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DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 02/04/2024
LES HÔTELS À NICE AVANT 1860
Près d'une cinquantaine de noms d'hôtels sont connus dans la ville de Nice entre 1770 (env. 18.000 hab.) et 1860 (env. 45.000 hab.). Les documents textuels les concernant restent cependant peu nombreux jusqu'aux années 1830 (récits et guides de voyage, articles et publicités dans les journaux et les ouvrages).
Certains hôtels semblent n'avoir existé que quelques années mais d'autres ont manifestement perduré pendant plusieurs décennies. Parfois seuls les noms des établissements sont cités, laissant dans l'ombre l'adresse, les noms du propriétaire et du maître d'hôtel, le nombre de chambres, les commodités, la table d'hôte, les tarifs, la clientèle et la présence ou non d'une salle de bal ou de concert, d'une étable, d'une remise ou d'un jardin.
Les façades de ces hôtels, en dehors de celles de quelques établissements réputés et situés dans des lieux dégagés (bord de mer, rives du Paillon, colline de Carabacel), restent peu reproduites par la gravure puis la photographie, et leurs intérieurs demeurent inconnus (décoration, mobilier).
Généralement, le maître d'hôtel investit et aménage un immeuble déjà édifié dont il devient le locataire. S'il est parfois à l'origine du projet de construction, il en est plus rarement le propriétaire. Dans les annuaires, le nom de l'hôtel peut ainsi être accosté de celui du propriétaire.
L'hôtel peut d'ailleurs occuper une ou plusieurs maisons appartenant ou non au même propriétaire. Inversement, il peut se cantonner à un ou plusieurs niveaux d'un seul bâtiment ; dans ce dernier cas, la maison peut être partagée entre des copropriétaires, des appartements loués à la saison ou à l'année voire, au milieu du XIX° siècle, avec des magasins au rez-de-chaussée et même des locaux loués à un deuxième hôtel.
Retracer l'histoire d'un hôtel pose d'emblée une question de méthode, l'axe choisi pouvant être :
- un emplacement géographique (parcelles), avec les bâtiments et les noms d'hôtels qui s'y sont succédés (construction et remaniements, voire démolition et reconstruction),
- un nom d'hôtel, avec les maîtres d'hôtels successifs et les adresses renouvelées puis la réutilisation du même nom d'enseigne, souvent sans lien avec les personnes ni les adresses précédentes,
- un nom de maître d'hôtel, avec les établissements qu'il a tenus successivement ou parallèlement au cours de sa vie, que ce soit au sein d'une même ville ou bien de plusieurs villes et pays.
Cet article va traiter de l'Hôtel des Quatre-Nations. Peu de renseignements ont pu être recueillis, alors que cet hôtel était l'un des établissements les plus anciens et renommés de la ville de Nice (Note 1).
Son enseigne évoque probablement l'Hôtel parisien des Quatre-Nations, qui l'a lui-même empruntée au Collège des Quatre-Nations du XVII° siècle (étudiants universitaires de différentes provinces).
De nombreux hôtels du même nom existent en France, en Italie, en Espagne, en Russie... Citons notamment ceux de Barcelone, Florence, Gênes, Chambéry, Aix-en-Provence et Lyon au début du XIX° siècle (dont certains plus anciens) puis ceux d'Ajaccio, Marseille et Menton au milieu du XIX° siècle.
NICE, L'HÔTEL DES QUATRE-NATIONS
Les années 1780-1800
La date précise de l'ouverture de l'Auberge ou Hôtel des Quatre-Nations reste inconnue. Les premières mentions de l'hôtel se trouvent dans les journaux de voyage de deux Anglais, rédigés dans les années 1780.
Le premier récit, de James Edward Smith, est daté du 16 décembre 1786 :
"A Nice, nous avons trouvé l'Hôtel des quatre nations, une auberge convenable et raisonnable ; mais nous avons été rapidement dégoûtés par les flatteries grossières que l'on fait ici aux étrangers, et aux Anglais en particulier.
Tout le quartier a l'air d'une station balnéaire anglaise. La ville est très animée et enrichie par l'afflux d'étrangers qui y viennent pour profiter du climat en hiver, et un grand nombre de personnes y sont accueillies" (Note 2).
Le deuxième récit, d'Arthur Young, est daté pour sa part du 16 septembre 1789 :
"L'approche de Nice annonce une ville florissante ; les bâtimens neufs y sont nombreux, preuve infaillible de prospérité. Je passe devant plusieurs jardins remplis d'orangers.
