mardi 15 novembre 2022

1271-LOUIS CRETTE, "NICE, UN COIN DU JARDIN D'ALPHONSE KARR"

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1 - CRETTE Louis (c.1824-1872), Nice, Un coin du jardin d'Alphonse Karr, vue non datée,
titre manuscrit, tirage albuminé de 5,8x8,9 cm, sur carton de 6,8x10,4 cm, Collection personnelle.


DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 17/07/2023





INTRODUCTION


Cette vue intitulée, "Un coin du jardin d'Alphonse Karr", est collée sur un format Carte de visite du peintre et photographe Louis Crette dont la présence à Nice est attestée de 1854 à 1865 (voir sa biographie, ici) (Images 1 et 7). 

Le verso  de la Carte de visite porte les mentions suivantes : "L. Crette - Photographe de L.M. - L'Empereur Napoléon III - Et - Le Roi Victor Emmanuel II".



ALPHONSE KARR À NICE

 

Jean Baptiste Alphonse Karr est un écrivain et journaliste français, né à Paris le 24 novembre 1808, fils de Pierre Henri Karr, musicien allemand, et de Marie Louise Henriette Vergé/Verger. 

Au début des années 1850, Alphonse Karr habite Paris et possède une propriété en Normandie, à Sainte-Adresse près le Havre (Seine-Maritime) où il passe les étés et "où il partage ses loisirs entre la mer qu’il affectionne, le jardinage qu’il adore, et la littérature qu’il ne peut pas souffrir. Horticulteur de premier ordre, il porte à son jardin un amour paternel" (Le Figaro du 6 août 1854 p 2).

Dans ses Souvenirs, Alphonse Karr évoque son départ de France mais sans préciser aucune date : "L’Empire déclaré [2 décembre 1852], il me prit un ardent désir de sortir de France (…) ; je vendis ma maison et mes meubles [de Sainte-Adresse]. Je pensai à me rapprocher du soleil" (Le Livre de Bord, 1880, ch. CXXX, pp 302-329).

En fait, c'est en avril 1853 qu'Alphonse Karr quitte Paris. Il se rend en Italie via Marseille où il arrive début mai (Gazette du Midi du 4 mai 1853). Il séjourne à Gênes puis à Nervi pendant 5 mois environ.

Appelé à Paris pour un procès, il quitte Nervi en octobre 1853 et s’arrête à Nice "à l’époque de la Saint-Luc" (troisième semaine d'octobre). En novembre 1853, il est de retour à Paris (Le Droit du 17 novembre 1853 ; A. Karr, "Promenade hors de mon jardin", Le Siècle du 26 octobre 1854 ; A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).

Il retourne ensuite à Nervi mais ne tardant pas à s’y "trouver trop étranger" (Le Livre de Bord, op. cit. ; Le Figaro du 30 avril 1854 p 3), il opte pour Nice au début de l’année 1854 (alors âgé de 45 ans). 

Son arrivée est signalée dans la ville de Nice le 17 février 1854 (L'Avenir de Nice du 19 février 1854 p 2 puis Le Siècle du 2 mai 1854). C’est au printemps que sa maison de Sainte-Adresse, mise en vente (judiciaire) en décembre 1853, est adjugée (Le Droit du 21 décembre 1853 ; Journal des débats politiques et littéraires du 17 avril 1854 p 3).

"Je me décidai pour Nice, où je découvris une petite maison au centre d’un très grand jardin, quelque chose comme un bois d’orangers  (…). Quant au métier que je voulus adjoindre et, au besoin, substituer à mon métier d’écrivain, c’était le métier que j’avais pratiqué toute ma vie en amateur [jardinier] (…). Il n’y avait pas de fleurs à Nice ; Nice se contentait de la flore sauvage (…). D’autre part, beaucoup d’espèces et de variétés de légumes manquaient entièrement ; parmi celles cultivées, il y en avait d’absolument médiocres ou mauvaises" (A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).

L'Avenir de Nice signale son adresse, "villa Bermond n° 2", le 21 décembre 1855.



LA FERME ET LA BOUTIQUE

 

"Le jardin qui entourait ma maison était très grand ; je le louai et fis venir de France, de Belgique, de Hollande, d’Angleterre, les collections de plantes et de graines que je voulais introduire, des roses surtout" ( A. Karr, Le Livre de Bord, 1880, op. cit.).

