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DÉCORS ET POSES DES PORTRAITS PHOTOGRAPHIQUES DU XIX° SIÈCLE :
L'EXEMPLE DES PORTRAITS ISSUS DES ATELIERS
DE JOSEPH SILLI À NICE ET VICHY (1857-1899)
UN ARTICLE ÉCRIT EN COLLABORATION AVEC
GIORGIO OLIVERO
I - LES ATELIERS DE JOSEPH SILLI
LE PHOTOGRAPHE
Joseph Silli est né à Rome en 1826. Il semble qu'il se soit formé dans cette ville à la photographie, avant de travailler à Turin dans les années 1850, notamment associé à Jacques Mazzocca.
Il est présent à Nice dès 1857 où il se consacre à la photographie de paysages puis se concentre sur la réalisation de portraits.
Ses ateliers successifs sont situés sur la rive gauche du Paillon, le premier "derrière le Temple Vaudois" (1857 à 1862) puis "quai Masséna, 9" (1862 à 1872) et enfin "quai Saint-Jean-Baptiste, Maison du Grand Hôtel de la Paix" (1872-1881).
Il ouvre une succursale d'été à Vichy dès 1865, tout d'abord "rue de Ballore" (1865-1868) puis "boulevard Napoléon" (1868-1870), adresse qui devient, à la chute du Second Empire, "boulevard National" (1870-1899).
Il vend son atelier niçois en 1881 mais conserve son atelier vichyssois jusqu'en 1886, date de son décès dans cette ville. L'atelier de Vichy perdure cependant encore plus d'une décennie sous son nom (1886-1899), grâce à son ancien assistant, François Randrup (1845-1899).
Cet article va uniquement décrire et retracer l'évolution des décors et des poses des portraits réalisés dans les ateliers de Joseph Silli, très représentatifs cependant de l'art photographique de la seconde moitié du XIX° siècle.
LE CORPUS
L'étude repose sur un corpus constitué d'environ 300 Cartes de visite et Cabinets conservés et consultables, qui ne peuvent donner qu'une vision partielle, voire faussée, d'une production de plus de 30.000 tirages.
La conservation aléatoire des portraits et leur répartition inégale ne permet pas toujours une étude séparée de chacun des ateliers. Les portraits des années 1870 apparaissent sur-représentés, contrairement aux plus anciens cartons niçois (1857-1865) et aux plus récents cartons vichyssois (années 1880 et 1890).
Les cartons niçois sont également très majoritaires, ce qui accentue l'impossibilité de distinguer les décors des ateliers de Nice de ceux de Vichy, d'autant qu'un grand nombre de cartons conservés affichent les adresses des deux villes.
Enfin, il a fallu composer avec les seules images libres de droits (Collections internationales et collections personnelles), afin de dévoiler les décors et les poses de quelques-uns des portraits des ateliers de Silli.
II - LE DÉCOR ET LE MOBILIER DES DIFFÉRENTS ATELIERS DE SILLI
GÉNERALITÉS
Introduction
Au-delà de conserver la mémoire des personnes et de leur apparence, les portraits de studio évoquent le souvenir du décor qui leur a servi d'écrin et a fait l'objet d'une mise en scène élaborée.
Ce dernier hésite entre l'évocation d'un atelier de peintre, d'un intérieur bourgeois et d'une scène de théâtre. Il apparaît ainsi très artificiel, faisant voisiner un meuble avec un rideau dépourvu de fenêtre ou une portion isolée de balustrade avec un mur.
Il alterne également entre sobriété et surcharge, avec des zones nues et d'autres chargées de motifs. Il réinvente enfin un espace plus ou moins profond, constitué d'un échelonnement de plans, dus à la présence d'éléments réels et à d'autres représentés.
Le sol
Le cadre de la scène dévolue à la pose est déterminé par le plan horizontal du sol vu en perspective (environ 1 m de profondeur visible), avec un parquet rarement laissé nu et le plus souvent recouvert d'un tapis à gros motifs géométriques (Images 1, 2, 5, 8).
