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dimanche 26 janvier 2025

1374-TROIS VUES DE CANNES DESSINÉES PAR FÉLIX BENOIST EN 1864

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- BENOIST Félix (1818-1896), SABATIER Léon Jean Baptiste (?-1883 ?)
 et BAYOT Adolphe Jean Baptiste (1810-1871),
CANNES ET LES ÎLES DE LÉRINS, 1864,
détail de la lithographie, montrant le Port et le Mont-Chevalier.




INTRODUCTION


Dès 1860, l'éditeur Henri Charpentier conçoit le projet d'un ouvrage consacré aux territoires nouvellement rattachés à la France. Il édite ce dernier en 1861, sous le titre Nice et Savoie, avec des textes de Joseph Dessaix et Alexis de Jussieu et des lithographies exécutées d'après des dessins de Félix Benoist.

En 1863, il souhaite renouveler la "Troisième Partie" de l'ouvrage consacrée aux seuls arrondissements de Nice et de Puget-Théniers, par la rédaction d'un nouveau texte confié à Xavier Eyma. Le texte de 1863 et les lithographies de 1861 constituent ainsi la "Troisième Partie" de la nouvelle édition de Nice et Savoie en 1864.

L'éditeur souhaite ensuite présenter l'intégralité du département des Alpes-Maritimes. Il commande un nouveau texte à Xavier Eyma mais aussi de nouveaux dessins à Félix Benoist, cette fois consacrés à l'arrondissement de Grasse mais aussi aux nouveaux aménagements de Nice. Xavier Eyma cite et commente certains de ces dessins dans ses écrits en cours et en publie des extraits dans le Journal de Nice, des 24, 25 et 26 août 1864. 

Textes et lithographies sont ensuite réunis, fin 1864, dans un ouvrage intitulé, Nice et le département des Alpes-Maritimes, avec une souscription ouverte dès le mois de janvier 1865 et une édition signalée au mois de mars suivant, mais également dans un "Supplément" qui vient compléter l'ouvrage Nice et Savoie de 1864 (sur l'étude détaillée de ces éditions, voir l'article de ce blog, ici).

Il existe ainsi différentes éditions, reliées ou à relier, avec des lithographies en noir, sépia ou couleur, accompagnées ou non de texte, offrant un total de 2 nouvelles vues de Nice et de 11 de l'arrondissement de Grasse dont les trois vues de Cannes qui vont être étudiées ici.

La qualité des lithographies réside dans la sensation d'infini, et parfois même de vertige, créée par la force des premiers plans, des visions plongeantes, une lumière contrastée et une maîtrise parfaite de la perspective aérienne. Les vues n'en traduisent pas moins la vie locale, la végétation et les architectures avec exactitude.

Les trois lithographies de Cannes mettent en valeur l'aspect pittoresque du site, son climat enchanteur, le passé de la ville mais aussi son développement récent (nouveaux quartiers), sa modernité (port, gare, station balnéaire) et ses nouvelles constructions (villas, chapelles et Casino de style néo-gothique anglais ; grands hôtels).

Les planches, éditées par Henri Charpentier (1806-1882), lithographe-imprimeur-éditeur à Nantes (rue de la Fosse, 32) et à Paris (quai des Augustins, 55) sont imprimées sur feuillet de vélin de 34,4x49 cm. Elles offrent sous le titre générique, Alpes-Maritimes, des vues de 23,7x32,9 cm dessinées par Félix Benoist (1818-1896), lithographiées et mises en couleur par Léon Jean Baptiste Sabatier (?-1883 ?), avec des personnages retouchés par Adolphe Jean Baptiste Bayot (1810-1871). 



CANNES ET LES ÎLES DE LÉRINS - VUE PRISE DES HAUTEURS DE LA ROUTE DE GRASSE


La vue nord-sud montre le site de la ville de Cannes (parties centrale et orientale), des collines à la mer et aux îles, dans un vaste panorama allant du cap de la Croisette à l'est, au Mont-Chevalier à l'ouest (Image 2).


2- ALPES-MARITIMES (légende en tête de planche)
Nantes, Lith Charpentier, Edit-Paris, quai des Augustins, 55. (sous l'image à gauche)
 Félix Benoist del. (delineavit - a dessiné) Sabatier lith. Fig. par Bayot (sous l'image à droite)

CANNES ET LES ÎLES DE LÉRINS.
Vue prise des hauteurs de la route de Grasse.
(titre et sous-titre centrés en bas de planche)
Lithographie en couleurs d'environ 24x33 cm sur feuillet de 34x49 cm (Collection privée). 



D'entre les rochers proches de la route de Grasse, émerge un pin maritime, au tronc tordu et au feuillage clairsemé, qui relie tout à la fois le bas et le haut de l'image (terre, mer, ciel) et les plans proches et lointains (Image 2).

Au centre, l'œil s'attarde sur une dizaine de paysans et de promeneurs qui semblent se regrouper pour déjeuner sur l'assise plane et lumineuse d'un rocher nu, puis dévale le flanc ombré de la colline et se dirige, à travers bois et champs, jusqu'à la voie de chemin de fer (Image 3).


