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DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 30/10/2024
INTRODUCTION
De nombreuses vues anciennes montrant les sites emblématiques de villes comme Nice, Cannes ou Monaco ont été éditées et rééditées dans la seconde moitié du XIX° siècle, sous forme de diapositives sur verre, noir et blanc ou colorisées (vues pour lanterne magique) et intégrées dans des séries régionales, nationales ou internationales.
Ces séries affichent parfois le nom de leur éditeur mais ne précisent généralement pas le nom du photographe ni la date de prise de vue.
Si certaines séries apparaissent assez homogènes avec un seul auteur et des vues réalisées sur une même période, d'autres séries sont manifestement constituées d'un mélange de vues réalisées par des auteurs multiples à des périodes différentes.
L'image étudiée est extraite d'une série positive sur verre montrant des sites des Alpes-Maritimes dont la plupart ont été manifestement photographiés dans les années 1880. Elle s'en distingue cependant par son antériorité.
DESCRIPTION ET DATATION DE LA VUE
C'est une vue du Port de Nice, prise depuis la Colline du Château (Images 1 et 2). Elle montre l'extrémité sud-est du port, avec (d'ouest en est et de gauche à droite) :
- les bateaux à vapeur et à voile, le petit môle est, le débarcadère des bateaux à vapeur, le quai puis le môle de carénage,
- le chantier de construction de la Marine, la prison (ancien bagne) avec, entre ses pavillons nord et sud, sa galerie basse couverte d'une terrasse (le pavillon nord est coiffé d'un clocheton dont l'horloge indique 13h 40),
- quelques bâtiments du boulevard de l'Impératrice dont l'Hôtel Royal près de la plage de sable,
- le bas de la colline du Mont-Boron avec des propriété boisées, le site de l'ancien Lazaret en ruines et les rochers de la Réserve (parc à huîtres)
- puis les silhouettes du Petit Séminaire et du Château Smith.
La voie du boulevard de l'Impératrice qui longe la plage a été ouverte en 1857. L'Hôtel Royal tenu par Santi Saccomani (qui affiche ostensiblement son enseigne au balcon du dernier niveau) a investi la Maison Salvi de 1857 à 1866, ce qui délimite d'emblée la période de la prise de vue.
La présence de nouvelle Villa Vigier (1862-1863), à l'est de l'hôtel, aurait pu resserrer la datation mais cette dernière est hors-champ. Cependant, au lointain, la maison située au-dessus du Château Smith implique, elle aussi, la date de 1862 au plus tôt.
Enfin, la cabane suspendue au rocher du Restaurant de la Réserve au Lazaret montre un état intermédiaire entre l'état de 1862 (cabane assez sommaire) et celui de 1866 (cabane rénovée mais dominée par une grande enseigne) et ne côtoie pas encore le chalet qui sera édifié sur le rocher voisin en 1867.
La date retenue peut donc être située vers 1862-1865 et plus probablement vers 1864-1865. Quelques vues des mêmes lieux, réalisées dans les années 1860, viennent d'ailleurs confirmer cette datation :
- celles de photographes parisiens voyageurs (Furne & Tournier ; Hippolyte Jouvin ; Jean Andrieu)
- et celles de photographes qui passent les saisons d'hiver à Nice ou sont domiciliés dans cette ville (Louis Crette ; Alphonse Davanne ; Miguel Aleo ; Pierre Ferret ; Joseph Silli ; Charles Nègre, Jean Walburg De Bray, Albert Pacelli),
- sans oublier les quelques peintures, lithographies et dessins contemporains (Dieudonné Lancelot, Félix Benoist).
FERRIER ET LÉVY
Les Éditeurs
La vue étudiée présente un titre mais pas de nom d'éditeur. La recherche a permis cependant de retrouver une vue sur verre semblable. Cette dernière est stéréoscopique mais son image de droite s'avère identique à l'image étudiée dans les moindres détails, y compris ceux concernant l'usure.
L'aspect global de cette dernière semble impliquer les éditeurs parisiens du 99 puis du 113, boulevard de Sébastopol, "M. Léon & J. Lévy de Paris" : Moise Léon (1812-1888) et Isaac dit Georges Lévy (1833-1913) (le "I" d'Isaac majuscule s'écrivant comme un "J" ?).