Les meubles et accessoires
Plusieurs meubles ou accessoires sont placés au milieu de la scène, sur ses côtés ou à ses extrémités ; dans ce dernier cas, ils sont coupés par le cadre, n'étant visibles qu'en partie et se continuant hors-champ (Images 1, 2, 5).
Le mobilier en bois, de style éclectique, peut être plus ou moins sculpté (motifs géométriques, phytomorphes, zoomorphes) et former des ensembles assortis ou non avec :
- un siège (chaise, fauteuil crapaud, prie-Dieu, pouf, tabouret), simple et banal ou à l'inverse cossu, ornementé et original ; il est parfois masqué partiellement ou entièrement par la figure humaine qui s'y appuie, s'y assied (robes amples) ou y dépose un vêtement (Images 3, 4, 6, 8),
- une petite table, généralement circulaire et parfois recouverte d'une nappe (guéridon, table console, table d'appoint, porte-plantes)
- ou, plus rarement, un meuble de rangement (buffet bas ou cabinet, secrétaire, bureau).
Quelques accessoires en bois ou plâtre viennent compléter l'ensemble :
- le plus souvent un piédestal (Images 5, 7) ou une balustrade (Images 1, 2),
- un pilastre cannelé (Image 1) ou une colonne cannelée,
- et plus rarement, un escalier en bois de deux ou trois marches ou un faux rocher en liège aggloméré.
Les petits éléments
Quelques objets (livre, nappe, vase, corbeille, poupée, cerceau, cheval de bois) et de plus rares choses (fleurs) sont mis à disposition par le photographe.
L'élément choisi est déposé sur une table, une balustrade ou un piédestal, afin de donner la sensation d'un lieu habité et d'accentuer ce qui caractérise la personne photographiée, sa jeunesse (jouets), sa féminité (fleurs), ses goûts, sa profession et son statut social (livre).
Un livre, selon son état ouvert ou fermé et la personne qui l'accoste, peut apparaître comme un livre saint (personnage religieux), un ouvrage culturel ou l'album de l'atelier empli de spécimens.
Il faut également noter la présence d'un ou deux objets appartenant au client (chapeau - haut-de-forme, képi, béret, chapeau de paille... - cape, châle, canne, parapluie, ombrelle, gants, plus rarement éventail, étui à cigares, voire jouet), tenus par lui ou faussement abandonnés près de lui, afin de simuler l'intimité de son domicile où il vient de rentrer et de se mettre à l'aise (Image 1).
Il arrive enfin que le chien qui accompagne le client et pose habituellement assis ou couché sur ses genoux ou à ses pieds, soit placé sur un meuble ou un accessoire.
Le mur
Le cadre de la scène est également déterminé par le plan vertical du mur (environ 2x2 m visibles dans les images verticales et 2x4 m dans les images horizontales), totalement nu ou orné de quelques motifs de tapisserie (frises, hautes plinthes, petits pilastres) et pourvu d'un rideau, voire d'une toile de fond.
Le rideau
Un rideau en reps est souvent accroché au mur, créant par son épaisseur un plan intermédiaire entre la figure et la paroi, équilibrant par sa verticalité la composition et apportant, par son drapé curviligne, mouvement et confort, en écho aux robes des femmes.
Situé sur l'un des côtés de l'image, le rideau n'est visible que partiellement et accoste la figure humaine de sa masse attachée ou pendante, voire roulée en boule (et presque inquiétante).
Il masque parfois en partie le pilastre voisin ou repose, par son extrémité, sur une chaise prie-Dieu, une console, un piédestal ou une balustrade (Images 1, 5).
Le décor en trompe-l'œil
Une peinture réalisée sur une toile de fond vient parfois compléter et transformer l'ensemble, avec un décor en trompe-l'œil représentant un paysage mêlant terre, eau, ciel et architecture, vu par la fenêtre ou depuis une terrasse, et ouvrant la scène en lui donnant de la profondeur (Images 1, 2, 3, 5, 8).
