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L'HÔTEL ET PENSION SUISSE (1866-1871)
- L'achat des bâtiments par Jean Edouard Hug en 1866
Le 30 janvier 1866, devant maître Charles Arnulf, Jean Edouard Hug (Bâle 1823-Nice 1871), marié à Anna Barbara Neeracher (Dielsdorf 1820-Nice 1917), achète l'ancienne Pension Clerissy à Camille Saltarini, veuve Casali(s) (AD, 03E 023/253 fol.199-204). Les recherches concernant la généalogie de la Famille Hug ont été publiées séparément sur ce blog (ici).
Cet achat ne concerne pas la partie conservée par Augustine Justine Clerissy (la moitié du 3éme étage nord ou 5ème niveau). Jean Edouard Hug doit, de plus, garder les locataires de l'abbé Ciais (jusqu'à l'expiration de leur bail de 2 à 5 ans, signé en 1863 ou 1864) dont un photographe, autorisé à faire ses prises de vues dans le jardin et sur la terrasse de la Tour Bellanda dominant la Baie des Anges (3U1 1134 fol.571-572).
Il semble que dès janvier, Jean Edouard Hug a le projet de créer un établissement de bains aux Ponchettes et fait réaliser les devis nécessaires (Journal de Nice du 14 février 1866 p 3).
- L'Hôtel de la Pension Suisse de la rue Masséna
Le couple Hug gérait depuis 1853, l'Hôtel et Pension Suisse de la rue Masséna (premières mentions dans : L'Avenir de Nice du 1er janvier 1854 p 3, AD06 ; Les Echos de Nice du 14 octobre 1857, BM Nucéra ; Allgemeine Zeitung München du 20 mars 1858, vol.1, p 1259, GoogleBooks).
L'hôtel était notamment fréquenté par les Allemands et les voyageurs de commerce. Une petite annonce publiée dans L'Avenir de Nice à partir du 6 février 1859 puis dans Le Messager de Nice dès le 3 avril 1860 précisait : "25, Rue Masséna, 25 - Hôtel - De la Pension Suisse - Appartements, chambres, grande Salle à manger et Jardin en plein midi. - Table D'Hôte - On s'y loge au jour, à la semaine, au mois et au prix de fr. 4 à fr. 8 - par jour, tout compris. - Ecurie et Remise".
Le recensement de la Ville de Nice de 1861 cite rue Masséna, le couple Hug et leurs trois enfants, un précepteur, un garçon d'hôtel et cinq domestiques.
La famille Hug est encore citée à l'adresse de la rue Masséna dans le recensement de la Ville de Nice au début du mois de juin 1866. L'annonce publicitaire, présente depuis le 1er mai 1863 dans le Journal de Nice, paraît pour sa part jusqu'au 5 juillet 1866 : "Nice, 25, rue Masséna, 25, Nice - Hôtel - Et - Pension Suisse - Avec Jardin".
Le 10 juillet 1866, Jean Edouard Hug fait établir, chez maître Arnulf, une procuration au nom de son épouse "pour le représenter dans les affaires qui le concernent pour l'acquisition qu'il a faite de Mme Veuve Casali née Saltarini, suivant acte du 30 janvier dernier", afin de gérer et administrer l'immeuble, reconnaître toute dette et emprunter toute somme (AD, 03E 023/255 fol.42).
- L'Hôtel et Pension Suisse des Ponchettes
L'Hôtel et Pension Suisse des Ponchettes semble ouvrir dans l'été 1866, probablement après que l'intérieur ait été modifié et rénové.
Le 20 septembre 1866, Jean Edouard Hug dépose une demande d'autorisation pour placer deux enseignes portant l'inscription "Hôtel et Pension Suisse" sur la façade de son établissement des Ponchettes, "l'une sur la Tour et l'autre sur la porte" du bâtiment principal (AM, 2T 23-182). Si l'enseigne placée au-dessus de la porte est visible sur les photographies contemporaines, nulle enseigne n'est visible sur la Tour Bellanda.
Il est probable que Jean Edouard Hug dépose d'autres demandes (non conservées) pour peindre deux inscriptions de même texte sur le haut des façades latérales nord et sud du bâtiment principal puis pour placer une grande banderole au balcon du dernier niveau de sa façade sud car ces dernières sont visibles sur de nombreuses photographies.
- Les travaux réalisés par Jean Edouard Hug en 1866 et 1867
En dehors des modifications intérieures (dont nul document ne rend compte), Jean Edouard Hug décide de faire construire un restaurant pour l'hôtel, au nord-ouest du bâtiment principal.
Il obtient l'accord de la municipalité mais, comme François Clerissy en son temps, sous réserve de démolition sans indemnités, le jour où la Ville réalisera son projet d'escalier d'accès aux Terrasses du Château.
Jean Edouard Hug fait préalablement dégager une partie de la paroi rocheuse de la Colline du Château (1866, demandes non conservées) (voir l'image ci-dessous).
