La scène représente généralement le serpent en train de manger l'une des boules empoisonnées mais il apparaît également tenu par Daniel (Saint-Benoît/Loire, Loiret ; Gourdon, Saône-et-Loire ; Saint-Désiré, Allier ; portail de Jaca, Aragon), peut-être même déjà mort.
D'autres figures apparaissent parfois dans les épisodes étudiés : Habacuc, un moissonneur, un évêque (chapiteau suisse de Chur, Grisons), des figures de babyloniens adeptes de Bel et du dragon. Parfois réduites à de simples têtes apparaissant derrière les personnages principaux, ces figures ne sont pas toujours identifiables.
- Chapiteau de Yermo (Espagne, Cantabrie), portail sud, ébrasement gauche, vers 1203.
Daniel en prière, domine à l'angle deux grands lions ; il est accosté à gauche d'un ange tenant la bordure de la fosse et présentant le Livre, et à droite d'une figure démoniaque tombée.
Le chapiteau voisin montre le châtiment des babyloniens livrés aux lions par la chute et la dévoration d'un personnage.
AMBIGUÏTÉ DES SCÈNES
Les motifs qui ornent les scènes de Daniel 14 sont souvent semblables à ceux de beaucoup d'autres et donc ambigus, ce qui explique notamment que les scènes étudiées n'ont été que rarement identifiées. En effet, les lions, dragons et serpents ou les figures symétriques accostées de deux monstres sont légion dans l'art roman. A l'inverse, sur des chapiteaux clairement consacrés à Daniel, il arrive que les lions se mélangent avec des rinceaux végétaux ou que leur queue se transforme en serpent et la première impression peut faussement laisser croire à une représentation de Daniel et le dragon.
Une scène présentant un homme empoisonnant un dragon n'est pas non plus toujours la preuve de la présence de Daniel. Ainsi dans une Bible du Mont-Saint-Michel ornant l’initiale du Livre de Michée (Bordeaux, BM, Ms. I, fol. 240v, U de Uerbum, vers 1070-1100) ou dans la Bible anglaise de Bury St Edmunds (Cambridge, Corpus Christi College, Ms. 2, fol. 328v, vers 1130-1135), il s'agit bien de la représentation de Michée, même s'il est probable qu’il y ait là l'influence de l’iconographie de Daniel.
Dans le Psautier anglais de Saint-Alban (Hildesheim, bibliothèque de la cathédrale, vers 1130), l'initiale S du psaume 58(57) est ornée d'un homme présentant un pain au dragon (en relation avec les versets 4-6) ; il ne s'agit pas d'une représentation de Daniel mais plus probablement de celle d'un impie faisant une offrande au démon, l'adorant et le nourrissant.
L’ambiguïté peut même perdurer après l'identification des scènes, cette fois sur l'identité d'une figure ou sur la symbolique d'un motif.
Ainsi, la présence d’un dragon dans une initiale enluminée du Livre de Daniel ou de son Prologue ne doit-elle pas être considérée comme une allusion systématique au chapitre 14, même lorsque Daniel est représenté ; le dragon y est en effet généralement symbolique des puissances du Mal, de Babylone et ses souverains, comme notamment Nabuchodonosor (Dn.1,1) ou Antiochus IV Épiphane (Dn.7,7-8).
Le pain tendu par Daniel, en l'absence de la figure du serpent, est la preuve du passage d'Habacuc et du rôle salvateur de la parole divine et non celle de l'épisode du Serpent.
Le motif le plus ambigu des scènes de Dn. 14 est certainement celui du motif torsadé tenu ou tiré par une main. Il se trouve sur quatre chapiteaux : Saint-Désiré, Saint-Genès-de-Châteaumeillant, Rozier-Côtes-d'Aurec et Chur.
A Saint-Désiré et à Châteaumeillant, le motif est nettement celui d'un pan de barbe bifide d'une tête d'homme d'angle ; cependant alors que ce pan de barbe est tiré par Daniel à Saint-Désiré (comme d'ailleurs à Saint-Benoît/Loire), il est tiré par Bel à Châteaumeillant. Sur la face opposée de même chapiteau de Châteaumeillant, le motif torsadé est cette fois la colonnette d'un édifice qui peut être celui du palais du roi, du temple de Bel ou de la ville de Babylone.
