mercredi 31 mars 2021

1182-CANNES - LE QUARTIER DES ANGLAIS AU MILIEU DU XIX° SIÈCLE-1

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


UN ARTICLE ÉCRIT EN COLLABORATION AVEC DIDIER GAYRAUD


DERNIERE MISE A JOUR DE CET ARTICLE : 17/10/2022





CANNES - LE QUARTIER DES ANGLAIS (1835-1870)


La partie ouest de Cannes (Cannes-la-Bocca), située entre les côteaux de la Croix-des-Gardes et la mer, s'est développée au XIX° siècle grâce aux hivernants anglais. Dès les années 1830, la venue de Lord Brougham (dès 1834), de sir Woolfield (dès 1838) et de quelques autres riches anglais a en effet permis, grâce à leurs achats de terrains et à leur politique immobilière, la création de villas, châteaux et lotissements.

Un album de photographies du Midi de la France, prises par Charles Nègre dans les années 1850 et 1860, est conservé au Metropolitan Museum de New York. Il offre, parmi une quinzaine de vues de Cannes, une vue de ce quartier des Anglais (1ère vue de l'album - ci-dessous).


 1- NÈGRE Charles (1820-1880), Sans titre,
Cannes, Le quartier des Anglais pris depuis le mont Chevalier, vue sud-est/nord-ouest,
tirage sur papier albuminé d'environ 15x21 cm sur carton de 24,4x29,4 cm,
d'après négatif sur verre au collodion de 18x24 cm, New York, The Metropolitan Museum.


La voie ferrée

Sur cette photographie, le quartier est traversé par un chemin défoncé qui est en fait la réalisation en cours du tracé de la future voie ferrée. Ce tracé suit le rivage (plage de la Bocca) puis, plus à l'est, tourne vers le nord en direction du centre de la ville et franchit l'un des ponts du Riou (images 1 et 13).

La voie sépare les bâtiments resserrés au pied du mont Chevalier des bâtiment plus espacés du second plan. Ces derniers, dont les jardins fleuris complantés d'orangers et d'oliviers font la célébrité, longent en partie la route de Fréjus (actuelle avenue du Dr Raymond Picaud).


2 - NÈGRE Charles (1820-1880), Sans titre (Cannes)
détail montrant, sur la gauche, l'établissement de la ligne de chemin de fer et, sur la droite, l'église protestante écossaise,
tirage sur papier albuminé d'environ 15x21 cm sur carton de 24,4x29,4 cm,
d'après négatif sur verre au collodion de 18x24 cm, New York, The Metropolitan Museum.


La chapelle écossaise

La chapelle protestante écossaise apparaît enserrée entre deux maisons.

Elle a été érigée vers 1855-1856 par l'amiral John Pakenham (1790-1876) et mise à disposition de la colonie écossaise. Elle est citée dans The Illustrated London News du 25 octobre 1856, "A Scotch Church of humbles pretentions was erected in town" (pp 431-432).

En 1857, elle est signalée dans le guide d'Edwin Lee, Notices sur Hyères et Cannes "Tout près se trouve une chapelle protestante, servant pour le culte presbytérien, et fréquentée par les Ecossais, qui depuis deux ans ont été assez nombreux à Cannes" (p 53). 

La chapelle apparaît ensuite sur un plan de 1859 (image 3 - n° 17 du plan ci-dessous). 

Dans cette chapelle, "bâtie par l'amiral Pakenham, on célèbre deux fois par semaine, le dimanche et le mercredi, un service pour les membres de l'Eglise libre d'Ecosse" (Revue Britannique, 1867 p 67).

La maison visible au nord de la chapelle est la maison de François Ramoin (1810-1888), cité à cette adresse dans les recensements de la Ville de Cannes de 1861 (comme "propriétaire") et de 1866 (comme "marchand de bois"). Son nom et sa profession de marchand de bois (citée dès le 22 mars 1862 où il est témoin de mariage) apparaîtront d'ailleurs inscrits sur le mur qui accoste sa maison dans les photographies à partir de 1862, "Frçs Ramoin Md De Bois". Un guide allemand de 1869 cite la chapelle cannoise, "Rue Fréjus (schottische Kapelle) und 23 Route de Fréjus, Maison Ramoin" (Dr Theodor Gsell-Fels & Berlepsch, d-Frankreich Und Seine Kurorte, Hildburghausen, 1869 p 262).