Ces photographes-éditeurs sont les assistants puis, dès 1864, les successeurs de la Maison "Ferrier père & fils & Soulier" : Claude Marie Ferrier (1811-1889), Jacques Alexandre Ferrier (1831-1911) et Charles Soulier (1816-1886). Ils conservent le fonds, l'exploitent et l'enrichissent.
Au retrait de Moïse Léon, la société devient vers 1874, "J. Lévy & Cie" puis vers 1894, "Lévy & Ses Fils" (ils participent ensemble à l'Exposition Universelle d'Anvers en 1894).
Ils diffusent leurs propres photographies sur verre et papier mais également celles prises par d'autres photographes dans le monde entier. Leurs catalogues offrent dès les années 1870, plusieurs milliers de sujets (les catalogues conservés de 1864, 1870, 1880, 1886 et 1903 n'ont pu être consultés).
Les Vues
Quelques-unes de leurs vues anciennes de Nice et de la région (Cannes, Antibes, Villefranche, Menton, Monaco) sont connues par des textes ou des Collections publiques et privées.
Les vues de Nice semblent relever notamment :
- d'une série éditée par Claude Ferrier vers 1855 :
"Il y a quelques temps, M. Ferrier revenait d'Italie. Il avait passé là-bas les plus beaux mois de l'année, aussi rapportait-il quatre albums contenant plusieurs centaines de vues stéréoscopiques (...). On sait que cet artiste opère sur glace albuminée (...). Toute l'Italie est dans ces splendides albums. On passe de Nice à Turin, de Turin à Gênes, de Gênes à Florence ; on parcourt Rome, Venise, Padoue, Pise" (La Lumière du 24 février 1855, Paris, BnF, Gallica).
Il présente notamment ses vues d'Italie à l'Exposition Universelle de 1855 à Paris (Gazette Nationale du 2 août 1855) où il obtient une mention honorable (Bibliographie de la France 1855 p 655).
Les vues de Nice prises en 1854 ne semblent pas conservées.
- d'une série éditée par Ferrier et Soulier avec cinq vues citées dans leur Catalogue de 1859 :
Vue générale de Nice [vue de la rue Ségurane et de la vallée du Paillon prise depuis le versant oriental de la Colline du Château - épreuves stéréoscopiques sur papier, Collection privée - épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée) ;
Nice et le Mont Chauve [probablement la vue intitulée, 365 bis, Panoramic View of Nice, prise depuis la terrasse du Château - épreuve sur verre pour lanterne magique conservée au G. Eastman Museum de Rochester] ;
Vue du port de Nice [vue sud-ouest/nord-est avec un bateau à vapeur au premier plan - épreuves stéréoscopiques sur verre, Entrée du Port de Nice, dans la Collection Davanne - merci à Didier Gayraud de m'avoir signalé cette vue ; réédition postérieure sur épreuve sur verre pour lanterne magique, The Harbour of Nice, conservée au G. Eastman Museum de Rochester] ;
Panorama de la plage de Nice [vue inconnue] ;
Panorama de Nice, côté Quai Masséna [vue inconnue] ;
Dans le Catalogue londonien de 1859 des vues stéréoscopiques distribuées par "Negretti And Zambra", seulement deux vues niçoises de Ferrier sont citées dans sa série italienne (page 12) mais avec la précision de leur numéro :
365 Vue générale de Nice.
366 Vue du port de Nice.
Le même Catalogue fournit une précision intéressante (traduction de la page 32) : "Beaucoup de vues continentales sur verre de Ferrier, peuvent être également obtenues sur papier. Celles disponibles sur papier sont uniquement celles de Suisse, d'Italie, de France, de Belgique et de Hollande, dont la plupart, bien que non issues des mêmes négatifs que celles sur verre, sont presque identiques".
- d'une série éditée vers 1862-1865, à laquelle appartient la vue étudiée :
2461. Port de Nice [épreuve sur verre pour lanterne magique, Collection personnelle et Agence Roger-Viollet],
2462. Panorama de Nice pris de la nouvelle route de Villefranche [épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée].
