SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS
UN ARTICLE ÉCRIT EN COLLABORATION AVEC VÉRONIQUE THUIN-CHAUDRON
DE LA PENSION CLERISSY À LA PENSION SUISSE
INTRODUCTION
En 2022, les bâtiments du quai des Etats-Unis qui longent le côté ouest du rocher de la Colline du Château, constituent un site emblématique de la Ville de Nice, avec du sud au nord, la Résidence Rocamare, l'Hôtel La Pérouse, l'Hôtel de la Pension Suisse, la Tour Bellanda et l'Escalier Lesage.
L'histoire de ces architectures et de leurs propriétaires successifs a été étudiée lors de ces quinze dernières années :
- THUIN-CHAUDRON, Véronique, "Les familles hôtelières à Nice à la fin du XIXème siècle", dans Actes du colloque organisé par le CEHTAM sur "Histoire du travail dans l’hôtellerie et la restauration sur la Côte d’Azur au XXème siècle" (29 et 30 mars 2007), publiés dans Recherches régionales N°189, janvier-mars 2008, pp. 9 à 15 (PDF).
- THUIN-CHAUDRON, Véronique, "L’influence de la Suisse sur la naissance et l’essor de l’hôtellerie niçoise" dans Actes du Colloque "Tradition et grandeur de l’hôtellerie de luxe sur la Côte d’Azur" organisé par le CEHTAM (29-31mars 2012), publiés dans Recherches régionales N°203, janvier-juin 2013, pp. 14-23 (PDF).
- PISANO Jean-Baptiste, "Du temps perdu au temps retrouvé. L’Hôtellerie niçoise entre 1850 et 1930", Colloque International "Tradition et grandeur de l’hôtellerie de luxe sur la Côte d’Azur, Centre Universitaire Méditerranéen, Nice, 29-31 mars 2012, publiés dans Recherches régionales, n° 203, janvier-juin 2013, pp. 24-33 (PDF).
- Dossier de l’Inventaire, 2019 : IA06003917 | Réalisé par Prédal Christophe ; Tanguy Nicolas, Hôtel de voyageurs dit Albergo Clerissi puis pension Clérissi puis hôtel Suisse, Provence-Alpes-Côte d'Azur - Alpes-Maritimes - Nice (ici).
- Service Patrimoine Historique, fiche non datée, "La Tour Bellanda", collection "Les bâtiments" (PDF).
- PSS Archi, fiche 2020-2022, Nice - "Hôtel La Pérouse/Rocamare" (ici).
LA PENSION CLERISSI (1780-1850)
Onorato Clerissi
A la fin du XVIII° siècle, alors que le chemin des Ponchettes vient de découper la pointe sud du rocher pour relier la ville et le port (dès 1773), Onorato/Honoré Clerici/Clerissi fait construire, en 1781-1782 sur la face occidentale du rocher, côté sud, des maisons de pêcheurs qui vont constituer, au plus tard au début du XIX° siècle, la "Pension Clerissi" (voir l'image ci-dessous).
- Plan de Robilant, Turin, le 30 mars 1781, détail des parcelles de la future propriété Clerici, plan pivoté gauche-droite, avec l'indication du mur d'enceinte qu'Onorato Clerici devra ériger et, plus au nord l'emplacement des vestiges de l'ancienne tour (demi-cercle), Nice, Archives Municipales (AM, O 3/17-2).
Suite à la transformation par la Ville de la partie sud de la Colline du Château en Promenade à partir des années 1820 (lettres patentes du 3 mai 1822 du roi Carlo-Felice concédant les terrains à la Ville et aménagements dès 1828), le négociant Onorato Clerissi agrandit sa propriété vers le nord (concession du 21 juin 1824).
La famille Clerissi fait ensuite rénover l'ancienne tour des remparts (détruits en 1706), la Tour Saint-Elme, dite aussi Tour Saint-Lambert ou Tour Bellanda, qui domine le site.
Il s'agit bien d'une reconstruction de l'ancienne tour à partir de sa base en ruines et non de la construction d'une nouvelle tour bâtie à proximité de l'ancienne.
"Une vieille tour ronde dite jadis Bellanda (...) a été restaurée par MM. Clerissi frères qui en ont fait un objet d'agrément, en l'unissant au jardin qu'ils ont créé au-dessus de leur maison" (Guide des Etrangers à Nice, 1826, p 85 ; Davide Bertolotti, Viaggio nella Liguria Mariittima, 1834, vol. 1, p 105, GoogleBooks).