La chapelle est devenue au XX° siècle (statuts de 1944), possession de l'Eglise protestante évangélique libre de France (au 89, rue Georges Clemenceau). 
 


3 - Détail du Plan de Cannes inséré au début de l'ouvrage de GIRARD Jean-Baptiste, 
Cannes et ses environs : guide historique et pittoresque, Paris, 1859,
Paris, BnF (Gallica),
n° 13 : Château St Ursule (sic)
n° 14 : Villa Victoria
n° 15 : Villa Brougham
   n° 16 : Eglise Anglicane
n° 17 : Eglise Protestante Ecossaise. 



La villa Victoria

La vue de Charles Nègre montre au second plan, la chapelle anglicane ou Christ Church et la Villa Victoria, toutes deux érigées par l'architecte Thomas Smith (1798-1875) dans un style néo-gothique anglais (XV° siècle), à la demande de sir Thomas Robinson Woolfield (1800-1888) sur l'un de ses terrains (n° 16 et 14 du plan ci-dessus).


4 - NÈGRE Charles (1820-1880), Sans titre (Cannes)
détail montrant la Christ Church (aux toitures décalées) masquant en partie la Villa Victoria,
tirage sur papier albuminé d'environ 15x21 cm sur carton de 24,4x29,4 cm,
d'après négatif sur verre au collodion de 18x24 cm, New York, The Metropolitan Museum.


Un premier bâtiment de la Villa Victoria semble avoir été construit vers 1852-1853 mais le grand cottage néo-gothique, visible de profil avec ses deux pignons latéraux de façade méridionale, bâti en porphyre de l'Estérel et couvert d'ardoises de Gênes, est plus tardif. 

Le guide de Cannes et ses environs, de 1859 (déjà édité en 1857), écrit par Jean-Baptiste Girard, précise que, "Pour alimenter sa prodigieuse activité, M. Woolfield fait construire aujourd'hui un nouveau monument : c'est la villa Victoria, qui sort, comme par enchantement, d'une corbeille de fleurs" (p 165). 

Un article paru dans L'Avenir de Nice d'octobre 1858 décrit la villa et son jardin.


- Extrait de L'Avenir de Nice du 10 octobre 1858 p 2,
Archives Municipales de Nice.


Victor Petit, dans ses Promenades des Etrangers publiées dans la Revue de Cannes de janvier à mars 1865, précise les dates de la construction : "C'est en 1857 que la villa Victoria fut commencée ; les travaux dirigés avec une entente parfaite et des soins minutieux durèrent deux ans (...) Les salons de la villa Victoria sont le lieu de réunion fort apprécié de la riche et élégante société anglaise qui réside à Cannes" (Revue de Cannes du 11 mars et du 11 novembre 1865 p 3 puis ouvrage, Cannes, Promenades des Etrangers dans la Ville et ses Environs, 1866 et nouvelle édition de 1868 pp 113-114).

La Villa occupe aujourd'hui le n° 5 de l'avenue du Dr Raymond Picaud.


5 - BARESTE Alphonse, Estampe de la Villa Victoria (façade sud) publiée dans l'ouvrage de GIRARD Jean-Baptiste, Cannes et ses environs : guide historique et pittoresque, Paris, 1859, p 152, Paris, BnF (Gallica).

Voir une photographie d'Aleo & Davanne, vers 1868, conservée au Rijksmuseum d'Amsterdam.


La chapelle anglicane

A l'est de la Villa Victoria (image 3 - n° 16 du plan), la chapelle protestante ou Christ Church est envisagée dès l'achat des terrains par sir Woolfield en 1846 (Journal des Villes et des Campagnes du 16 mai 1846 p 4).

La demande d'ouverture d'une chapelle privée, soutenue par Prosper Mérimée, n'est cependant adressée à la préfecture du Var qu'en 1855 (AD06 - 07V 0002). La cérémonie de pose de la première pierre a lieu le 24 mai 1855 et la chapelle est consacrée dès le 27 décembre 1855 (Thomas Robinson Woolfield's Life At Cannes And Lord Brougham's First Arrival, London, 1890 pp 12-13 et 22-23). 

Son existence est signalée dans The Illustrated London News du 25 octobre 1856 : "A beautiful Gothic Church has been erected at Cannes, and was consecrated last winter" (pp 431-432) et The Illustrated London News du 10 janvier 1857 en montre une première vue (ci-dessous).


6 - Protestant Church Recently Erected At Cannes, estampe publiée dans The Illustrated London News du 10 janvier 1857 p 13, vue nord-ouest/sud-est.

