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dimanche 18 août 2024

1355-NICE, LA VILLA LEBLANC DE CASTILLON (1857-1881)

 

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LA VILLA LEBLANC DE CASTILLON


Les années 1850


Le terrain concerné fait partie d'un grand pré du quartier de Longchamp, rétrocédé par la Ville de Nice, le 28 mai 1853, aux frères Victor et Félix Tiranty (le terrain avait préalablement appartenu au père de ces derniers, Joseph Tiranty, décédé). 


- Plan de la ville de Nice, détail, 1856, 
dressé par Ch. Montolivo, gravé par Ch. Dyonnet et édité à Nice par B. Visconti éditeur,
Paris, BnF (Gallica).

Détail des abords de la place Masséna, avec un point rouge désignant l'emplacement approximatif
 du terrain des frères Tiranty (à mi-chemin entre la place Masséna et l'Hospice de la Charité).



Le 6 avril 1857, les frères Tiranty revendent l'une des parcelles de ce terrain situé au nord-ouest de la place Masséna, à Prosper Leblanc de Castillon.

François Joseph Amédée Prosper Leblanc de Castillon est né le 11 décembre 1827 à Aix-en-Provence. Il est le dernier-né et le seul garçon des quatre enfants de Joseph François Prosper Leblanc de Castillon (1780-1828), conseiller à la Cour royale d'Aix, et de Louise/Louisa/Loïsa de Bovis Beauvoisin (1799-1881), qui se sont mariés à Aix-en-Provence le 11 mars 1822.

Prosper Leblanc de Castillon est le dernier représentant mâle de cette famille originaire de Florence, qui s'est établie à Aix-en-Provence au XV° siècle et s'est notamment rendue célèbre par un procureur général, représentant du Parlement de Provence aux Etats-Généraux de 1789. 

La vie de Prosper Leblanc de Castillon est essentiellement connue par les comptes-rendus des nombreux procès dans lesquels il a été impliqué (ceux antérieurs à 1856 ne sont pas étudiés ici). 

En 1851 (à l'âge de 24 ans), il est décrit comme "fils de banquier" (!), domicilié à Aix, portant des cheveux bruns courts et rasés, des moustaches et une barbe en pointe.

Au début de l'année 1857, le "marquis" [non], âgé de 29 ans, ne semble pas attendre la date de l'acte de vente du 6 avril pour entreprendre à Nice, en accord avec les frères Tiranty, la construction d'une grande maison. 

La municipalité s'oppose cependant à ce projet et le Tribunal civil de Nice du 27 mars 1857 (juridiction sarde) interdit de continuer les constructions entreprises par le Français car elles contreviennent au plan régulateur du 29 décembre 1843, coupent le tracé de la future avenue envisagée entre le Pont Saint-Charles (ou Pont-Neuf) et l'Hospice de la Charité et empêchent de lui donner la largeur prévue (30 m), de même qu'à la route communale de Saint-Michel.

Prosper Leblanc de Castillon fait cependant appel de cette décision, poursuit et achève la construction entamée et y ajoute deux pavillons.

Une expertise est demandée par le Tribunal de Nice le 2 janvier 1858 et la Ville se voit déboutée de sa demande le 15 janvier suivant. La Ville fait cependant appel de cette décision et une nouvelle expertise est ordonnée le 24 mars 1858.

Suite à l'Annexion du Comté de Nice (1860), le pourvoi en Cassation revient devant la juridiction française.


Plan de la ville de Nice, détail, 1860,
 Nice, Archives Municipales, FRAC006088_001Fi001_18.

Détail des abords de la place Masséna, 
avec un point rouge désignant le centre du jardin de la villa de Prosper Leblanc de Castillon
(et plus à l'ouest, le Temple russe inauguré le 12 janvier 1860).
C'est l'extrémité nord-est du bâtiment de la villa Castillon qui pose problème.

Le plan montre également le projet (par la suite abandonné) 
d'une avenue (future avenue du Prince-Impérial) bordée de bâtiments à portique,
conçus à l'image de ceux qui encadrent déjà une partie de la place Masséna



Les années 1860

Avec l'installation de la Gare de chemin de fer tout au nord de la place Masséna (dès 1861), l'Etat (représenté par le préfet des Alpes-Maritimes) doit réaliser l'ouverture de la voie reliant les deux sites (future avenue du Prince-Impérial). Des expropriations pour cause d'utilité publique de terrains, voire de bâtiments, sont alors entamées (dès 1862).

Une petite partie de la propriété de Prosper Leblanc de Castillon est directement concernée mais ce dernier choisit, comme la loi le lui permet, de vendre à l'administration des domaines de l'Etat, l'ensemble de sa propriété. 

L'immeuble est exproprié pour le compte de l'Etat, par jugement du Tribunal civil de Nice du 4 mai 1863 et transcrit le 23 mai suivant (AD 06, 2Q 715).

