mardi 1 août 2023

1304-NICE, HISTOIRE ET REPRÉSENTATIONS DU JARDIN PUBLIC-1


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DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 27/10/2023


NICE - LE JARDIN DES PLANTES OU JARDIN PUBLIC



INTRODUCTION


Retracer l'évolution du Jardin Public au XIX° siècle, sa situation (entre Paillon et mer), sa destination (la colonie étrangère) et son extension (progressive), c'est retracer l'histoire de la ville de Nice.

Le parti-pris de cet article est de se concentrer, dans un premier temps, sur le projet puis la création de la place du Jardin des Plantes à la période sarde, entre architecture monumentale et jardin luxuriant, entre Consulat de France et Palmier de l'Annexion.



LE PROJET DE JARDIN DES PLANTES (1820-1850)


Les années 1820

Le projet de créer un "Jardin des Plantes" à Nice, près du Paillon, date des années 1820, à l’époque de l'engouement pour la botanique, du développement des jardins privés et de la réalisation de la promenade de la Colline du Château.

Ce projet est également lié aux travaux d’urbanisation qui cherchent à étendre les limites de la Vieille-Ville plus au sud (rive gauche) et à réunir cette dernière avec une Ville-Neuve englobant le faubourg Saint-Jean-Baptiste et le faubourg de la Croix-de-Marbre (quartier anglais), longé par le tout récent chemin des Anglais (1822-1824) (rive droite).

L'acte majeur est la construction du Pont-Neuf ou Pont St-Charles (1820-1824) puis la mise en œuvre d'un projet à long terme visant à établir une nouvelle place de chaque côté du Pont-Neuf et un nouveau pont face à la rue Saint-François-de-Paule. 

Ce sont tout d'abord deux nouvelles places situées de chaque côté de l'embouchure (terrains de la Fous) qui sont envisagées, à l'aboutissement de deux belles voies le long du bord de mer.

Au bord de la rive droite, c'est le Pré de la Fous/Foux de Lorenzo Bessi (quartier de la Première Buffa ou Buffa Inférieure), un terrain vague au passé marécageux où l'on chassait la bécassine et la poule d'eau, qui est l'emplacement ciblé pour la création de la place comprenant le Jardin des Plantes.

Dès 1829, la municipalité envisage, "une place ronde ayant 65 mètres de rayon et 39 mètres au moins, avec une grande route de 10 mètres de largeur à l'entour et deux trottoirs de 3 m 50 chacun avec une double rangée d'arbres" (Dossiers de L'Inventaire Région Sud, Jardin public Albert Ier, ici).


1- Piano Regolatore della Città di Nizza Marittima, suite aux réunions des 4 et 5 juin 1829,
 daté du 30 décembre 1831, détail,
 Nice, Archives Municipales, 1Fi 01-01.

A ce stade, le projet de Jardin circulaire, situé sur la rive droite, au sud-est du Pré de la Fous (face à la rue Saint-François-de-Paule de la rive gauche), privilégie le croisement de deux larges voies bordées de parterres et de rangées d'arbres. 

Au nord du Jardin, la jonction de deux voies obliques est envisagée, l'une en direction de la route de France côté ouest, et l'autre, en direction du Pont-Neuf côté est, bordée d'un parterre triangulaire.



Les années 1830

Le promoteur André Gilly (originaire de Marseille) semble acquérir le Pré de la Fous fin 1832 et en donner peu après la partie sud-est à la Ville, sous réserve qu'elle y aménage le Jardin prévu et l'entoure de voies carrossables aptes à desservir les bâtiments envisagés (Edouard Corinaldi, "Souvenirs de Nice (1830-1850)", Annales de la Société des Lettres, Sciences & Arts des Alpes-Maritimes, 1901, pp 55-92, pp 26-27) (Image 2).

Le projet de Jardin est repris, dès 1832, par le Consiglio d'Ornato (Commission municipale de planification urbaine). 

 

2- BARBERI Paul Emile (1775-1847), Plan de la Ville de Nice, détail, 1834,
 d'après les originaux du cadastre de L. Escoffier, Ingénieur en Chef, 
Imprimerie lithographie de Villain, Nice, 1834,
extrait de l'Album ou Souvenir de Nice (Maritime) et de ses environs,
Nice, Bibliothèque Municipale de Cessole.