Voir une photographie prise par Joseph Contini en 1861 (The Royal Collection).


Edwin Lee dans son guide de 1857 cite, "le nouveau temple protestant, remarquable par la beauté et la simplicité de son architecture, également construit aux frais de M. Woolfield, mais qu'il est devenu nécessaire d'élargir" (Notices sur Hyères et Cannes, 1857 p 53).

Jean-Baptiste Girard signale ensuite le temple en 1859, "la villa Victoria a son temple du même style, où toute la société anglaise se donne rendez-vous pour prier et faire le bien" (pp 165-166).

L'édifice, construit en grès rose de l'Estérel et calcaire blanc, est de petites dimensions et orienté nord-sud. Il est constitué, au nord, d'une nef unique de trois travées et au sud, d'une travée de chœur accostée d'une sacristie et d'une bibliothèque. L'ensemble est voûté et les murs sont rythmés de contreforts. 

Une grande baie brisée (aux remplages néo-gothiques) dominée par un petit oculus (trilobé ou polylobé) est percée tant dans le mur nord (nef) que dans le mur sud (chœur). L'entrée se fait par un porche occidental saillant (voir les estampes ci-dessus et ci-dessous).


7 - Protestant Church At Cannes, estampe publiée dans The Illustrated London News du 29 janvier 1859 p 120, vue sud-nord avec, en haut du chemin, le Château des Tours.



La chapelle s'avère rapidement trop petite. Elle doit être agrandie par deux fois, tout d'abord en 1862 puis en 1866.

L'été 1862, une quatrième travée de nef est ajoutée au nord (près de la route de Fréjus), la façade remontée et la toiture entièrement refaite, les ardoises de Gênes cédant la place aux tuiles de Vallauris (Thomas Robinson Woolfield's Life At Cannes And Lord Brougham's First Arrival, London, 1890 pp 12-13 et 22-23).

Le Panorama de Cannes de Victor Petit, dessiné en 1864 mais édité sous cette forme en 1866, ne montre pas encore l'église profondément modifiée (voir ci-dessous).


8 - PETIT Victor (1817-1871), Panorama de la Ville de Cannes (vue sud-nord), sans date (1864-1866), détail de la partie ouest de la ville, lithographie de 64x107 cm, éditée par Fortuné Robaudy, Libraire-Éditeur, Paris, BnF (Gallica). La date est déduite notamment de la présence, sur l'estampe entière, du Grand Hôtel et du Cercle Nautique érigés sur la Croisette en 1864 et des publicités pour les lithographies de Victor Petit, parues dans La Revue de Cannes dès le 28 janvier 1865 p 4. Enfin, la Bibliographie de la France de 1865 cite le panorama p 563. Victor Petit a en fait dessiné deux Panoramas Ouest et Est de la Ville de Cannes en 1864 et les a édités début 1865 chez le libraire de Cannes, Fortuné Robaudy (qui n'a obtenu son brevet de libraire que le 19 février 1865 mais qui tient une boutique antérieurement). Son ouvrage rassemble ses vues et ses panoramas sous le titre, Album de Cannes, avec notamment une version en couleur (Revue de Cannes du 29 avril 1865 p 2) puis une nouvelle édition, remaniée et en couleur, au plus tard en 1868 (date où elle est citée). Victor Petit a fusionné les deux panoramas en un seul dans la lithographie ci-dessus, éditée en 1866. Le détail du panorama montre le quartier des Anglais avec notamment, le Château Sainte-Ursule (devenu Villa Vallombrosa), la Villa Victoria, la Christ Church (avant son remaniement de 1866) et l'Hôtel du Pavillon. Il est à noter que le Panorama de Cannes, édité par Victor Petit vers 1868, montrera le nouveau bâtiment de la Christ Church surmonté de sa flèche (Collection privée).  



Entre avril et novembre 1866, l'ancien chœur est démoli et reconstruit plus au sud précédé d'un double transept et une haute flèche est érigée au-dessus de la croisée du grand transept. La bibliothèque est transférée dans la maison du pasteur (Thomas Robinson Woolfield's Life At Cannes And Lord Brougham's First Arrival, London, 1890 pp 12-13 et 22-23).