2463. Perspective du Paillon, à Nice [épreuves stéréoscopiques sur papier mais également sur verre, Collections privées ; épreuves stéréoscopiques sur verre, Amsterdam, Rijksmuseum].
Nice. Villa Smith. Vue prise du côté de la mer. (vers 1862-1865 ou vers 1873 ?) [épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée].
La série, constituée de huit vues, est répertoriée dans l'ouvrage de Jean-Marie Voignier, Les Vues stéréoscopiques de Ferrier et Soulier : catalogue 1851-1870, Editions du Palmier en zinc, Paris, 1992 p 40 - catalogue de 1864 ou de 1870 ?) avec :
"2456 Le Phare de Nice (effet de lune).
2457 Vue prise dans le jardin d'Alphonse Karr (n°1).
2458 Vue prise dans le jardin d'Alphonse Karr (n°2).
2459 Vue prise dans le jardin d'Alphonse Karr (n°3).
2460 Panorama de Nice, pris du château.
2461 Port de Nice.
2462 Panorama de Nice, pris de la nouvelle route de Villefranche.
2463 Perspective du Paillon.".
Il est probable que l'ensemble de ces vues apparaissaient dans le catalogue de 1864 (Jardin d'Alphonse Karr) et dataient des années 1862-64.
- d'une série éditée vers 1873 :
Nice. Vue générale. [vue prise depuis la terrasse de la Colline du Château et montrant la vallée du Paillon et le quartier de Carabacel - épreuve sur verre pour lanterne magique, Collection personnelle] ;
Nice. Promenade des Anglais. [vue est-ouest avec un personnage posant au tout premier plan - épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée] ;
Nice, le quai Masséna. [vue sud-nord avec des personnages posant sur le quai - épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée] ;
10176 (ou sans numérotation), Nice, vue prise de fort Mont-Alban [épreuve sur verre pour lanterne magique, conservée au G. Eastman Museum de Rochester et dans une Collection privée] ;
The angel's gulf Nice [vue est-ouest de la baie, prise depuis la Colline du Château - épreuve sur verre pour lanterne magique, conservée au G. Eastman Museum de Rochester] :
Statue of Messina [Massena] in Nice Italy (vers 1873 ?) [épreuve sur verre pour lanterne magique conservée au G. Eastman Museum de Rochester] ;
Pont des Anges, Nice [épreuve sur verre pour lanterne magique conservée au G. Eastman Museum de Rochester] ;
Pont-Neuf, Nice. (vers 1873) [vues est-ouest du Pont - avec de la circulation - et de la place Masséna - épreuve sur verre pour lanterne magique conservée au G. Eastman Museum de Rochester] ;
Le Môle, Nice. (vers 1873) [détail d'une vue ouest-est du port prise depuis la Colline du Château - épreuve sur verre pour lanterne magique conservée au G. Eastman Museum de Rochester - vue de l'Agence Roger-Viollet et de la Société Getty Images].
- d'une série éditée vers 1883 :
Panorama de Nice [vue de l'entrée du Port depuis la route de Villefranche, avec un personnage posant au tout premier plan - épreuve sur verre pour lanterne magique, Collection personnelle et Collection privée avec l'étiquette "Lévy & Ses Fils"].
Les vues stéréoscopiques sur verre les plus anciennes, éditées par Ferrier & Soulier bénéficient d'un passepartout noir aux filets dorés et trois couches de verre mais les vues postérieures ou rééditées, d'un passepartout blanc encadré de noir et de seulement deux couches de verre.
Les vues niçoises existent tout à la fois sous forme double (vues stéréoscopiques) et sous forme simple (vues pour lanterne magique) et affichent parfois la même numérotation, du fait qu'elles sont issues d'un même négatif.
La vue de Nice étudiée appartient aux images diffusées par la Maison J. Lévy dès ses premières années d'activité (vues stéréoscopiques sur verre de 8,5x17 cm) mais date probablement d'une réédition postérieure (vue unique pour lanterne magique sur verre de 8,5x10 cm ; demi-plaque stéréoscopique).
