SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS
VOIR LA VIDÉO (20 MN, 2022) DE SCRIBE ACCROUPI
[VISITE PRIVÉE] EXPOSITION "CARAVAGE, UN COUP DE FOUET"
28 OCTOBRE 2022 - 27 FÉVRIER 2023
MUSÉE RODIN - PARIS
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INTRODUCTION
Louis Crette (Paris c.1824-Turin 1872) est un peintre et artiste français qui a exercé la photographie entre 1850 et 1867, avec des ateliers à Paris (dès 1850), Nice (dès 1854) et Turin (dès 1857) (voir sa biographie ici).
Il a exposé à Londres (1852) et Bruxelles (1857) et a notamment voyagé dans le nord de l'Italie et la Suisse. Il a réalisé des portraits de célébrités en studio mais également des vues de paysages urbains et naturels.
L'achat récent d'un Album niçois (Collection privée) a révélé vingt-sept Cartes de visite (d'environ 10,3x6,9 cm) identifiées mais non datées, dont vingt-trois de Louis Crette, trois de Pierre Ferret (portraits) et une de Joseph Silli (portrait).
Les photographies de Louis Crette, actif à Nice de 1854 à 1865, offrent douze vues de la ville essentiellement consacrées au Port et à la Baie des Anges (l'une d'elles identifie le jardin niçois d'Alphonse Karr et une autre l'Île de Saint-Honorat près de Cannes) et une série exceptionnelle de onze portraits en pied de pifferari que leur propriétaire a autorisé à étudier et reproduire ici.
LES PIFFERARI
Une présentation détaillée des pifferari nous est fournie par l'ouvrage du prêtre Jean Joseph Gaume (1802-1879), intitulé, Les Trois Rome, édité en 1847 (pp 135-137) : "Les Pifferari sont des bergers de la Sabine et des Abruzzes qui, chaque année, au retour de l'Avent, descendent de leurs montagnes, et viennent annoncer, dans les rues de Rome, au son d'une musique champêtre, la prochaine naissance de l'enfant de Bethléem. Vous les voyez ordinairement par troupes de trois musiciens : un vieillard, un homme d'âge mûr et un enfant. Ils rappellent ainsi l'ancienne tradition qui ne compte que trois bergers. Debout et tête nue, devant les madones qui ornent les façades des maisons, ou qui se dessinent, éclairées par une lampe au fond des magasins, ils saluent de leur joyeuse symphonie l'heureuse mère du Sauveur (...).
Les instruments des Pifferari sont simples comme ceux des bergers. Un haut-bois (sic), un chalumeau, un triangle (...). La "canzonetta" qu'ils répètent devant la Reine du ciel, n'est point écrite sur des notes savantes (...).
Le costume des Pfifferari (...) vous reporte en plein moyen âge. Un chapeau tyrolien, orné d'un large ruban de diverses couleurs, un demi-manteau en grosse bure verte, une culotte en peau de brebis ou de chèvre, des chausses terminées par une semelle qui se termine sur le pied avec des courroies ; ajoutez à cela de longs cheveux noirs qui descendent sur les épaules, une belle barbe, des yeux vifs, un front élevé, et vous aurez une idée de ce type de costume et de ce type remarquables".
Le Guide Baedeker Italie Centrale et Rome de 1867 (p 105), donne des informations légèrement différentes concernant cette tradition romaine : " Les pifferari (joueurs de cornemuse) sont particulièrement visibles vers Noël, vêtus de manteaux bruns délavés, de chapeaux pointus et sandales (...).
Ils se promènent par deux, du matin au soir, d'une image de la Vierge à une autre, l'aîné avec une cornemuse et le cadet avec une espèce de clarinette ou flûte de roseau (chalumeau). Tandis que le premier joue la mélodie, l'autre chante à moitié et récite à moitié une prière et joint ensuite aux sons de la cornemuse les roulades les plus extravagantes de sa clarinette. Cela se répète 9 fois, et ils vont visiter trois fois par jour chaque image de la Madone.
Vers Noël, les pifferari viennent chercher leur récompense chez les personnes qui demeurent dans le voisinage. On leur donne quelques pauls. Ils reviennent pour peu de jours entre Noël et le jour de l'an, après quoi ils s'en retournent dans leurs montagnes avec leur pauvre gain, ou bien ils vont continuer leur tournée".
Il semble que ces musiciens italiens ont essaimé dans différentes villes, ainsi que dans les pays voisins. Par petits groupes, ils jouent, mangent et probablement dorment dans la rue, les assimilant parfois à des mendiants sur les trottoirs.
Au-delà des évocations musicales de leur pratique [dont Hector Berlioz (1803-1869) en 1833 et Charles Gounod (1818-1893) en 1863], il existe de nombreuses représentations de pifferari (dessins, aquarelles, estampes, tableaux).
Dès les débuts de la photographie, ils sont un sujet recherché. Entre 1840 et 1880, une cinquantaine de portraits en grands et petits formats sont connus (daguerréotypes, tirages sur papier salé, tirages sur papier albuminé), réalisés essentiellement par des photographes italiens et français (voir une trentaine de portraits réunis sur luninous-lint).
Chez les photographes français, il faut citer les portraits de pifferari réalisés au début des années 1850 par Charles Nègre (1820-1880) mais également par Gustave Le Gray (1820-1884) et ses élèves dont Raymond de Bérenger (1811-1875) et Louis Crette justement (c.1824-1872). Aux groupes de ce dernier déjà connus (voir ici et ici) viennent s'ajouter les onze portraits présentés ici.
LES PORTRAITS DE PIFFERARI PAR LOUIS CRETTE
Cinq des onze portraits étudiés sont des portraits réalisés en studio où les pifferari posent devant une balustrade et une grande toile de fond peinte représentant la Baie de Nice.
Les six autres sont des portraits de plein air, parfois accompagnés de fortes ombres portées, probablement pris devant la maison occupée par Louis Crette, située alors au nord-ouest de la ville, au numéro 5 de la rue Saint-Etienne (au sud de la future Gare de chemin de fer). Si l'un des groupes pose devant le mur et la fenêtre de la maison (Image 3), les autres posent devant un fond de bois ou de toile qui les isole de la maison ou ne la laisse apparaître qu'aux extrémités de l'image (Image 5).