En 1834, les terrains de la Fous occupent un grand espace de la rive droite du Paillon et sont dépourvus de toute occupation. La portion orientale du chemin des Anglais a été tracée dans l'axe de la rue Saint-François-de-Paule et c'est à son extrémité que la place du Jardin des Plantes est envisagée.


A partir de 1834, trois grands îlots monumentaux aux façades alignées selon le Plan Régulateur, vont progressivement se constituer (avec cours et jardins intérieurs) entre la route de France et le lit du Paillon, délimitant la place du Jardin des Plantes, d'abord par le nord-ouest puis par l'ouest et enfin par le nord-est (vers 1838-1842, suite à l'endiguement du Paillon, entre le Pont-Neuf et la place du Jardin des Plantes). 

Un projet de 1835 dote le Jardin circulaire d'un bassin central vers lequel convergent quatre allées dessinant toujours une croix grecque mais le dote également de parterres externes (Image 3).


3- Pianta del giardino pubblico e dell'apertura della nuova contrada tra le case Masclet e Giacobi ; coll'indicazione dei terreni da occuparsi secondo la deliberazione presa dal Consiglio d'Ornato nella tornata del 12 Marzo 1835,
Archives Municipales de Nice, D34-136.

Même si le plan initial du Jardin est globalement conservé, la part de terrain attribuée aux voies s'est réduite dans ce nouveau projet, au profit des zones de plantations qui débordent désormais du plan circulaire et font la jonction au sud avec le chemin des Anglais.


Quoique régulièrement réaffirmé, le projet de Jardin va cependant rester en sommeil pendant près de vingt ans.

Un ouvrage de 1837 signale de très beaux palmiers au "Jardin Public de Nice" mais cette dénomination fait référence à la promenade du Château, le nom de "giardino pubblico" désignant également cette dernière (Nederlandsch tydschrift voor geneeskunde [Journal néerlandais de Médecine], 1837, vol. 11 p 305 ; G. Luigi de Bartolomeis, Notizie topografiche e statistiche sugli stati sardi, 1847 p 1100).

A la fin des années 1830, les deux longues lignes de bâtiments de cinq niveaux qui encadrent le nord et l'ouest de la place du Jardin des Plantes sont pratiquement achevées. 

La rue qui va de la route de France (route royale de Turin au Var) à la place du Jardin des Plantes, tout d'abord désignée sous le nom de "contrada nuova", vers 1834-1835, prend le nom de "rue du Jardin des Plantes", vers 1836-1837, et englobe la voie qui longe la ligne nord des bâtiments de la place. De la même façon, dès 1838, la dénomination de "quai du Pont-Neuf" (futur "quai Masséna"), englobe la rive du Paillon qui longe le Jardin des Plantes.

Suite à un projet de construction daté de septembre 1836, Ferdinand Frédéric Guarducci annonce, dans une publicité, le déménagement de son "Hôtel de la Pension Anglaise", "rue du Jardin des Plantes, plus près de la ville que le précédent", fin août 1837. Il vante notamment la beauté du site, l'exposition au midi, la vue sur mer et les environs, et illustre son propos d'un dessin des façades (ici) qui, au sein de la ligne nord, alignent 35 baies (Alain Bottaro, "La villégiature anglaise et l’invention de la Côte d’Azur", In Situ [Online], 24 | 2014, OpenEdition Journals, ici).


Les années 1840

Dans son ouvrage, A Medical Guide to Nice (écrit en 1840, préfacé à Nice le 23 janvier 1841 et édité en 1841), William Farr cite l'Hôtel de la Pension Anglaise, sur "la place encore inachevée" du Jardin des Plantes (p 9 ; traduction) et précise le projet de cette dernière lorsqu'il évoque les améliorations prévues de la ville (Appendix, pp 119-120 ; traduction). 

"Parmi celles déjà commencées, figure la Place du Jardin de Plantes. Il était initialement prévu de faire de cette place un jardin botanique, d'où son nom ; mais cette idée est aujourd'hui abandonnée, et l'on décide de la planter d'arbres dans les allées, de manière à en faire une promenade publique ; on suppose cependant que quelques années s'écouleront avant même que cela ne soit accompli, car le mur qui doit confiner le Paillon dans des limites convenables est encore inachevé".

