déplacée sur son côté sud et accompagnée d'une écurie et d'un fenil,

          - au sud, la Maison de Joseph Girard (né à la fin du XVIII° siècle), négociant en huiles, est érigée entre 1834 et 1835, "a mezzo giorno della caserma dei Carabinieri Reali" ; l'achat du terrain a lieu le 7 juillet 1834, les plan et élévation joints à la demande de construction sont datés du 26 août 1834 et la maison dont l'entrée est située dans la future rue Sulzer, affiche encore de nos jours la date de "1835" au-dessus de la porte.



L'ÎLOT INTERMÉDIAIRE


L'îlot B, futur n° 11, quai/boulevard du Midi (actuel n° 107, quai des Etats-Unis et actuels n° 22 et 24 rue Saint-François-de-Paule), est situé entre les futures rues Bréa et Van Loo et constitué de quatre lots (Images 2 et 8) :

           - la Maison de Jules Gilli/Gilly (né à Nice en 1780 ?), négociant en farines, située dans l'angle sud-ouest, sur une parcelle acquise début 1830 est, suite à une demande déposée le 24 mai 1833, édifiée en 1833-1834 (première construction de cet îlot),

           - la Maison du comte Louis Gaëtan d'Ongran ([H]ongran de Saint-Sauveur, Nice c.1786-Nice 1857), capitaine et ancien premier consul de Nice, située dans l'angle sud-est, "a levante delle casa Gilli", sur une parcelle acquise en 1830, est érigée en 1834-1835, avec la porte d'entrée située dans la future rue Bréa ; les façades sud des Maison Gilly et Ongran, quoique accolées et construites par le même architecte, n'ont étrangement ni leurs étages ni leurs baies alignés (Image 7).

           - la Maison de François Guide (marié en 1804 ?), propriétaire, située dans l'angle nord-ouest, suite à des plans dressés dès avril 1833, est érigée sur deux parcelles contiguës vers 1833-1835,

           - la Maison du comte Agapit Caissotti de Roubion (Nice 1780-Nice 1852), ancien et futur premier consul de Nice, située dans l'angle nord-est, sur un terrain acheté le 9 avril 1834 aux familles Bagnaro/Blancon/Gares, est érigée en 1834-1835.


2- SCOFFIER G. Antoine, Copia di quella parte del piano regolatore della Città di Nizza Marittima (1829)
 approvata con S.M. con Regie patenti del 1° febbraio 1830,
 signé de l'Architecte de la Ville le 14 juillet 1830,
 Nice, Archives Municipales, D 29-256. 

Ajout de lettres (A, B, C) identifiant les différents îlots et positionnées dans leur cour intérieure,
de noms identifiant les nouveaux propriétaires des terrains
 et de chiffres indiquant l'ordre chronologique des futures constructions :
 1 : vers 1829-1830 - 2 : vers 1833-1834 - 3 : vers 1833-1835 - 4 : vers 1834-1835 - 5 : vers 1836-1837.



L'ÎLOT OCCIDENTAL (MAISON GAUTHIER)


L'îlot C, futur n° 13, quai/boulevard du Midi (actuels n° 109, quai des Etats-Unis, n° 6 avenue Max Gallo et n° 20 rue Saint-François-de-Paule), est situé entre les futures rue Van Loo et place des Phocéens) (Images 2 et 8) :

           - la Maison d'Horace Gauthier/Gautier (c.1773-1851), négociant en bois de construction est, suite à l'acquisition de l'ensemble de l'îlot le 24 janvier 1830 et à une demande de construction déposée avec des élévations datées des 24 et 29 novembre 1834 (Images 3 et 4), érigée en deux campagnes de travaux (Image 2).


3- LACROIX Giuseppe, Facciata di Levante della Casa Gauthier sita nella contrada S. Francesco di Paola (Elévation de la façade est de la Maison Gauthier), Nice, 24 novembre 1834Nice, Archives Municipales, O4/5-11.


4- LACROIX Giuseppe, Prospetto di Ponente della Casa che il Signore Negociante Orazio Gauthier si propone di costruire..., (Elévation de la façade ouest de la Maison Gauthier), Nice, 29 novembre 1834Nice, Archives Municipales, O4/5-09.

Les projets de ces longues façades orientale et occidentale alignent 15 baies sur cinq niveaux. 
Le dernier étage est d'une hauteur plus réduite et dominé par un toit comportant sept lucarnes.
Des balcons sont prévus pour certains des appartements des trois premiers étages, au centre des deux façades mais également sur les côtés de la façade occidentale.