La location de la maison située au nord-ouest de la ville de Nice, au quartier de Saint-Etienne, semble dater de 1854 mais une grande partie des textes du XIX° siècle relatifs à cette question sont approximatifs, ambigus ou erronés, impliquant ou citant les dates de 1852 ou 1853. 

Auguste Burnel, notamment, dans sa deuxième édition de son ouvrage sur Nice, rédigé en 1856 et édité en janvier 1857, écrit : "Alphonse Karr habite depuis quatre ans une maison de campagne dans le quartier de Saint-Etienne et il y cultive, avec un égal succès, le jardinage et le feuilleton" (A. Burnel, Nice, 1857 p 40).

La location du jardin attenant semble pour sa part postérieure et dater de 1856. Alphonse de Lamartine (1790-1869) écrit et publie, dès 1857, un poème intitulé, Lettre à Alphonse Karr, Jardinier (voir sur Gallica).

"Au bout d’un an de travail, mes cultures étant en plein exercice, j’ouvris franchement une boutique sur le jardin public de Nice avec mon nom sur le fronton : "Alphonse Karr - Jardinier". Et je me mis à vendre des fleurs, des bouquets et des légumes ; mes bouquets (…) eurent tout de suite beaucoup de succès. Quant aux légumes, ce fut une autre affaire…" ( A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).

A l'automne 1856, Alphonse Karr fait en effet aménager le rez-de-chaussée d'un immeuble (Les Echos de Nice du 31 décembre 1856), précédemment occupé par le Café du Jardin des Plantes (tenu par Gaspard Feraud, décédé à 30 ans le 13 mars 1856). 

La boutique est située en centre ville, sur la rive droite du Paillon, au n° 8, place du Jardin public, au rez-de-chaussée de la Maison Trabaud (immeuble nord du côté occidental ; à l'angle des actuelles avenue Gustave V et avenue de Suède, face au Jardin de l'Arménie). 

Son ouverture se fait en 1857, ce que confirme Auguste Burnel dans son ouvrage : "Après avoir recommandé dans des articles pleins de ce bon sens exquis qui constitue le fond de son talent, l'étude de l'agriculture et des travaux du jardinage, l'habile écrivain a voulu joindre l'exemple au précepte. Il s'occupe à la villa Bermond, qu'il habite auprès de Saint-Etienne, de la culture maraîchère. Il a introduit ici le petit chou de Bruxelles qui, avant lui, n'était pas connu à Nice. Il a semé des griffes d'asperges dont les produits doivent, au printemps prochain, commencer à paraître sur le marché" (A. Burnel, op. cit., pp 120-121). 

Une publicité postérieure de la boutique portera d'ailleurs : "Maison fondée en 1857" (Léo Watripon, Nice-Guide, nouveau cicérone des étrangers, 1869, appendice publicitaire ; Gallica). 

L'adresse est citée dans le Bradshaw’s Continental Monthly de mai 1858 (p 312), comme siège du quotidien La Terre Promise - Gazette de Nice attribué par erreur à Alphonse Karr puis fin 1858-début 1859 comme siège de sa revue Les Guêpes qui vient de reparaître et lieu de vente de ses récoltes (Revue et Gazette Musicale de Paris du 7 novembre 1858 p 371 ; A. Karr, Les Guêpes de décembre 1858 p 32 et du 17 janvier 1859 p 26).

A partir de 1859, les deux adresses de la ferme et de la boutique d’Alphonse Karr sont régulièrement signalées dans les journaux, les revues et les guides de voyage : "La route de St-Philippe que l’on trouve à droite (en venant de Nice) un peu au-delà de S. Pier d’Arena, conduit à la magnifique ville Bermond. C’est dans le voisinage que se trouve la "petite" villa Bermond dite "ferme de St-Etienne", occupée par le célèbre littérateur Alphonse Karr.

