DE GOBERT Philippe (né en 1964), Le Rêve brisé, 2009,
photographie noir et blanc, 110x160 cm.
Dès les débuts de la photographie, s'affrontent ces deux rôles : inventorier le réel d'une manière documentaire et manipuler l'image du réel.
A l'ère du numérique, où la manipulation de l'image semble davantage une évidence (voir cependant la série novatrice de Joan Fontcuberta, Orogenesis, 2002-2004), de nombreux artistes contemporains interrogent la vérité de l'image photographique en réalisant des décors uniquement destinés à être photographiés ; ils créent ainsi des mondes parallèles, des mondes de fiction miniatures ou grandeur nature, qui par le biais de l'image photographique concurrencent et interrogent notre vision et notre appréhension du monde réel. Les photographies ne sont plus le fruit d'un instantané mais au contraire d'une longue élaboration, à la croisée des arts de la sculpture, de la peinture, de l'architecture et du cinéma.
Voici quelques exemples d'artistes qui nous offrent des lieux mentaux et photographiques, avec des images qu'ils parsèment souvent de détails intrigants et d'indices de fiction, afin de créer le trouble et de révéler le processus de création.
- DIDIER MASSARD
Didier Massard est un artiste français né en 1953. Depuis 1987, il crée des maquettes miniatures en cire de lieux féeriques, de sites enchanteurs destinés uniquement à être perçus par le biais du regard photographique.
Ses carnets de voyage naissent de la lente et minutieuse construction de décors semblables à ceux de maquettes de théâtre ou de cinéma. L'idée et la réalisation évoluent pendant plusieurs mois, le lieu se construisant à l'aune de l'objectif photographique : angle de vision, échelle, perspective, couleurs et lumières. L'objectif capture enfin la vision troublante d'un monde idéalisé préservé, entre rêve et réalité. Loin de l'instantané habituel, l'image photographique argentique est ainsi le fruit d'une longue élaboration.
MASSARD Didier (né en 1953), La Roulotte, 1996.
MASSARD Didier (né en 1953), La Cascade, 2001.
MASSARD Didier (né en 1953), L’Éléphant, 2008.
MASSARD Didier (né en 1953), La Cathédrale engloutie, 2012.
- THOMAS DEMAND
Tous ses lieux sont dépourvus de présence humaine et seulement habités par des objets qui renvoient notamment à des événements dramatiques du passé, vulgarisés par les images des Mass Media : criminels de guerre, dictateurs, tueurs en série, décès de célébrités ... Cependant, ses simulacres sont neutres, dépourvus de tout sentiment de drame, d'empreintes humaines et de détails ; ils apparaissent froids mais banals.
Son travail mêle donc photographie, sculpture et architecture et joue sur la mise en abyme puisqu'il ne montre que la photographie d'une sculpture, réalisée d'après photographie. Par son apparente vérité, son monde artificiel interroge sur la photographie et jette un doute sur le monde réel.
L'artiste réalise également, avec ses reconstitutions en carton, de courts films sonores passant en boucle, constitués de l'animation de photographies successives.
DEMAND Thomas (né en 1964), Archive, 1995,
C-Print/Diasec, 183,5x230 cm, New York, Salomon R.Guggenheim Museum,
stock de films de propagande nazie et inventaire du cinéaste Leni Riefenstahl.
DEMAND Thomas (né en 1964), Corridor, 1995,
C-Print/Diasec, 183,5x270 cm,
couloir de l'étage de l'appartement du tueur en série Jeffrey Dahmer.
DEMAND Thomas (né en 1964), Copyshop, 1999,
C-Print/Diasec, 183,5x300 cm.
L'artiste a mis plus de 15 mois pour recréer, image par image avec une caméra de vidéosurveillance, le lieu de la scène de panique
du bateau de croisière frappé, il y a quelques années, par une tempête au large de la Nouvelle-Zélande (nombreux blessés).
du bateau de croisière frappé, il y a quelques années, par une tempête au large de la Nouvelle-Zélande (nombreux blessés).