L'Hôtel de France (1835-1841), tenu par Dominique Leyraud/Layraud (1788-1862), s'installe dès 1835 dans la Maison Gauthier (îlot C), à l'angle du futur quai du Midi et de la future place des Phocéens. "Le premier omnibus introduit à Nice, le fut en 1835 par M. Leyraud, propriétaire de l'Hôtel de France, alors établi sur le quai du Midi" (Edouard Corinaldi, "Souvenirs de Nice (1830-1850)", Annales de la Société des Lettres, Sciences & Arts des Alpes-Maritimes, 1901, pp 55-92, p 34).

Cette installation semble s'être faite dès l'achèvement de la partie sud de Maison Gauthier, comme en témoigne également une estampe non datée.


5- Estampe anonyme, Hôtel de France, A Nice, Terrasse du Midi, tenu par le sieur Leyraud, sans date, 
Nice, Lithographie Société Typographique, Londres, British Museum, 937911001.

Il est probable que cette estampe ait été réalisée à la fin de l'année 1835, à l'occasion de l'ouverture de l'Hôtel de France. L'hôtel offre deux entrées surmontées d'une enseigne, avec l'entrée principale située sur la place des Phocéens. 


L'image ci-dessus est certes perturbante mais révèle des détails précieux. Le dessin est simplifié et naïf, voire erroné, avec :

-  le faux alignement des baies des Maisons Gilli et d'Ongran, 

- l'absence des trois rues séparant les îlots, 

- l'absence de la silhouette du Théâtre Royal 

- et l'inversion des emplacements de la Tour Bellanda et de la Pension Clerissy.

Cela ne remet cependant pas en question la crédibilité de l'image et de sa légende du fait du nom de la voie, "Terrasse du Midi", l'emplacement de l'Hôtel de France, "nouvellement construit", et le nom de son directeur, "le sieur Leyraud".

Le bâtiment sud de l'hôtel est composé d'un rez-de-chaussée surmonté de quatre étages alignant sept baies sur la façade ouest mais quatre seulement sur la façade sud. Sa toiture présente une seule lucarne à l'ouest et trois au sud. 

Le bâtiment est accosté d'une cour fermée par un mur occidental qui laisse apercevoir un haut bâtiment semblable (probablement de l'îlot voisin). A gauche de l'image, une partie du terrain n'est pas visible et laisse en suspens la question d'un bâtiment nord semblable, situé à l'autre extrémité de la cour.

Afin de terminer la Maison Gauthier, une deuxième campagne de travaux est engagée vers 1836-1837.

Le 13 juin 1837, l'architecte de la Ville, Jean Antoine Scoffier (Aspremont 1786-Nice 1841 ?) réalise une expertise afin de vérifier si le bâtiment s'est bien conformé au dessin soumis au Consiglio d'Ornato dans la séance du 10 février 1835. Il observe :

          - que la façade ouest est inachevée, avec une partie élevée jusqu'à la corniche mais une autre partie plus basse et dotée d'une couverture provisoire,

          - que la toiture comporte au sud (c'est donc cette partie qui est achevée), un belvédère en retrait de 3 mètres de la corniche, avec un muret percé notamment de trois petites fenêtres à l'ouest.

L'architecte reconnaît que le bâtiment est conforme au plan déposé du sol à la corniche mais que la partie élevée au-dessus du toit n'existe pas dans le dessin et contrevient à l'eurythmie de l'ensemble (AM, D 336).

Un lavis de Paul Emile Barberi intitulé,  Nice, Quai du Midi, et daté de 1839, présente un nouvel état du quai et montre la Maison Gauthier en travaux (Académia Nissarda, ici). 

L'image semble impliquer qu'un long bâtiment neuf est venu se plaquer sur la face occidentale des bâtiments existants et du mur de la cour (Image 2). 

Les travaux sont en cours d'achèvement, avec la construction d'un dernier niveau dont seule la partie nord est réalisée. Ce niveau supplémentaire cherche à s'aligner sur la hauteur des bâtiments des îlots voisins, ce qui sous-entend que ces derniers ont été préalablement surhaussés entre 1835 et 1839 (Image 5). 

La Maison Gauthier semble désormais offrir six niveaux (au lieu de cinq) et aligner quinze baies sur la façade ouest (au lieu de sept) et neuf sur la façade sud (au lieu de quatre). Deux petits balcons sont présents sur la façade sud mais encore aucun sur la façade ouest. L'Hôtel de France ne semble plus avoir qu'une seule entrée, située sur la façade sud du bâtiment et décalée plus à l'ouest.

Ce dessin est globalement en accord avec les dessins originaux (nombre de quinze baies de la façade ouest - Image 4), montre le nombre définitif de baies de la façade sud (neuf) et permet de comprendre les différentes campagnes de travaux. 

Il est cependant contredit par la procédure ouverte par le Consiglio d'Ornato à l'encontre d'Horace Gauthier en avril 1843, pour ce belvédère clandestin qui contrevient au règlement du 26 mai 1832 et qui a déjà été noté dans l'expertise de 1837, sur un bâtiment de cinq niveaux seulement, près du rebord sud du toit (AM, D 336).