Les portraits présentent le plus souvent de deux à quatre personnes ; l'un d'eux ne montre cependant qu'un seul pifferaro (Image 9), un autre affiche cinq filles (Image 10), et le dernier groupe, six personnes des deux sexes (Image 5).
Ce sont les mêmes individus que l'on retrouve dans plusieurs Cartes de visite et il semble qu'il n'y ait eu sur les trente-trois personnes photographiées que 18 personnes différentes (six hommes, cinq garçons, une jeune femme et six fillettes) qui ne constituent tout au plus que de deux à quatre familles.
Un indice important est fourni par des mentions manuscrites présentes dans l'Album étudié sous deux doubles pages : "Piferari (sic) de la Briga (Nice)" et "Paysans de Tenda". Ces deux communes de La Brigue et Tende, situées au nord-est des Alpes-Maritimes, sont citées sans que l'on puisse malheureusement dissocier les deux groupes, les cartons-photos n'occupant plus leur emplacement d'origine.
Les photographies de pifferari n'ont donc pas été prises en fin d'année à Rome avec des bergers des Abruzzes mais à Nice avec des bergers venus de deux villages voisins de la haute vallée de la Roya, situés à environ 80 km de là (et qui ne seront rattachés à la France qu'en septembre 1947). Il est vrai qu'une partie de portraits de pifferari réalisés par des photographes français (comme Charles Nègre) ont été pris à Paris.
Sur les photographies de Louis Crette, les protagonistes apparaissent dans des poses variées, le corps ou le visage de face, de trois-quarts ou de profil, debout, assis sur la balustrade, un siège ou le sol, l'un d'eux étant même allongé par terre. Le groupe des cinq vendeuses de fleurs est organisé autour d'une table ronde et de deux chaises, avec les bouquets disposés dans des corbeilles tressées (Image 10).
Les hommes portent généralement, sur des cheveux mi-longs ou longs, un chapeau à larges bords qui peut varier en hauteur, être dépourvu de décor ou bien orné d'un ruban agrémenté de petits pompons clairs. Ils sont vêtus d'une chemise claire, d'une veste sombre et courte à longues manches et gros boutons clairs ou une longue veste blanche en laine de mouton dépourvue de manches, d'une large cape ou d'un manteau, de pantalons visibles jusqu'aux genoux et, en dessous, de chausses nouées sur des sandales. Ils portent également leur instrument ou un sac en bandoulière.
Les jeunes garçons sont parfois vêtus comme les adultes mais portent aussi une sorte de bonnet, un foulard autour du cou, un gilet et une veste courts et sombres, et un pantalon large et court révélant des chaussures nouées par un lacet. Ils tiennent parfois leur instrument de musique, un bâton de marche et/ou un animal (lapins Brittania Petite ?).
Les filles portent généralement des habits unis ou ornés de motifs géométriques, un foulard couvrant les cheveux noué sous le cou, une robe à manches longues resserrée à la taille dont le haut est masqué par un large châle croisé sur la poitrine et le bas est recouvert par un long tablier, et des chaussures peu visibles sous la robe, nouées par un lacet et semblables à celles des garçons.
Enfants, adolescents et adultes tiennent, présentent ou jouent de leur instrument. Sept des onze groupes présentent un seul musicien, joueur de cornemuse (à vessie) ; deux groupes affichent quatre musiciens avec trois joueurs de hautbois et un de cornemuse (Images 1 et 7) ; un groupe présente trois musiciens, avec deux joueurs de vielle à roue (un garçon et une jeune femme) et un enfant au triangle (Image 5) ; enfin un groupe est dépourvu de tout instrument (petites vendeuses de fleurs, Image 10).
On retrouve ainsi les mêmes variantes que chez les portraits de pifferari des autres photographes contemporains, portraits en intérieur et en extérieur, constitués de petits groupes d'hommes et de garçons et plus rarement de femmes et de fillettes.
DATATION DES PHOTOGRAPHIES
Pour dater ces photographies, il est nécessaire de prendre en compte la carrière de Louis Crette (c.1824-1872), l'ensemble de ses vues présentes dans l'album mais également celles de Pierre Ferret (1815-1875) et de Joseph Silli (1826-1886).
Deux des trois photographies de Ferret et celle de Silli sont des caricatures qui se retrouvent à l'identique dans l'Album d'André Donis, conservé à Nice à la Bibliothèque de Cessole et qui porte en couverture, "A.D. NICE 1862".
La troisième photographie de Ferret est le portrait d'un homme costumé pour un bal du Caraval de fin février-début mars à Nice dont un exemplaire identique est pour sa part daté de "1862".
Si l'on considère désormais les vues de Nice de Louis Crette qui montrent le Port de Nice et la Baie des Anges, elles s'affirment antérieures au second semestre 1862, tant par leurs architectures présentes que par celles qui ne sont pas encore érigées (nouvelle Villa Vigier au Lazaret, fin 1862-début 1863 ; maison proche du Château Smith sur le Mont-Boron 1862-1863 ; usine Musso sur le Port, 1863).
L'une d'entre elles, la Vue de la Baie des Anges, peut être plus précisément datée de 1860, du fait de la présence d'un échafaudage sur la maison (1859-1860) de Félix Donaudy en fin de construction sur le boulevard du Midi.
Les vues de paysages comme les portraits de pifferari de Louis Crette présentent d'ailleurs, au verso du carton sur lequel elles sont collées, les mentions, "L. Crette - Photographe de L.M. - L'Empereur Napoléon III - Et - Le Roi Victor Emmanuel II".
Louis Crette est dit "Photographe du Roi de Sardaigne" dès janvier 1858 puis "Photographe du Roi Emmanuel II" dès octobre de la même année. Il est dit ensuite "Photographe de l'Empereur des Français" dès juillet 1860 (après l'Annexion française) et "Photographe de l'Empereur des Français - et le Roi de Sardaigne" dès octobre 1860. Les mentions exactes présentes au dos des portraits étudiés de pifferari ne semblent réunies qu'à partir de 1861.
La mention "Roi Victor Emmanuel II", qui a pu être remplacée dès mars 1861 par celle de "Roi d'Italie", perdure cependant au revers d'un Portrait du peintre paysagiste Gabriel Loppé (1825-1913) daté de "janvier 1862" (Bibliothèque de Genève, ici), ainsi que dans l'Annuaire des Alpes-Maritimes de 1864.