La vente a lieu le 5 novembre 1863 pour la somme de 250,000 francs mais cette somme n'est pas versée à Prosper Leblanc de Castillon du fait du contentieux en cours avec la Ville. En effet, cette dernière soutient toujours qu'une partie de la construction empiète sur la voie publique et doit être démolie, ce qui implique que la somme fixée par l'Etat devrait en être d'autant diminuée.

La Ville se pourvoit en cassation le 27 mars 1865 et obtient gain de cause auprès de la Cour Impériale d'Aix-en-Provence, le 7 février 1866. Cet arrêt se voit cependant cassé par la Cour de Montpellier le 24 janvier 1868 et le nouveau pourvoi de la Ville est définitivement rejeté le 2 décembre 1868 (Recueils de Jurisprudence des années 1865-1869).

Les tribunaux ont en effet jugé que l'acte du 28 mai 1853, passé entre le syndic de Nice et les frères Tiranty, contenait un plan annexé donnant à l'avenue prévue une largeur de seulement 14 m, sans préciser qu'elle serait obligatoirement bordée de deux allées ayant chacune une largeur de 8 m. C'est sous l'emprise de la même stipulation que l'acte, entre les frères Tiranty et Prosper Leblanc de Castillon, a été passé le 6 avril 1857. Les constructions de la villa Castillon n'ont donc pas empiété sur cette avenue.

Dans l'intervalle de temps entre le jugement de la Cour d'Aix (1866) et celui de la Cour de Montpellier (1868), Prosper de Castillon qui avait contracté des dettes auprès du sieur Pierre Audiberti (1815-1878) (nouveau procès en 1866-67), voit, à la suite d'une instance en saisie immobilière, sa villa de l'avenue du Prince-Impérial adjugée à ce dernier, le 3 avril 1867.

Prosper Leblanc de Castillon, "propriétaire", décède malheureusement à son domicile parisien, le 28 juin 1867, à l'âge de 39 ans (son corps sera déplacé au Cimetière de Montmartre le 18 avril 1873). 

Ses héritiers réclament ensuite à l'Etat le versement des 250,000 francs prévus pour la villa. Un nouveau procès s'ouvre alors entre l'Etat, les héritiers de Prosper Leblanc de Castillon (mort sans postérité) et le nouveau propriétaire, Pierre Audiberti.


Les années 1870

Le 19 janvier 1870, le Tribunal de Nice déboute Pierre Audiberti de sa demande de paiement d'une partie de l'indemnité, décide que l'Etat est bien propriétaire de la villa Castillon depuis 1863 mais qu'il doit faire prononcer l'annulation de l'adjudication de 1867 à Pierre Audiberti et régler la somme prévue aux héritiers de Castillon.

En appel, le 13 octobre 1871, Pierre Audiberti est à nouveau débouté de sa demande. La procédure se termine par le jugement du 2 juillet 1872, l'Etat ne s'engageant à verser la somme prévue qu'au moment où la propriété lui sera livrée (Recueil des lois et arrêts de 1872).

La fin de cette affaire n'est pas connue dans le détail. Un accord est-il conclu entre les héritiers de Castillon et Pierre Audiberti ? Toujours est-il que l'administration des domaines de l'Etat devient, dans les années 1870, propriétaire de la villa et de ses dépendances et décide ensuite de la revendre.



LA LOCATION ET LA VENTE DE LA VILLA


Le "marquis" a-t-il les moyens financiers de ses ambitions, au moment de son achat du terrain niçois en 1857 ? On peut en douter quand on sait qu'un Conseil judiciaire lui a été imposé par la Cour d'Aix dès le 3 décembre 1856.

La grande villa que Prosper Leblanc de Castillon fait construire à Nice est probablement terminée en 1858. Le bâtiment, situé au nord du terrain, est composé de bas-offices, de trois étages sur rez-de-chaussée et de mansardes ; il est précédé d'un grand jardin sud, complanté et clos de murs, aux angles desquels deux pavillons sont ensuite ajoutés, l'un servant de loge de concierge et l'autre de remise.

Il est probable que le marquis loge ensuite, lors de ses séjours à Nice, dans une partie de sa villa mais les appartements sont globalement destinés à la location saisonnière.

Le 5 mai 1859, Prosper Leblanc de Castillon confie, pour quatre années, au sieur Joseph Cassin, le soin d'administrer sa propriété niçoise, d'en louer les divers étages et d'en retirer les loyers, à l'effet de se payer de sa créance (nouvelles dettes) et de rendre compte du surplus.

A son retour, les montants qui lui sont présentés par Joseph Cassin, en juin 1863, ne semblent pas correspondre à la réalité des sommes perçues (loyers, dégradations, réparations). Après vérifications auprès des anciens locataires, russes pour la plupart, Prosper Leblanc de Castillon porte plainte pour escroquerie et détournement de fonds. 