A Rozier-Côtes-d'Aurec, le motif torsadé semble une colonnette qui occupe les deux angles de la corbeille ; est-il là une évocation des colonnes du temple de Bel que Daniel détruirait comme un autre Samson ou bien celle d'une colonnette portant l'idole de Bel, comme c'est clairement le cas à Chur, et comme c'était déjà le cas sur la pyxide de Moggio au VI° siècle ?
Ces colonnettes évoquent-elles seulement un cadre de composition, comme c'était le cas sur les sarcophages paléochrétiens où elles rythmaient et séparaient les scènes ?
Que déduire de tout cela, le motif torsadé étant tour à tour l'évocation de la figure du roi et de celle de l'idole de Bel et de son temple ? Est-ce tout simplement l'évocation du contexte mésopotamien de la scène ?
Alors que nous pensions cerner le sens de ces scènes, tout nous échappe ! Essayons par exemple de détailler les scènes du chapiteau de Châteaumeillant (Cher, milieu du XII° siècle), uniquement visibles sur des agrandissements photographiques.
- Chapiteau (faces ouest et sud) de l'église Saint-Genès de Châteaumeillant (Cher), grande arcade de la nef centrale, côté nord, milieu du XII° s.
(description détaillée ci-dessous).
La composition en est étrange, l'un des deux lions de la scène de Daniel occupant le centre de la corbeille ! L'extrémité de la queue de ce lion s'épanouit en fleuron et dessine au-dessus de son corps une double volute ; l'une de ces volutes semble se terminer par une petite tête de serpent ou se souder avec le corps de ce dernier et va finalement marquer le centre du dé, accostée à droite d'une petite tête démoniaque (Bel ?). Notons que le lion semble tenir une boule de l'une de ses pattes avant (pain ?) et qu'il semble en tenir une autre dans la gueule, à moins que ce ne soit l'extrémité de la ceinture de la tunique de Daniel.
L'angle droit de la corbeille est occupé par la figure de Daniel (la tête sous une coque végétale de tradition berrichonne), et la face latérale droite est occupée par le deuxième lion (vertical) au-dessus duquel se découvre la petite tête d'un nouveau personnage (roi ?) sous un élément d'architecture porté par deux très petites colonnettes torsadées (Babylone ?). Notons que Daniel tient de la main gauche la queue de ce deuxième lion, queue qui se confond au final avec l'autre extrémité de la ceinture qui enserre la tunique du prophète.
- Chapiteau (faces nord et ouest) de l'église Saint-Genès de Châteaumeillant (Cher), grande arcade de la nef centrale, côté nord, milieu du XII° s. (description détaillée ci-dessous).
L'angle gauche de la corbeille nous offre lui, une figure symétrique à celle de Daniel qui se révèle être uniquement une grosse tête humaine à la barbe bifide. Sur la face latérale gauche, un être nu et étrange couronné de plumes (Bel ?) se dirige vers l'angle et tient l'un des deux pans de barbe de la grosse tête humaine (roi ?). Est-ce la conquête impérative et décisive du roi, ici par Bel (ailleurs par Daniel) qui est évoquée par ce geste ?
LISTE DES ŒUVRES ROMANES RECENSÉES
Il semble probable qu'il existe des chapiteaux italiens, allemands et britanniques des scènes de Dn. 14 mais aucune ne semble avoir été identifiée à ce jour.
MANUSCRITS (ITALIE)
- Jérôme, Commentaires sur le Livre de Daniel, Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Pal. Lat. 173, fol. ?, vers 1001-1015.
- Bible de la cathédrale San Fortunato de Todi, Vatican, Bibl. Vat. Lat., 10405, fol. 160 v° (lettre A du Livre de Daniel ?), XI° siècle.
MANUSCRITS (ESPAGNE)
- Bible de l'abbaye Saint-Pierre de Roda (Catalogne), Paris, B.N.F., Ms. Lat. 6 (3), fol. 66 v° (6 vignettes/10), milieu ou troisième quart du XI° siècle.