J'arrive à tems pour dîner à table d'hôte, à "l'hôtel des Quatre-Nations", et je fais marché avec le maître de l'auberge. Nous tombons d'accord de cinq livres piémontaises, environ six livres de France, pour un appartement assez bon, et pour dîner et souper.
Me voici donc au milieu d'un autre peuple, qui a un langage, un gouvernement et un pays différens de celui que je viens de quitter ; moment de la vie toujours intéressant, parce que tous les ressorts de la curiosité et de l'attention sont tendus. Il se trouve plusieurs Français et beaucoup d'Italiens à la table d'hôte, on n'y parle que de la révolution française : les Français pour, et les Italiens contre ; mais ces derniers l'emportent par leurs raisonnemens" (Note 2).
En novembre 1795, le lieutenant autrichien Ellrich est capturé par les soldats de la République française, lors d'une escarmouche aux environs d'Albenga en Ligurie : "il se mit en route vers la France, en compagnie de quelques-uns de ses compatriotes prisonniers. A Nice, il en retrouva d'autres. Logés dans l'Hôtel des Quatre Nations, ils étaient au total quarante autrichiens. En ville, on assurait qu'il y en avait six mille" (Note 3).
Le nom du maître d'hôtel et l'adresse de l'établissement sont exceptionnellement précisés dans des documents de la période révolutionnaire, "Molin : Hôtel des Quatre-Nations, près la porte de France" (Note 4).
L'établissement est donc situé sur la rive gauche du Paillon, à l'ouest de la ville médiévale, au cœur de la ville neuve bâtie au milieu du XVIII° siècle.
Les années 1800-1830
Dans son étude des premiers hôtels niçois, Alain Bottaro a relevé (en 2019) dans le recensement de la ville de Nice de 1815, le nom de Marius Matheron, originaire d'Aix, tenant l'Hôtel des Quatre Nations (Note 1).
Il est probable qu'il s'agisse de Jacques Marie Matheron, né vers 1790 à Aix-en-Provence, fils d'Elizars Firmin Matheron (né en 1757 à Puimichel, Alpes-de-Hautes-Provence) et d'Elisabeth Roche, qui se sont mariés à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), le 8 novembre 1780 (Note 5).
C'est à partir de 1817 que les nouvelles éditions du Guide, Itinéraire d'Italie, commencent à citer l'établissement niçois : "Auberges : le Dauphin ; les Quatre Nations" (Note 6).
Le plus souvent, l'établissement est seulement nommé dans les Guides de voyageurs, sans aucun commentaire, parmi les deux à cinq auberges principales de la ville (Note 7).
La précision de son adresse reste rare et limitée aux documents niçois. Ainsi, Rosalinde Rancher dans son Guide des Etrangers à Nice de 1826 nomme-t-il :
"L'hôtel d'York sur la place de saint Dominique ; l'hôtel des Etrangers et l'hôtel des quatre nations, rue du pont-neuf. La pension anglaise, maison Goiran au faubourg de la croix de marbre".
Il précise ensuite : "La rue de pont-neuf [parfois appelée rue des Etrangers] (...) conduit à la place de saint Dominique. On y remarque d'un côté [au sud] la caserne du corps des Carabiniers Royaux, et l'auberge des quatre nations [plus à l'ouest], et de l'autre côté [au nord] l'hôtel des étrangers" (Note 8).
L'auberge est proche de la place Charles-Albert et de l'entrée du nouveau Pont St-Charles ou Pont-Neuf.
Les années 1830-1850
En 1834, Paul Emile Barberi dans son Album ou Souvenir de la Ville de Nice maritime et de ses environs (Nice, Bibliothèque municipale de Cessole), écrit :
"Les hôtels qui sont le plus en réputation sont ceux des Etrangers, d'York, des Quatre-Nations [sur la rive gauche du Paillon], et la Pension Anglaise [sur la rive droite, faubourg de la Croix-de-Marbre]".
Ces hôtels, précédemment cités par Rosalinde Rancher, sont les seuls que l'auteur situe d'ailleurs sur le plan de la ville joint à son ouvrage (Image 1 ci-dessous).