Le 2 décembre 1864, la Cour d'Aix lui donne raison. Elle condamne, pour abus de confiance, Joseph Cassin à effectuer un mois d'emprisonnement, à payer 1,000 francs d'amende et à restituer à Prosper Leblanc de Castillon les 3,600 francs détournés, plus 2,400 francs à titre de dommages-intérêts (Bulletin judiciaire d'Aix de 1865).

Entre temps, l'Etat a acheté la villa Castillon, le 5 novembre 1863, mais avec la clause suspensive liée au procès intenté par la Ville de Nice. Du fait du non-versement de la somme, Prosper Leblanc de Castillon continue probablement de louer sa propriété.

Cependant, suite à de nouvelles dettes, sa villa se voit adjugée à son créancier, Pierre Audiberti, le 3 avril 1867. 


L'Hôtel des Empereurs

Pierre Audiberti loue "l'ancienne villa Castillon", la même année, au maître d'hôtel André Vidal qui y installe l'Hôtel des Empereurs et dépose, en octobre 1867, une première demande d'autorisation municipale pour placer une enseigne et fait paraître une première annonce dans Les Echos de Nice.

L'hôtel, situé au 13 puis 13 bis, avenue de la Gare (ancienne avenue du Prince-Impérial), va perdurer à cet emplacement pendant onze ans.

L'Etat devient cependant propriétaire de l'immeuble au plus tard en 1878 car il le revend à cette date à Marguerite Rosalie Pons (1827-1904), sans profession, épouse de Philippe Ferdinand Giraud (1823-1892), boulanger.


Plan pittoresque de la Ville de Nice dressé le 1er janvier 1878
Nice, Bibliothèque municipale du Chevalier de Cessole. 

Détail de l'Hôtel des Empereurs, avenue de la Gare 
(et, plus au sud, de l'Hôtel de l'Univers tout récemment installé).



L'Hôtel des Ambassadeurs

Le couple Giraud confie la propriété à leur fille Marie Julienne, sans profession (née le 29 juin 1848 à Septèmes-les-Vallons, Bouches-du-Rhône ; décédée le 4 juillet 1931) qui a épousé, à Nice, le 29 avril 1873, Victor Jean Celse Firme Tobie Joseph Buzzi, cafetier (né le 6 juin 1834 à Aquila, canton du Tessin, Suisse).

Dès 1878, J. Buzzi (Jean ou Joseph ?) ouvre un café-brasserie sur le côté de la villa, rue Saint-Michel, 12 (cité dans l'Annuaire des Alpes-Maritimes de 1879).

Il ouvre, la même année, à l'emplacement de l'ancien Hôtel des Empereurs (parti s'installer au 34, boulevard Dubouchage), l'Hôtel des Ambassadeurs, au 15, avenue de la Gare.



ÉPILOGUE


Le 14 avril 1881, les couples Giraud et Buzzi vendent la propriété de l'avenue de la Gare, composée du bâtiment de 520 m2 exploité par l'Hôtel des Ambassadeurs et du jardin de 1433 m2 contenant les deux pavillons, pour 450,000 francs (plus charges), à la Société anonyme du Crédit Lyonnais représentée par Etienne Gonnet, directeur de l'Agence niçoise (ouverte rue Gioffredo en 1878). 

Le Crédit Lyonnais acquiert par la suite, pour la somme de 100,000 francs (plus charges), une partie de la parcelle voisine située plus au nord (achetée par Honoré Pastoret le 30 septembre 1871 aux frères Tiranty), afin de posséder un terrain assez vaste pour y faire construire ses nouveaux bureaux, sur les plans de l'architecte Sébastien Marcel Biasini (1841-1913).

L'ancienne villa Leblanc de Castillon est entièrement démolie en juin et juillet 1881, avec mise en vente de ses matériaux.

Le "Palais du Crédit Lyonnais" est ensuite édifié, du sud au nord, de novembre 1881 à janvier 1883 (avec une inauguration anticipée le 4 janvier), à l'angle de l'avenue de la Gare (n° 15) et de la prolongation de la rue Pastorelli, et comprend d'autres bureaux et commerces dont la Foncière Lyonnaise et le restaurant du Garden House. 

Ce bâtiment est conservé de nos jours (Agence LCL et magasin H&M), entre l'avenue Jean Médecin (n° 15), les rue Maréchal Joffre, Joseph Brès et Rosanoff, et le passage Emile Négrin.


- Plan de la ville de Nice, détail, mars 1882, 
plan dressé par M. François Aune, édité à Nice par Visconti, 
Paris, BnF (Gallica). 

Détail de l'Agence du Crédit Lyonnais, avenue de la Gare.
Comparer la surface occupée par ce bâtiment avec celle préalablement 
occupée par l'Hôtel des Empereurs dans l'image précédente.