lundi 6 février 2023

1290-ALPES-MARITIMES AU XIX° S.-ALBUMS DE LA B.N.F.-2

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS



1- Pont de Saint-Ferréol (commune de Marie), vue 31 de l'album, Alpes-Maritimes : photographies, Paris, BnF (Gallica).


DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 13/11/2023




LES ALBUMS DES ALPES-MARITIMES


Chaque album renferme une collection de vues qui constituent autant de pièces d'un puzzle géant qui raconte tout à la fois l'histoire de la photographie et l'histoire des lieux.

Dans un premier temps, la découverte de chacune des photographies des Alpes-Maritimes est fascinante. Ces dernières montrent bien souvent les lieux les plus représentés avec un même point de vue mais à différentes époques et certaines d'entre elles révèlent des lieux plus rarement photographiés ou d'un point de vue renouvelé.

Vient ensuite le temps de l'étude de chacune des photographies, avec l'observation des architectures représentées mais également de l'état de la végétation et du mobilier urbain pour une hypothèse individualisée de datation.

Dans un troisième temps, il est nécessaire d'avoir une perception globale de l'album pour essayer de comprendre qui l'a constitué (le photographe, l'éditeur, le distributeur, l'acheteur, le conservateur) et dans quel ordre, sachant que dans le cas de photographies insérées dans des fenêtres ou même de photographies collées, l'ordre originel a pu être perturbé. 

Les albums de voyage comportent souvent un titre imprimé en couverture et les photographies, de différents formats, sont légendées à la main. Des dates sont parfois même mentionnées. Il est alors aisé de reconstituer l'ordre chronologique et géographique du parcours effectué.

Cependant, la plupart des albums-souvenirs ne comportent souvent aucune date et rassemblent des photographies souvent prises sur une décennie entière, sans aucun ordre apparent. Elles ne sont classées ni chronologiquement, ni géographiquement (parcours), les photographies d'un même lieu pouvant même être dispersées dans tout l'album, en alternance avec celles d'autres lieux.

Enfin, il est nécessaire de s'interroger sur la date de constitution des albums puis sur le nom des photographes, généralement absent tout à la fois de la couverture et des tirages.



L'ÉTUDE DE L'ALBUM : ALPES-MARITIMES : PHOTOGRAPHIES, 1873 


Présentation

Cet album regroupe 36 vues non légendées (sur papier albuminé) d'ouvrages d'art des Alpes-Maritimes, ports, ponts, aqueducs, barrages et gares, avec 15 vues urbaines (regroupées en début d'album), de Villefranche (3), Nice (10), Antibes (2) et Cannes (1) puis 21 vues des vallées du Var, de la Vésubie, de la Tinée (au nord de Nice) et de la Siagne (au nord de Cannes) (voir l'album au complet de l'Ecole des ponts ParisTech sur Gallica).




2- Pont de chemin de fer sur le Var (Pont Napoléon III, commune de Saint-Laurent-du-Var)vue 17 de l'album, Alpes-Maritimes : photographies, Paris, BnF (Gallica).

Ce pont a été érigé de février 1862 à avril 1864. 



Description

Ce sont quelques-unes des 15 vues urbaines qui vont être étudiées ici.

Une vue du Phare de Villefranche est suivie de deux vues du Port de Villefranche, prises respectivement depuis l'est (Image 3 ci-dessous) et depuis l'ouest. 


3- Port de Villefranche, vue 2 de l'album, Alpes-Maritimes : photographies, Paris, BnF (Gallica).



La deuxième vue (Image 3) montre au tout premier plan la voie de chemin de fer à la sortie du tunnel de 1450 mètres (percé en 1864-1865, Journal de Nice du 28 août 1865 ; maçonné en 1865-66, Journal de Nice du 18 février 1866) mais avec les bâtiments de la gare et la maison du garde terminés l'été 1867 (Journal de Monaco du 18 août 1867). La vue suivante ne révèle cependant aucun des aménagements ferroviaires qui traversent le paysage et semble donc antérieure.

Deux photographies sont consacrées au Port de Nice, l'une vue de l'est (Image 4 ci-dessous), et l'autre du sud.


4- Port de Nice, vue 4 de l'album, Alpes-Maritimes : photographiesParis, BnF (Gallica).



La première vue (Image 4), prise depuis le col de Villefranche montre au lointain la baie des Anges (sur le côté gauche de l'image), avec la nouvelle maison de Félix Donaudy érigée sur le boulevard du Midi en 1859-1860 mais pas encore le nouveau bâtiment de la Banque de France (bâti entre l'été 1864 et l'été 1865). 