Il est donc possible que la Vue de la Baie des Anges prise au premier semestre 1860 soit un retirage. Il peut en être de même pour d'autres vues de l'Album ainsi que pour les portraits de pifferari, ce qui élargit potentiellement leur datation entre 1854 et 1862 mais plus probablement, du fait des vues datées qui les accompagnent, entre 1860 et 1862.
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18 OCTOBRE 2022 - 5 MARS 2023
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ALPHONSE KARR À NICE
Jean Baptiste Alphonse Karr est un écrivain et journaliste français, né à Paris le 24 novembre 1808, fils de Pierre Henri Karr, musicien allemand, et de Marie Louise Henriette Vergé/Verger.
Au début des années 1850, Alphonse Karr habite Paris et possède une propriété en Normandie, à Sainte-Adresse près le Havre (Seine-Maritime) où il passe les étés et "où il partage ses loisirs entre la mer qu’il affectionne, le jardinage qu’il adore, et la littérature qu’il ne peut pas souffrir. Horticulteur de premier ordre, il porte à son jardin un amour paternel" (Le Figaro du 6 août 1854 p 2).
Dans ses Souvenirs, Alphonse Karr évoque son départ de
France mais sans préciser aucune date : "L’Empire déclaré [2 décembre 1852], il me prit
un ardent désir de sortir de France (…) ; je vendis ma maison et mes
meubles [de Sainte-Adresse]. Je pensai à me rapprocher du soleil" (Le
Livre de Bord, 1880, ch. CXXX, pp 302-329).
En fait, c'est en avril 1853 qu'Alphonse Karr quitte Paris. Il se rend en Italie
via Marseille où il arrive début mai (Gazette du Midi du 4 mai 1853). Il
séjourne à Gênes puis à Nervi pendant 5 mois environ.
Appelé à Paris pour un procès, il quitte Nervi en octobre
1853 et s’arrête à Nice "à l’époque de la Saint-Luc" (troisième semaine d'octobre). En novembre
1853, il est de retour à Paris (Le Droit du 17 novembre 1853 ; A. Karr, "Promenade hors de mon
jardin", Le Siècle du 26 octobre 1854 ; A.
Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).
Il retourne ensuite à Nervi mais ne tardant pas à s’y "trouver trop étranger" (Le Livre de Bord, op. cit. ; Le Figaro du 30 avril 1854 p 3), il opte pour Nice au début de l’année 1854 (alors âgé de 45 ans).
Son arrivée est signalée dans la ville de Nice le 17 février 1854 (L'Avenir de Nice du 19 février 1854 p 2 puis Le Siècle du 2 mai 1854). C’est au printemps que
sa maison de Sainte-Adresse, mise en vente (judiciaire) en décembre 1853, est
adjugée (Le Droit du 21 décembre 1853 ; Journal des
débats politiques et littéraires du 17 avril 1854 p 3).
"Je me décidai pour Nice, où je découvris une petite maison au centre d’un très grand jardin, quelque chose comme un bois d’orangers (…). Quant au métier que je voulus adjoindre et, au besoin, substituer à mon métier d’écrivain, c’était le métier que j’avais pratiqué toute ma vie en amateur [jardinier] (…). Il n’y avait pas de fleurs à Nice ; Nice se contentait de la flore sauvage (…). D’autre part, beaucoup d’espèces et de variétés de légumes manquaient entièrement ; parmi celles cultivées, il y en avait d’absolument médiocres ou mauvaises" (A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).
L'Avenir de Nice signale son adresse, "villa Bermond n° 2", le 21 décembre 1855.
LA FERME ET LA BOUTIQUE
"Le jardin qui entourait ma maison était très
grand ; je le louai et fis venir de France, de Belgique, de Hollande,
d’Angleterre, les collections de plantes et de graines que je voulais
introduire, des roses surtout" ( A. Karr, Le Livre de Bord, 1880, op.
cit.).
La location de la maison située au nord-ouest de la ville de Nice, au quartier de Saint-Etienne, semble dater de 1854 mais une grande partie des textes du XIX° siècle relatifs à cette question sont approximatifs, ambigus ou erronés, impliquant ou citant les dates de 1852 ou 1853.
Auguste Burnel, notamment, dans sa deuxième édition de son ouvrage sur Nice, rédigé en 1856 et édité en janvier 1857, écrit : "Alphonse Karr habite depuis quatre ans une maison de campagne dans le quartier de Saint-Etienne et il y cultive, avec un égal succès, le jardinage et le feuilleton" (A. Burnel, Nice, 1857 p 40).
La location du jardin attenant semble pour sa part postérieure
et dater de 1856. Alphonse de Lamartine (1790-1869) écrit et publie, dès 1857, un poème intitulé, Lettre à Alphonse Karr, Jardinier (voir sur Gallica).
"Au bout d’un an de travail, mes cultures étant en
plein exercice, j’ouvris franchement une boutique sur le jardin public de Nice
avec mon nom sur le fronton : "Alphonse Karr - Jardinier".
Et je me mis à vendre des fleurs, des bouquets et des légumes ; mes
bouquets (…) eurent tout de suite beaucoup de succès. Quant aux légumes, ce fut
une autre affaire…" ( A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).
A l'automne 1856, Alphonse Karr fait en effet aménager le rez-de-chaussée d'un immeuble (Les Echos de Nice du 31 décembre 1856), précédemment occupé par le Café du Jardin des Plantes (tenu par Gaspard Feraud, décédé à 30 ans le 13 mars 1856).
La boutique est située en centre ville, sur la rive droite du Paillon, au n° 8, place du Jardin public, au rez-de-chaussée de la Maison Trabaud (immeuble nord du côté occidental ; à l'angle des actuelles avenue Gustave V et avenue de Suède, face au Jardin de l'Arménie).
Son ouverture se fait en 1857, ce que confirme Auguste Burnel dans son ouvrage : "Après avoir recommandé dans des articles pleins de ce bon sens exquis qui constitue le fond de son talent, l'étude de l'agriculture et des travaux du jardinage, l'habile écrivain a voulu joindre l'exemple au précepte. Il s'occupe à la villa Bermond, qu'il habite auprès de Saint-Etienne, de la culture maraîchère. Il a introduit ici le petit chou de Bruxelles qui, avant lui, n'était pas connu à Nice. Il a semé des griffes d'asperges dont les produits doivent, au printemps prochain, commencer à paraître sur le marché" (A. Burnel, op. cit., pp 120-121).
