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mardi 17 mai 2022

1231-AGRA : LES LAVANDIERS DE LA RIVIÈRE YAMUNA-2

 

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Cet amour du linge qu'on lave, qu'on étend puis qu'on replie me vient de l'enfance. En France, au début des années 1960, ma mère, comme toutes les femmes de l'époque, consacrait son lundi matin au lavage du linge.

Ce rituel était presque mystique. Il s'agissait de commencer une nouvelle semaine avec du propre, la saleté du corps, des habits et de l'âme disparaissant dans ce grand nettoyage. 

Il s'agissait ensuite de descendre au jardin pour procéder à l'étendage des linges humides, colorés et translucides qui reflétaient la composition de la famille. Il fallait que le soleil sèche sans décolorer et j'aimais voir les tissus flotter au vent comme autant de drapeaux intimes. Il y avait comme une union des éléments, avec l'eau du lavage, la terre du jardin, l'air et le soleil du séchage.

J'admirais le geste expert, mille fois répété, du linge énergiquement secoué pour le débarrasser de ses plis puis celui du linge sec, admirablement replié. Parfois, pour aider, je passais les petites pièces de linge mouillé ou les pinces à linge lors de l'étendage ou je les récupérais lors du ramassage.

Les familles qui ne disposaient pas de jardin, mettaient le linge à sécher aux fenêtres, sur les balcons et sur des fils tendus en hauteur entre les murs des rues étroites. Toute ma vie j'ai aimé la couleur de ces linges et le bruit de leur flottement.

J'ai retrouvé cet amour du linge étendu dans les centres anciens des villes italiennes. Dans les Alpes-Maritimes, les règlements de copropriété cherchent à mettre un terme à cette humanité. Par chance, les photographies de la seconde moitié du XIX° siècle montrent à Cannes les linges séchant sur le sol des prés et le sommet des fourrés, et, à Nice, les linges lavés par les bugadières professionnelles dans le Paillon, avant d'être mis à sécher près de ses rives.

Quelques peintres de la fin du XIX°et du début du XX° siècle ont été sensibles à la poésie de ces scènes (Gustave Caillebotte, Franz Marc, Egon Schiele...) et certains artistes contemporains s'en sont inspirés dans leurs installations (Annette Messager, Christian Boltanski, Christo...).

En Inde, je retrouve parfois ces linges colorés des familles, étendus sur l'herbe et les fourrés, comme autant de machines à remonter le temps. Tout près, les femmes discutent à l’ombre d’un grand arbre. Près de la rivière, après le bain rituel du matin, les femmes deux à deux, étendent à bout de bras leur sari et laissent un temps ce long rectangle coloré suspendu entre terre et ciel, dans le vent chaud, avant de s'en draper à nouveau.

A Agra, ce sont des lavandiers et lavandières professionnels qui, aujourd’hui près des ponts de la ville sous lesquels buffles et bufflonnes se couchent et se baignent, lavent et battent le linge dans l’eau de la Yamuna, avant de le mettre à sécher sur l'herbe et la terre des rives et des îlots qui surnagent. 

Ce sont souvent de très longues pièces de tissus, comme autant de chemins de vie, puis de larges compositions abstraites, géométriques et colorées, qui recouvrent et métamorphosent le sol en des œuvres éphémères.

Enfin, il y a les gestes répétitifs de ces hommes et de ces femmes qui magnifient la scène, font s'envoler le tissu, le font scintiller dans la lumière, le déposent, le replient ou l’emportent sous forme de ballots. Et demain matin, tout recommence...






























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