L'Hôtel des Quatre-Nations y est représenté à l'angle des rues du Pont-neuf et de l’Hôpital de St-Roch (angle actuel de la rue Alexandre Mari, n° 5, et de la rue de l'Hôtel-de-Ville, avec, au rez-de-chaussée, la Papeterie Rontani).
Après le milieu des années 1830, l'Hôtel des Quatre-Nations devient irrégulièrement cité. Contrairement à d'autres hôtels niçois (comme l'Hôtel d'York), il ne semble pas diffuser de publicités dans les journaux.
Il reste absent des Guides Murray et Bradshaw mais perdure dans d'autres Guides jusqu'en 1854 (Note 9), avant de disparaître définitivement des documents.
Si l'on considère uniquement les documents niçois (Guides, Annuaires, Plans, Journaux), l'établissement n'est plus jamais cité après 1834 (Note 10), ce qui rend invraisemblable sa présence dans des Guides édités près de deux décennies plus tard.
À quelle date l'Hôtel des Quatre-Nations a-t-il fermé ses portes, au milieu des années 1830, 1840 ou 1850 ?
Aucun nouvel hôtel n'est cité à son ancien emplacement, que ce soit à la fin des années 1830 ou au début des années 1840. Seul, l'Hôtel d'Italie tenu par Etienne Rocca, apparaît dans l'Indicateur niçois pour 1845, à une adresse qui pourrait correspondre : "rue du Pont-neuf, près la Poste aux Lettres" [située rue de l'Hôpital] (Note 11).
ÉPILOGUE
La recherche n'a pas permis d'apporter de réponses précises aux questions qui concernent l'Hôtel ou Auberge des Quatre-Nations, que ce soit au sujet de sa date d'ouverture (au plus tard en 1786) ou de sa date de fermeture (milieu des années 1830 ?).
Cependant, l'établissement a perduré au moins cinq décennies à un même emplacement. Le récit de 1786 le présente comme "une auberge convenable et raisonnable", celui de 1789 cite "un appartement assez bon". Il semble donc que l'hôtel soit un établissement de milieu de gamme pour les voyageurs de toutes nationalités à la fin du XVIII° siècle mais l'absence de textes de la première moitié du XIX° siècle, et notamment de publicités, ne permet pas de connaître l'évolution de cet établissement et de ses commodités.
Son nom a d'ailleurs été parfois omis au profit de celui d'hôtels plus réputés ou plus luxueux (Hôtel d'York, Hôtel des Etrangers, Hôtel le Dauphin). Il n'apparaît dans les Guides de voyageurs qu'à partir de la fin des années 1810, et jamais en première position.
NOTES
- Note 1 : Sur l'Hôtel des Quatre-Nations de Nice, voir : Alain Bottaro, "1787-1860 - Le Temps des Pionniers", in, Hôtels & Palaces - Nice, Une Histoire de l'Hôtellerie de 1780 à nos jours, ouvrage collectif, Nice, Edition Gilletta, 2019, pp 11-36, cf. p 20 et p 27 (Conférence en ligne, ici) ; Julie Reynes, Site de la Mission Nice Patrimoine Mondial - L'essor de l'hôtellerie niçoise de 1760 à 1960, ici.
- Note 2 : James Edward Smith, A Sketch of a tour on the continuent in the years 1786 and 1787, publié d'abord dans The Monthly Review, 1793 p 163 puis imprimé à part à Londres, en 1794 p 200 et en 1807 p 212 (Google Books ; traduction du texte anglais). Arthur Young, version française, Voyage en Italie pendant l'année 1789, Paris, 1796, p 29 ; version anglaise, "Travels during the years 1787, 1788 and 1789", in, John Pinkerton, A General Collecte of the best and Most Interesting Voyages and Travels in all Parts of the World, vol. 4, London, 1809, p 231 ;
- Note 3 : G. Lenotre, La Révolution française, Paris, Grasset, 1934 (2010) (Google Books).
- Note 4 : Joseph Comblet, La Révolution dans le Comté de Nice et la Principauté de Monaco, 1792-1800, éditions de 1911 puis 1925 p 12 (Google Books).
- Note 5 : Aucune autre trace de Jacques Marie Matheron n'a été trouvée à Nice en dehors de la célébration de son mariage, à 70 ans, à la cathédrale Sainte-Réparate, le 24 mars 1860, avec Marie Josèphe Lautard, 29 ans (née vers 1831 à Puget-Théniers, Alpes-Maritimes).