C'est The Illustrated London News du 2 février 1867 qui rend compte de ces aménagements : "Some years ago we published an illustration of the small but elegant church of the English residents at Cannes as it existed up to the year 1862 ; but since the recent enlargement visitors to "sunny Cannes" will scarcely recognise the same building in its present altered form. The magnificence of one individual, Mr. Woolfield, who built the church in 1855 and enlarged it in 1862, has now doubled the accomodation by the addition of a new chancel and transepts, at an expense considerably exceeding  £3000. The new portion is surmonted by a very handsome spire, which forms a striking and proeminent object in all the many beautiful views of Cannes" (p 113).


9 - New English Church At Cannes, France (vue sud-ouest/nord-est), estampe publiée dans The Illustrated London News du 2 février 1867 p 113.

Voir la photographie d'Aleo & Davanne, vers 1868, conservée au Rijksmuseum d'Amsterdam.


L'église, toujours orientée nord-sud, conserve l'ancienne nef de quatre travées, avec sa façade nord et son porche ouest. Elle se voit cependant augmentée d'un transept débordant aux pignons de façade percés d'une rose et d'un chœur polygonal accosté de chapelles rectangulaires latérales qui forment comme un second transept de moindre hauteur. 

La croisée est dominée par un clocher de base carrée, composé d'un étage trapu percé de baies mais surmonté d'une flèche très élancée, recouverte de zinc. 

Les rares photographies antérieures à 1866, comme celles de Joseph Contini (avant l'été 1862) ou de Jean Walburg Debray (vers 1865), ne montrent donc pas la flèche élancée de la Christ Church, contrairement à celles, plus nombreuses, postérieures à cette date, comme les photographies d'Aleo et Davanne (vers 1868).

L'édifice a été démoli en 1951.


10 - NÈGRE Charles (1820-1880), Sans titre (Cannes)
détail montrant la Villa Eléonore-Louise,
tirage sur papier albuminé d'environ 15x21 cm sur carton de 24,4x29,4 cm,
d'après négatif sur verre au collodion de 18x24 cm, New York, The Metropolitan Museum.


La villa Eléonore-Louise

La photographie de Charles Nègre montre au nord-ouest de la Christ Church, la Villa Eléonore Louise de Lord Henry Peter Brougham and Vaux (1778-1868) (image 3 - n° 15 du plan).

Homme politique et écrivain, Lord Brougham est l'inventeur de la colonie anglaise de Cannes. Il y arrive en décembre 1834 et fait construire, dès l'année suivante, la première Villa ou Château du quartier mais également de toute la ville de Cannes, sur un terrain acheté le 3 janvier 1835. La pose de la première pierre a lieu le 31 août 1835 (Archives Municipales de Cannes, 5S7-50).

La Villa, de style italien, est érigée par l'architecte Pierre Louis de Larras de 1835 à 1839 (Thomas Robinson Woolfield's Life At Cannes And Lord Brougham's First Arrival, London, 1890 pp 15) et porte le nom de la fille de Lord Brougham, Eleonora Louisa (1822-1839). Elle est entourée de jardins et possède une fontaine.

A partir de 1844, le bâtiment, constitué d'une partie centrale encadrée de deux tours et de deux ailes asymétriques plus basses, se voit pourvu d'un large portique à colonnes doriques et surmonté d'une terrasse au niveau du premier étage (Alain Bottaro, "La villégiature anglaise et l'invention de la Côte d'Azur", dans In Situ, 2014, pp 28-32). 


11 - The Château Eleonora Louisa, Cannes (façade sud), estampe publiée dans 
The Illustrated London News du 25 octobre 1856 p 431.

Voir la photographie de Joseph Contini, vers 1861, sur Gallica.



Le château des Tours

En haut et à droite de la photographie de Charles Nègre, se remarque également le Château Sainte-Ursule qui domine le ravin du Riou (image 3 - n° 13 du plan). 

Ce château, appelé également Château du Riou puis Château Vallombrosa ou Château des Tours, a été construit par l'architecte Thomas Smith à la demande de sir Thomas Robinson Woolfield, entre 1852 et 1856 (Thomas Robinson Woolfield's Life At Cannes And Lord Brougham's First Arrival, London, 1890 pp 15).


12 - NÈGRE Charles (1820-1880), Sans titre (Cannes)
détail montrant le Château Sainte-Ursule (angle sud-est),
tirage sur papier albuminé d'environ 15x21 cm sur carton de 24,4x29,4 cm,
d'après négatif sur verre au collodion de 18x24 cm, New York, The Metropolitan Museum.


Le Château, d'allure médiévale, est de plan rectangulaire (grands côtés nord et sud), avec une entrée principale côté ouest. Il est hérissé de 8 tours (5 à base quadrangulaire et 3 à base circulaire) crénelées et pourvues de mâchicoulis.