Au tout premier plan (sur le côté droit de l'image), le kiosque du Restaurant de la Réserve est absent (élevé en 1867), de même que la nouvelle Villa Vigier (érigée en 1862-1863) mais uniquement du fait que cette dernière est hors-champ. Enfin, au lointain se dessine la silhouette du Grand Hôtel de Nice, à Carabacel (érigé en 1863-1864). Cette photographie peut donc être datée du début des années 1860, probablement vers 1863-1864, comme le prouve d'ailleurs la présence de l'Hôtel de Nice au bas de la colline de Carabacel.

Trois photographies des ponts de Nice et de ses environs sont présentes dans l'album dont :

-  le Pont de chemin de fer sur le Var (édifié en 1863-1864) (Image 2), 

- le Pont de Nice, Pont Napoléon III ou Pont des Anges sur le Paillon (édifié en 1864). Cette photographie peut être datée entre fin 1867 et début 1868 du fait de la présence du grand palmier érigé sur la place des Phocéens face à la rue Saint-François-de-Paule en juillet 1867 et de l'absence des plantations du square des Phocéens, effectuées au printemps 1868,

- le Pont de Nice ou Pont Garibaldi sur le Paillon (érigé entre 1870 et 1873), pris depuis le nord et la rive droite, puis depuis le sud et la rive gauche (Image 5 ci-dessous). 


5- Pont de Nice (Pont Garibaldi), vue 8 de l'album, Alpes-Maritimes : photographiesParis, BnF (Gallica).



Cette dernière vue (Image 5) révèle un bâtiment d'angle du quai Saint-Jean-Baptiste en fin de construction, sa façade hémicirculaire comportant encore des échafaudages. Ce bâtiment, conservé de nos jours (près du M.A.M.A.C.), à l'angle de l'avenue Saint-Jean-Baptiste et de la rue Defly (avec la Pharmacie des Arts au rez-de-chaussée) n'a été érigé qu'en 1877 ; il apparaît sur des photographies toutes postérieures à 1876 et sur le plan de la ville de 1878 (Bibliothèque municipale de Cessole).

Quatre photographies sont consacrées à la Gare de Nice (érigée entre 1863 et 1867), montrant la façade centrale du bâtiment des voyageurs (image 6 ci-dessous) et ses voies couvertes. Ces vues datent au plus tôt de 1865.


6- Gare de Nice (bâtiment des voyageurs), vue 9 de l'album, Alpes-Maritimes : photographiesParis, BnF (Gallica).



Ce sont ensuite deux vues d'Antibes, le Port d'Antibes et le Phare de la Garoupe puis une du Port de Cannes (Image 7 ci-dessous).


7- Pont de Cannes, vue 15 de l'album, Alpes-Maritimes : photographiesParis, BnF (Gallica).



Cette dernière photographie urbaine de l'album (Image 7) délivre en fait une vue générale de la ville de Cannes, vue de l'est, depuis l'étage d'un bâtiment qui borde la plage de la Croisette. Sur l'esplanade des Allées (sur la droite de l'image), la nouvelle mairie (érigée entre les étés 1874 et 1876) est bien visible. Elle comporte un échafaudage permettant de réaliser les sculptures ornant le haut de sa façade méridionale et peut ainsi être datée précisément du printemps 1876.

Les quinze vues prises en milieu urbain semblent refléter un parcours effectué d'est en ouest, depuis le port de Villefranche jusqu'à celui de Cannes. Elles datent des années 1860 et 1870, et plus probablement entre 1863-64 et 1877-78.


Les Travaux Publics de la France

L'album mis en ligne sur Gallica, Alpes-Maritimes : Photographies, appartient à l'Ecole des Ponts-et-Chaussées (Ecole des ponts ParisTech) qui lui attribue la date de "1873". L'album a en effet été réalisé par l'Ecole des Ponts-et-Chaussées pour le Ministère des Travaux Publics. Ceci explique la vocation documentaire de ces photographies, axées sur des ouvrages d'art et dépourvues de tout être vivant.

Les clichés ont été destinés à l'ouvrage intitulé, Les Travaux Publics de la France, réalisé sous la direction de Léonce Reynaud (1803-1880), par des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées. Il a été édité à Paris par J. Rothschild, pour un prix global de 600 francs et un tirage de grand luxe sur papier Hollande à 1.200 francs. 

L'appel à souscription a été lancé dès janvier 1875 pour 5 volumes grand in-folio rassemblant plusieurs centaines de pages de texte, 250 planches photographiques (phototypes), 600 gravures (519 en fait) et 5 cartes chromolithographiées :

vol. 1 : Routes et Ponts, rédigé par les ingénieurs Félix Lucas et Victor Fournié,

vol. 2 : Chemins de fer, rédigé par l'ingénieur Ed. Collignon,

vol. 3 : Rivières et canaux ou Navigation intérieure, rédigé par l'ingénieur H. de Lagrené,

vol. 4 : Ports de mer, rédigé par l'ingénieur Ph. Voisin-Bey,

vol. 5 : Phares et balises, rédigé par l'ingénieur Ed. Allard.