Le 7 octobre 1866, Jean Edouard Hug passe un marché devant maître Arnulf, avec Honoré Teisseire, entrepreneur en bâtiments. Ce dernier s'engage à livrer, sous deux mois, la salle à manger, les cuisines et l'ensemble de l'ouvrage conçu par l'architecte François Jean (03E 023/256 fol.30-31). Le marché est modifié le 18 octobre 1866, Jean Edouard Hug s'engageant à fournir la poutraison en fer ainsi que les planchers en bois. Fin novembre, la construction arrive déjà au troisième étage (Journal de Nice du 25 novembre 1866 p 2).
Le solde des travaux est réglé par Jean Edouard Hug le 11 décembre 1866 (AD, 03E 023/256, fol.428). Le bâtiment aligne huit baies sur quatre niveaux dont un dernier niveau aveugle, un balcon en surplomb au troisième niveau et une terrasse supérieure.
Ce restaurant obstrue cependant les baies des quatre premiers niveaux du petit côté nord du grand bâtiment principal et occulte les baies de l'extrémité nord-ouest du bâtiment arrière (voir l'image ci-dessous).
Depuis le 27 octobre 1866, une publicité pour l'établissement hôtelier est diffusée dans Les Echos de Nice (voir l'image ci-dessous).
Le Guide Joanne, De Lyon à la Méditerranée, édité en 1866 signale, la "pension Suisse, rue des Ponchettes, à la Tour Bellanda" (p 319, GoogleBooks).
Emile Négrin dans la 5ème édition de son ouvrage Les Promenades de Nice, édité en décembre 1866, cite parmi les "pensions plus intimes et à prix plus réduits (...), la Pension Suisse aux ponchettes [sic]".
Il cite également la Tour Bellanda parmi les possessions de l'hôtelier. "Après avoir échappé à tant de bombardements, elle a dépouillé sa tunique grise de guerre ; la voici, vêtue d'un pacifique badigeon et servant de terrasse à la pension Suisse de monsieur Hug" (Emile Négrin, Les Promenades de Nice, 5ème édition, décembre 1866, pp 60 et 86, GoogleBooks).
A partir de février 1867, plusieurs expertises des bâtiments ont lieu du fait d'un contrôle des revenus déclarés par Camille Saltarini, veuve Casali(s).
La veuve et son représentant font tout pour minimiser cette estimation, en listant les défauts des bâtiments : "une construction réalisée au siècle passé par de petits pêcheurs, dans une propriété incommode pour cause de pied du château", la proximité problématique "du magasin à poudre existant à la Batterie des Ponchettes", "une maison mal située, froide en hiver et très chaude en été", qui n'avait que "7 locataires au moment de la vente" et dont une partie de "5 fenêtres du 3ème étage est possédée par Melle Clerissi".
Inversement, le bâtiment présente une occupation actuelle qui est dite, "liée à la saison, à la clientèle de la Pension suisse et aux améliorations apportées par le nouveau propriétaire".
Une dernière expertise réalisée le 10 mai 1867 est facilitée par le fait que "la maison transformée en hôtel par le sieur Baptiste [sic] Hug était à peu près vide par suite du départ des Etrangers". Elle précise que les experts précédents "n'ont pas donné assez d'importance au jardin et à la tour dont la construction a dû coûter beaucoup et dont l'agrément paraît inséparable de l'exploitation de la maison".
En mai 1867 également, suite au banquet de la chambre des notaires de l'arrondissement de Nice à l'hôtel et Pension Suisse, le Journal de Nice publie l'article suivant : "M. Hug, le propriétaire de ce magnifique établissement, avait arboré trois drapeaux aux couleurs nationales sur le riche balcon au-dessus de la porte principale d'entrée (...) .
La tour Clérissy et ses dépendances achetées par M. Jean-Edouard Hug, il y a 18 mois, sont aujourd'hui transformées en un hôtel splendide. Du haut de la tour, on jouit d'un panorama des plus merveilleux ; la mer, qui lui fait face, a un attrait indescriptible pour tous les voyageurs ; un jardin artistement dessiné y conduit par une rampe en forme d'escaliers : les fleurs les plus parfumées, les plus sympathiques aux yeux, les plantes exotiques et toutes celles qu'on ne trouve que sous notre beau ciel, s'y rencontrent à chaque pas.
L'hôtel principalement destiné à nos hôtes d'hiver est aménagé richement et le plus grand confortable y règne. Nous dirons en passant que la salle à manger contient 200 couverts ; elle est destinée aux grandes réunions : noces, festins, picnics (sic). Les appartements et les chambres sont à la portée de toutes les bourses, aussi est-ce un va-et-vient continuel de voyageurs.