Le château est vendu dès novembre 1856 à Lord Londesborough qui le cède en 1859 à son frère aîné le Marquis Conyngham. Ce dernier le revend en avril 1861 au Duc de Vallombrosa (1834-1903), d'où le nouveau nom de Château ou Villa Vallombrosa. Le duc agrandit le domaine (parc) et réalise la construction d'une chapelle à l'angle nord-ouest, vers 1864 (Revue de Cannes du 4 mars 1865 p 3).


13 - The Château Ste Ursule, Cannes (angle sud-ouest), détail d'une estampe publiée dans 
The Illustrated London News du 21 février 1857 p 162.

Voir une photographie de Joseph Contini, vers 1861, sur Gallica.




DATATION DE LA PHOTOGRAPHIE DE CHARLES NÈGRE


La photographie de Charles Nègre montre la Villa Brougham édifiée dans les années 1830 (1835-1839) mais avec l'adjonction, vers 1844, du portique de façade monumental. Elle montre également plusieurs bâtiments érigés dans les années 1850, comme le Château des Tours (vers 1852-56), la chapelle protestante anglaise (1855) ou encore la chapelle protestante écossaise (vers 1855-56) et laisse entrevoir la Villa Victoria (1857-59). La prise de vue date donc au plus tôt de la fin des années 1850.

Elle révèle d'ailleurs le terrassement en cours de la future voie ferrée Toulon-frontière italienne, décidée par décret impérial du 3 août 1859. Les travaux de la ligne sont retardés par les ouvrages d'art mais se déroulent parallèlement à Cannes, dès juin 1860.

"Les travaux du chemin de fer de Nice à Toulon (...) viennent de commencer à Cannes, à l'entrée de la ville, côté ouest, où sera établi un tunnel de près de 200 mètres, et à l'endroit près duquel doit être construite, côté est, la gare" (Le Messager de Nice du 30 juin 1860). En juillet 1860, le tracé de la ligne est matérialisé par des piquets (Journal de Monaco du 15 juillet 1860). En septembre, côté ouest, "on travaille dans la propriété de M. W... [Woolfield], le riche insulaire auquel Cannes doit tant de jolies constructions" (Journal de Monaco du 30 septembre 1860). 

Les déblais du tunnel vont servir à la construction du chemin de la Croisette dès la fin de l'année (accord du Conseil municipal du 4 novembre 1860 - Mémoires de la Société des Sciences Naturelles, des Lettres et Beaux-Arts de Cannes et de l'Arrondissement de Grasse, 1868-1873, p 282).

Le 13 janvier 1861, le conseil municipal de Cannes examine une proposition de sir Thomas Woolfield qui offre de faire don à la commune de son chemin "devant servir à faire communiquer la route impériale avec le passage que la compagnie du chemin de fer doit livrer au public vers l'embouchure du vallon Provençal, à condition que la Commune fera construire à ses frais les deux murs de clôture qui devront longer ce même chemin"  (Archives Municipales de Cannes - 1D15 folio 118). 

La décision, renvoyée au prochain conseil, est acceptée et le passage de la route de Fréjus à la mer est dénommé "passage Woolfield" par la Mairie en septembre 1866 (Mémoires de la Société des Sciences Naturelles, des Lettres et Beaux-Arts de Cannes et de l'Arrondissement de Grasse, 1868-1873, p 304). Les murs du chemin (actuel Chemin de la Nadine) sont en partie visibles sur la photographie de Charles Nègre, ce qui date la photo au plus tôt de l'année 1861.

En avril 1861, "le souterrain au moyen duquel la ligne passe sous la vieille ville de Cannes est ouvert d'un bout à l'autre" (Le Journal des chemins de fer du 27 avril 1861, vol. 20, p 281) et on a même commencé à poser les rails (Le Messager de Nice du 26 avril 1861). En juin 1862, les cinq constructions de la gare de Cannes sont en voie d'achèvement (Journal de Monaco du 8 juin 1862). Une locomotive teste la ligne Les Arcs-Cagnes le 13 février 1863 et le premier train de voyageurs entre à Cannes le 10 avril suivant. 

Enfin, la photographie de Charles Nègre montre la nef de la Christ Church encore constituée de trois travées (le module de la travée de chœur est multiplié par trois) et pas encore la quatrième travée, bâtie l'été 1862.

