jeudi 2 février 2023

1289-NICE, LA VALLÉE DU PAILLON VUE DEPUIS LE CHÂTEAU, VERS 1873

 

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1- Photographe anonyme, Nice, La Vallée du Paillon vue depuis le Cimetière du Château, sans date,
tirage albuminé de 9,2x14,7cm, Collection personnelle.



INTRODUCTION


Cette vue sud-nord de la Vallée du Paillon, anonyme et non datée (Image 1), a été prise depuis les hauteurs de la Colline du Château de Nice et a capturé une partie de l'enceinte nord du Cimetière éponyme. 

L'étude des lieux va se porter tour à tour sur la Vallée et le Cimetière.



LA VALLÉE DU PAILLON


"La plaine, d'une richesse éblouissante contraste agréablement avec les sables arides du Paillon, qui s'y creuse, tous les ans, un nouveau lit aux dépens des jardins qui l'environnent" (Auguste de Louvois [1783-1844], Nice et ses environs ou Vingt vues dessinées dans les Alpes Maritimes en 1812 et gravées en 1814, Vue du couvent de Saint-Pons, texte et estampe, vues 31 et 32, Paris, BnF, Gallica).

"La petite vallée du Paillon, resserrée entre les montagnes et la mer, étale avec orgueil les magnificences de ses vergers ; la ville de Nice, mollement couchée à l'ombre de ses arbres aux fruits d'or, semble baigner ses pieds dans l'eau" (Journal de Monaco du 6 août 1865 p 1).


La Vallée du Paillon nous est connue par des dessins et peintures, notamment :

- les estampes d'Albanis Beaumont (1753-1811), datant de la fin du XVIII° siècle, 

- les dessins d'Auguste de Louvois (1773-1844), du début du XIX° siècle, 

- les aquarelles de Joseph Fricero (1807-1870) et de Jacques Guiaud (1810-1876), les peintures de François Bensa (1811-1895) et d'Hercule Trachel (1820-1872)) les estampes de F. Cockx (?-?) et celles de Félix Benoist (1818-1896), du milieu du XIX° siècle

-  mais également par les photographies qui se multiplient dès les années 1860.

Les vues d'ensemble photographiques qui révèlent le nord de la ville de Nice et les massifs des Préalpes, sont généralement prises de la rive gauche du Paillon, depuis la Colline du Château (terrasse du Château ou montée Eberlé), la Tour Saint-François, le Fort du Mont-Alban ou l'Observatoire du Mont Gros.

Le long du Paillon s'échelonnent, sur sa rive gauche (du sud au nord), la place Napoléon/Garibaldi (nord-ouest du Port) puis les quartiers de Riquier, de Saint-Roch et de Roquebillière et, sur sa rive droite (du nord au sud), ceux de Rimiez, de Saint-Pons (actuel quartier Pasteur), de Cimiez puis de Carabacel (Image 2 ci-dessous).

Du sud au nord, le nouveau quai-boulevard du Paillon et la rue Victor parallèle (actuelle rue de la République) puis la route de Turin (route nationale n° 203) longent la rive gauche du Paillon

Du nord au sud, la route départementale n°1 de Nice à Levens, la route de Saint-Pons puis la rue/quai de la place d'Armes, longent la rive droite du Paillon.


 2- Photographe anonyme, Nice, La Vallée du Paillon vue depuis le Cimetière du Château, détailsans date,
tirage albuminé de 9,2x14,7cm, Collection personnelle.

Rive gauche : n° 1 : place Napoléon/Garibaldi - n° 2 : quartier Riquier - n° 3 : quartier Saint-Roch -
 n° 4 : quartier Roquebillière. 

Rive droite : n° 5 : quartier Rimiez - n° 6 : quartier Saint-Pons (Pasteur) - n° 7 : quartier Cimiez -
 n° 8 : quartier Carabacel.