50 livraisons ont été envisagées sur 2 ans : "Les cinq volumes seront entièrement terminés en 1877 (Bibliographie de la France, n° 5 du 30 janvier 1875 pp 138-139).

Il semble cependant que les délais n'ont pas été tenus :

- les livraisons 1 à 10 n'ont été effectuées qu'en 1876 (Annuaire du Club Alpin, 1876, Paris, 1877 p 616),

- les livraisons 11 à 20 puis 21 à 30, l'ont été en 1877 (Bibliographie de la France, n° 17 du 28 avril 1877 p 241 et n° 38 du 22 septembre 1877 p 526),

- les livraisons restantes auraient logiquement dû se faire en 1878 mais les livraisons 31 à 45 n'ont eu lieu qu'en 1879 (Otto Lorenz, Catalogue mensuel de la Librairie Française, mai 1879 p 40),

- et les quatre dernières livraisons, 46 à 50, qu'en 1883 (Otto Lorenz, Catalogue mensuel de la Librairie Française, mai 1883 p 39).

Cet échelonnement des livraisons entre 1876 et 1883 est d'ailleurs confirmé par de nombreuses références bibliographiques postérieures (Otto Lorenz, Catalogue général de la Librairie Française, 1887 p 674 ; Nouveau Dictionnaire d'Economie Politique, 1891 p 866...).

"1883" est également la date d'une nouvelle édition de l'ouvrage en 5 volumes, avec des planches phototypées, légendées et soulignées du nom du ou des ingénieurs ayant réalisé l'album concerné.

Les volumes et les vues (phototypes) de la première édition de 1876-1883 ont pu être consultés en partie (Musée Français de la Photographie) et il semble que l'édition de 1883 reprend les mêmes vues (5 volumes complets conservés à la BnF, avec également 4 cartes de 1879-1880 et 2 portfolios de 40 vues de 1883).

Les 5 volumes de 1883 de la BnF [ici] ne contiennent cependant que peu de photographies des Alpes-Maritimes: 

- une seule dans le vol.1, Routes et Ponts Pont du Var (pl. 40), 

- aucune dans les vol. 2 et 3, Chemins de fer et Rivières et canaux

- quatre dans le vol. 4 : Port de Cannes (pl. 41), Port d'Antibes (pl. 42), Port de Nice (pl. 43 p ), Port de Villefranche (pl. 44),

- et aucune dans le vol. 5, Phares et balises.

De plus, trois seulement des photographies de l'édition de 1883, celles du Pont du Var, du Port d'Antibes et du Port de Cannes, sont identiques à celles étudiées. Il faut en déduire qu'il y a eu un nombre très conséquent de photographies collectées mais que seulement 250 d'entre elles ont été retenues. 

Ce travail de collecte et d'édition semble croiser celui débuté autour du seul sujet des Ports : C'est le 24 octobre 1868 qu'une décision ministérielle a ordonné la publication d'un "Atlas des ports maritimes de la France" et a chargé une commission présidée par M. L'inspecteur général Reynaud d'arrêter les bases et de diriger l'exécution de ce travail. L'édition des Ports maritimes de la France se fera en 8 volumes entre 1874 et 1899.

Il semble que les autres sujets aient été envisagés dès la même époque, non seulement du fait de l'appel à souscription de 1875 mais également du fait de l'exposition réalisée par le Ministère des Travaux Publics, organisée par Léonce Reynaud, dans le cadre de l'Exposition Universelle de Paris de 1878 : 

"Ce qui nous a retenu le plus longtemps, ce qui nous paraît constituer la partie la plus intéressante de cette exposition du ministère des travaux publics, c'est une série de plus de vingt albums photographiques [22 exactement], de grandes dimensions, où l'on peut passer en revue presque toutes les productions importantes de nos ingénieurs : routes, ponts, viaducs, tunnels, ports, phares, canaux, quais, etc." (Gazette des Architectes et du Bâtiment, n° 22, été 1878 pp 128-129).

Léonce Raynaud a également été responsable de l'exposition du Ministère des Travaux Publics lors des Expositions Universelles antérieures de 1855, 1867, 1873 et 1876. 

Le livret de l'Exposition de 1878 précise que "La belle collection de vues photographiques envoyées à l'Exposition universelle de Vienne [1873] par le Ministère des travaux publics a été le point de départ de cet ouvrage qui en reproduit les planches les plus remarquables (...). 