Charles Nègre a donc dû prendre cette vue du quartier anglais de Cannes en 1861 ou au premier semestre 1862. Sa présence est notamment attestée à Cannes au début du mois de février 1862 (Portrait du Prince Leopold d'Angleterre, daté du 7 février 1862, The Royal Collection).

A cette époque, Charles Nègre vit à Paris mais vient, lorsque son activité et sa santé le lui permettent, passer des séjours auprès de sa famille dans sa ville natale de Grasse, située à 18 km de Cannes. Il ne s'installera à Nice qu'après sa nomination, le 4 juillet 1863, comme professeur de dessin au Lycée impérial.

D'après des archives privées de Charles Nègre, révélées par James Borcoman en 1976, le photographe compte parmi ses clients les hivernants anglais dont Lord Brougham (notamment vers 1862) et sir Woolfield (notamment vers 1863-1866). Il réalise pour eux des portraits individuels et de groupes et des vues de leur villa (certaines photos sont conservées). Charles Nègre vend un Album de Cannes constitué de 50 vues à sir Woolfield le 7 avril 1864 puis 18 autres exemplaires le 25 mai suivant et il lui livre des photographies de la Villa Victoria et de la chapelle anglicane en février 1865 (James Bocorman, Charles Nègre, 1820-1880, ouvrage en anglais et en français, Galerie Nationale du Canada, décembre 1976 pp 46-47).

Victor Petit, dans un article intitulé, "Préparatifs de Départ", publié dans la Revue de Cannes du 29 avril 1865 (pp 1-2), signale également qu'à la librairie cannoise de Fortuné Robaudy, "on remarque un petit album élégant composé de douze vues de Cannes, au choix des amateurs, par M. Nègre photographe habile".


13 - NÈGRE Charles (1820-1880), Sans titre (Cannes), détail du champ d'oliviers,
avec sur la droite les deux ponts sur le Riou : en bas, le pont de la voie ferrée et en haut, le pont de la route de Fréjus,
tirage sur papier albuminé d'environ 15x21 cm sur carton de 24,4x29,4 cm, 
d'après négatif sur verre au collodion de 18x24 cm, New York, The Metropolitan Museum.


Après avoir noté quelques-uns des bâtiments emblématiques du quartier anglais visibles dans la photographie de Charles Nègre, il semble intéressant d'en signaler un qui en est absent.

Le détail ci-dessus montre un terrain, essentiellement occupé par des oliviers, compris entre la chapelle écossaise au sud, le pont de la route de Fréjus au nord et la Christ Church à l'ouest.

C'est à l'extrémité orientale de ce terrain, limité au nord par la route de Fréjus, à l'est par le cours du ruisseau et au sud par le tracé de la voie ferrée, que va être construit l'Hôtel du Pavillon, en 1864. 

Cet hôtel, visible sur la droite du Panorama de Cannes de Victor Petit de 1864-66 (image 8 ci-dessus) et sur des vues stéréoscopiques de Jean Walburg Debray datant de 1865 (Collection privée), est assez peu documenté. 

L'hôtel est cependant signalé dans la Liste des Etrangers en résidence à Cannes l'hiver 1864-1865 dès la Revue de Cannes du 18 février 1865 (p 3) puis dans la "Promenade" de Victor Petit publiée dans la Revue de Cannes du 11 novembre 1865 (p 3) : "A cent pas au-delà du Pont du Riou qui était ombragé d'une manière pittoresque par de vieux oliviers qui furent abattus lors de la construction du nouvel Hôtel du Pavillon, on remarque sur la gauche une fort belle chapelle et la façade très élégante d'une résidence anglaise appartenant à M. Woolfield et nommée Villa Victoria" (voir également, Cannes, Promenades des Etrangers dans la Ville et ses Environs, édition de 1868 p 113). 

Il est ensuite cité dans de plus nombreux ouvrages et guides, apprécié tout à la fois pour sa situation dans le quartier des Anglais et sa proximité du centre de la ville. L'hôtel est fortement agrandi (long bâtiment oblique) vers 1867-1868, prenant désormais le nom de Grand Hôtel du Pavillon, Victor Petit lui consacrant une lithographie à ce nom en 1869 (actuelle copropriété au 113, rue Georges Clemenceau).