T.H. McALLISTER
Seule l'une des vues de Nice (365 bis) pour lanterne magique (de 8,3x10,2 cm) conservées au George Eastman Museum de Rochester (État de New York, U.S.A, ici) affiche sur des étiquettes les noms de, "J. Lévy & Cie Successeurs de Ferrier Père Fils & Soulier - Paris" mais également celui de, "T.H. McAllister, Manufacturing Optician, 49 Nassau Street, New York",
Thomas Hamilton McAllister (Philadelphia 1824- New York 1898), est l'un des membres d'une prestigieuse famille de fabricants et vendeurs d'instruments de précision et d'optique, établie à Philadelphia (depuis la fin du XVIII° siècle) puis à New York.
T.H. McAllister s'installe dans sa propre boutique new-yorkaise en 1865, au 627, Broadway puis, dès 1866, à l'adresse citée du 49, Nassau Street.
Dès ses débuts, il distribue des "Stereoscopes and Stereoscopic Views, Magic Lanterns, and Stereopticons, Dissolving Views for Public Exhibitions [série de deux à cinq vues créant une animation par le biais du fondu enchaîné]" (Image 3).
Il édite d'ailleurs, au plus tard en 1867, des Catalogues de ses "Magic Lanterns with several thousand Colored Photographic Views on Glass, Illustrating Art, Science, Religion, History, etc." (Appleton's Journal, November 13, 1869 p 416, GoogleBooks ; The New York Teacher and The American Educational Monthly, 1871 p 116, GoogleBooks).
Si la vue 365 bis du G. Eastman Museum s'affirme contemporaine ou postérieure à 1874 ("J. Lévy & Cie"), il est difficile de dire à partir de quelle date précise T.H. McAllister a commencé à distribuer les vues de J. Lévy.
Son Catalogue and Price List of Stereopticons..., de 1867 ne cite pas J. Lévy et aucune vue de Nice n'y est d'ailleurs présente (Media History, Wisconsin Center, ici). Ses catalogues des années suivantes n'ont pu être consultés (Catalogues de 1877 et de 1881 conservés).
Son Catalogue de février 1887 (Internet Archive, ici) cite cependant, parmi ses fournisseurs, "Levy & Co., of Paris" (Image 4).
Image 4- Page extraite du Catalogue de 1887 de T.H. McAllister (Internet Archive, ici).
Ce même catalogue propose dans la rubrique, "Places of Interest - Foreign", 2 vues de Nice intégrées dans une série de Villes françaises ("France." p 92) et 7 autres vues dans une série de Villes de la Méditerranée ("The Mediterranean." p 110) mais ne précise pas l'éditeur de chacune des séries.
Si les 7 vues de Nice de la série "The Mediterranean" (ici) sont assurément des vues de l'anglais Francis Frith (1822-1898) prises vers 1874-1875, le doute subsiste pour l'attribution des 2 autres vues de la série "France", aux titres génériques : Nice, General View of the City, et, Nice, The Harbor. Sont-elles de J. Lévy & Co, de J. Lachenal & Co ou d'un autre éditeur français ou britannique ?
Il est probable que ce sont les deux vues réalisées par Claude Marie Ferrier en 1859 et citées, avec les mêmes titres, dans le catalogue anglais de Negretti And Zambra de la même année, les deux vues de la série "Italy" du fonds J. Lévy étant passées dans la série "France", suite à l'Annexion française du comté de Nice en 1860.
LACHENAL
La Maison parisienne, "J. Lachenal, L. Favre et Cie", est dite "fondée en 1869" dans son Catalogue général des photographies sur verre pour le stéréoscope et la projection de 1874 (Paris, BnF, Gallica) qui précise également les médailles et mentions remportées entre 1870 et 1874.
Fondée notamment par les photographes Jean Lachenal (?-?) et Claude Louis Favre (1826 ?-1881) au 72, boulevard de Sébastopol, cette Maison entre dès cette époque en concurrence avec la Maison M. Léon, J. Lévy et Cie, par ses vues internationales sur verre.
Après la mort de Claude Louis Favre en 1881, Jean Lachenal conservera la Maison sous le nom, "Lachenal & Cie", jusqu'à la fin des années 1880 (décès en 1889 ?) et cèdera, semble-t-il, tout ou partie du fonds à Adolphe Block (1829-1918).