M. Hug a compris qu'il fallait rendre le séjour le plus agréable possible ; la position choisie est excellente, hygiéniquement parlant. Chaleur en hiver et fraîcheur en été, étaient deux points difficiles à réunir ; il a su les trouver. Les améliorations entreprises par cet intelligent propriétaire dans le quartier des Ponchettes ont donné une valeur beaucoup plus grande aux propriétés avoisinantes, relativement aux terrains voulons-nous dire. Ce sera un des sites les plus recherchés, aussitôt que la Ville aura mis à exécution le projet de réunir les Terrasses à la promenade du Château par un escalier dont nous avons déjà parlé ici.
Il est également question d'établir des Bains de mer à cet endroit ; la limpidité de l'eau dans ces parages ne fera que les rendre plus agréables, se trouvant surtout dans le milieu de la ville. On nous assure que M. Hug est en instance auprès du ministre de la marine, à l'effet d'obtenir l'autorisation nécessaire. Ce résultat obtenu, les ouvriers se mettraient à l'œuvre pour rendre la plage abordable et faire tous les travaux que nécessite ce genre d'établissement (Journal de Nice du 18 mai 1867 p 3).
Après le restaurant, Jean Edouard Hug fait ensuite ériger un deuxième bâtiment nord, une remise (demande non conservée). La date de sa construction n'est pas connue mais plusieurs photographies témoignent tout d'abord du seul restaurant, ce qui peut laisser penser à plusieurs mois d'écart. Le deuxième bâtiment est cependant visible sur des photographies antérieures à septembre 1867 (vues prises depuis l'Hôtel des Anglais et montrant le Jardin Public encore dépourvu de Kiosque à musique).
Située sous la Tour Clerissy, cette remise ne peut aligner que quatre baies sur deux niveaux, avec une porte accostée de trois arcades aveugles au rez-de-chaussée mais est elle-aussi couronnée d'une terrasse (voir l'image ci-dessous).
Les deux bâtiments nord sont recouverts d'un crépi ocre qui les identifient nettement dans le quartier (voir notamment un tableau de Raphaël Ponson, ici).
Une petite annonce, citant l'hôtelier, paraît dans le Journal de Nice du 27 mars au 12 avril 1867, "Suisse. - Lac de Constance - Une jolie villa et jardin à louer. - Prix modéré. - S'adresser à E. Hug, Hôtel et Pension Suisse".
Les petites annonces qui concernent l'Hôtel et Pension Suisse paraissent pour leur part dans Les Echos de Nice et continuent à mettre en avant les jardins et la Tour Bellando (sic) (voir l'image ci-dessous).
Si son projet d'établissement de bains n'a pu aboutir, Jean Edouard Hug, grâce à l'accord avec la municipalité, a pu faire ériger (avec des différences de conception) les deux bâtiments auxquels Francesco Clerissy avait renoncé en 1844.
"L'Hôtel des Princes et l'Hôtel et Pension Suisse forment un angle très-carré, figure très-géométrique sans doute, mais d'un effet discordant pour tout amateur de perspective. Ici, l'histoire l'emporte sur la perspective, nous sommes au pied de la Tour Bellanda. Près le corps de garde des Ponchettes est située une magnifique maison qu'on a convertie en hôtel, l'Hôtel Suisse près la Tour Bellanda.
Cet hôtel et ses dépendances sont merveilleusement situés. Jouissance de jardins à l'abri du vent et de la poussière, en amphithéâtre sur la partie méridionale de la Colline du Château. Du haut de leurs terrasses dans l'ombre touffue de beaux arbres, on jouit de la vue la plus splendide du Golfe de la Baie-des-Anges, des Alpes-Maritimes, et de l'île de Corse" (Léon Watripon, Nice-Guide, Nouveau Cicérone des Etrangers, 1869 pp 88-89, Gallica).
Une publicité pour l'Hôtel et Pension Suisse est, bien entendu, présente en fin d'ouvrage (voir l'image ci-dessous).
En définitive, la municipalité décide d'utiliser le legs de Jean Charles Lesage (1799-1883) destiné aux embellissements de la Ville de Nice, pour faire ériger un escalier, du pied de la Tour Bellanda au sommet de la Colline du Château.
Un accord passé avec les co-héritiers Hug (droits cédés sur la partie rocheuse), permet à la Famille de surélever le bâtiment de la remise, en l'alignant sur celui du restaurant et en l'intégrant dans la construction de l'escalier. L'adjudication des travaux de l'Escalier Lesage a lieu le 30 avril 1888 et le procès-verbal de réception le 1er octobre 1889 (Conseils municipaux des 13 janvier, 3 février, 21 novembre 1888 et 21 octobre 1889) (voir l'image ci-dessous).
Peu avant 1900 (entre 1897 et 1899), les huit travées correspondant au restaurant Hug sont exhaussées de deux niveaux supplémentaires.
A partir du deuxième tiers du XX° siècle, une partie du bâtiment central est dévolue à "l'Hôtel La Pérouse" (années 1930) puis une partie à la "Résidence Rocamare" (seconde moitié des années 1950).
Seuls les bâtiments nord (ancien restaurant et remise) conservent actuellement le nom "d'Hôtel Suisse".