VOIR LA SUITE DE CET ARTICLE



ARTICLES ET OUVRAGES EN LIGNE


-  NÈGRE Charles, Album Midi de la France conservé au Metropolitan Museum de New York : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/282737?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=Negre+Charles&offset=0&rpp=20&pos=3

- Procès-verbal de pose de la première pierre du Château Eléonore Louise de Lord Brougham, 1835 : http://expos-historiques.cannes.com/a/4395/pose-de-la-1ere-pierre-du-chateau-eleonore-louise-1835-amc-5s7-50/

- Journal des Villes et des Campagnes du 16 mai 1846 p 4 (projet de chapelle anglicane de sir Woolfield) : https://www.retronews.fr/journal/journal-des-villes-et-des-campagnes/16-mai-1846/613/2299203/4

The Illustrated London News du 25 octobre 1856 pp 431-432 (Château Eléonore Louise, chapelle écossaise et chapelle anglicane) : https://books.google.fr/books?id=C4VUAAAAcAAJ&pg=PA431&dq=The+Illustrated+London+News+Cannes+scotch+church&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiF5PPSuNrvAhVPOhoKHb9MDOM4KBDoATAIegQICBAC#v=onepage&q=The%20Illustrated%20London%20News%20Cannes%20scotch%20church&f=false

The Illustrated London News du 10 janvier 1857 p 13 (chapelle anglicane) : https://books.google.fr/books?id=hMPUPkBWqsEC&pg=PA13&dq=The+Illustrated+London+News+Cannes+scotch+church&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj0xsecuNrvAhVixoUKHe6dDUs4KBDoATAEegQIAxAC#v=onepage&q=The%20Illustrated%20London%20News%20Cannes%20scotch%20church&f=false

The Illustrated London News du 21 février 1857 p 162 (Château Ste Ursule) https://books.google.fr/books?id=z4VUAAAAcAAJ&pg=PA162&dq=The+Illustrated+London+News+Cannes+ch%C3%A2teau+ste+ursule&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiuiOSeudrvAhWNyYUKHQF-CIQQ6AEwBnoECAcQAg#v=onepage&q=The%20Illustrated%20London%20News%20Cannes%20ch%C3%A2teau%20ste%20ursule&f=false

The Illustrated London News du 29 janvier 1859 p 120 (Château Ste Ursule et chapelle anglicane) https://books.google.fr/books?id=QCXD_6ihMgkC&pg=PA120&dq=The+Illustrated+London+News+Cannes+ch%C3%A2teau+ste+ursule&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiuiOSeudrvAhWNyYUKHQF-CIQQ6AEwAXoECAIQAg#v=onepage&q=The%20Illustrated%20London%20News%20Cannes%20ch%C3%A2teau%20ste%20ursule&f=false

The Illustrated London News du 2 février 1867 p 113 (chapelle anglicane) https://books.google.fr/books?id=mlArnuXRtuUC&pg=PA113&dq=The+Illustrated+London+News+1867+Cannes+church&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj15tLKu9rvAhWNxIUKHXhlAGI4FBDoATAEegQICBAC#v=onepage&q=The%20Illustrated%20London%20News%201867%20Cannes%20church&f=false

- LEE Edwin, Notices sur Hyères et Cannes, 1857  p 53 (nouveau temple protestant) : https://books.google.fr/books?id=XIFaAAAAcAAJ&pg=PA26&dq=E.+Lee+notices+sur+Hy%C3%A8res+et+Cannes&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiSioHIpdrvAhUjz4UKHdxbA4QQ6AEwAXoECAIQAg#v=onepage&q=E.%20Lee%20notices%20sur%20Hy%C3%A8res%20et%20Cannes&f=false

- GIRARD Jean-Baptiste, Cannes et ses environs : guide historique et pittoresque, Paris, édition de 1859 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6522438d.r=Girard%20Cannes%20et%20ses%20environs?rk=21459;2  et https://books.google.fr/books?id=z6c9AAAAcAAJ&pg=PP9&dq=Girard+cannes+et+ses+environs&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj1jP2Vo9rvAhVU5uAKHdruA44Q6AEwAHoECAUQAg#v=onepage&q=Girard%20cannes%20et%20ses%20environs&f=false

- Présentation de la proposition de cession du chemin de sir Woolfield au Conseil municipal de Cannes, 13 janvier 1861 : http://expos-historiques.cannes.com/a/2944/proposition-de-terrain-par-sir-woolfield-offre-a-la-commune-13-janvier-1861-1d15-fo-118-/

- Le Journal des chemins de fer du 27 avril 1861 p 281 (Ligne Toulon-Nice) : https://books.google.fr/books?id=ZSk3AQAAMAAJ&pg=PA332&dq=Journal+des+chemins+de+fer+du+27+avril+1861&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwixv-HToNrvAhW3EWMBHfpODJUQ6AEwAHoECAAQAg#v=onepage&q=Toulon&f=false