Une publicité postérieure de la boutique portera d'ailleurs : "Maison fondée en 1857" (Léo Watripon, Nice-Guide, nouveau cicérone des étrangers, 1869, appendice publicitaire ; Gallica).
L'adresse est citée dans le Bradshaw’s Continental Monthly de mai 1858 (p 312), comme siège du quotidien La Terre Promise - Gazette de Nice attribué par erreur à Alphonse Karr puis fin 1858-début 1859 comme siège de sa revue Les Guêpes qui vient de reparaître et lieu de vente de ses récoltes (Revue et Gazette Musicale de Paris du 7 novembre 1858 p 371 ; A. Karr, Les Guêpes de décembre 1858 p 32 et du 17 janvier 1859 p 26).
A partir de 1859, les deux adresses de la ferme et de la boutique d’Alphonse Karr sont régulièrement signalées dans les journaux, les revues et les guides de voyage : "La route de St-Philippe que l’on trouve à droite (en venant de Nice) un peu au-delà de S. Pier d’Arena, conduit à la magnifique ville Bermond. C’est dans le voisinage que se trouve la "petite" villa Bermond dite "ferme de St-Etienne", occupée par le célèbre littérateur Alphonse Karr.
On voit au jardin public n° 8 une petite boutique où se vendent les fruits et légumes de l’écrivain-agronome : une plaque de marbre sert d’enseigne et porte ces mots, "Alphonse Karr, Jardinier" (K. Baedeker, La Suisse, Les lacs italiens, Milan, Turin, Gênes et Nice, 1859, pp 334-335. Voir aussi, Millie Bischoff, Guide des Étrangers à Nice, 1858-1859, 1859, Classification des rues pp 24-25 ; Musée des Familles 1859-1860, 1860, vol. 27, p 314 ; Ch. Brainne, Baigneuses et buveurs d’eau, 1860 pp 23-24).
L’Illustration du 5 février 1859 (vol. 33, n° 832, p 84) consacre une pleine page de présentation de ses deux adresses (Images 2 et 3).
3 - Dépôt de fleurs d'Alphonse Karr au Jardin public de Nice. - D'après les croquis de M. Guiaud, estampe parue dans L’Illustration du 5 février 1859, vol. 33, n° 832, article de Philippe Busoni (1804-1883), p 84.
Texte accompagnant l'estampe : "En vendant lui-même les produits de son jardin [sans intermédiaire], c’est un excellent exemple d’économie domestique que votre compatriote nous as donné (…) ; les fleurs d’Alphonse Karr, les fraises d’Alphonse Karr (…) ; les produits de son établissement sont les plus beaux du pays et il ne les vend pas plus cher que nos cultivateurs de profession. Ah ! ce n’est pas le moyen de s’enrichir, et il a bien fait de reprendre "Les Guêpes" [revue qu’il a fondée en novembre 1839]".
LE JARDIN
"Mon jardin devint célèbre. J’ai introduit à Nice plusieurs espèces et variétés de légumes (…) et j’y ai établi une industrie (…), la culture et la vente de fleurs (…) mais mes écrits d’alors et surtout l'envoi de mes bouquets de Nice dans toute l’Europe dans les mois d’hiver (dix variétés de roses, des œillets, de l’héliotrope, réséda, anémones, renoncules, cyclamens, iris de Perse, iris scoripoïdes et iris stylosa, tacsonia ignea, tecoma capenais, aponogéton dystachion, fleur d’oranger, violettes, volkameria, daphné lauréole, daphné dauphin, daphné des Indes, etc.) ont eu une très grande influence sur la réputation et les progrès de cette station d’hiver" (A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).
M. Silbermann, président de la Société d’Horticulture du Bas-Rhin, visite en octobre ou novembre 1860 le jardin d'Alphonse Karr puis le décrit en détail dans une lettre publiée en 1861 : "Les principales plantations de ce terrain, qui comprend deux hectares, consistent en Orangers au feuillage d’un vert très-foncé, en Citronniers, Pêchers, Abricotiers, etc. Les légumes prennent aussi beaucoup d’espace et sont l’une des principales branches de l’exploitation. Dans deux plates-bandes on venait de semer des Haricots et des Petits Pois pour les récolter en janvier.
Après les fruits et les légumes, ce sont les fleurs que
cultive M. Karr. Il en fait grand commerce avec Grasse pour la parfumerie et
avec Paris pour les bouquets. J’admirai d’énormes pieds d’Héliotropes, palissés
environ à 1 mètre et demi de hauteur, sur une longueur de huit à dix
mètres ; ils formaient cloison compacte couverte de fleurs (…).
La maison d’habitation n’est pas grande, et elle
disparaît entièrement sous des rosiers qui couvrent toute la surface jusque sur
le toit et forment encore, devant la maison, un berceau à ombrage épais ;
ce sont des Rosiers de Banks et de Bengale, plantés depuis cinq ans seulement,
époque à laquelle M. Karr a pris ce
jardin en location.
D’autres plantes curieuses, surtout au point de vue de
leur végétation en pleine terre, ornent encore les parterres ; mais il
faut quelquefois les chercher sous les touffes de mauvaises herbes. Je citerai
principalement : Acacia longissima (linearis), Datura arborea, Poinciana
Gillesi, Plumbago azurea, Eriobotrya japonica, le Néflier du Japon donnant des
fruits semblables à des Mirabelles jaunes. Dans un petit bassin se trouvait le
Thalia dealbata et un beau Caladium" ("Lettre de M. Silbermann,
Président de la Société d’Horticulture du Bas-Rhin", La Belgique
horticole 1860-1861, 1861, vol. 11, pp 303-304).
LA DEUXIÈME FERME ET LA DEUXIÈME BOUTIQUE
Vers 1862, Alphonse Karr déplace sa boutique située au jardin public, du rez-de-chaussée du Consulat de France (bâtiment occidental du Jardin public, situé place du Jardin public) au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Grande-Bretagne (bâtiment septentrional du Jardin public, situé quai Masséna) (A.J. Du Pays, Itinéraire de l’Italie et de la Sicile, 3ème édition, 1863 p 8).