On voit au jardin public n° 8 une petite boutique où se vendent les fruits et légumes de l’écrivain-agronome : une plaque de marbre sert d’enseigne et porte ces mots, "Alphonse Karr, Jardinier" (K. Baedeker, La Suisse, Les lacs italiens, Milan, Turin, Gênes et Nice, 1859, pp 334-335. Voir aussi, Millie Bischoff, Guide des Étrangers à Nice, 1858-1859, 1859, Classification des rues pp 24-25 ; Musée des Familles 1859-1860, 1860, vol. 27, p 314 ; Ch. Brainne, Baigneuses et buveurs d’eau, 1860 pp 23-24).

L’Illustration du 5 février 1859 (vol. 33, n° 832, p 84) consacre une pleine page de présentation de ses deux adresses (Images 2 et 3).


2 - Etablissement horticole d'Alphonse Karr à Nice
estampe parue dans L’Illustration du 5 février 1859, vol. 33, n° 832, article de Philippe Busoni (1804-1883), p 84.

Cette estampe a été exécutée, comme la suivante, d'après un dessin de Jacques Guiaud (1810-1876). Un troisième dessin original du même auteur est conservé à Nice, Musée Masséna (ici).


3 - Dépôt de fleurs d'Alphonse Karr au Jardin public de Nice. - D'après les croquis de M. Guiaud,                 estampe parue dans L’Illustration du 5 février 1859, vol. 33, n° 832, article de Philippe Busoni (1804-1883), p 84.

Texte accompagnant l'estampe : "En vendant lui-même les produits de son jardin [sans intermédiaire], c’est un excellent exemple d’économie domestique que votre compatriote nous as donné (…) ; les fleurs d’Alphonse Karr, les fraises d’Alphonse Karr (…) ; les produits de son établissement sont les plus beaux du pays et il ne les vend pas plus cher que nos cultivateurs de profession. Ah ! ce n’est pas le moyen de s’enrichir, et il a bien fait de reprendre "Les Guêpes" [revue qu’il a fondée en novembre 1839]".



LE JARDIN

 

"Mon jardin devint célèbre. J’ai introduit à Nice plusieurs espèces et variétés de légumes (…) et j’y ai établi une industrie (…), la culture et la vente de fleurs (…) mais mes écrits d’alors et surtout l'envoi de mes bouquets de Nice dans toute l’Europe dans les mois d’hiver (dix variétés de roses, des œillets, de l’héliotrope, réséda, anémones, renoncules, cyclamens, iris de Perse, iris scoripoïdes et iris stylosa, tacsonia ignea, tecoma capenais, aponogéton dystachion, fleur d’oranger, violettes, volkameria, daphné lauréole, daphné dauphin, daphné des Indes, etc.) ont eu une très grande influence sur la réputation et les progrès de cette station d’hiver" (A. Karr, Le Livre de Bord, op. cit.).

M. Silbermann, président de la Société d’Horticulture du Bas-Rhin, visite en octobre ou novembre 1860 le jardin d'Alphonse Karr puis le décrit en détail dans une lettre publiée en 1861 : "Les principales plantations de ce terrain, qui comprend deux hectares, consistent en Orangers au feuillage d’un vert très-foncé, en Citronniers, Pêchers, Abricotiers, etc. Les légumes prennent aussi beaucoup d’espace et sont l’une des principales branches de l’exploitation. Dans deux plates-bandes on venait de semer des Haricots et des Petits Pois pour les récolter en janvier.

Après les fruits et les légumes, ce sont les fleurs que cultive M. Karr. Il en fait grand commerce avec Grasse pour la parfumerie et avec Paris pour les bouquets. J’admirai d’énormes pieds d’Héliotropes, palissés environ à 1 mètre et demi de hauteur, sur une longueur de huit à dix mètres ; ils formaient cloison compacte couverte de fleurs (…).

La maison d’habitation n’est pas grande, et elle disparaît entièrement sous des rosiers qui couvrent toute la surface jusque sur le toit et forment encore, devant la maison, un berceau à ombrage épais ; ce sont des Rosiers de Banks et de Bengale, plantés depuis cinq ans seulement, époque à laquelle M. Karr a pris ce jardin en location.