Dans son ouvrage édité en 1843, Nice et ses environsLouis Roubaudi fait, pour sa part, une présentation du quartier (p 38) : "Le faubourg de la Croix de marbre s'étend sur la route de France à un quart de lieu environ du joli pont en pierre de taille qui le sépare de Nice (...). 

Ce quartier a, depuis quelques années, entièrement changé de face, grâce au grand nombre d'habitations qu'on y a construites avec une étonnante rapidité, à l'exhaussement du sol, et surtout à l'ouverture d'un quai ou d'une nouvelle route, qui après avoir longé une partie du Paillon, va se rattacher à celle de France".

La date précise de l'endiguement de la place du Jardin Public reste inconnue mais il semble qu'elle se situe dans la première moitié des années 1840.


VOIR L'IMAGE ICI

4- Lavis anonyme, Vue de la place du Jardin des Plantes à Nice, vers 1840-1845, 
vue ouest-est, prise en hauteur depuis l'un des bâtiments de la place du Jardin des Plantes,
photographie du lavis, conservée dans la Collection Jean Gilletta de la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, GLT 1658 et reproduite dans l'article d'Alain Bottaro, "La villégiature anglaise et l’invention de la Côte d’Azur", In Situ [Online], 24 | 2014, OpenEdition Journals (ici).

La vue montre le Pré de la Foux, léché par les eaux du Paillon, côté est (d'autant que le terrain est en pente nord-sud et que son parapet est en ruine), comme par celles de la mer, côté sud. 

La place, dépourvue de plantations mais encombrée de matériaux, est encadrée par les deux lignes de bâtiments ouest et nord, dominées par un grand fronton triangulaire central. La ligne ouest apparaît incomplète. La date proposée est déduite de cet état des lieux et notamment de l'absence de la Maison Donaudi dont la construction, souhaitée en 1845, sur un terrain acquis en 1838 au sud-ouest de la Maison Laurencin (première maison sur la gauche de l'Image 4), entraînera un procès entre 1846 et 1847 (Nice, AM, D345).


5- Cockx ou Cockk F. (?-?), dessinateur, Daniaud (Henri 1820-1877 ?), lithographe, 
Nice, Vue des Quais et du Pont-Neuf, vers 1845-1846,
vue sud-nord, prise depuis le nord-est de la place du Jardin des Plantes,
lithographie extraite de l'album, Nice et ses environs, publié par Visconti,
Paris, Imprimerie Lemercier, 1847 (Bibliographie de la France, n° 13 du 27 mars 1847 p 156), Collection privée.

La place du Jardin des Plantes reste un terrain vague, dépourvu de plantations, de mur d'endiguement et de parapet (contrairement au quai du Pont-Neuf).

Le quai du Pont-Neuf (futur quai Masséna) arbore sa ligne de bâtiments récemment érigés. L'enseigne de l'Hôtel de France (depuis 1841) est visible sur le troisième bâtiment en partant de la gauche. 

L'Obélisque des Juifs (dit aussi "Colonne" ou "Pyramide"), érigé en l'honneur du roi Charles-Albert en 1826-1827, est bien visible au sud de l'entrée du Pont-Neuf. 



Au milieu des années 1840, une rangée d’arbres est plantée le long des bâtiments qui occupent le côté nord de la place (seulement du côté est ?), en même temps que celle du quai du Pont-Neuf (futur quai Masséna) (Image 7).

Les versions successives de L'Indicateur Niçois pour les années 1845 à 1848, citent plusieurs maisons sans numérotation, désignant les adresses de façon ambiguë : "faubourg Croix-de-Marbre", "au Jardin des Plantes", "place dite du Jardin des Plantes", "place du Jardin des Plantes", "vis-à-vis" ou "en face le Jardin des Plantes", "rue du Jardin des Plantes ", "près" ou "vis-à-vis de l'Hôtel de la Pension Anglaise". 