3- Détail central de la lithographie, CANNES ET LES ÎLES DE LÉRINS.



Un train, qui vient de sortir du tunnel, est saisi dans sa traversée du quartier de la Ferrage (Image 3). Il vient de dépasser l'église de la Miséricorde, s'apprête à passer sous la passerelle située plus à l'est et à longer le palmier mythique de Cannes (Images 2 et 4), avant de continuer son voyage en direction de Cagnes-sur-Mer, renvoyant le regard vers la gauche de l'image.

La voie ferrée traversant Cannes, a été entamée en juin 1860 et posée d'ouest en est. Les travaux conséquents du percement du tunnel de 200 mètres de long, sous le Mont-Chevalier, ont été menés parallèlement et se sont achevés en avril 1861. La construction de la gare (non visible ici) s'est terminée l'été 1862 mais la ligne Toulon-Cannes-Cagnes n'a été ouverte qu'en avril 1863 et n'atteindra Nice qu'en octobre 1864.

La partie orientale et centrale de la ville s'étend sur le bord de mer et le Mont-Chevalier, à contre-sens de la chronologie qui l'a engendrée. 

Sur la gauche de l'image, une voie récente longe la plage de la Croisette. Les déblais du tunnel ferroviaire ont aidé à la réalisation et à l'élargissement, en 1861, de ce "chemin" puis "boulevard de la Croisette", dénommé également, à partir de 1864, "boulevard de l'Impératrice" (sur les dénominations et l'état de ce boulevard en 1864, voir l'article de ce blog, ici).

Près de ce boulevard (Image 4) se remarquent les deux hautes tours crénelées du Casino Cresp-Sicard érigé, sur les plans de l'architecte Thomas Smith, entre novembre 1861 et l'été 1862 (gros œuvre), avec une ouverture en août 1863. Plus en retrait, ce sont les pavillons et les dômes du Grand-Hôtel de Cannes, érigé sur les plans des architectes Charles Baron et Laurent Vianay, entre juin 1863 et l'été 1864 (gros œuvre), avec une ouverture en octobre. Enfin, à l'extrémité gauche de l'image, on aperçoit le minaret de la Villa Tripet-Skrypitzine, dite Villa mauresque ou Villa Alexandra (érigée en 1849-1850).


4- Détail gauche de la lithographie, CANNES ET LES ÎLES DE LÉRINS.



Dans la baie, les nombreux bateaux à voile et un seul bateau à vapeur (Image 4) croisent au large des Îles de Lérins, sur une mer dont le bleu est effacé par la forte luminosité du milieu de journée. 

Sur le ciel immense et clair, souligné de nuages, se détachent et se répondent dans l'image, à gauche, le feuillage du pin maritime puis, à droite, les Tours de l'Horloge et du Suquet (Image 2).




CANNES, VUE PRISE DE LA PLAGE, PRÈS DU CASINO


Le dessin original de cette vue (Image 5), qui anticipe les dimensions de la lithographie, est conservé sous le titre, Cannes. Vue prise de la plage, en face du Casino (Collection privée).

Pris de la plage de la Croisette (vue est-ouest), ce dessin, sous un ciel immense et clair qui occupe les trois-cinquièmes de l'image et traduit un après-midi ensoleillé (force et direction des ombres portées), montre le bord de mer, la partie orientale du boulevard, les arbres du Cours puis le port, dominé par le Mont-Chevalier, avec des bateaux près du quai Saint-Pierre et du môle du phare, et enfin la chaîne des Monts de l'Estérel dont la perspective aérienne estompe les reliefs et adoucit les valeurs.

Le regard est guidé par les lignes de fuite de la plage et du boulevard qui convergent vers le côté nord du Mont-Chevalier.


5- BENOIST Félix (1818-1896), Cannes. Vue prise depuis la plage, en face du Casino, sans date,
dessin à la mine graphite de 23x32 cm,
vente aux enchères Drouot du 20 mai 2022.




Le sol du premier plan révèle tout particulièrement le style énergique et calligraphique de Félix Benoist, dans sa retranscription des touffes herbes et des grosses pierres du talus qui contrebutent la voie.

Sur la plage, à proximité des cabines de bains qui s'échelonnent des deux côtés de l'embouchure de la Foux, se remarquent des promeneurs et des baigneurs mais également des femmes lavant leur linge dans le cours du ruisseau. Un homme, dont le mouvement est saisi sur le vif, plonge dans les vagues pour rejoindre les autres nageurs. Deux barques flottent à proximité du rivage.

Près du boulevard, un homme décharge peut-être, de sa charrette attelée, des déblais qu'il répartit avec sa pelle. Deux femmes, vêtues de grandes robes et coiffées d'un chapeau élégant, se promènent sur le boulevard ; elles viennent de passer le pont de la Foux et se dirigent plus à l'est sur la voie de la Croisette, encore étroite et dépourvue de bancs et de plantations.