La vue étudiée (Image 2 ci-dessus), prise du nord de la Colline du Château, montre ainsi, entre les collines boisées, l'urbanisation de la vallée qui se distend au fur et à mesure de l'éloignement, avec une partie des terres encore consacrées à l'agriculture (jardins maraîchers, vergers d'orangers et d'oliviers, moulins à huile). 

Il est évident que la vue date de la seconde moitié du XIX° siècle mais les repères visuels pour une datation plus précise sont, à première vue, peu nombreux. Les villas du boulevard Carabacel ou le Pont Garibaldi sont hors cadre, alors que leur absence ou leur présence, aurait pu fournir de précieux repères chronologiques.

Cependant (Image 3 ci-dessous), on aperçoit au loin trois des cinq arches de pierre et arcs en fonte du Viaduc du Paillon qui précède la courbe du fleuve. Ce pont de chemin de fer de la voie conduisant à la frontière italienne a été érigé entre 1865 et la fin de l'année 1866. 

Il est à noter que ce viaduc, et la courbe convexe de la voie ferrée qui le traverse, marquent la limite nord de la ville représentée sur les plans de Nice du milieu des années 1860 jusqu'au début des années 1880.

De chaque côté de ce viaduc, sont établis sur la rive gauche :

- l'Usine à Gaz, inaugurée le 23 avril 1854, entre la route de Turin et la route de Gênes (L'Avenir de Nice du 22 avril 1854 p 4 ; Emile Négrin, Les Promenades de Nice, 1867 p 92),

- plus à l'est, la Fonderie Olivier, transportée ici depuis la route de Saint-Pons en 1863 (Journal de Nice du 16 juillet 1863 p 3), repérable à sa haute cheminée (plus tardive),

- et, plus au sud, un nouvel immeuble érigé du côté ouest de la rue Victor (actuelle rue de la République) vers 1871-1872, à l'angle de la rue de Paillon, repérable à sa façade sud aveugle.

Sur la rive droite, aux deux extrémités de la place d'Armes (Champ de Mars), plusieurs établissements hospitaliers et de bienfaisance sont présents :

- au nord, l'Asile de vieillards au 14, route de Saint-Pons ; les Petites Sœurs des Pauvres s'installent progressivement dans cet ancien bâtiment industriel en juin 1862 et acquièrent la propriété en juin 1866 (Le Messager de Nice des 5 juillet p 2 et du 10 juillet 1862 p 3 ; Journal de Nice du 10 juin 1866 p 3).

- et au sud, l'Orphelinat-Patronage de Saint-Pierre, établi en 1874 mais également dans des bâtiments préexistants. 



3- Photographe anonyme, Nice, La Vallée du Paillon vue depuis le Cimetière du Château, détail, sans date,
tirage albuminé de 9,2x14,7cm, Collection personnelle.
 
Rive gauche : n° 1 : Place Napoléon/Garibaldi - n° 2 : Nouvel immeuble à l'angle des rue Victor et de Paillon -
 n° 3 : Fonderie Olivier - n° 4 : Usine à Gaz.

 Entre rive gauche et rive droite :  n° 5 : Viaduc du chemin de fer. 

Rive droite : n° 6 : Couvent des bénédictines de Saint-Pons - n° 7 : Couvent des Franciscains de Cimiez -
 n° 8 : Asile de Vieillards Saint-Pons - n° 9 : Emplacement du futur Orphelinat Saint-Pierre -
 n° 10 : Place d'Armes - 11 : Emplacement du futur Hospice Pauliani pour Incurables.


La photographie (Image 3 ci-dessus) montre également la place d'Armes. Elle est précédée, au nord, en bord de rive, par une ligne de haies qui a remplacé celle de grands arbres (visibles sur de nombreuses photographies des années 1860), coupés en 1871 ou 1872 (la plantation de nouveaux arbres devant procurer de l'ombre aux soldats est réclamée par le Journal de Nice du 18 septembre 1872).