L'arrivée annoncée du chemin de fer à Nice et les expropriations qui en découlent contraignent également Alphonse Karr à quitter, la même année, la ferme de Saint-Etienne (sur le tracé du chemin de fer et les expropriations voir notamment : Le Messager de Nice du 26 juin 1861, des 18, 27 janvier et 29 mars 1862).
Cinq ans plus tard, Emile Négrin précise les choses dans sa quatrième édition des Promenades de Nice de 1867 (pp 179-181) : "En sortant [de la propriété Peillon], à droite, on trouve un chemin qui passe sous la voie ferrée et aboutit (6 min.) à la route de St-Philippe (…). Sur ce chemin, à 52 pas, s’ouvre la porte cochère de la ferme de Karr. Une main peinte à la fresque indique qu’il faut suivre à droite le mur de clôture pour arriver à la porte ordinaire (176 pas). Une sonnette et une plaque de cuivre vous sollicitent : "Mr Karr". En 1860, Karr avait sa ferme à St-Etienne, à droite du hameau de Ste-Catherine que vous avez traversé en venant. Au-dessous de son nom était alors écrit : "on est prié de ne pas entrer".
La première ferme, située au sud de la Villa Bermond, bordée au sud par le chemin de Saint-Etienne et à l’est par le vallon de la Mantéga, s’est trouvée directement impactée par le tracé de la voie ferrée et plus encore par l’implantation de la gare de chemin de fer (Le Messager de Nice du 29 novembre 1861). Elle occupait un emplacement proche des actuels boulevard du Tzarewitch et rue Cluvier (quartier du Parc Impérial)
La deuxième ferme, également située au quartier de Saint-Etienne (propriété du Dr Ratto), est très proche de la précédente mais un peu plus à l’ouest, confinant au nord la Villa Peillon et au sud, la chapelle Saint-Philippe (chapelle conservée près du lycée Honoré d’Estienne d’Orves, actuel quartier de Saint-Philippe).
Alphonse Karr évoque, dans sa nouvelle ferme, son "Tacsonia mollissima dont les guirlandes de fleurs roses retombent du haut d’un olivier de 20 mètres dans lequel il lui a plu de grimper (...), ses roses Chromatella, gloire de Dijon, Lamarque, gloire des rosomanes, etc., etc., qui dépassent la hauteur d’un premier étage, et s’élancent d’un arbre à l’autre (...), ce jardin, dont on sent les parfums dans les rues environnantes, dont on voit les fleurs déborder par-dessus les murs" (A. Karr, "Les Fleurs de Nice", Les Hivers de Nice, 1864).
Les récits de visite de la deuxième ferme témoignent "de son splendide jardin de Saint-Etienne" empli d’un grand nombre de variétés de roses, de fleurs, d’orangers, de citronniers et de plantes rares et où "les plus riches fleurs aquatiques s’épanouissent dans ses bassins" mais également du "logis, une maison irrégulière et jaune" (Revue des Jardins et des Champs, 1863 pp 83-84).
Charles Yriarte (1832-1898), dans un article paru dans Le Monde Illustré du 8 février 1868 (n° 565 pp 83-83 et 85), évoque lui-aussi l'époque de cette deuxième ferme par des textes et des dessins (Images 4, 5 et 6) : "Tous les ans, lorsque l'hiver nous ramenait à Nice nous allions frapper à la porte du poëte, nous traversions l'allée d'orangers, où le feuillage sombre taché de fruit d'or faisait un berceau de verdure et des éclats de rire, des timbres d'or, des voix confuses, jeunes, vivantes, frappaient nos oreilles. C'étaient les jeunes filles du pays qui assemblaient les violettes de Parme et les roses, souvent elles chantaient en chœur, alors que la besogne était pressée, et, sans s'en apercevoir elles passaient douze heures à l'ouvrage, heureuses, vives et légères.
Jamais aucun étranger n'avait pu gravir le petit escalier extérieur qui venait à cette maison italienne cachée dans les myrtes et les rosiers bankis. A côté, près du banc sur lequel s'asseyaient les visiteurs, tout à l'entrée, dissimulé aussi sous le feuillage, une Noria qui nous rappelait l'Espagne ou les campagnes de Gaëte [au sud de Naples], avec sa roue armée de godets de fer blanc plongeant dans le puits, un petit âne patient et résigné la tournait sans cesse, il fallait abreuver le sol crevassé par le soleil (...).
La maison est d'un aspect riant, une de ces villas simples, blanches au milieu du feuillage vert, dont le toit émerge des dômes de verdure. Le premier plan qui frappe les yeux est un vaste champ de grands rosiers à hautes tiges, des bengales d'un ton vif. Par-ci par-là, des aloès (...) et de grands mimosas (...) devenaient là des arbres majestueux, au feuillage pâle comme celui du saule, à la fleur d'un jaune soufre, élégante, fine et un peu mièvre, au parfum très doux. Puis venaient des berceaux, des pampres, des oliviers énormes comme des chênes dont les troncs noueux poussent, très-près du sol, des branches d'un jet puissant" (op. cit., p 82).
6 - Résidence d'Hiver. - Nice - La maison d'Alphonse Karr (Dessiné par G. Hagemann, d'après les croquis de Charles Yriarte, estampes extraites du Monde Illustré du 8 février 1868, vol. 12 p 85 (Paris, BnF, Gallica).
DATATION DE LA PHOTOGRAPHIE
Le photographe parisien Louis Crette est arrivé à Nice, en 1854, la même année qu'Alphonse Karr. Il habite d'ailleurs à proximité de la ferme de ce dernier, un peu plus au sud, au 5, rue Saint-Etienne et réalise plusieurs portraits de l'écrivain-jardinier (voir sur artnet et sur le site de la Bibliothèque de Genève).
Louis Crette a également réalisé plusieurs vues de ce qui semble être la seconde ferme niçoise d’Alphonse Karr (voir quatre photographies sur luminous-lint et une cinquième sur le site de la NGA de Washington, photographies qui pourraient donc dater des années 1862-1867).