D’autres plantes curieuses, surtout au point de vue de leur végétation en pleine terre, ornent encore les parterres ; mais il faut quelquefois les chercher sous les touffes de mauvaises herbes. Je citerai principalement : Acacia longissima (linearis), Datura arborea, Poinciana Gillesi, Plumbago azurea, Eriobotrya japonica, le Néflier du Japon donnant des fruits semblables à des Mirabelles jaunes. Dans un petit bassin se trouvait le Thalia dealbata et un beau Caladium" ("Lettre de M. Silbermann, Président de la Société d’Horticulture du Bas-Rhin", La Belgique horticole 1860-1861, 1861, vol. 11, pp 303-304).



LA DEUXIÈME FERME ET LA DEUXIÈME BOUTIQUE 

 

Vers 1862, Alphonse Karr déplace sa boutique située au jardin public, du rez-de-chaussée du Consulat de France (bâtiment occidental du Jardin public, situé place du Jardin public) au rez-de-chaussée de l’Hôtel de Grande-Bretagne (bâtiment septentrional du Jardin public, situé quai Masséna) (A.J. Du Pays, Itinéraire de l’Italie et de la Sicile, 3ème édition, 1863 p 8).

L'arrivée annoncée du chemin de fer à Nice et les expropriations qui en découlent contraignent également Alphonse Karr à quitter, la même année, la ferme de Saint-Etienne (sur le tracé du chemin de fer et les expropriations voir notamment : Le Messager de Nice du 26 juin 1861, des 18, 27 janvier et 29 mars 1862).

Cinq ans plus tard, Emile Négrin précise les choses dans sa quatrième édition des Promenades de Nice de 1867 (pp 179-181) : "En sortant [de la propriété Peillon], à droite, on trouve un chemin qui passe sous la voie ferrée et aboutit (6 min.) à la route de St-Philippe (…). Sur ce chemin, à 52 pas, s’ouvre la porte cochère de la ferme de Karr. Une main peinte à la fresque indique qu’il faut suivre à droite le mur de clôture pour arriver à la porte ordinaire (176 pas). Une sonnette et une plaque de cuivre vous sollicitent : "Mr  Karr".  En 1860, Karr avait sa ferme à St-Etienne, à droite du hameau de Ste-Catherine que vous avez traversé en venant. Au-dessous de son nom était alors écrit : "on est prié de ne pas entrer".

La première ferme, située au sud de la Villa Bermond, bordée au sud par le chemin de Saint-Etienne et à l’est par le vallon de la Mantéga, s’est trouvée directement impactée par le tracé de la voie ferrée et plus encore par l’implantation de la gare de chemin de fer (Le Messager de Nice du 29 novembre 1861). Elle occupait un emplacement proche des actuels boulevard du Tzarewitch et rue Cluvier (quartier du Parc Impérial)

La deuxième ferme, également située au quartier de Saint-Etienne (propriété du Dr Ratto), est très proche de la précédente mais un peu plus à l’ouest, confinant au nord la Villa Peillon et au sud, la chapelle Saint-Philippe (chapelle conservée près du lycée Honoré d’Estienne d’Orves, actuel quartier de Saint-Philippe).

Alphonse Karr évoque, dans sa nouvelle ferme, son "Tacsonia mollissima dont les guirlandes de fleurs roses retombent du haut d’un olivier de 20 mètres dans lequel il lui a plu de grimper (...), ses roses Chromatella, gloire de Dijon, Lamarque, gloire des rosomanes, etc., etc., qui dépassent la hauteur d’un premier étage, et s’élancent d’un arbre à l’autre (...), ce jardin, dont on sent les parfums dans les rues environnantes, dont on voit les fleurs déborder par-dessus les murs" (A. Karr, "Les Fleurs de Nice", Les Hivers de Nice, 1864).

Les récits de visite de la deuxième ferme témoignent "de son splendide jardin de Saint-Etienne" empli d’un grand nombre de variétés de roses, de fleurs, d’orangers, de citronniers et de plantes rares et où "les plus riches fleurs aquatiques s’épanouissent dans ses bassins" mais également du "logis, une maison irrégulière et jaune" (Revue des Jardins et des Champs, 1863 pp 83-84).