- Note 6 : Itinéraire d'Italie, chez P. et J. Vallardi, Milan, 1817, p 146 ; 1819, p 116 ; 1822, p 177... (Google Books).
- Note 7 : Jacques Barzilay, Dictionnaire géographique et descriptif de l'Italie, Paris, 1823 p 502 ; Marianna Starke, Information and Directions for Travellers on the Continent, 5éme édition, Londres, 1824, p 106 ; Jacques Barzilay, Guide de Voyageur en Italie, 1825, p 68 ; Richard, Guide du Voyageur en Italie, Paris, 1826, p 125 ; Richard/Audin, Guide du Voyageur en Italie, Paris, 1826 p 125 ; Aristide Michel Perrot, Nouvel Itinéraire portatif d'Italie, Paris, Langlois & Fils, 1827, p 119 ; Itinéraire classique de l'Italie, Paris, Langlois, 1828, p 162 ; Richard/Audin, Guide classique du Voyageur en Europe, 1829 p 425 ; Nouveau Guide du Voyageur en Italie, Milan, Epimaque et Pascal Artaria, 1829, p 21 (Google Books).
- Note 8 : Rosalinde Rancher, Guide des Etrangers à Nice, Nice, chez la Société Typographique, 1826, 1827 et 1830, pp 68-69 (1827, Google Books).
- Note 9 : Richard, Guide du Voyageur en Europe, 1834 p 465 ; Nouveau Guide du Voyageur en Italie, Ferdinando Artaria, 1836, p 51 ; Antoine Claude Valery, L'Italie Confortable : Manuel du Touriste, 1840 et 1841 p 274, 1842 p 262 et Voyages historiques, littéraires et artistiques en Italie, Bruxelles, 1842, 1844 et 1845 p 587 ; Joseph Vallardi, Itinéraires d'Italie, Milan, Chez Pierre et Joseph Vallardi Editeurs, 1844 p 35 ; Richard, 1847 p 103 ; Antoine Claude Valery, Voyages en Italie, 1847 p 587 ; Audin, Guide du Voyageur en France, 1849, p 589 ; Audin, Guide du Voyageur en Italie,1850, p 103 ; Ernst Förster/Foerster, Manuel du Voyageur en Italie, Munich, Librairie Cotta, 1850 p 340 ; Richard, Guide du voyageur en France et en Belgique, 23ème édition, Paris, Librairie L. Maison (successeur Audin), 1851, p 616 ; Nouveau Guide du Voyageur en Italie, Paris, Maison, 1852 p 82 ; Guide du Voyageur en Italie, 1853 p 67 ; Richard, Guide du Voyageur en Europe, 1854, p 533 (Google Books).
- Note 10 : L'Hôtel des Quatre-Nations n'est pas cité dans la liste des hôtels des documents niçois suivants : Augustin Bricogne, Le Conducteur des Etrangers dans l’intérieur de Nice et dans ses environs, Nice, Imprimerie de Suchet fils, 1839, pp 90-91 (Nice, Bibliothèque municipale de Cessole) ; Antoine Risso, Nouveau Guide des Etrangers à Nice ou Nouveau Guide du Voyageur dans Nice, Nice, Société Typographique, 1844 p 75 ; dans L'Indicateur Niçois pour 1845, 1846, 1847, 1848 ; dans les listes d'hôtels publiées dans L'Avenir de Nice de 1852 et des années suivantes (Nice, Archives Départementales des Alpes-Maritimes) ; sur les plans de la ville de Nice datés de 1855 (Collection privée) et 1856 (Paris, BnF, Gallica) ; dans Pierre Cauvin, Guide du Commerce - Indicateur niçois suivi du Cicerone de l'Etranger, Nice, Imprimerie Société Typographique, 1855, p 98 (Google Books) ; dans Millie Bischoff, Guide des Etrangers à Nice 1858-59, Office Central des Etrangers, Nice, Imprimerie Canis Frères, octobre 1858 pp 55-56 mais également Indicateur Commercial pp 36-37, 65, et Annonces en fin d'ouvrage (Nice, Archives Départementales des Alpes-Maritimes).
- Note 11 : L'Hôtel d'Italie est ensuite cité "rue Ste Réparate, n. 5" (L'Indicateur niçois pour 1846) puis "rue S. François-de-Paule" (L'Indicateur niçois pour 1847 et 1848) (Nice, Archives Départementales des Alpes-Maritimes).