La vue étudiée (Image 7) semble renvoyer davantage à la ferme la plus ancienne, avec son petit bassin entouré de plantes hautes à proximité des bâtiments dont le Thalia dealbata (au premier plan et à gauche de l’image) et le beau Caladium au pied du néflier du Japon (sur le bord opposé du bassin) signalés par M. Silbermann. Si c’est bien le cas, le dessin ne peut pas être postérieur à 1861.
Louis Crette a parfois réédité des tirages anciens. Le revers de la Carte de visite de la vue étudiée porte des mentions qui semblent impliquer une date postérieure à l’Annexion française du comté de Nice, Louis Crette étant dit "Photographe de L’Empereur Napoléon III" dès l’été 1860 (Le Messager de Nice du 17 juillet 1860).
Si le tirage de la vue étudiée peut être daté de fin 1860-début 1861, la prise de vue peut lui être antérieure et le dessin plus encore.
Ce dessin peut être daté entre 1857 et 1861. Il est peut-être l’œuvre de Louis Crette, peintre et photographe, ou bien celle de son ami Jacques Guiaud (1810-1876) qui a, d’une part, réalisé en 1857 des lithographies d'après les photographies de Louis Crette et, d'autre part, exécuté plusieurs dessins de la première ferme d’Alphonse Karr (Images 2 et 3).
La vue a ensuite servi de base à la réalisation d’une estampe qui est parue dans le n° 304 de L’Univers Illustré du 20 février 1864.
8 - RIOU Edouard (1833-1900), Le Jardin d'Alphonse Karr à Nice, estampe publiée dans L’Univers Illustré du 20 février 1864, n° 304 p 111.
Il est difficile d’affirmer que le portrait intégré dans l’estampe ci-dessus (Image 8) est également tiré d’un portrait réalisé par Louis Crette, Alphonse Karr ayant été notamment photographié à la même époque par Pierre Ferret, Pierre Petit et Eugène Disdéri.
Il reste étonnant, même si le fait est loin d’être exceptionnel, que l’estampe de L’Univers Illustré du 20 février 1864 diffuse le modèle de la ferme de Saint-Etienne qu’Alphonse Karr n’occupe plus, alors que Le Petit Illustré du 3 décembre 1864 présente des estampes de la nouvelle ferme. Ces dernières, réalisées d’après des photographies (celle de l’Entrée de la maison est conservée dans une Collection privée) seront d’ailleurs rééditées à une époque où Alphonse Karr n'occupe à nouveau plus la ferme, dans Le Monde Illustré du 8 février 1868, mais en le précisant (Images 4, 5 et 6).
ADDENDA
Deux mois après la rédaction de cet article, j'ai trouvé des informations complémentaires dans le volume 29 de la revue Musées des Familles : Lectures du Soir (BnF, Gallica), qui réunit les publications mensuelles d'octobre 1861 à septembre 1862 (Paris, octobre 1862).
Il s'agit d'un article du rédacteur en chef M. Pitre-Chevalier (1812-1863), intitulé "Sous les Orangers de Nice - Un déjeuner chez Alph. Karr", annoncé dans le numéro de décembre 1861 (p 96) et publié dans celui de janvier 1862 (pp 106-112).
"Nous parcourûmes l'oasis, tandis qu'on achevait de mettre le couvert, et nous restâmes en extase devant le ruisseau et la mare, si artistement rendus par M. Crette, premier photographe du roi d'Italie. (Voir la gravure ci-dessous).
Oui, c'était bien une mare de village, ce n'était pas un bassin de parc. Il n'y avait ni margelles de pierre, ni degrés de marbre, ni jets d'eau ridicules ! Du gazon frais, des fleurs naïves, des joncs sauvages, des plantes étalées sur l'onde endormie. Au bord, de grands arbres variés ; à droite, une cabane agreste, avec un palmier en éventail. Tel était le lac en miniature".
L'auteur de l'article fait aussitôt le rapprochement avec le ruisseau de l'ancienne propriété de Sainte-Adresse et cite un passage des écrits d'Alphonse Karr : "C'était un heureux ruisseau. Il n'avait absolument rien à faire que ce que je vous ai dit : couler, rouler, être limpide, murmurer entre des fleurs et des parfums" [extrait de, Voyage autour de mon Jardin, lettre XVII, Paris, 1845].
Ce ruisseau, au-delà d'évoquer le bonheur à trouver dans la contemplation de la nature, se révèle être le symbole d'Alphonse Karr lui-même : "Il menait la vie que j'ai choisie et que je mène, - quand on veut bien me laisser tranquille. Mais le ciel et la terre sont envieux du bonheur et de la douce paresse...".
La légende de l'estampe identifie cette fois l'auteur du dessin, "Pignoux, d'après une photographie de Crette, premier photographe du roi d'Italie".
Louis Crette a donc réalisé une prise de vue du jardin d'Alphonse Karr. Il semble avoir, dans un premier temps, diffusé sa photographie, puisque cette dernière est évoquée lors du déjeuner.
Etrangement, dans un second temps, Louis Crette a diffusé la reproduction photographique du dessin de Pignoux (le peintre A. Pignoux ?) publié dans la revue en janvier 1862. Il semble d'ailleurs que Louis Crette a diffusé d'autres dessins d'artistes (voir le dessin d'Auguste Carlone (1812-1873), diffusé sous le timbre de Louis Crette, Nice, BM Romain Gary).
Il est tentant de penser que le dessin ne date que de décembre 1861. Cependant, la date du déjeuner évoqué chez Alphonse Karr reste inconnue et ce déjeuner peut aussi bien avoir eu lieu fin 1861 que lors d'une année antérieure, d'autant que la publication des "Bouquets d'Alphonse Karr" s'est faite en plusieurs fois dans la revue, et notamment en septembre et novembre 1861.
La seule indication temporelle précisée dans l'article est tirée de la phrase suivante prononcée lors de la visite du jardin, " - Il manque quelques oranges, dit Alphonse Karr, on en a cueilli trois mille hier. Il en restait tant sur les branches, au milieu des fleurs, que l'absence de ces trois mille pommes d'or était à peine sensible".