Ces toiles de fond semblent avoir été réalisées en partie par un peintre-décorateur local, avec un dessin exécuté d'après nature ou inspiré d'une estampe ou d'une photographie. La couleur y a probablement cédé la place à un travail aux seuls dégradés de valeurs.
Remarques
Le choix, le nombre, la combinaison et la disposition de tous ces éléments permettent un grand nombre de décors possibles et variés.
Les éléments les plus originaux deviennent, par leur présence forte et répétitive, caractéristiques du travail du photographe et permettent d'identifier ce dernier en cas d'absence d'indications aux recto et verso du carton-photo.
Certains d'entre eux permettent même une datation plus resserrée de la photographie mais la prudence reste de mise car ils se retrouvent utilisés pendant plusieurs décennies successives, y compris après des changements d'adresse de l'atelier.
ÉVOLUTION DU DECOR
Les décors du premier atelier niçois (1857-1862)
Dès les premières années, l'atelier de Joseph Silli propose un cadrage au plus près du sujet, avec un décor plus ou moins chargé.
D'un à six éléments sont présents, choisis parmi les huit suivants :
- le parquet rarement nu ou plus généralement recouvert d'un tapis à gros motifs géométriques hexagonaux ou cruciformes ;
- une chaise simple ou bien une chaise à médaillon aux montants tournés ; un piédestal parfois surmonté d'un grand vase (cratère) ;
- un pilastre cannelé surélevé et accosté d'une balustrade ;
- un rideau orné de motifs végétaux moirés pourvu d'embrasses et de glands ou bien présenté délié ;
- le mur nu ou bien recouvert d'une toile de fond en trompe-l'œil.
Une grande partie de ces toiles de fond offrent un paysage en perspective, vu depuis une terrasse limitée par un parapet ou une barrière ou bien depuis un intérieur. Dans ce dernier cas, le mur de la demeure est évoqué par une arcature percée d'une large baie plein cintre ou d'une plus étroite baie brisée et trilobée (évocation d'un manoir néo-gothique).
Certaines des toiles reproduisent des vues urbaines niçoises :
- la Baie des Anges et les Ponchettes, vues de l'est (depuis la Colline du Château) et montrant la ville, ou bien vues de l'ouest (depuis le quai du Midi) et montrant la Tour Bellanda, la Pension Suisse et la Poudrière dominées par la Colline du Château (Image 1).
D'autres proposent des vues non localisées :
- un paysage naturel de hautes montagnes, celle de droite offrant un sentier sinueux qui grimpe jusqu'au sommet couronné d'un imposant bâtiment,
- ou encore un parc arboré (Image 2), comprenant un parterre central accosté d'une fontaine et, sur la droite, un escalier majestueux menant à une terrasse dominée par un haut bâtiment circulaire (tholos).
Ces paysages ont pour inconvénient de concurrencer la figure humaine par leur forte présence mais pour avantage de lui fournir un écrin de ciel où situer la tête et un fond, estompé par l'effet atmosphérique et la lumière égale, où donner du relief au corps.
Ces toiles confèrent également à la personne une position dominante sur la ville ou la nature et permettent d'évoquer son voyage à Nice et son désir d'évasion.
Les décors du deuxième atelier niçois (1862-1871) et des deux ateliers vichyssois successifs (1865-1870)
Aux éléments de décor de l'atelier précédent, viennent s'ajouter de nouvelles acquisitions de styles variés qui élargissent les choix possibles :
- un tapis orné de grands losanges (Image 2) ;
- des chaises dont l'une à médaillon et aux montants torsadés ; des fauteuils dont l'un présente des accoudoirs en forme de dragons ; des chaises prie-Dieu offrant un tissu uni ou imprimé et un dossier au décor curviligne ajouré ; des tabourets ;
- une table console (Louis XIV à pieds galbés), un piédestal et un buffet bas carré (ou cabinet), tous trois à têtes de lion (Images 5, 7) ; d'autres piédestaux plus ou moins sculptés ; une table d'appoint carrée ; un secrétaire ; un petit bureau ;
- une colonne cannelée ; des marches d'escalier ;
- un grand vase de style Renaissance ; un porte-plantes ;
- six nouvelles toiles de fond, qui semblent cependant peu utilisées.