Le Catalogue général des vues stéréoscopiques sur verre de 1871 (pp 67-69) de J. Lachenal, L. Favre et Cie et celui de 1874 (pp 59-62) comportent des vues du Midi de la France (Arles, Nîmes, Montpellier, Marseille, Toulon) dont 7 vues de Nice (Paris, BnF, Gallica) :
1970. Nice, pris du château. [vue inconnue],
1971. Le Vieux Port, Nice. [épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée],
1972. Le Môle et Château de l'Anglais. [vue inconnue],
1973. Port de Nice, vue instantanée. [vue inconnue],
1974. Statue de Masséna. [vue inconnue],
1975. Vue instantanée du Pont-Neuf. [épreuve sur verre pour lanterne magique conservée au G. Eastman Museum de Rochester],
1976. Vue instantanée du Pont-Neuf. [épreuves stéréoscopiques sur verre, Collection privée).
Ces vues semblent dater vers 1870, ce que confirment :
- le signalement de la Statue de Masséna, installée fin juin 1869 (vue 1974.),
- la présence du kiosque sur le quai Saint-Jean-Baptiste, installé en janvier 1870, et l'absence des arbres de l'avenue du Prince-Impérial, plantés en mars-avril 1871 (vue 1975.).
Ne faut-il pas d'ailleurs reconnaître une partie de ces vues du Midi de la France dont 2 vues de Nice (vues instantanées du Pont-Neuf, 1975 et 1976) dans celles attribuées au photographe parisien "F. Blanc" dans la Bibliographie de la France du 10 septembre 1870 (vol. 9, 1870 p 432) ?
L'atelier de ce photographe est situé au 72, boulevard de Sébastopol (Catalogues des Expositions de la S.F.P. de 1869 et 1870), comme l'est ou le sera celui de Lachenal & Favre (qui y est attesté dès 1871), ce qui peut laisser penser que F. Blanc fait partie de la même Maison ou la précède mais que, dans les deux cas, ses vues seront diffusées par J. Lachenal, L. Favre et Cie.
Cette Société dite fondée en 1869 a dû subir des évolutions car le Journal Officiel du 29 août 1871 (p 3061) signale la formation de la Société "Rachenat, Fatre et Cie (sic), photographie, boulevard Sébastopol, 72 (acte sous seing privé, 24 août)".
BENERMAN & WILSON
La recherche a mis en évidence l'existence d'une agence américaine ("American Trade Agents") directement liée à J. Lévy & Cie, fabriquant et distribuant leurs vues sur le territoire américain (voire au-delà) : "Bernerman & Wilson Photographic Publishers".
Cette société est fondée en 1874 par les photographes et éditeurs, F. Benerman (?-?) et Edward Livingston Wilson (1838-1903), à Philadelphia, Southwest Corner Seventh and Cherry Streets.
Ils éditent notamment, dès septembre 1874, le premier numéro d'un bulletin dénommé The Magic Lantern (GoogleBooks, ici) dont voici un extrait :
"The French lantern slides I referred to as made by Messrs. L. Levy & Co., embrace in their catalogue views from nearly all parts of the world, and are imported into this country by Messrs. Benerman & Wilson, of Philadelphia, who are the sole trade agents" (R.J. Chute, "The Magic Lantern", in, The Magic Lantern, n°1, September 1874 pp 2-3 - voir aussi, "The Magic lantern - Where They Are Produced, and Where They Made Be Bought" p 4).
Dans le n° 2 du même bulletin, un article rappelle que, jusqu'à il y a peu, les vues pour lanterne magique étaient peintes à la main et que ce sont Messrs. Langenheim Brothers de Philadelphie qui ont obtenu la première épreuve positive sur verre en 1848 [brevet de 1850]. La technique a ensuite été reprise par les français Dubosc-Soleil et Ferrier au tout début des années 1850 [brevet de 1852].
Philadelphie a été et reste un centre important de production de vues pour lanterne magique, avec Messrs. Langenheim Brothers, Messrs. Briggs & Son et Mr. Carbutt. Depuis plus de vingt ans, Messrs. Langenheim Brothers ont notamment distribué les vues pour lanterne magique aux opticiens de Philadelphie, Messrs. McAllister & Co, et Queen & Co., mais également sur tout le territoire américain.
