mardi 8 novembre 2022

1270-LÉONARD DE ST-GERMAIN, "NICE, LE BOULEVARD DU PONT-NEUF"


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1 - LÉONARD DE ST-GERMAIN, Sans titre (Nice, Le boulevard du Pont-neuf), 
vue stéréoscopique non datée,
deux vues de 7,5x8,5 cm, sur carton de 8,4x17,4 cm, Collection personnelle.




INTRODUCTION


Cette vue stéréoscopique (Images 1 et 2) porte sur la gauche l'indication, "Vues Diamants", et sur la droite le nom de son auteur, "Léonard de St-Germain (Nice)", actif comme photographe dans cette ville du printemps 1865 à l'hiver 1868 (voir sa biographie, ici).

La prise de vue sud-ouest/nord-est capture, depuis l'étage d'une maison du quai Saint-Jean-Baptiste (actuelle avenue Félix-Faure), une portion du cours du Paillon, du quai de sa rive gauche, du boulevard du Pont-Neuf (actuel boulevard Jean-Jaurès), des toits de la Vieille Ville et du côté sud-ouest de la Colline du Château.

On aperçoit, à droite de l'image, la limite de la double rangée d'arbres qui sépare le boulevard du Pont-Neuf de la descente Crotti, ainsi que l'angle du passage (actuelle rue du Marché) qui conduit à la jonction entre la rue du Marché et la rue de la Boucherie.

Cette zone urbaine n'a été que très rarement photographiée car elle est en léger retrait de l'alignement du boulevard, ce qui la masque dans les vues panoramiques prises tant en amont depuis la Tour Saint-François, qu'en aval depuis la terrasse de l'Hôtel des Anglais.


2 - LÉONARD DE ST-GERMAIN, Sans titre (Nice, Le boulevard du Pont-neuf), 
vue stéréoscopique non datée,
l'une des deux vues de 7,5x8,5 cm, sur carton de 8,4x17,4 cm, Collection personnelle.



LA MAISON GUIGNARD


La maison centrale, constituée de trois niveaux de trois baies (Image 2), apparaît accostée sur la droite d'une petite avancée rectangulaire d'un seul niveau (magasin et atelier) dont le mur occidental porte des inscriptions dont une partie est lisible : "Mme GUIGNARD - COUTURIERE" (Image 3).


3 - LÉONARD DE ST-GERMAIN, Sans titre (Nice, Le boulevard du Pont-neuf),
détail de l'une des deux vues de 7,5x8,5 cm, sur carton de 8,4x17,4 cm, Collection personnelle.



Il existe, dans les années 1860, plusieurs familles de ce nom dont les femmes sont repasseuses, tailleuses, modistes ou couturières. Parmi les "couturières", il y a Thérèse Magdeleine Guignard, née Tapoul (Fayence, Var 29 juillet 1802-Nice 5 décembre 1877), épouse depuis le 6 mars 1821 de François Marius Guignard (Tourtour, Var 7 janvier 1798-Nice 21 avril 1867) avec lequel elle a eu seize enfants dont neuf fils, mais également l'une de ses belles-filles, Louise Baptistine Guignard, née Contesso (Nice baptisée le 1er avril 1833-Nice 1er avril 1910), épouse depuis le 13 novembre 1859 de Jean Baptiste Guignard (Nice 9 novembre 1834-Nice 31 décembre 1904).

Or, Louise Guignard, couturière, est citée "rue du Marché" avec son époux, commis de commerce, lors des actes d'état civil de leurs quatre premiers enfants entre 1860 et 1864 puis dans les recensements de la Ville de Nice de 1861 et 1866Une deuxième adresse, située "boulevard du Pont-Neuf", est alternativement citée avec la précédente, lors des actes d'état civil de leurs cinq enfants suivants entre 1866 et 1873.

Ceci permet de considérer que c'est leur maison qui est visible sur la photographie étudiée et que cette dernière possède tout à la fois une entrée rue du Marché et une autre boulevard du Pont-Neuf (Image 4). 