- PETIT Victor, "Promenades", dans Revue de Cannes du 4 mars 1865 p 3 (Château et chapelle Vallombrosa) : http://archivesjournaux.ville-cannes.fr/dossiers/revue/1865/Jx5_Revue_Cannes_1865_03_04_Page_03.pdf, du 11 mars 1865 p 3 (chapelle anglicane et Villa Victoria) : http://archivesjournaux.ville-cannes.fr/dossiers/revue/1865/Jx5_Revue_Cannes_1865_03_11_Page_03.pdf  et du 11 novembre 1865 p 3 (chapelle anglicane, Villa Victoria et Hôtel du Pavillon) : http://archivesjournaux.ville-cannes.fr/dossiers/revue/1865/Jx5_Revue_Cannes_1865_11_11_Page_03.pdf

PETIT Victor, annonce de son Album de Cannes (Panoramas), dans Revue de Cannes du 29 avril 1865 p 2 (avec l'album de photographies de Charles Nègre) et du 25 décembre 1865 p 4 :  http://archivesjournaux.ville-cannes.fr/dossiers/revue/1865/Jx5_Revue_Cannes_1865_04_29_Page_02.pdf et http://archivesjournaux.ville-cannes.fr/dossiers/revue/1865/Jx5_Revue_Cannes_1865_12_25_Page_04.pdf

- Revue Britannique, 1867 p 67 (chapelle écossaise de l'amiral Pakenham) : https://books.google.fr/books?id=UB0_AQAAMAAJ&pg=RA1-PA67&dq=Revue+Britannique+1867+Pakenham&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiZl7appNrvAhVx5-AKHVLTATwQ6AEwAHoECAQQAg#v=onepage&q=Revue%20Britannique%201867%20Pakenham&f=false

- PETIT Victor (1817-1871), Panorama de la Ville de Cannes (vue sud-nord), sans date (1865) : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6909542q.r=Panorama%20de%20Cannes%20Petit?rk=21459;2

- PETIT Victor, Cannes, Promenades des Etrangers dans la Ville et ses Environs, nouvelle édition de 1868 pp 112-113 (Hôtel du Pavillon) : https://books.google.fr/books?id=NT1YAAAAcAAJ&pg=PA279&dq=Cannes+promenades+des+%C3%A9trangers+1868&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjIwrrhptrvAhWGy4UKHbgSDloQ6AEwAHoECAAQAg#v=onepage&q=Cannes%20promenades%20des%20%C3%A9trangers%201868&f=false

- MACÉ A., "Ephémérides cannoises ou Cannes pendant vingt ans (1850-1870)", dans, Mémoires de la Société des Sciences Naturelles, des Lettres et Beaux-Arts de Cannes et de l'Arrondissement de Grasse, 1868-1873, T II, 1870 pp 252-318 (passage Woolfield p 304) : https://books.google.fr/books?id=0SwtAAAAYAAJ&pg=RA1-PA304&dq=M%C3%A9moires+de+la+Soci%C3%A9t%C3%A9+de+Cannes+Woolfield&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjjmaPEqNrvAhVRzYUKHWGGBO8Q6AEwAHoECAEQAg#v=onepage&q=M%C3%A9moires%20de%20la%20Soci%C3%A9t%C3%A9%20de%20Cannes%20Woolfield&f=false

- WOOLFIELD J. M., Thomas Robinson Woolfield's Life At Cannes And Lord Brougham's First Arrival, London, 1890 (chapelle anglicane pp 12-13 et 22-23 et Villa Eléonore Louise p 15) : https://books.google.fr/books?id=9ygOAAAAYAAJ&pg=PP11&dq=Thomas+Robinson+Woolfield%27s+Life+At+Cannes&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjpxc3rqNrvAhVyzoUKHdikAhMQ6AEwAHoECAMQAg#v=onepage&q=Thomas%20Robinson%20Woolfield's%20Life%20At%20Cannes&f=false

- BOTTARO Alain, "La villégiature anglaise et l'invention de la Côte d'Azur", dans In Situ, 2014, pp 28-32 (Villa Eléonore Louise) : https://doi.org/10.4000/insitu.11060



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Les Allées/Le Cours au milieu du XIX° siècle

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Photographies anciennes du port de Cannes (1865-1890)