Charles Yriarte (1832-1898), dans un article paru dans Le Monde Illustré du 8 février 1868 (n° 565 pp 83-83 et 85), évoque lui-aussi l'époque de cette deuxième ferme par des textes et des dessins (Images 4, 5 et 6) :  "Tous les ans, lorsque l'hiver nous ramenait à Nice nous allions frapper à la porte du poëte, nous traversions l'allée d'orangers, où le feuillage sombre taché de fruit d'or faisait un berceau de verdure et des éclats de rire, des timbres d'or, des voix confuses, jeunes, vivantes, frappaient nos oreilles. C'étaient les jeunes filles du pays qui assemblaient les violettes de Parme et les roses, souvent elles chantaient en chœur, alors que la besogne était pressée, et, sans s'en apercevoir elles passaient douze heures à l'ouvrage, heureuses, vives et légères. 

Jamais aucun étranger n'avait pu gravir le petit escalier extérieur qui venait à cette maison italienne cachée dans les myrtes et les rosiers bankis. A côté, près du banc sur lequel s'asseyaient les visiteurs, tout à l'entrée, dissimulé aussi sous le feuillage, une Noria qui nous rappelait l'Espagne ou les campagnes de Gaëte [au sud de Naples], avec sa roue armée de godets de fer blanc plongeant dans le puits, un petit âne patient et résigné la tournait sans cesse, il fallait abreuver le sol crevassé par le soleil (...).

La maison est d'un aspect riant, une de ces villas simples, blanches au milieu du feuillage vert, dont le toit émerge des dômes de verdure. Le premier plan qui frappe les yeux est un vaste champ de grands rosiers à hautes tiges, des bengales d'un ton vif. Par-ci par-là, des aloès (...) et de grands mimosas (...) devenaient là des arbres majestueux, au feuillage pâle comme celui du saule, à la fleur d'un jaune soufre, élégante, fine et un peu mièvre, au parfum très doux. Puis venaient des berceaux, des pampres, des oliviers énormes comme des chênes dont les troncs noueux poussent, très-près du sol, des branches d'un jet puissant" (op. cit., p 82).



4 - Entrée de la maison d'Alphonse Karr et Le pavillon du jardin, 
estampes extraites du Monde Illustré du 8 février 1868, vol. 12 p 85 (Paris, BnF, Gallica).



5 - La Noria et Confection des bouquets, 
estampes extraites du Monde Illustré du 8 février 1868, vol. 12 p 85 (Paris, BnF, Gallica).

6 - Résidence d'Hiver. - Nice - La maison d'Alphonse Karr (Dessiné par G. Hagemann, d'après les croquis de Charles Yriarte, estampes extraites du Monde Illustré du 8 février 1868, vol. 12 p 85 (Paris, BnF, Gallica).



DATATION DE LA PHOTOGRAPHIE


Le photographe parisien Louis Crette est arrivé à Nice, en 1854, la même année qu'Alphonse Karr. Il habite d'ailleurs à proximité de la ferme de ce dernier, un peu plus au sud, au 5, rue Saint-Etienne et réalise plusieurs portraits de l'écrivain-jardinier (voir sur artnet et sur le site de la Bibliothèque de Genève). 

Louis Crette a également réalisé plusieurs vues de ce qui semble être la seconde ferme niçoise d’Alphonse Karr (voir quatre photographies sur luminous-lint et une cinquième sur le site de la NGA de Washington, photographies qui pourraient donc dater des années 1862-1867).

La vue étudiée (Image 7) semble renvoyer davantage à la ferme la plus ancienne, avec son petit bassin entouré de plantes hautes à proximité des bâtiments dont le Thalia dealbata (au premier plan et à gauche de l’image) et le beau Caladium au pied du néflier du Japon (sur le bord opposé du bassin) signalés par M. Silbermann. Si c’est bien le cas, le dessin ne peut pas être postérieur à 1861.


7 - CRETTE Louis (c.1824-1872), Nice, Un coin du jardin d'Alphonse Karr, vue non datée,
titre manuscrit, tirage albuminé de 5,8x8,9 cm, sur carton de 6,8x10,4 cm, Collection personnelle.


Louis Crette a parfois réédité des tirages anciens. Le revers de la Carte de visite de la vue étudiée porte des mentions qui semblent impliquer une date postérieure à l’Annexion française du comté de Nice, Louis Crette étant dit "Photographe de L’Empereur Napoléon III" dès l’été 1860 (Le Messager de Nice du 17 juillet 1860). 