Il est à noter que certains des éléments cités ci-dessus ne semblent apparaître qu'à partir de 1865 : le fauteuil aux accoudoirs en forme de dragon, le secrétaire, le petit bureau, les piédestaux très ornés, le vase Renaissance, le porte-plantes et les six toiles au décor en trompe-l'œil.
Trois des toiles offrent des paysages destinés notamment à servir de fond à des groupes familiaux :
- une vue plongeante sur un bord de mer (Nice, vue de Montboron ?),
- un paysage de plaine et de rivière (ou de lac), aux rives bordées d'arbres et ponctuées de quelques architectures dont un grand palais à portiques (paysage imaginaire ?)
- et un paysage vallonné ponctué de villages (Image 3 ; paysage du département de l'Allier ?).
Les trois autres toiles, encore moins utilisées que les précédentes, représentent des éléments d'intérieurs, porte ou fenêtres vitrées (Image 5) ; une grande fenêtre rectangulaire entr'ouverte dévoile notamment une terrasse dominant un paysage naturel.
Ces toiles sont parfois placées sur le côté de la personne, ne servent donc pas de fond et ne sont visibles que très partiellement (comme un rideau). Cette présentation originale semble jouer avec l'artificialité de cet accessoire et dévoiler les coulisses de l'atelier (Image 5).
On remarque la mise en scène récurrente des éléments suivants :
- un sol désormais systématiquement recouvert d'un tapis,
- une chaise prie-Dieu originale ou la table console à têtes de lions, la chaise aux montants torsadés accompagnée d'une table recouverte d'une nappe ou encore un piédestal couronné d'un vase ou surmonté d'une colonne cannelée,
- un rideau, très partiellement visible, généralement situé sur la gauche de l'image (Image 5),
- un mur nu ou recouvert de la toile de fond du parc, conservée dans ce nouvel atelier.
Comme dans l'atelier précédent, le décor se veut parfois très sobre, constitué de deux éléments (console ou balustrade), d'un seul (tapis), voire d'aucun, au-devant du mur nu.
Cependant, dès 1863, des portraits présentent parallèlement des personnes en buste émergeant d'un fond nuagé, et cette tendance va fortement s'amplifier dans les années et les décennies suivantes (Image 4). Les éléments de décor se retrouvent effacés au tirage, seule l'extrémité du siège (chaise prie-Dieu, fauteuil) étant perceptible.
Le troisième atelier niçois (1871-1881) et le deuxième atelier vichyssois (1870-1886)
Les deux formules de la décennie précédente se perpétuent dans les années 1870 et 1880, avec :
- les portraits traditionnels en pied (debout ou assis) mais également des portraits assis désormais cadrés aux cuisses, aux genoux ou aux mollets, dans un intérieur meublé mais sobre, avec seulement deux ou trois éléments de décor.
Quelques-uns de ces éléments semblent nouveaux : un tapis orné de carrés aux angles pourvus de petits cercles et deux toiles de fond (terrasse donnant sur un parc et rangée de fausses fenêtres).
- les portraits en buste, à la taille ou en plan américain (coupé aux cuisses) émergeant d'un fond nuagé quasi-dépourvu de décor (Images 6, 7). Très exceptionnellement, seule la tête est parfois même visible et semble étrangement flotter.
Ces portraits nuagés semblent les plus nombreux et sont, dès le début des années 1870, recadrés dans un médaillon ovale, parfois embossé et entouré d'un cadre noir (Image 6 ; "genre Camée").
De plus rares portraits en buste émergent pour leur part d'un fond entièrement noir à la fin des années 1870.
Les dernières années du deuxième atelier vichyssois (1886-1899)
Il est difficile d'avoir une vision globale de cette période car peu de photographies sont conservées. Celles qui le sont témoignent des mêmes formules que les années précédentes avec :
- des portraits en pied dans un décor sobre ; une toile de fond parfois présente mais peu visible ; la rare utilisation d'un faux rocher (en liège) ou d'un faux pan de mur en ruine (en papier mâché ?)