Les villas, précédées de jardins ceints de murets et de grilles, bordent le côté nord du boulevard. On reconnaît notamment la façade monumentale aux tours crénelées du Casino Cresp-Sicard néo-gothique (casino-cabaret-théâtre-pension), aperçu sur la vue précédente, et, plus à l'ouest, la Villa et Pension Montaret qui l'accoste (érigée au plus tard en 1862).

La lithographie finale (Image 6) reste très fidèle à l'ensemble de ce dessin, même si elle remplace les trois personnages du talus du premier plan par trois autres qui discutent au revers des premières cabines de bains, complète et précise d'autres personnages de la plage, ajoute de nouveaux promeneurs sur le boulevard, multiplie et assombrit la végétation du talus, élimine le voilier près du phare, charge le ciel de nuages et colore l'ensemble.


6- ALPES-MARITIMES (légende en tête de planche)
Nantes, Lith Charpentier, Edit-Paris, quai des Augustins, 55. (sous l'image à gauche)
Félix Benoist del. (delineavit - a dessiné) Sabatier lith. Fig. par Bayot (sous l'image à droite)

CANNES, 
Vue prise de la plage, près du Casino.
(titre et sous-titre centrés en bas de planche)
Lithographie en couleurs d'environ 24x33 cm sur feuillet de 34x49 cm (Collection privée).



CANNES. VILLA ST-ACHEUL - LE GOLFE DE LA NAPOULE ET LES MONTAGNES DE L'ESTÉREL.


C'est cette fois une vue de la partie ouest de la ville, à l'heure du coucher de soleil mais, comme dans la vue intitulée Cannes et les Îles de Lérins, à nouveau prise depuis le nord, avec une vue plongeante, des personnages réunis sur l'un des rochers du premier plan et l'étagement du paysage jusqu'à la mer.

La lumière douce et orangée estompe les formes. Près d'une quinzaine de personnages, répartis en plusieurs groupes de paysans et de nobles, profitent de l'instant et admirent le panorama depuis la plateforme rocheuse baignée de lumière, située près de l'angle inférieur gauche de l'image.


7- ALPES-MARITIMES (légende en tête de planche)
Nantes, Lith Charpentier, Edit-Paris, quai des Augustins, 55. (sous l'image à gauche)
Félix Benoist del. (delineavit - a dessiné) Sabatier lith. Fig. par Bayot (sous l'image à droite)

CANNES. 
Villa St-Acheul -Le Golfe de la Napoule et les montagnes de l'Estérel.
(titre et sous-titre centrés en bas de planche)
Lithographie en couleurs d'environ 24x33 cm sur feuillet de 34x49 cm (Collection privée).



Dans l'angle supérieur opposé se détache la masse monumentale et éclairée de la Villa St-Acheul, avec ses nombreuses tours crénelées de formes, dimensions et hauteurs différentes, au centre de remparts qui délimitent la propriété. La villa, érigée par l'architecte Thomas Smith (entre 1852 et 1856) est désignée ici sous le nom rarement usité de "Villa St-Acheul". Elle est plus souvent dénommée, "Château du Riou", "Château des Tours" ou "Château St-Ursule" ou encore, depuis son achat en 1861 par le duc de Vallombrosa, de "Château ou Villa Vallombrosa". Du côté nord de la villa, se devine la toute nouvelle chapelle, bâtie à la demande du duc en 1863-64.

Plus bas, c'est le quartier des Anglais avec des propriétés espacées qui s'échelonnent du côteau à la mer. On reconnaît notamment la chapelle anglicane ou Christ Church (érigée entre mai et décembre 1855) dont la toiture rougeoie.

Les monts de l'Estérel se détachent à l'horizon, sous des strates de nuages en contre-jour. Ces derniers masquent partiellement le soleil dont le rayonnement se reflète et scintille à la surface des flots.



ÉPILOGUE


Ces trois lithographies viennent conforter la datation de ces dessins, avant août 1864. La réalisation de la chapelle de la Villa St-Acheul, l'état du bâtiment en construction du Grand Hôtel de Cannes ou encore la présence de cabines de bains et de nageurs sur la plage suggèrent une date vers mai 1864, au plus tôt.

Il reste cependant difficile de l'affirmer car si les dessins de Félix Benoist sont majoritairement exécutés sur place et fortement détaillés, ils s'inspirent parfois de photographies, représentent achevées des architectures en construction et ajoutent des éléments, des personnages ou des ambiances lumineuses pour composer l'ensemble et lui donner vie.

Félix Benoist a-t-il artificiellement placé des groupes de personnages dans ses dessins, comme Alphonse Bayot, après lui, dans les lithographies ?

Le train est-il passé pendant que Félix Benoist dessinait ou, pour l'avoir observé à un autre moment ou l'avoir lui-même emprunté, l'a-t-il ajouté comme symbole de modernité ?

 A-t-il observé l'homme plonger dans les vagues depuis la plage de la Croisette ou l'a-t-il intégré dans son dessin pour donner davantage de mouvement à la scène ?

C'est toute l'ambiguïté d'une œuvre d'art qui compose avec la réalité. Il faut cependant rappeler que les photographies contemporaines de Cannes présentent un rendu identique des lieux et des architectures.