Récemment, Messrs. Benerman & Wilson, éditeurs de la revue Philadelphia Photographer, ont passé un accord avec la Maison Levy & Co., successeurs de Ferrier & Soulier de Paris, afin de distribuer leurs vues pour lanterne magique et leurs appareils à travers tous les Etats-Unis (A. Root, "The Magic Lantern - Its History and Uses for Educational and Other Purposes", in, The Magic Lantern. n° 2, October 1874 pp 11-13, ici).
Au début de l'année 1875, Bernerman & Wilson publient un catalogue des vues de J. Lévy & Cie traduit en anglais : Classified Catalogue of Magic Lantern Slides and Transparencies for the Stereoscope Manufactured by Messrs. J. Lévy & Co, Paris (non consulté).
Il est donc probable que c'est auprès de Benerman & Wilson que se fournit T.H. McAllister, au plus tôt vers 1874 et au plus tard vers 1887, ce qui n'exclue pas le fait qu'il ait pu se fournir en France antérieurement. En effet dès la fin des années 1850, les établissements parisiens (Ferrier, Gaudin) "exportent quotidiennement des milliers d'épreuves stéréoscopiques pour l'Angleterre et l'Amérique" (Ernest Lacan, "Revue Photographique", in, Le Moniteur Universel du 3 décembre 1857 p 3 ; Retronews).
T.H McAllister, natif de Philadelphie, a d'ailleurs un revendeur exclusif du nom de George H. Pierce dans cette même ville, au 136, South 11th Street (Catalogue de décembre 1888, HathiTrust, ici).
ÉPILOGUE
La vue niçoise étudiée permet une entrée dans l'univers des épreuves sur verre pour lanterne magique.
Les textes du XIX° siècle ne vantent le plus souvent que "les vues stéréoscopiques" de MM. Ferrier & Soulier (peintre verrier), M. Léon & J. Lévy puis J. Lévy & Cie (ou encore de J. Lachenal, L. Favre & Cie). Il faut rappeler qu'en dehors d'être visionnées sur des stéréoscopes, ces vues doubles peuvent d'ailleurs être projetées sur écran. Ces éditeurs ont cependant produit et diffusé des épreuves simples pour lanterne magique.
La production de vues pour lanterne magique semble avoir été peu importante ou peu mise en évidence chez Ferrier Père & Fils & Soulier et ne s'être développée, du fait des besoins éducatifs, qu'après 1864, sous M. Léon & J. Lévy (voir notamment les articles de : Samuel Highley, "Application de la Photographie à la Lanterne magique pour l'Education professionnelle" (1863), in, H. de la Blanchère, Répertoire encyclopédique de la Photographie, T IV, 1864 pp 61-62 ; "Photography And The Magic Lantern Applied To Teachery History", in, English Mechanic And Mirror Of Science, February 5, 1869, p 435 ; "The Magic Lantern Educationally Considered", in, British And Foreign Mechanic And Scientific Instructor, May 7, 1870, p 145 - V. Blanchard, "Hints On Producing Glass Transparencies In The Camera", in, The Year-Book of Photography, 1864 pp 46-47).
A l'Exposition Universelle de 1867 à Paris, M. Léon & J. Lévy exposent des "Epreuves photographiques sur verre [dont des vues pour lanterne magique ?] ; épreuves stéréoscopiques [sur verre et sur papier]". Le nom de "lanterne magique" n'est pas cité par eux et n'apparaît d'ailleurs que chez un seul exposant (londonien) dans tout le catalogue. Il semble que ces termes soient trop corrélés à l'ancien usage des projections d'images peintes ludiques et fantasmagoriques. Les images photographiques cherchent davantage à affirmer une vision éducative et réaliste et préfèrent les dénominations "d'épreuves positives" ou "d'épreuves transparentes pour projection". Les expositions des années suivantes en témoignent :
Le Catalogue de la Neuvième Exposition de la Société Française de Photographie (Paris, 1870) affiche p 20 : "Léon et Levy, à Paris, boulevard Sébastopol, 113 - Membres de la Société Française de Photographie. - Collections d'épreuves stéréoscopiques sur verre - Une série d'épreuves transparentes servant aux projections photographiques".