Si le tirage de la vue étudiée peut être daté de fin 1860-début 1861, la prise de vue peut lui être antérieure et le dessin plus encore.

Ce dessin peut être daté entre 1857 et 1861. Il est peut-être l’œuvre de Louis Crette, peintre et photographe, ou bien celle de son ami Jacques Guiaud (1810-1876) qui a, d’une part, réalisé en 1857 des lithographies d'après les photographies de Louis Crette et, d'autre part, exécuté plusieurs dessins de la première ferme d’Alphonse Karr (Images 2 et 3).

La vue a ensuite servi de base à la réalisation d’une estampe qui est parue dans le n° 304 de L’Univers Illustré du 20 février 1864.

 

8 - RIOU Edouard (1833-1900), Le Jardin d'Alphonse Karr à Nice, estampe publiée dans L’Univers Illustré du 20 février 1864, n° 304 p 111.



Il est difficile d’affirmer que le portrait intégré dans l’estampe ci-dessus (Image 8) est également tiré d’un portrait réalisé par Louis Crette, Alphonse Karr ayant été notamment photographié à la même époque par Pierre Ferret, Pierre Petit et Eugène Disdéri.

Il reste étonnant, même si le fait est loin d’être exceptionnel, que l’estampe de L’Univers Illustré du 20 février 1864 diffuse le modèle de la ferme de Saint-Etienne qu’Alphonse Karr n’occupe plus, alors que Le Petit Illustré du 3 décembre 1864 présente des estampes de la nouvelle ferme. Ces dernières, réalisées d’après des photographies (celle de l’Entrée de la maison est conservée dans une Collection privée) seront d’ailleurs rééditées à une époque où Alphonse Karr n'occupe à nouveau plus la ferme, dans Le Monde Illustré du 8 février 1868, mais en le précisant (Images 4, 5 et 6).


 

ADDENDA


Deux mois après la rédaction de cet article, j'ai trouvé des informations complémentaires dans le volume 29 de la revue Musées des Familles : Lectures du Soir (BnF, Gallica)qui réunit les publications mensuelles d'octobre 1861 à septembre 1862 (Paris, octobre 1862).

Il s'agit d'un article du rédacteur en chef M. Pitre-Chevalier (1812-1863), intitulé "Sous les Orangers de Nice - Un déjeuner chez Alph. Karr", annoncé dans le numéro de décembre 1861 (p 96) et publié dans celui de janvier 1862 (pp 106-112).

"Nous parcourûmes l'oasis, tandis qu'on achevait de mettre le couvert, et nous restâmes en extase devant le ruisseau et la mare, si artistement rendus par M. Crette, premier photographe du roi d'Italie. (Voir la gravure ci-dessous).

Oui, c'était bien une mare de village, ce n'était pas un bassin de parc. Il n'y avait ni margelles de pierre, ni degrés de marbre, ni jets d'eau ridicules ! Du gazon frais, des fleurs naïves, des joncs sauvages, des plantes étalées sur l'onde endormie. Au bord, de grands arbres variés ; à droite, une cabane agreste, avec un palmier en éventail. Tel était le lac en miniature".


- Musée des Familles, janvier 1862, vol. 29, p 109,
BnF (Gallica).

La vue est inversée droite-gauche par rapport aux reproductions ci-dessus.

"N'êtes vous pas surpris, dit Alphonse Karr, des merveilles qui entourent l'homme et qu'il ne se donne pas la peine de regarder, - et les miracles de mon ruisseau et de mon gazon".



L'auteur de l'article fait aussitôt le rapprochement avec le ruisseau de l'ancienne propriété de Sainte-Adresse et cite un passage des écrits d'Alphonse Karr : "C'était un heureux ruisseau. Il n'avait absolument rien à faire que ce que je vous ai dit : couler, rouler, être limpide, murmurer entre des fleurs et des parfums" [extrait de, Voyage autour de mon Jardin, lettre XVII, Paris, 1845].