VOIR LE SITE DE THOMAS DEMAND
- PHILIPPE DE GOBERT
Philippe de Gobert est un artiste belge né en 1964. Peintre de formation, l'artiste construit dès les années 1990 des maquettes miniatures (de 50 cm à 1 m de haut) qu'il photographie."L'oeuvre de Kurt Schwitters m'a fait abandonner la gouache pour assembler divers matériaux et objets ; découvrant la troisième dimension, j'ai un temps été sculpteur puis je me suis mis à reconstruire à échelle réduite mon univers de prédilection : les "Artists Rooms" (ateliers d'artistes). Ces maquettes sont devenues les "modèles", au sens pictural du terme, de mes photographies et depuis je les construis à cette fin".
Le lieu semble vrai mais les simplifications et les imperfections de la maquette donnent un caractère pictural à l'image. Les lieux sont grands, vides et lumineux vus en perspective : ateliers, appartements, enfilades de pièces ou vues plongeantes, permises par le percement du plafond, créant le vertige sur une construction en étages. avec la présence de quelques objets mais sans présence humaine : la réalité architecturale est le sujet.
Partant d'images existantes, il déconstruit l'image puis reconstruit ou réinvente un lieu en carton, bois et aluminium puis le photographie de l'intérieur, quitte à en percer le plafond, et enfin en expose de grands tirages en noir et blanc ou en couleur. Dans le cas de la couleur, la maquette est parfois peinte ou bien c'est la photo qui l'est, affirmant encore une démarche picturale.
Contrairement à d'autres artistes, Philippe de Gobert conserve et expose ses maquettes pour révéler le processus mais pas en vis-à-vis avec les photos qui la concernent.
photographie en couleur, 148x112 cm.
DE GOBERT Philippe (né en 1964), L'Atelier de Marcel Duchamp, 2009,
photographie en noir et blanc, 72x94 cm.
DE GOBERT Philippe (né en 1964), Matinée radieuse, 2009,
photographie en couleur, 160x110 cm.
DE GOBERT Philippe (né en 1964), Sans titre (E pericoloso sorgersi), 2011,
photographie noir et blanc, 90x115 cm.
DE GOBERT Philippe (né en 1964), Plateforme I, 2011,
maquette bois et métal, 90x90x80 cm.
- GREGORY CREWDSON
Gregory Crewdson est un artiste américain né en 1962. Il réalise, dès les années 1980, des tableaux photographiques qui s'inspirent de l'ambiance des peintures d'Edward Hopper mais également des photos de William Eggleston, Walker Evans et Jeff Wall ou encore des films de David Spielberg ou de David Lynch. Sa quête et ses techniques sont cinématographiques. Les scènes se déroulent au crépuscule ou la nuit, dans la vie quotidienne d' américains moyens d'une petite ville, et révèlent l'envers du rêve américain. Les personnages sont saisis à un moment de solitude dans une scène empreinte d'étrangeté. On est comme dans une image de film, à un moment décisif, sans que le foisonnement de détails n'aide à comprendre le sens de la scène.
En fait, grâce à des budgets énormes, toute la mise en scène et les décors intérieurs (maisons) et extérieurs (bois) avec leurs effets spéciaux (incendie, neige...) ont été pensés, dessinés puis créés grandeur nature, grâce à de nombreux assistants, stylistes, acteurs et éclairagistes, soit en studio, soit en extérieur, quitte à modifier l'éclairage naturel. Tout est ainsi fabriqué pour être finalement saisi grâce à une chambre photographique 20x25 cm et exposé sous forme de tirages couleurs de grandes dimensions.
CREWDSON Gregory (né en 1962), Untitled (Ophelia) (Twilight series), 2001,
Digital C-Print, 127x152,4 cm,4.
CREWDSON Gregory (né en 1962), Untitled (Beneath The Roses series), 2003,
Digital C-Print, 144,8x223,6 cm.
CREWDSON Gregory (né en 1962), Untitled (Birth) (Beneath The Roses series), 2007,
Digital C-Print, 148,4x227,3 cm.
CREWDSON Gregory (né en 1964), l'envers du décor de la photo Ophelia (Twilight series), 2001.