La récolte d'oranges dans la région niçoise se fait entre novembre et avril, en deux ou trois fois, aux différentes étapes de leur maturité (mi ou fin novembre, fin décembre-début janvier et mars-avril). La première récolte de novembre se fait alors qu'elles commencent à se colorer, qu'elles sont encore acides mais excellentes quand on doit les expédier au loin (voir notamment, Gustave Heuzé, "Production des Orangers", Journal d'Agriculture pratique, vol. 1, 1895, pp 692-696).
Le déjeuner a donc pu avoir lieu en novembre 1861, l'article être préparé en décembre 1861 et publié en janvier 1862, même si rien ne peut être affirmé. Les articles des pages précédentes, publiés par la revue en décembre 1861, étaient récents et datés des 21 et 27 novembre 1861 (pp 94-95).
Même si le déjeuner et le dessin peuvent avoir été réalisés fin 1861, il n'en reste pas moins vrai que la première photographie de Louis Crette est antérieure à cette date (1861 ou avant ?) et que sa reproduction photographique du dessin est postérieure à cette date (1862).
ÉPILOGUE
Alphonse Karr conserve sa boutique du quai Masséna jusqu’en avril 1865 (Journal de Nice du 22 avril 1865). A cette date, il la cède à Joseph Duluc (Bordeaux c.1809-Nice 1897) et à son épouse Marie Félicité née Hodeige (Paris 1831-Nice 1914) mais ouvre, dès novembre, un magasin dans sa ferme (Journal de Nice du 17 novembre 1865 ; Les Echos de Nice du 2 novembre 1867).
Fin 1867, il cède finalement sa ferme de Saint-Etienne et quitte Nice pour Saint-Raphaël (Var) : "Mon ami, J’ai abandonné un commerce dont le succès me ruinait, 1° parce qu’il m’empêchait de travailler, 2° parce que mes fleurs gagnaient, il est vrai, beaucoup d’argent, mais cet argent n’arrivait jamais jusqu’à moi. Après quatorze ans de séjour à Nice, je me suis retiré à Saint-Raphaël, dans une vieille maison au bord de la mer (…). J’ai un jardin et un bateau, je ne vendrai plus désormais que de la prose" (Lettre d’A. Karr datée du 27 janvier 1868, Le Monde Illustré du 8 février 1868, vol. 12 p 82 ; voir aussi L'Illustration du 11 janvier 1868 p 19).
Il y meurt le 30 septembre 1890, à l'âge de 81 ans.
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INTRODUCTION
Cette vue stéréoscopique (Images 1 et 2) porte sur la gauche l'indication, "Vues Diamants", et sur la droite le nom de son auteur, "Léonard de St-Germain (Nice)", actif comme photographe dans cette ville du printemps 1865 à l'hiver 1868 (voir sa biographie, ici).
La prise de vue sud-ouest/nord-est capture, depuis l'étage d'une maison du quai Saint-Jean-Baptiste (actuelle avenue Félix-Faure), une portion du cours du Paillon, du quai de sa rive gauche, du boulevard du Pont-Neuf (actuel boulevard Jean-Jaurès), des toits de la Vieille Ville et du côté sud-ouest de la Colline du Château.
On aperçoit, à droite de l'image, la limite de la double rangée d'arbres qui sépare le boulevard du Pont-Neuf de la descente Crotti, ainsi que l'angle du passage (actuelle rue du Marché) qui conduit à la jonction entre la rue du Marché et la rue de la Boucherie.
Cette zone urbaine n'a été que très rarement photographiée car elle est en léger retrait de l'alignement du boulevard, ce qui la masque dans les vues panoramiques prises tant en amont depuis la Tour Saint-François, qu'en aval depuis la terrasse de l'Hôtel des Anglais.
LA MAISON GUIGNARD
La maison centrale, constituée de trois niveaux de trois baies (Image 2), apparaît accostée sur la droite d'une petite avancée rectangulaire d'un seul niveau (magasin et atelier) dont le mur occidental porte des inscriptions dont une partie est lisible : "Mme GUIGNARD - COUTURIERE" (Image 3).
Il existe, dans les années 1860, plusieurs familles de ce nom dont les femmes sont repasseuses, tailleuses, modistes ou couturières. Parmi les "couturières", il y a Thérèse Magdeleine Guignard, née Tapoul (Fayence, Var 29 juillet 1802-Nice 5 décembre 1877), épouse depuis le 6 mars 1821 de François Marius Guignard (Tourtour, Var 7 janvier 1798-Nice 21 avril 1867) avec lequel elle a eu seize enfants dont neuf fils, mais également l'une de ses belles-filles, Louise Baptistine Guignard, née Contesso (Nice baptisée le 1er avril 1833-Nice 1er avril 1910), épouse depuis le 13 novembre 1859 de Jean Baptiste Guignard (Nice 9 novembre 1834-Nice 31 décembre 1904).
Or, Louise Guignard, couturière, est citée "rue du Marché" avec son époux, commis de commerce, lors des actes d'état civil de leurs quatre premiers enfants entre 1860 et 1864 puis dans les recensements de la Ville de Nice de 1861 et 1866. Une deuxième adresse, située "boulevard du Pont-Neuf", est alternativement citée avec la précédente, lors des actes d'état civil de leurs cinq enfants suivants entre 1866 et 1873.
Ceci permet de considérer que c'est leur maison qui est visible sur la photographie étudiée et que cette dernière possède tout à la fois une entrée rue du Marché et une autre boulevard du Pont-Neuf (Image 4).
Le numéro de la rue du Marché est tout d'abord cité au "19" dans l'acte de naissance de leur fils Louis le 25 septembre 1861 puis au "7" lors de la naissance de leur fille Antoinette le 9 septembre 1871.
Le numéro du boulevard du Pont-Neuf est pour sa part cité pour la première fois dans la liste professionnelle des "Couturières" de l'Annuaire des Alpes-Maritimes édité au début de l'année 1864, "Guignard (Mme), boulevard du Pont-Neuf, 28".
C'est ensuite le numéro "30" qui apparaît à partir de l'acte de naissance de leur fils Charles Joseph le 11 juin 1866 puis, notamment, lors de la demande de Jean Baptiste Guignard, le 26 octobre 1868, "de changer une vitrine, faire blanchir la façade et repeindre les lettres de [sa] maison sise Boulevart du Pont neuf 30" (arrêté du 22 novembre 1868, Nice, Archives Municipales, 2T29-489).