La Tour Clerissi présente désormais quelques oculi à son extrémité supérieure et est couronnée d'une terrasse à balustrade. Sur cette terrasse, une tourelle d'escalier éclairée de trois oculi et percée d'une porte menant aux appartements voit son clocheton dominé par une sculpture métallique qui, sur les vues éloignées, ressemble à une croix chrétienne mais qui est en fait la figure d'un Génie ailé portant la lumière (voir l'aquarelle de Clément Roassal, vers 1828-1832, n° 816 de l'ouvrage publié sous la direction de Marc Bouiron, La Colline du Château à Nice, Projet collectif de Recherche, vol.1, décembre 2008 ; zoomer fortement sur la lithographie exécutée d'après un dessin de Paul Emile Barberi, vers 1834-1836, ici).
La légende qui accompagne la lithographie de Paul-Emile Barberi (vers 1834-1836), précise : "MM. Clerissi frères à qui ces ruines appartenaient, la firent reconstruire en 1825, pour en faire un lieu d'agrément. Le Roi Charles-Félix, y étant monté [en novembre 1826] pour jouir du beau point de vue qu'on découvre du haut de la tour, dit au propriétaire. Cette tour reconstruite par vos soins, fera vivre à jamais la gloire de vos concitoyens, dont la vaillance défendit, avec succès, l'indépendance de leur patrie, et la couronne de mes ancêtres".
La date d'aménagement de la Tour en belvédère et en annexe de la Pension Clerissi après 1824, semble cependant contredite par une lithographie datée de 1821, réalisée d'après un dessin d'Hippolyte Ciaïs de Pierlas (ici).
Francesco Clerissi
L'héritier d'Onorato Clerissi, le négociant Francesco Clerissi/Clerissy, multiplie les projets dans les années 1830-1840 (un projet en août 1835, un autre en avril 1842 et enfin deux projets en février et avril 1844), afin de modifier les bâtiments existants mais également de faire ériger un puis deux nouveaux bâtiments au pied de la Tour.
La municipalité met cependant une condition à ces projets de nouvelles constructions : lui restituer ce terrain libre de toute construction au moment de la réalisation d'un grand escalier d'accès direct aux Terrasses de la Colline du Château, envisagé depuis la fin des années 1820 (projet repris par le Plan régulateur du Consiglio d'Ornato en 1832 ; voir plus bas le plan de novembre 1845).
Au final, les trois projets successifs d'un ou deux nouveaux bâtiments nord ne seront pas réalisés.
- La Famille Clerici/Clerissi/Clerissy
François Clerissy a une sœur qui est parfois citée dans les documents, Agostina/Augustine Clerissy. Les recherches généalogiques ont donc été ciblées autour de ces deux prénoms.
Une seule famille niçoise correspond à ces critères. François et Augustine Clerissy ont pour père Jacques Clerissy (1744-avant 1847) et pour grand-père Honoré Clerissy (avant 1724-?). Je remercie Claude Durand pour le partage de son arbre généalogique (Geneanet).
Il semble impossible que le grand-père Honoré Clerissi, né avant 1724, puisse être celui qui ait fait construire, d'une part, les premiers bâtiments vers 1781-1782 et, d'autre part, la Tour vers 1824-1825.
Jacques Clerissy (1744-avant 1827) et son épouse Marie Françoise Gaëtane Siglioli (1757-1827) ont eu cependant 6 enfants avec, dans l'ordre, Honoré (1779-1831), François (c.1784-1854), Pellegrine Pauline (1788-1874), Catherine (c.1793-c.1833), Augustine Justine (1797-1886) et Pierre Jean Clerissy (1799-1844).
Il apparaît donc que c'est le grand-père de François Clerissy, Honoré, qui a fait construire les premiers bâtiments mais que c'est son frère aîné, qui porte le même prénom, qui a fait construire la Tour Clerissy.
Suite aux décès rapprochés de leur père (Jacques, avant 1827) puis de leur frère aîné (Honoré, en 1831), ce sont François ainsi que Pierre et leurs sœurs qui héritent des biens par acte du 3 octobre 1833 (03E 023/253 fol.202-204). Augustine Justine Clerissy hérite notamment de la moitié nord du dernier niveau du bâtiment principal de la Pension Clerissy.
François Clerissy alors âgé de 46 ans, reprend les affaires familiales et dépose les projets de rénovation et d'agrandissement de la Pension Clerissy, sur les plans de l'architecte Ignazio Guidasci (1835, AM, O4/5-120 ; 1842, O4/9-177 ; 1844 O4/10-16 et O4/10-43).
- Les travaux réalisés par François Clerissy
Le projet du 21 août 1835 (AM, O4/5-120) montre la Pension Clerissy formée d'un grand bâtiment rectangulaire alignant sept baies sur cinq niveaux, accosté au sud d'un bâtiment en retrait constitué de deux travées sur trois niveaux.