-PAOLO VENTURA
Photographe de mode aux USA pendant dix ans, cet artiste italien, né en 1968, réalise désormais des maquettes reconstituant des scènes avec minutie, avant de les photographier. Il réalise d'abord des croquis puis recrée une scène réaliste et son ambiance avec des poupées et des jouets et construit les décors en argile, carton, mousse et plastique. Il réalise ensuite des Polaroïds, en recherchant le bon point de vue et travaille la lumière en mélangeant celle artificielle et colorée de lampes de table et de plafonniers, avec celle, naturelle, des fenêtres. Il réalise enfin la photographie, en pose. Il s'est fait connaître notamment par la reconstitution de scènes de guerre.
VENTURA Paolo (né en 1968), Noël 1944, peu de temps avant le couvre-feu, 2005,
photo extraite de la série War Souvenir,
l'artiste a recréé l'ambiance et les scènes de la Seconde Guerre Mondiale en Italie, du fait de l'implication de sa famille dans la guerre.
VENTURA Paolo (né en 1968), Slump Final, série Irak, 2008,
C-Print, 120x100 cm,
C-Print, 120x100 cm,
tourné vers la recréation du passé, l'artiste réalise également des séries photographiques sur des faits contemporains.
VENTURA Paolo (né en 1968), Intérieur, série Winter Stories, 2009,
PaoloVentura imagine la mort imminente d'un artiste du cirque qui se remémore des lieux et des scènes de sa vie passée. L'artiste recrée en fait, au travers de ses propres souvenirs (faussés), l'univers qu'il a connu, enfant, chez sa grand-mère, à Milan.
Photo montrant Paolo Ventura au travail et montrant l'échelle d'une de ses maquettes, ainsi que son éclairage.
- L'HOMMAGE A HOPPER (1882-1967)
DE CLARK & POUGNAUD PUIS DE RICHARD TUSCHMAN
Clark & Pougnaud est le nom du couple d'artistes français constitué de Christophe Clark, photographe, né en 1963, et de Virginie Pougnaud, peintre et maquettiste, née en 1962. "Notre collaboration est née avec une série d'images numériques en hommage au peintre américain Edward Hopper (1999-2000). Notre démarche joue sur l’ambiguïté que représente l'assemblage d'une technique de pointe et d'un "bricolage" manuel".
L'image de départ est donc une image réalisée par un peintre qui devient tridimensionnelle par le biais de la maquette peinte avant d'être fixée de manière bidimensionnelle par le biais de la photographie. Virginie réalise donc les maquettes puis Christophe intègre numériquement l'image photographique de modèles vivants, prise sur fond uni, dans la photographie de la maquette. Le but est de recréer l'ambiance si particulière de l'univers de Hopper :"Nos photos évoquent la solitude qui habite toute forme humaine dès qu'elle est confrontée à la vie. Nous donnons à voir un instant figé de l'isolement". L'aspect maquette (découpes vives, absence de fenêtre ou de vitrine) est affirmé afin de recréer l'artificialité du lieu et l'isolement du personnage.
Les artistes ont créé depuis, de nombreuses séries inspirées par des univers picturaux et basées sur le même type de collaboration et de techniques.
Richard Tuschman est un artiste américain né en 1956. Il recrée, dans sa série photographique "Hopper Meditations" (2012-2013), un univers copié ou inspiré des scènes peintes par Edward Hopper au milieu du XX° siècle.
Créateurs de dioramas, il utilise ici son savoir-faire pour fabriquer des maquettes adaptées à la taille de son chat, recréant l'ambiance et l'intimité des chambres aux fenêtres solaires de l'univers de Hopper, avec leur lot de questionnements sur la condition humaine. Les maquettes sont réalisées et peintes avec minutie. Dans un premier temps, l'artiste positionne des figurines (petits mannequins articulés servant de modèles aux artistes) dans ses maquettes et travaille en studio les effets de lumière, afin de recréer l'impression de lumière naturelle puis photographie l'ensemble, en faisant la mise au point sur la figue principale. Dans un second temps, il photographie des modèles vivants sur fond uni (deux femmes et lui-même ont servi de modèles). Enfin, il intègre par le biais de la retouche numérique, les modèles vivants dans la photographie de la maquette et retravaille avec un logiciel, détails, couleurs, lumières et reflets de l'image. Ses lumières sont plus contrastées que celles des tableaux de Hopper car l'artiste est un adepte du clair-obscur pictural à la Rembrandt.