Plus au sud, se remarque l'absence, entre la place d'Armes et le nouveau chemin de Cimiez (créé vers 1868 et visible à l'extrême gauche de l'image), du grand bâtiment tripartite de l'Hospice Pauliani des Incurables, érigé entre novembre 1876 et mai 1879 (présent dès 1878 sur les plans et photographies).

En fonction de ces différents repères, la vue étudiée peut donc être datée entre 1872 et 1876.

Afin de vérifier cette hypothèse, d'autres photographies contemporaines, montrant la Vallée du Paillon prises de la terrasse du Château, ont été recherchées. 

Neuf d'entre elles ont montré les mêmes repères chronologiques des années 1870 : haies ayant remplacé les grands arbres à l'extrémité nord de la place d'Armes, nouvelle maison à façade aveugle érigée dans la rue Victor, absence de l'Hospice Pauliani. 

Ce sont : une vue de 1873 d'Etienne Neurdein (1832-1908), deux vues de 1873 et 1874 d'Eugène Degand (1829-1911), deux vues de 1874 d'Alphonse Davanne (1824-1912), trois vues de 1873, 1874 et 1876 de Jean Walburg de Bray (1839-1901) et une vue de 1876 d'Alfred Noack (1833-1895). 



LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU


Comme dans de nombreuses photographies des années 1860 prises depuis la Colline du Château, la vue de la Vallée du Paillon s'accompagne d'une vision partielle du cimetière. 

Cependant, la vue étudiée n'a pas été prise depuis la terrasse nord du Château et ne montre donc pas en contrebas le Cimetière israélite et la partie sud du Cimetière chrétien avec l'ancienne Chapelle Sainte-Madeleine.

En effet, la photographie (Image 4 ci-dessous) a été prise depuis l'intérieur même du Cimetière, probablement depuis l'extrémité nord-ouest du Plateau Supérieur (actuel Plateau Gambetta), révélant une partie du Cimetière chrétien rarement lisible sur d'autres photographies (masquée par les buttes ou les arbres). 

Cette zone, limitée par le mur d'enceinte nord, est divisée en deux parties par un mur intérieur (percé d'une ouverture), avec le Plateau d'Entrée à l'ouest et le Petit Cimetière à l'est. 


4- Photographe anonyme, Nice, La Vallée du Paillon vue depuis le Cimetière du Château, détail, sans date,
tirage albuminé de 9,2x14,7cm, Collection personnelle.

Détail du cimetière montrant une partie du mur d'enceinte nord, 
avec l'angle nord-est du Plateau d'Entrée (sur la gauche de l'image) 
et le mur de séparation d'avec l'angle nord-ouest du Petit Cimetière (sur la droite de l'image).


Les sépultures visibles datent des deuxième et troisième quarts du XIX° siècle, la plupart des concessions ayant été acquises entre 1826 et 1852. 

Les éléments funéraires sont de trois types (Image 4 ci-dessus) : 

- des plaques rectangulaires gravées d'inscriptions et des stèles, appuyées sur les murs, dominant une dalle horizontale (présentant son grand côté), 

- des monuments de grande taille ou des dalles (présentant leur petit côté), bien alignés sur une rangée en avant des deux murs du Plateau d'Entrée, à proximité immédiate de la rangée précédente,

- et enfin plusieurs lignes plus ou moins désordonnées de tombes, constituées de simples tertres de terre couronnés d'une croix et le plus souvent dépourvues d'entourage.

L'espace du cimetière délimité par le cadre de la photographie correspond à l'espace actuel qui occupe, d'une part l'angle nord-est du Plateau d'Entrée, depuis le revers de la Pyramide des Victimes de l'Incendie du Théâtre italien (1881-1882) jusqu'à l'escalier oriental qui descend au Carré de l'O.N.U. (ajouté au nord, 1933-1934), et d'autre part, l'angle nord-ouest du Petit-Cimetière (Image 5 ci-dessous). 