4 - Plan de la Ville de Nice, 1865, détail,
 Georges Erhard Schieble, graveur (1821-1880), Charles Jougla (1834-1909), éditeur,
Paris, BnF (Gallica).

La Maison Guignard est identifiée en blanc (le décrochement de l'atelier est bien visible),
entre le boulevard du Pont-Neuf et la rue du Marché qui se termine à sa porte.



Le numéro de la rue du Marché est tout d'abord cité au "19" dans l'acte de naissance de leur fils Louis le 25 septembre 1861 puis au "7" lors de la naissance de leur fille Antoinette le 9 septembre 1871. 

Le numéro du boulevard du Pont-Neuf est pour sa part cité pour la première fois dans la liste professionnelle des "Couturières" de l'Annuaire des Alpes-Maritimes édité au début de l'année 1864, "Guignard (Mme), boulevard du Pont-Neuf, 28"

C'est ensuite le numéro "30" qui apparaît à partir de l'acte de naissance de leur fils Charles Joseph le 11 juin 1866 puis, notamment, lors de la demande de Jean Baptiste Guignard, le 26 octobre 1868, "de changer une vitrine, faire blanchir la façade et repeindre les lettres de [sa] maison sise Boulevart du Pont neuf 30" (arrêté du 22 novembre 1868, Nice, Archives Municipales, 2T29-489).

Il est probable que Louise Guignard, qui va avoir neuf enfants entre 1860 et 1873 (dont trois vont malheureusement décéder en bas-âge), travaille avec plusieurs des jeunes sœurs de son mari qui exercent la même profession.

A partir de l'annuaire de 1871, le nom de "Guignard" réapparaît dans les annuaires, cette fois dans la liste des habitants, suivi de la mention, "machines à coudre et mercerie, boulevard du Pont-Neuf, 30", jusqu'à la faillite de ce commerce en 1879 (Archives Départementales des Alpes-Maritimes06U 04/0689). 

Au-delà du numéro de la Maison Guignard, les documents évoqués permettent de déduire que l'inscription a été réalisée entre la fin de l'année 1859 (date du mariage des époux Guignard) et la fin de l'année 1861 (mention de la profession de Madame Guignard dans l'annuaire de 1862) et qu'elle a perduré moins de dix ans, remplacée par une autre en novembre 1868.



DATATION DE LA PHOTOGRAPHIE


La portion photographiée du boulevard du Pont-Neuf est située face à une portion semblable du quai Saint-Baptiste (actuelle avenue Félix-Faure) pour sa part fortement restructurée dans les années 1860. 

Le 24 mars 1866, un arrêté municipal déclare que "la circulation est complètement interdite sur le quai St-Jean-Baptiste entre le Lycée Impérial et la rue Chauvain". Les anciens bâtiments sont détruits pour faire place à la réalisation d'un tout nouveau quartier. Le quai est ensuite élargi et la digue refaite.

Le Grand Hôtel, érigé à cet emplacement dès mars 1867, fait une ouverture partielle dès octobre 1867 puis complète en janvier 1868. Sous ses fenêtresle pont-square Masséna (traité du 13 mars 1867) est édifié au-dessus du Paillon entre juillet 1867 et février 1869, afin de relier les deux rives, d'accueillir un nouveau jardin puis de recevoir le Monument au Maréchal Masséna (inauguré le 15 août 1869).

Ce pont-square aboutit, sur la rive gauche du Paillon à la jonction entre la descente Crotti et le boulevard du Pont-Neuf, et son extrémité nord-est est située à la limite des arbres de la vue étudiée (Images 5 et 6).


5 - Nouveau Plan de Nice, vers 1877, 
extrait de Atlas National, Paris, Arthème Fayard Editeur, 1877, 
Collection personnelle.
 
La Maison Guignard est à nouveau identifiée en blanc (le plan simplifié ne montre pas l'atelier), ainsi que les noms du Grand Hôtel et du Pont-Square Masséna. Contrairement à ce que prévoyait le plan de 1865 (Image 4), le Pont-Square a été érigé plus en aval.

 


Au devant du Grand Hôtel, le quai Saint-Jean-Baptiste et son parapet, totalement défoncés au printemps 1866, sont restés en l'état jusqu'à la fin de l'année 1867. 