DE CLARK & POUGNAUD PUIS DE RICHARD TUSCHMAN
Clark & Pougnaud est le nom du couple d'artistes français constitué de Christophe Clark, photographe, né en 1963, et de Virginie Pougnaud, peintre et maquettiste, née en 1962. "Notre collaboration est née avec une série d'images numériques en hommage au peintre américain Edward Hopper (1999-2000). Notre démarche joue sur l’ambiguïté que représente l'assemblage d'une technique de pointe et d'un "bricolage" manuel".
L'image de départ est donc une image réalisée par un peintre qui devient tridimensionnelle par le biais de la maquette peinte avant d'être fixée de manière bidimensionnelle par le biais de la photographie. Virginie réalise donc les maquettes puis Christophe intègre numériquement l'image photographique de modèles vivants, prise sur fond uni, dans la photographie de la maquette. Le but est de recréer l'ambiance si particulière de l'univers de Hopper :"Nos photos évoquent la solitude qui habite toute forme humaine dès qu'elle est confrontée à la vie. Nous donnons à voir un instant figé de l'isolement". L'aspect maquette (découpes vives, absence de fenêtre ou de vitrine) est affirmé afin de recréer l'artificialité du lieu et l'isolement du personnage.
Les artistes ont créé depuis, de nombreuses séries inspirées par des univers picturaux et basées sur le même type de collaboration et de techniques.
CLARK & POUGNAUD (nés respectivement en 1963 et 1962), Anne-Charlotte, Arnaud et Stéphane, 2000,
photographie en couleur.
CLARK & POUGNAUD (nés respectivement en 1963 et 1962), Virginie, 2000,
photographie en couleur.
CLARK & POUGNAUD (nés respectivement en 1963 et 1962), Sans titre n° 6, série Lost in Meditation, 2009,
série qui recrée, cette fois, l'ambiance des intérieurs dépouillés du peintre danois Vilhem Hammershoi (1864-1916).
CLARK & POUGNAUD (nés respectivement en 1963 et 1962), Sans titre n° 6, série Lost in Meditation, 2009,
série qui recrée, cette fois, l'ambiance des intérieurs dépouillés du peintre danois Vilhem Hammershoi (1864-1916).
Richard Tuschman est un artiste américain né en 1956. Il recrée, dans sa série photographique "Hopper Meditations" (2012-2013), un univers copié ou inspiré des scènes peintes par Edward Hopper au milieu du XX° siècle.
Créateurs de dioramas, il utilise ici son savoir-faire pour fabriquer des maquettes adaptées à la taille de son chat, recréant l'ambiance et l'intimité des chambres aux fenêtres solaires de l'univers de Hopper, avec leur lot de questionnements sur la condition humaine. Les maquettes sont réalisées et peintes avec minutie. Dans un premier temps, l'artiste positionne des figurines (petits mannequins articulés servant de modèles aux artistes) dans ses maquettes et travaille en studio les effets de lumière, afin de recréer l'impression de lumière naturelle puis photographie l'ensemble, en faisant la mise au point sur la figue principale. Dans un second temps, il photographie des modèles vivants sur fond uni (deux femmes et lui-même ont servi de modèles). Enfin, il intègre par le biais de la retouche numérique, les modèles vivants dans la photographie de la maquette et retravaille avec un logiciel, détails, couleurs, lumières et reflets de l'image. Ses lumières sont plus contrastées que celles des tableaux de Hopper car l'artiste est un adepte du clair-obscur pictural à la Rembrandt.
TUSCHMAN Richard (né en 1956), Morning Sun, série Hopper Meditations, 2013,
photographie couleur, 61x46 cm.
TUSCHMAN Richard (né en 1956), Pink Bedroom (Daydream), série Hopper Meditations, 2013,
photographie couleur, 61x46 cm.
TUSCHMAN Richard (né en 1956), l'une des maquettes avec les présences du chat de l'artiste, Smithers, et des figurines évoquées.