- et des portraits en buste, émergeant d'un fond nuagé, le plus souvent dépourvu de médaillon.
III - LES POSES ADOPTÉES
GÉNERALITÉS
Dans les poses debout, l'objectif du photographe est situé à la hauteur de la poitrine du client et, dans les poses assises, à la hauteur de sa tête.
Les corps offrent des postures nombreuses et variées dont sont exclues les poses accroupies, assises ou couchées sur le sol (et celles vues de dos). Un rare portrait présente une femme allongée sur couvertures et coussins dans une mise en scène orientalisante.
Les corps se tiennent généralement assez droits et raides, avec les épaules légèrement de trois-quarts, et sont placés au centre exact de l'image verticale.
Ils sont parfois vus strictement de face ou, plus rarement, de profil pour montrer notamment l'arrière ou la traîne de la robe. Ce n'est que très rarement que les bustes apparaissent penchés, pour s'appuyer sur une balustrade, une chaise prie-Dieu ou une table console.
Les jambes et les pieds des femmes restent invisibles, masqués par leur ample robe. Les jambes des hommes debout sont généralement parallèles mais l'une d'elles peut être légèrement fléchie ou tournée sur le côté. Les pieds croisés, peu fréquents chez les hommes, sont en revanche très courants chez les enfants.
Dans une pose assise, le corps est davantage relâché, avec le buste généralement droit (en appui contre le dossier du siège quand il existe) ou les épaules légèrement inclinées vers l'avant. Les jambes apparaissent, pour leur part, pliées et tournées sur le côté, voire parfois croisées chez les hommes. Les jambes des adultes sont parfois coupées par le cadrage, du fait de l'adoption de plans rapprochés ou de fonds nuagés.
Quelques portraits montrent des hommes, ou plus exceptionnellement des femmes, dans une posture mi-assise mi-debout, avec une fesse posée sur le rebord d'une balustrade, une jambe pendant dans le vide et l'autre appuyée sur le sol (Image 1). Les enfants assis sur la balustrade ont pour leur part les deux jambes pendantes ou, plus rarement, les deux pieds posés sur l'assise d'une chaise.
Les deux bras et mains adoptent généralement des gestes dissociés : un bras est placé le long du corps, avec la main posée contre la cuisse, la taille ou entrée dans une poche (position debout) ou bien est posée sur le ventre ou le genou (position assise) ; l'autre bras présente un objet ou est posé plus haut sur un meuble. Il est très rare de voir un bras levé (ombrelle ouverte).
Les bras et les mains adoptent parfois un geste symétrique (postures debout), avec chacune des mains occupée à tenir un objet différent (chapeau et parapluie, canne ou épée) ou bien se réunissent (postures debout et assise) pour se croiser ou tenir le même élément posé sur le corps ou sur un meuble (livre ouvert, bouquet de fleurs, cerceau). Les bras et les mains ne restent jamais tous deux inoccupés ni placés le long du corps.
Les têtes sont :
- généralement de trois-quarts, y compris dans les cas où le corps est présenté de face (2ème joue moins visible) ou de profil (2ème œil perceptible), le regard fixant le photographe (Image 2) ou bien tourné sur le coté (Images 1, 4, 5, 6, 7) ;
- quelquefois strictement de face mais très rarement strictement de profil (moins représentatif de l'identité et moins flatteur) et, dans ce dernier cas, tournées vers l'un des côtés de l'image.
Les visages adoptent une expression assez neutre, yeux grands ouverts et bouche fermée. Les ombres en sont bannies le plus possible car elles salissent, creusent et vieillissent les traits.
L'appui du corps se fait :
- sur des meubles et accessoires, par les fesses, le dos, un coude, un ou deux avant-bras, une ou deux mains, voire le ou les pieds sur une chaise pour les enfants ou très exceptionnellement pour les hommes (Image 3).
Le meuble ou accessoire est parfois disposé de manière oblique, afin d'impliquer une posture de trois-quarts de la part du client, ou bien est placé de face mais au-devant de ce dernier, pour créer un nouvel effet de profondeur.