Sur la vue étudiée, le parapet de la digue du quai Saint-Jean-Baptiste apparaît en partie démoli mais aucune présence de travaux du pont-square Masséna n'est visible dans le lit du Paillon (Image 6). 


6 - LÉONARD DE ST-GERMAIN, Sans titre (Nice, Le boulevard du Pont-neuf), vue stéréoscopique non datée, l'une des deux vues de 7,5x8,5 cm, sur carton de 8,4x17,4 cm, Collection personnelle

Le parapet de la digue du quai Saint-Jean-Baptiste est découpé sur la gauche et visiblement démoli sur le reste de l'image. Ce parapet sera remplacé au début de l'année 1868 par un garde-corps en fonte, semblable à celui installé depuis juillet 1867 sur la partie du quai Saint-Jean-Baptiste comprise entre le Pont-Neuf et l'Hôtel Chauvain.




Ceci permet de dater la vue entre le début des démolitions du quai et des anciens bâtiments le 26 mars 1866 (Journal de Nice des 25 et 26 mars 1866) et le début de la construction du pont-square le 9 juillet 1867 (Journal de Nice du 10 juillet 1867).

La vue étudiée comporte cependant le numéro manuscrit "XXIII" (Image 1), alors que la vue de la même série, identifiée par le numéro "XXII" et intitulée "Nice à vol d'oiseau", montre la rive droite du Paillon avec les décombres de l'ensemble des anciens bâtiments du quai Saint-Jean-Baptiste.

Le Journal de Nice du 4 juillet 1866 décrit la scène : "Dans quelques jours, le marteau et la pioche auront terminé leur œuvre. Le quai St-Jean-Baptiste, entre la rue Chauvain et le Lycée Impérial, n'est plus à l'heure qu'il est, qu'un immense amas de décombres, offrant à la vue un aspect désolé".

Il est donc probable que les deux vues successives et se répondant presque en miroir, l'une nord-est/sud-ouest prise depuis la Colline du Château et axée sur la rive droite du Paillon, l'autre sud-ouest/nord-est prise depuis la rive droite du Paillon et axée sur la colline du Château soient toutes les deux contemporaines et datent de juin ou juillet 1866.

Si les anciens bâtiments du quai Saint-Jean-Baptiste sont démolis au moment de la prise de vue étudiée, cela pose cependant la question de l'emplacement du photographe. Il est probable qu'il se soit positionné à un étage élevé de l'angle de l'îlot de l'Hôtel Chauvain, d'où les lignes de fuite (perspective) de la photographie (Image 5). 

Léonard-de-St-Germain a d'ailleurs son atelier et son domicile dans la rue Chauvain voisine, au n° 11. Il est aux premières loges pour suivre les travaux du quai Saint-Jean-Baptiste puis du pont-square Masséna.

La vue étudiée est peut-être due à sa volonté de montrer les lieux avant puis après l'édification du pont-square, ce qui expliquerait le cadrage d'une portion urbaine sans intérêt majeur. Il faut cependant reconnaître que le photographe est coutumier du fait.



ÉPILOGUE


156 ans plus tard, la ligne de bâtiments présente sur la vue étudiée est en grande partie conservée. Elle affiche désormais ses façades entre les numéros 40 et 50 du boulevard Jean-Jaurès et les n° 2 et 4 de la descente Crotti. 

Seule la Maison Guignard anciennement située au 30, boulevard du Pont-Neuf n'existe plus, remplacée depuis le second quart du XX° siècle par un immeuble de sept niveaux qui occupe actuellement le n° 48 du boulevard Jean-Jaurès (Images 7 et 8).


7 - Le boulevard du Pont-Neuf vers juin-juillet 1866.

8 - Le boulevard Jean-Jaurès en novembre 2022.


SUR LES QUAIS DU PAILLON AU XIX° SIÈCLE, VOIR AUSSI :

 Louis Crette et Charles Nègre, "Nice, Jardin public",

 Etude d'une vue panoramique des quais du Paillon, 1868,

 Les Magasins du "Grand Hôtel" dans les années 1870,