Ces deux bâtiments semblent fidèles à ceux érigés en 1781-1782 mais peu de représentations en témoignent entre 1782 et 1835 et le font de manière plus ou moins fantaisiste (lithographie de Louvois de 1812, ici ; peinture de 1830, ici ; aquarelle de Clément Roassal vers 1828-1832, ici).
Le projet de 1835 prévoit seulement la transformation, de quelques fenêtres du rez-de-chaussée en portes des deux bâtiments existants (voir l'image ci-dessous) et la construction d'un bâtiment nord (remise).
Les travaux des baies sont réalisés mais la construction de la remise nord ne se fait pas.
La gravure ci-dessous, datée de 1837, semble montrer que le bâtiment sud a été surélevé d'un quatrième niveau entre 1835 et 1837 mais ce n'est pas le cas (voir par exemple l'aquarelle gouachée de Joachim Brero, vers 1830, ici, la peinture à l'huile sur toile de Ferdinand Perrot, avant 1841, ici ou la lithographie de Jean Lucas, Les Ponchettes, avant 1845, ici).
Les faces arrière (côté est) de la Tour Bellanda et de la Pension Clerissy ont souvent été représentées par les artistes du fait des vues de la Baie des Anges prises des chemins et terrasses de la Colline du Château (lithographie d'après un dessin de Claude Perrin, vers 1840, ici). Ces vues montrent parfois un ou plusieurs bâtiments bas situés à l'arrière du bâtiment principal (lithographie d'après un dessin de Nicolas Chapuy, vers 1840, ici).
François Clerissy acquiert quatre nouveaux sites rocheux de la Colline du Château en 1844. Il dépose, la même année, deux nouveaux projets qui envisagent :
- la construction de deux nouveaux bâtiments nord couronnés d'une terrasse et alignant 5 baies, pour l'un, sur trois niveaux et pour l'autre (placé sous la tour), sur un seul niveau (projet du 7 février 1844, AM, O4/10-16) ;
- la transformation du bâtiment sud, son avancée, son élargissement d'une travée et sa surélévation d'un niveau, afin d'aligner sa façade sur celle du grand bâtiment et de fusionner l'ensemble,
- la transformation des baies existantes et la réalisation de trois balcons (projet du 16 avril 1844, AM, O4/10-43) (image ci-dessous).
Ces travaux sont réalisés dans la même année, excepté l'installation des deux balcons du troisième niveau (1er étage au-dessus du rez-de-chaussée et de l'entresol) et la construction des deux bâtiments nord.
Un plan daté du 25 septembre 1844 (AM, 1 Fi 89-6) montre comment la 10ème travée sud s'est insérée dans un espace triangulaire dont la pointe est au nord et la base en arc-de-cercle au sud. L'angle de la façade se voit ainsi adouci et percé de fenêtres orientées sud-ouest.
Le plan (image ci-dessous) daté de novembre 1845 révèle avec un rare détail la configuration de la propriété Clerissy, avec deux bâtiments situés en arrière du bâtiment principal, un grand jardin aux terrasses en gradins et la Tour qui porte ici le nom de "Bellanda". Le plan montre également le projet municipal de construction du grand escalier d'accès à la Colline du Château (qui ne sera réalisé qu'en 1888-1889).
L’Indicateur niçois de 1845, dans la liste des maisons et appartements à louer cite (p 245), "Clérissy François, rez-de-chaussée et 4 étages de 10 croisées avec agrément d’un jardin et d’une tour, aux Ponchettes, n. 17".
La lithographie ci-dessous, exécutée vers 1845-1850, montre la façade sud du bâtiment unifié, désormais pourvue d'une grande lucarne de toit et du balcon de la travée sud (au 4ème niveau ou 3ème étage). Elle montre également la Tour Clerissy, avec sa tourelle d'escalier couronnée d'une sculpture dont la hauteur semble ici exagérée.
François Clerissy est notamment associé à son frère Pierre et aux deux fils de sa sœur Pauline, Jean Jacques Henri Gent (1819-1857) et François Victor Gent (1821-1857). Face aux difficultés financières qu'il rencontre dès 1844 et le décès de son frère Pierre la même année (AD, 01FS 0590 ; 03FS 0298 ; 03FS 0135), il vend à ses neveux la part de la Pension Clerissy qu'il possède, le 30 mars 1845 (AD, 03E 023/253 fol.202-204).
Cependant, suite à la faillite de la société de Francesco Clerissy et de ses neveux, leurs biens sont mis en vente le 1er juin 1850, par la société commerciale Jean Baptiste Contesso & Jean Baptiste Barla, chargée du paiement de leurs créanciers (AD, 03FS 0298 ; 03E 023/253 fol.202-204).