Le lavis du Chevalier Barberi est surtout contredit par toutes les images postérieures qui révèlent un bâtiment de cinq niveaux, toujours pourvu de son belvédère (lithographies, aquarelles et peintures des années 1840-1850 ; photographies des années 1850 et 1860) (Images 6 et 7 ci-dessous).


6- CAFFI Ippolito (1809-1866), Nice, vue de la plage prise depuis le quai du Midi
vue sud-est/nord-ouest, détail, 1852, 
huile sur carton, 28,5x44 cm, signée et datée, Collection particulière (Wikimedia). 

7- SILLI Joseph (1826-1886), Le quai du Midi, à Nice, vue sud-ouest/nord-est, détail, vers 1858-1859, 
vues stéréoscopiques de 17x8,6 cm, Amsterdam, Rijksmuseum (ici).


Sur la photographie ci-dessus (Image 7), la façade occidentale de la Maison Gauthier apparaît conforme au projet de 1834 par son nombre de niveaux, de baies et de lucarnes (Image 4) mais la série centrale de balcons n' a pas été réalisée (Image 4).

Le long et étroit immeuble envisagé au départ, comprenant quinze baies à l'est comme à l'ouest et probablement quatre baies au nord et au sud, s'est mué en un ensemble de quatre bâtiments entourant une cour. 

Lors de la deuxième campagne de travaux, seules les extrémités latérales de la façade orientale prévue ont été réalisées, leur toit étant pourvu d'un belvédère côté sud (décrit dès l'expertise de 1837) puis également côté nord (Image 7). 

Le projet de façade orientale n'a donc pas été respecté lui non plus (Image 3). Le centre de cette dernière a de plus cédé la place à un mur bas percé d'une porte cochère permettant l'accès à la cour (Image 8).

Cette photographie prouve également que les bâtiments des deux îlots voisins sont restés plus bas que la Maison Gauthier (ils ne compenseront leur hauteur qu'au tout début des années 1880).

L'Hôtel de France, ouvert vers 1835, est par la suite cité en 1839, "sur le bord de la mer, au quartier neuf" (Augustin Bricogne, Le Conducteur des Etrangers dans l'intérieur de Nice et dans ses environs, Nice, 1839 p 91). Son directeur, Dominique Leyraud, achète le 10 septembre 1840 un terrain sur le boulevard du Pont-Neuf (futur quai Masséna, 11) et y fait construire un nouvel hôtel. 

Un Guide paru en 1841 évoque les deux bâtiments : "The Hôtel de France has eight drawing-rooms, and makes up fifty beds ; it is situate close to the sea ; the proprietor is a Frenchman. Civility and cleanliness characterize this hotel. Its table d'hôte is very good, and entirely french. The proprietor is building another on a very good site, wich will be more spacious, and possess some advantages not to be found elsewhere(William Farr, A Medical Guide to Nice, London, 1841, Appendix, p 132-133 ).

Dominique Leyraud emménage en 1841 dans ses nouveaux locaux et fait paraître, dès septembre, une publicité pour son établissement. "Nice. Hotel de France. This magnificent Establishment, commanding a full view of the sea, and even in winter enjoying in every room the genial rays of the sun, has the most handsome and commodious Apartments of all dimensions, and a most excellent Restaurant. There are Baths in the house Coach-house & stable" (Galignani's Messenger [Paris] du 27 septembre 1841).

Un récit de voyage rédigé en 1841 précise que l'Hôtel est "tout construit à neuf" et un Guide de 1842 signale, "The Hôtel de France, has lately been fitted-up" (P.B., Nouvelles notices comparées sur Montpellier, Toulouse, Nice et Chambéry, Ed. Kindle, 2016, récit d'un séjour à Nice effectué de novembre 1840 à juin 1841 et rédigé en juin 1841, ouvrage publié en 1845 ou 1846 ; Guide Murray, Hand-book for Travellers in Northern Italy, 1842, p 72). 

Le premier Hôtel de France perdure-t-il parallèlement dans la Maison Gauthier sur le quai du Midi ? Un article de L'Avenir de Nice du 25 juin 1852 (p 3) peut le laisser penser, à moins qu'il ne s'agisse d'une erreur ("quai du Midi" au lieu de "quai Masséna") : "Plusieurs personnes qui se promenaient hier sur le quai du Midi, remarquaient avec peine qu'un des jeunes arbres qui embellissent cette promenade et qui se trouve près l'hôtel de France avait été entièrement écorché, ce qui a entraîné la mort de l'arbre".


8- Vue aérienne des trois îlots occidentaux de l'actuel quai des Etats-Unis, Google Maps 2023.