5- Nice, Cimetière chrétien du Château, plan municipal simplifié datant du début des années 2000.

La zone correspondant au cadrage de la photographie du XIX° siècle est surlignée en jaune.


Encore visible sur des photographies de la première décennie du XX° siècle, le mur de séparation ouest-est a désormais disparu dans sa quasi totalité ; quant au mur d'enceinte nord, il a été abaissé lors de la réalisation du Carré de l'O.N.U.

Certaines des sépultures capturées par la photographie sont, de nos jours, conservées des deux côtés de l'ancien mur de séparation interne, en particulier dans les deux rangées du côté ouest (Plateau d'Entrée). Toutes les autres ont disparu ou ont été transformées lors d'une nouvelle inhumation ou d'un renouvellement de concession. 

Un plan conservé aux Archives Municipales de Nice (dossier 3N1), non daté mais proche de 1900 (la concession la plus récente portée sur ce plan date de 1898), montre que dès cette époque toute cette zone ne comporte plus aucune des sépultures constituées d'un tertre de terre. 

Dans la première moitié du XX° siècle, de nouvelles rangées de tombes se sont ajoutées  et sont toujours conservées.


6- Photographe anonyme, Nice, La Vallée du Paillon vue depuis le Cimetière du Château, détail, sans date,
tirage albuminé de 9,2x14,7cm, Collection personnelle.

Détail du cimetière avec les tombes situées de chaque côté du mur interne de séparation, depuis l'ouverture et l'allée centrales (en bas de l'image)
 jusqu'au mur externe nord (en haut de l'image).

Angle nord-est du Plateau d'Entrée : n° 1 : Tombe Chais - n° 2 : Tombe Nolfi (Pyramide) - n° 3 : Tombe Garibaldi.

 Angle nord-ouest du Petit Cimetière : n° 4 : Tombe Marceau - n° 5 : Tombe Rancher. 


Sur la photographie (image 6 ci-dessus), quelques tombes situées le long du mur de séparation entre le Plateau d'Entrée et le Petit Cimetière, sont les sépultures (conservées de nos jours) de personnalités, notamment :

-  celle de Rosa Garibaldi (1776-1852, mère du Général Giuseppe Garibaldi) (Plateau d'Entrée), 

- celle d'Emira Marceau (1753-1843, sœur du général de la Révolution François Séverin Marceau) et de son époux Antoine François Sergent-Marceau (1751-1847, dessinateur, graveur et révolutionnaire, qui a d'ailleurs dessiné la tombe de son épouse ici) (Petit Cimetière)

- ou celle de Rosalinde Rancher (poète, 1785-1843) (Petit Cimetière).

Un monument retient l'attention, celui de la tombe de Carlo Nolfi (1786-1831) située au début de l'allée (Plateau d'Entrée) : c'est un édicule en forme de pyramide appareillée, de petites dimensions, timbrée d'une croix sur sa face occidentale et reposant sur un haut socle de plan rectangulaire. Détail intéressant, cette pyramide est, sur la photographie étudiée, précédée d'une tombe constituée d'une simple dalle. 

Or, de nos jours, cet emplacement est occupé par la tombe du Dr Bernardin Chais, décédé à Nice le 15 juillet 1873 et inhumé le 17. Un monument en forme de sarcophage, timbré sur le dessus en glacis d'une longue croix latine, a été ensuite érigé au-dessus de la dalle antérieure.

Les dates de ce décès puis de la réalisation du tombeau (1873-1874) réduisent encore la datation de la photographie étudiée qui peut donc avoir été prise entre 1872 et 1874 (vers 1873).


7- Nice, La Vallée du Paillon vue depuis le Cimetière du Château, janvier 2023,
photographie numérique couleur, prise avec un cadrage semblable à celui de la photographie étudiée (Image 1), 150 ans plus tard.