MANUSCRITS (FRANCE)
- Bible de l'abbaye de Reims, B.M. Reims, Ms. 18, fol. 62 v°, Est de la France, initiale D de Danihele de la Préface de Jérôme au Livre de Daniel, vers 1120-1140.
- Bible de l'abbaye Saint-Bénigne de Dijon, B.M. Dijon, Ms. 2, fol. 324, initiale A de Anno du Livre de Daniel, vers 1125-1150.
SCULPTURES (ESPAGNE)
- Chapiteau de la cathédrale de Jaca (Aragon), portail occidental, vers 1100 (1095-1115).
- Chapiteau déposé provenant du cloître de la cathédrale de Jaca (Aragon), (fonts baptismaux de l’église Santiago y Santo Domingo de Jaca), début du XII° s.
- Chapiteau de l'église San Pedro del Castillo de Loarre (Aragon), arcature basse intérieure de l’abside, côté sud, vers 1110.
- Chapiteau de l'abbatiale San Bartolomeu de Rebordàns (Galice), chapelle sud du choeur, seconde moitié du XII° siècle.
- Chapiteau de Yermo (Cantabrie), portail sud, ébrasement gauche, vers 1203.
SCULPTURES (FRANCE)
- Chapiteau de l'étage du porche de l'abbatiale Saint-Benoît/Loire, XI° s. (fin du XI° s. ?).
- Chapiteau de l'église Notre-Dame de Gourdon (Saône-et-Loire), (retombée nord de l'arc triomphal ?), vers 1100 (1090-1110).
- Chapiteau de l'église de Neuilly-en-Dun (Cher), mur gouttereau nord de la partie droite du chœur servant de transept, premier tiers du XII° s.
- Chapiteau de l'église de Germigny-l’Exempt (Cher), porche, premier tiers du XII° s.
- Chapiteau de l'église Saint-Denis de Condé, La Celle-Condé (Cher), portail ouest, début XII° s.
- Chapiteau de l'église Saint-Genès de Châteaumeillant (Cher), grande arcade de la nef centrale, côté nord, milieu du XII° s.
- Chapiteau de Ciron (Indre), (thème non identifié), mur goutterot nord de la nef unique, fin du XII° s.
- Chapiteau de l'église de Saint-Désiré (Allier), mur gouttereau nord de la nef, vers 1120.
- Chapiteau de l'église de La Sauve-Majeure, La Sauve (Gironde), années 1120-1130, baie axiale de l’abside, colonnette sud.
- Chapiteau de l'église de Saint-Girons d’Hagetmau (Landes), crypte, vers 1120-1130.
- Deux des onze reliefs sculptés de l'église de Saint-Paul-lès-Dax (Landes), pourtour de l’abside, côté nord, vers 1120-1130.
- Chapiteau de l’église Saint-Vincent du Mas d’Agenais (Lot-et-Garonne), arcade de communication entre le chœur et l’absidiole sud, vers 1120-1130.
- Chapiteaux de l'église de Saint-Pierre-de-Quittimont, Lacépède (Lot-et-Garonne), chapiteau nord de l’arc triomphal, et chapiteau colossal déposé et mutilé, transformé en fonts baptismaux, vers 1120-1140.
- Chapiteau de l'église de Laurenque, Gavaudun (Lot-et-Garonne), portail ouest, vers 1120-1140.
- Deux chapiteaux de l’église Saint-Vincent de Saint-Sardos (Lot-et-Garonne), dont un déposé, mutilé et transformé en fonts baptismaux, vers 1120-1140.
- Reliefs mutilés du contrefort ouest du porche sud de l'église de Beaulieu-sur-Dordogne (Corrèze), milieu du XII° s.
- Linteau de l'église de Saillac (thème non identifié) (Corrèze), portail occidental (remanié), XII° s.
- Colonne avec chapiteau et base ornés de Saint-André de Bagé (Ain), arcature de l'abside, milieu du XII° s.
- Chapiteau de Rozier-Côtes-d’Aurec (Loire), mur gouttereau nord de la nef unique, milieu du XII° s.
SCULPTURES (SUISSE) :
- Chapiteaux du pilier sud de l’entrée du chœur (partie droite) de la cathédrale de Chur (Grisons, fin XII° siècle).
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
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