Un article du Moniteur de la Photographie précise pour cette même exposition : "Ce sont leurs positives sur verre, auxquelles on a joint quelques belles épreuves du même genre dues à M. Blanc, qui font les frais des séances de projection photographique organisées dans un local attenant à l'exposition, et qui sont suivies avec beaucoup d'intérêt par le public" (Ernest Lacan, "Exposition Photographique", in, Le Moniteur de la Photographie du 15 août 1870 p 1 - voir aussi, L'Abbé François Moigno, L'Art de la projection, 1872 pp 155-156).
J. Lévy publie cependant en 1870 un catalogue de son fonds au titre explicite : "Catalogue général des épreuves stéréoscopiques sur verre et lanternes magiques de Ferrier père, fils et Soulier ... MM. Léon et J. Lévy ..." (non consulté).
Le Catalogue de la Onzième Exposition de la Société Française de Photographie (Paris, 1876) affiche p 43 : "Levy (J.) & Cie, boulevard Sébastopol, 113, à Paris, - Membre de la Société Française de Photographie. - Quatre colonnes renfermant des vues stéréoscopiques. Un cadre de vues transparentes pour projections et autres - Projections faites dans le local de l'exposition avec les épreuves photographiques de M. Levy. Appareil de projection à la lumière oxyhydrique, construit par M. Baux".
Le Rapport concernant l'Exposition Universelle de 1878 à Paris détaille à son tour les différents types de vues : "Les vues stéréoscopiques, surtout les vues positives imprimées sur verre ont un charme tout particulier (...). Deux maisons seulement en France (nous ignorons s'il en est d'autres à l'étranger) produisent couramment des épreuves de choix ; ce sont celles de M. Lévy (...) et celle de MM. Lachenal et Favre (...). Nous ne dirons rien des épreuves sur papier ; elles manquent presque toujours de la finesse désirable (...).
Aux épreuves stéréoscopiques il faut joindre la production des épreuves pour projection, si employées aujourd'hui pour les cours, les conférences scientifiques (...). Aux collections si curieuses de M. Lévy et de MM. Lachenal et Favre, qui comprennent presque tous les sites connus de la terre et un grand nombre de sujets scientifiques, nous joindrons celles que M. Molteni a réunies pour l'instruction et le service des conférences" (Alphonse Davanne, Exposition Universelle Internationale de 1878 à Paris - Rapport sur les épreuves et les appareils de photographie, Paris, 1880 p 48 ; Collection S.F.P. ; voir également le Rapport d'Alfred Firmin-Didot, Le Papier - IIIème groupe de l'Exposition Technologique de 1882, Paris, 1883 pp 25-26 ; GoogleBooks).
Contrairement aux vues stéréoscopiques, aucune vue de Nice pour lanterne magique de Ferrier ou Lévy ne semble attestée avant 1874, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Il faut rappeler cependant que les vues antérieures à cette date portent rarement la mention de leur éditeur et que de nombreuses vues conservées dans les Collections privées restent méconnues.
En 1995-1996, la Société de Géographie a déposé à la BnF sa collection photographique, notamment constituée, dès 1875, de milliers de vues sur verre : trois vues seulement sont de J. Lévy et Cie (trois vues d'Arménie, 1887), aucune de Lachenal et Favre, un très grand nombre de vues de Molteni mais sans aucune de Nice.
Les vues de Nice stéréoscopiques sur verre distribuées par Ferrier ou Lévy restent de nos jours assez rares, et celles pour lanterne magique, plus rares encore. Sur les sites de vente en ligne, il existe actuellement de nombreuses vues pour lanterne magique de J. Lévy mais aucune de Nice.
Les vues mises en vente datent pour la plupart du tournant du XX° siècle et mentionnent : "Vues Sur Verre - Pour Le - Stéréoscope Et La Projection - Lévy & Ses Fils - Photographes-Editeurs - 44, Rue Letellier, Paris (XV°)". De plus rares vues datent de la période 1874-1894 avec : "J. Lévy & Cie Succrs de Ferrier Père Fils & Soulier - - Paris".
Une adresse intermédiaire entre le 113, boulevard de Sébastopol (1864-1890) et les deux adresses du 25, rue Louis-Le-Grand (Bureaux) et du 44, rue Letellier (Ateliers) est connue vers 1890-1896 au 28, avenue de l'Opéra (Image 5).