Ce ruisseau, au-delà d'évoquer le bonheur à trouver dans la contemplation de la nature, se révèle être le symbole d'Alphonse Karr lui-même : "Il menait la vie que j'ai choisie et que je mène, - quand on veut bien me laisser tranquille. Mais le ciel et la terre sont envieux du bonheur et de la douce paresse...".

La légende de l'estampe identifie cette fois l'auteur du dessin, "Pignoux, d'après une photographie de Crette, premier photographe du roi d'Italie"

Louis Crette a donc réalisé une prise de vue du jardin d'Alphonse Karr. Il semble avoir, dans un premier temps, diffusé sa photographie, puisque cette dernière est évoquée lors du déjeuner.

Etrangement, dans un second temps, Louis Crette a diffusé la reproduction photographique du dessin de Pignoux (le peintre A. Pignoux ?) publié dans la revue en janvier 1862. Il semble d'ailleurs que Louis Crette a diffusé d'autres dessins d'artistes (voir le dessin d'Auguste Carlone (1812-1873), diffusé sous le timbre de Louis Crette, Nice, BM Romain Gary).

Il est tentant de penser que le dessin ne date que de décembre 1861. Cependant, la date du déjeuner évoqué chez Alphonse Karr reste inconnue et ce déjeuner peut aussi bien avoir eu lieu fin 1861 que lors d'une année antérieure, d'autant que la publication des "Bouquets d'Alphonse Karr" s'est faite en plusieurs fois dans la revue, et notamment en septembre et novembre 1861. 

La seule indication temporelle précisée dans l'article est tirée de la phrase suivante prononcée lors de la visite du jardin, " - Il manque quelques oranges, dit Alphonse Karr, on en a cueilli trois mille hier. Il en restait tant sur les branches, au milieu des fleurs, que l'absence de ces trois mille pommes d'or était à peine sensible". 

La récolte d'oranges dans la région niçoise se fait entre novembre et avril, en deux ou trois fois, aux différentes étapes de leur maturité (mi ou fin novembre, fin décembre-début janvier et mars-avril). La première récolte de novembre se fait alors qu'elles commencent à se colorer, qu'elles sont encore acides mais excellentes quand on doit les expédier au loin (voir notamment, Gustave Heuzé, "Production des Orangers", Journal d'Agriculture pratique, vol. 1, 1895, pp 692-696).

Le déjeuner a donc pu avoir lieu en novembre 1861, l'article être préparé en décembre 1861 et publié en janvier 1862, même si rien ne peut être affirmé. Les articles des pages précédentes, publiés par la revue en décembre 1861, étaient récents et datés des 21 et 27 novembre 1861 (pp 94-95).

Même si le déjeuner et le dessin peuvent avoir été réalisés fin 1861, il n'en reste pas moins vrai que la première photographie de Louis Crette est antérieure à cette date (1861 ou avant ?) et que sa reproduction photographique du dessin est postérieure à cette date (1862).


ÉPILOGUE

 

Alphonse Karr conserve sa boutique du quai Masséna jusqu’en avril 1865 (Journal de Nice du 22 avril 1865). A cette date, il la cède à Joseph Duluc (Bordeaux c.1809-Nice 1897) et à son épouse Marie Félicité née Hodeige (Paris 1831-Nice 1914) mais ouvre, dès novembre, un magasin dans sa ferme (Journal de Nice du 17 novembre 1865 ; Les Echos de Nice du 2 novembre 1867).

Fin 1867, il cède finalement sa ferme de Saint-Etienne et quitte Nice pour Saint-Raphaël (Var) : "Mon ami, J’ai abandonné un commerce dont le succès me ruinait, 1° parce qu’il m’empêchait de travailler, 2° parce que mes fleurs gagnaient, il est vrai, beaucoup d’argent, mais cet argent n’arrivait jamais jusqu’à moi. Après quatorze ans de séjour à Nice, je me suis retiré à Saint-Raphaël, dans une vieille maison au bord de la mer (…). J’ai un jardin et un bateau, je ne vendrai plus désormais que de la prose" (Lettre d’A. Karr datée du 27 janvier 1868, Le Monde Illustré du 8 février 1868, vol. 12 p 82 ; voir aussi L'Illustration du 11 janvier 1868 p 19).

Il y meurt le 30 septembre 1890, à l'âge de 81 ans.