L'intérêt avec lequel cette première collection fut accueillie décida la Commission à la renouveler en la complétant. La collection, telle qu'elle se présente aujourd'hui, est enrichie par l'addition d'un grand nombre de vues nouvelles ; en même temps, les anciennes épreuves jugées imparfaites ont été, remplacées par d'autres, exécutées dans une saison plus favorable. Afin d'apporter plus de variété dans la composition des albums, on a classé les vues par région et par département, au lieu de les grouper exclusivement par nature d'ouvrage.

Le Ministère des travaux publics est redevable de cette collection à M. Magny, de Coutances (Manche), et à M. Duclos, photographe, à Quimper (Finistère).

Vingt-deux albums (1) - Note 1 : Une partie des clichés a été empruntée, avec l'autorisation de l'Administration, par M. Rothschild, éditeur, pour servir à l'ouvrage intitulé : "Les travaux publics de la France", qui se publie sous les auspices du Ministère des travaux publics. A ce titre, les livraisons parues de cet ouvrage ont été comprises au nombre des objets exposés par le Ministère" (Exposition Universelle de 1878 - France - Notices sur les modèles, cartes et dessins relatifs aux travaux des ponts et chaussées, réunis par les soins du Ministère des travaux publics, Paris, 1878, pp 485-491 ; voir aussi, Fernand de Dartein, M. Reynaud, Sa vie et ses œuvres, Paris, 1885 pp 223-224).

La collection de photographies a donc été entamée entre les Expositions Universelles de 1867 et de 1873, a été exposée à Vienne en 1873 (ce qui explique la date retenue par la BnF) puis complétée après cette date, une sélection étant opérée ensuite, en amont des éditions successives de 1876 à 1883.


Origine et datation des photographies

On aurait pu croire qu'une partie des vues avait été prise par des ingénieurs des Ponts-et-Chaussées mais il semble que cela ne soit pas le cas. La formation à la photographie des élèves-ingénieurs n'a débuté qu'en 1876 (par le photographe Alphonse Davanne [1824-1912]) et le livret de l'Exposition de 1878 précise désormais que M. le conducteur Huguenin est le chef du bureau de dessin et de l'atelier de photographie. 

Ce même livret cite uniquement le nom de deux auteurs des photographies récoltées, deux photographes professionnels, Alfred Magny (1824-c.1900) de Coutances et Jules Duclos (1824-1879) de Quimper mais les centaines de photographies (plus d'un millier ?) ont-elles été réalisées uniquement par ces deux photographes ?

Il semble bien que non car la Préface rédigée par Léonce Reynaud, datée de "Paris, novembre 1879", et publiée dans le volume 1 de l'édition de 1883 (p. III), précise que : "Des photographes de premier ordre ont prêté à la collection de planches le plus précieux concours ; ce sont : MM. Baldus et Berthaud, à Paris ; De Bray, à Nice ; Cabibel, à Perpignan ; Cognaq, à La Rochelle ; Collard et Davanne, à Paris ; Delon, à Toulouse ; Duclos, à Quimper ; Joguet, à Lyon ; De Labrador à Bayonne ; Letellier, au Havre ; Magny, à Coutances, Pacault à Pau ; Prompt,  à Albi ; Provost, à Béziers ; Romanowski, à Montpellier ; Sarault à Asnières ; Terpereau, à Bordeaux et Terris à Marseille".

La liste cite donc le photographe de Nice, Jean Walburg de Bray (1839-1901) pour les vues des Alpes-Maritimes qui ont été éditées mais a-t-il été le seul photographe à fournir des vues du département ?

Il semble que oui car le Journal de Monaco du 13 mai 1873 précise que M. de Bray est l'auteur "pour les Alpes-Maritimes du splendide album des Ponts-et-Chaussées envoyé à l'exposition de Vienne par le gouvernement français".

La collecte auprès de l'ensemble des photographes a dû être entamée dès les années 1867/68-1873. Ces derniers, dont Jean Walburg de Bray, ont pu fournir des vues antérieures à ces dates (Port de Nice, vers 1863-1864) mais également postérieures à ces dates, prises entre 1873 et 1876 (Port de Cannes en 1876), voire entre 1876 et 1883 (Nice, Pont Garibaldi, vers 1877). Les vues montrent d'ailleurs des ouvrages d'art contemporains (troisième quart du XIX° siècle) mais également plus anciens.

L'album mis en ligne sur Gallica, Alpes-Maritimes : Photographies, qui appartient à l'Ecole des Ponts-et-Chaussées (Ecole des ponts ParisTech), conserve donc quelques-uns des clichés originaux jamais édités (tirages sur papier albuminé), pris sur deux ou trois décennies, avec notamment des vues urbaines  artificiellement présentées selon un parcours d'est en ouest.