- sur un objet appartenant au client, la pointe de sa canne, de son épée ou de son parapluie, voire le cadre de son vélo, dans les années 1880 et 1890.
Duos et groupes
Lorsque deux personnes, deux adultes ou un adulte et un enfant, posent simultanément, elles adoptent une posture semblable ou au contraire opposée. Généralement, leurs deux têtes ne se retrouvent pas à la même hauteur, l'une des personnes étant debout et l'autre assise, mari et femme étant debout mais pas de même grandeur, ou mère et enfant étant assis mais l'enfant posé sur une balustrade ou bien sur les genoux de sa mère.
Lorsque plus de deux personnes posent simultanément, en tant que membres d'une même famille ou d'un groupe d'amis (aucun groupe scolaire, religieux ou militaire n'est à ce jour connu dans la production des ateliers de Silli), chacune d'elles se voit attribuer, au-devant d'un paysage en trompe-l'œil (images 3, 8) :
- une posture différente du corps (debout, assis, de face, de trois-quarts, de profil),
- de la tête (de face, de trois-quarts, penchée, relevée)
- mais parfois également des mains (lecture, tricot, broderie, confection d'un bouquet), reconstituant une scène d'intérieur devant une toile de paysage naturel.
Les deux personnes situées aux extrémités de l'image se tournent vers le centre pour refermer la composition (Images 3, 8).
Les membres du groupe n'échangent généralement entre eux ni gestes ni regards et tournent pour la plupart la tête en direction du photographe.
Alors que les groupes les plus anciens se voient attribuer un format horizontal de l'image, propice à aérer l'ensemble, les groupes les plus récents voient les personnes serrées les unes contre les autres, dans un format vertical (Image 8).
Remarques
La clientèle des ateliers de Silli repose essentiellement sur les familles aisées qui passent la saison d'hiver à Nice ou la saison d'été à Vichy, venant de Paris, de toute la France et de nombreux pays étrangers.
Les résidents de ces deux villes constituent également une part de sa clientèle (propriétaires, négociants, militaires, avocats, fonctionnaires, employés...) mais aucun ouvrier ou paysan en habits de travail ne semble avoir posé en studio.
Cependant, quelle que soit la catégorie sociale du client ou sa célébrité (prince, comte, préfet, général, évêque, acteur ou cantatrice), seuls ses vêtements, chapeaux, bijoux ou médailles le distinguent, le décor et la pose proposés restant les mêmes (quelques poses en habits de scène ou en déguisement de carnaval).
Aucune évolution notable dans le choix des poses (certes limitées) n'a été constatée entre 1857 et 1899, en dehors de clients posant sur leur vélo. Les corps ne semblent pas avoir gagné en spontanéité ou en naturel, ni les visages en expressivité.
ÉPILOGUE
Existe-t-il des éléments caractéristiques des portraits des ateliers de Joseph Silli. La réponse est oui.
Existe-t-il un style Silli ? La réponse est non.
Les portraits de Silli ne sont pas seulement représentatifs de l'art du portrait du XIX° siècle, ils "sont" l'art du XIX° siècle.
Il n'est pas un seul élément de décor qui ne se retrouve chez les autres photographes, de la toile de fond peinte au tapis à gros losanges, de la chaise à médaillon au buffet à têtes de lion, du vase cratère à la corbeille...
Même le fait de se servir de la toile de fond pour n'en montrer qu'une toute petite partie est un fait courant et il en va de même pour les postures adoptées, l'usage des fonds nuagés et même le décor des cartons-photos.
Ce qui peut différencier les portraits d'un photographe du XIX° siècle de ceux d'un autre repose essentiellement sur l'identité et la gestion du modèle et la qualité et la douceur des tirages mais le trouble est grand lorsque l'on découvre des portraits où la même personne a posé chez différents photographes.
VOIR LA BIOGRAPHIE DE JOSEPH SILLI
VOIR L'ÉTUDE D'UN ALBUM DE VUES DE JOSEPH SILLI