Il est probable que Louise Guignard, qui va avoir neuf enfants entre 1860 et 1873 (dont trois vont malheureusement décéder en bas-âge), travaille avec plusieurs des jeunes sœurs de son mari qui exercent la même profession.
A partir de l'annuaire de 1871, le nom de "Guignard" réapparaît dans les annuaires, cette fois dans la liste des habitants, suivi de la mention, "machines à coudre et mercerie, boulevard du Pont-Neuf, 30", jusqu'à la faillite de ce commerce en 1879 (Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 06U 04/0689).
Au-delà du numéro de la Maison Guignard, les documents évoqués permettent de déduire que l'inscription a été réalisée entre la fin de l'année 1859 (date du mariage des époux Guignard) et la fin de l'année 1861 (mention de la profession de Madame Guignard dans l'annuaire de 1862) et qu'elle a perduré moins de dix ans, remplacée par une autre en novembre 1868.
DATATION DE LA PHOTOGRAPHIE
La portion photographiée du boulevard du Pont-Neuf est située face à une portion semblable du quai Saint-Baptiste (actuelle avenue Félix-Faure) pour sa part fortement restructurée dans les années 1860.
Le 24 mars 1866, un arrêté municipal déclare que "la circulation est complètement interdite sur le quai St-Jean-Baptiste entre le Lycée Impérial et la rue Chauvain". Les anciens bâtiments sont détruits pour faire place à la réalisation d'un tout nouveau quartier. Le quai est ensuite élargi et la digue refaite.
Le Grand Hôtel, érigé à cet emplacement dès mars 1867, fait une ouverture partielle dès octobre 1867 puis complète en janvier 1868. Sous ses fenêtres, le pont-square Masséna (traité du 13 mars 1867) est édifié au-dessus du Paillon entre juillet 1867 et février 1869, afin de relier les deux rives, d'accueillir un nouveau jardin puis de recevoir le Monument au Maréchal Masséna (inauguré le 15 août 1869).
Ce pont-square aboutit, sur la rive gauche du Paillon à la jonction entre la descente Crotti et le boulevard du Pont-Neuf, et son extrémité nord-est est située à la limite des arbres de la vue étudiée (Images 5 et 6).
Au devant du Grand Hôtel, le quai Saint-Jean-Baptiste et son parapet, totalement défoncés au printemps 1866, sont restés en l'état jusqu'à la fin de l'année 1867.
Sur la vue étudiée, le parapet de la digue du quai Saint-Jean-Baptiste apparaît en partie démoli mais aucune présence de travaux du pont-square Masséna n'est visible dans le lit du Paillon (Image 6).
6 - LÉONARD DE ST-GERMAIN, Sans titre (Nice, Le boulevard du Pont-neuf), vue stéréoscopique non datée, l'une des deux vues de 7,5x8,5 cm, sur carton de 8,4x17,4 cm, Collection personnelle.
Le parapet de la digue du quai Saint-Jean-Baptiste est découpé sur la gauche et visiblement démoli sur le reste de l'image. Ce parapet sera remplacé au début de l'année 1868 par un garde-corps en fonte, semblable à celui installé depuis juillet 1867 sur la partie du quai Saint-Jean-Baptiste comprise entre le Pont-Neuf et l'Hôtel Chauvain.
Ceci permet de dater la vue entre le début des démolitions du quai et des anciens bâtiments le 26 mars 1866 (Journal de Nice des 25 et 26 mars 1866) et le début de la construction du pont-square le 9 juillet 1867 (Journal de Nice du 10 juillet 1867).
La vue étudiée comporte cependant le numéro manuscrit "XXIII" (Image 1), alors que la vue de la même série, identifiée par le numéro "XXII" et intitulée "Nice à vol d'oiseau", montre la rive droite du Paillon avec les décombres de l'ensemble des anciens bâtiments du quai Saint-Jean-Baptiste.
Le Journal de Nice du 4 juillet 1866 décrit la scène : "Dans quelques jours, le marteau et la pioche auront terminé leur œuvre. Le quai St-Jean-Baptiste, entre la rue Chauvain et le Lycée Impérial, n'est plus à l'heure qu'il est, qu'un immense amas de décombres, offrant à la vue un aspect désolé".
Il est donc probable que les deux vues successives et se répondant presque en miroir, l'une nord-est/sud-ouest prise depuis la Colline du Château et axée sur la rive droite du Paillon, l'autre sud-ouest/nord-est prise depuis la rive droite du Paillon et axée sur la colline du Château soient toutes les deux contemporaines et datent de juin ou juillet 1866.
Si les anciens bâtiments du quai Saint-Jean-Baptiste sont démolis au moment de la prise de vue étudiée, cela pose cependant la question de l'emplacement du photographe. Il est probable qu'il se soit positionné à un étage élevé de l'angle de l'îlot de l'Hôtel Chauvain, d'où les lignes de fuite (perspective) de la photographie (Image 5).
Léonard-de-St-Germain a d'ailleurs son atelier et son domicile dans la rue Chauvain voisine, au n° 11. Il est aux premières loges pour suivre les travaux du quai Saint-Jean-Baptiste puis du pont-square Masséna.
La vue étudiée est peut-être due à sa volonté de montrer les lieux avant puis après l'édification du pont-square, ce qui expliquerait le cadrage d'une portion urbaine sans intérêt majeur. Il faut cependant reconnaître que le photographe est coutumier du fait.
ÉPILOGUE
156 ans plus tard, la ligne de bâtiments présente sur la vue étudiée est en grande partie conservée. Elle affiche désormais ses façades entre les numéros 40 et 50 du boulevard Jean-Jaurès et les n° 2 et 4 de la descente Crotti.
Seule la Maison Guignard anciennement située au 30, boulevard du Pont-Neuf n'existe plus, remplacée depuis le second quart du XX° siècle par un immeuble de sept niveaux qui occupe actuellement le n° 48 du boulevard Jean-Jaurès (Images 7 et 8).
SUR LES QUAIS DU PAILLON AU XIX° SIÈCLE, VOIR AUSSI :
Louis Crette et Charles Nègre, "Nice, Jardin public",
Etude d'une vue panoramique des quais du Paillon, 1868,
Les Magasins du "Grand Hôtel" dans les années 1870,