Au nord-ouest, c'est la "rue du Jardin des Plantes" (appelée également, vers 1851, "rue des Charrons" car c'est notamment la rue des selliers, carrossiers, forgerons et charrons - comme Normand, Vitton, George, Giacobi - puis renommée "rue Croix-de-Marbre" vers 1853).

Au nord-est, c'est d'une part la "contrada di traversa" (renommée rue Paradis vers 1853) et, d'autre part, longeant le lit du Paillon, le "quai" ou "boulevart du Pont-Neuf", dit aussi, "baluardo o passegiata del sobborgo", "quai" ou "boulevart du Jardin des Plantes" (renommé "quai Masséna" vers 1853).

A l'ambiguïté des adresses se conjugue l'ambiguïté des noms de maisons qui portent celui de leur premier propriétaire (Maisons Asso, Gauthier, Vassal, Lagna, Mignon, Giacobi, Viglione, Visquis), souvent même au-delà de leur revente. Plusieurs maisons du quartier ont, de plus, été construites par le même propriétaire (comme Gilly ou Trabaud).


6- Plan extrait de l'Almanach de la Division de Nice et Indicateur Niçois pour 1847, détail,
Nice, Archives Départementales des Alpes-Maritimes.

La place du Jardin des Plantes apparaît comme un espace triangulaire nu (aux angles arrondis), entouré de trois voies. Deux lignes de bâtiments, construits entre 1834 et 1847, l'accostent au nord et à l'ouest. 

Deux nouvelles constructions s'ajouteront à la fin des années 1840, l'une complétant la ligne nord, à l'angle de la rue Paradis (deuxième Maison Trabaud, en 1847), et l'autre accostant la ligne ouest, sur le chemin des Anglais, au sud-ouest de la Maison Laurencin (maison Donaudi, vers 1847-1848).


L'année 1850

En 1850, le projet de Jardin (plantations et bassin) semble se préciser. L’architecte de la ville établit une liste des espèces envisagées : "70 marronniers, alternativement blancs et rouges, 60 ormes, 40 tilleuls, 30 acacias, 30 arbres de Judée, 24 mimosas, 16 mûriers de Constantinople, 14 caroubiers, 14 catalpas, 14 frênes et ormes, 12 pins parasols, 10 platanes, 5 cerisiers à fleurs doubles, 5 yeuses et des érables" (Dossiers de L'Inventaire Région Sud, Jardin public Albert Ier, ici).

En novembre 1850, la Commission Municipale répond aux critiques adressées au projet de promenade publique retenu. Ses adversaires "ont conçu dans leur imagination, un plan diamétralement opposé, c'est-à-dire, un jardin anglais, comme s'il s'agissait du tracé d'un jardin particulier. 

Faut-il leur rappeler cependant (...) qu'une promenade publique exige des allées larges et droites, des ronds-points et des compartiments régulièrement disposés pour que les promeneurs puissent se croiser sans encombre et se retrouver facilement ? Faut-il leur rappeler qu'une promenade, destinée à devenir le rendez-vous des familles étrangères qui habitent le faubourg de la Croix-de-Marbre, doit être tracée de manière à ce que les nombreux enfants (...) puissent circuler et courir à leur aise, et ne pas s'égarer dans les allées sinueuses d'une espèce de labyrinthe ? 

Faut-il leur rappeler que le magnifique groupe des Tritons de Saint-Jean-Baptiste [qui domine, depuis 1825, la fontaine de la place du Collège National] sera la pièce principale d'une très belle perspective sur l'alignement de toutes les allées convergeant au centre, tandis qu'il se trouverait perdu dans le dédale d'un jardin anglais ?"  (L’Avenir de Nice du 13 novembre 1850).

La Commission rappelle enfin que le choix des arbres, inspiré par leur beauté et leur variété, a été limité par la somme impartie de 2,000 fr et que la ceinture si critiquée de pins, de caroubiers ou de chênes verts, un temps envisagée le long du quai du Paillon, n'a pas été retenue.

Edwin Lee, dans son ouvrage, Nice et son Climat, rédigé en 1850 (préfacé en janvier 1851 puis édité vers mars 1851), évoque encore, "l'espace triangulaire disposé pour la construction d'un jardin des plantes" (p 26).


7- TRACHEL Hercule (1820-1872), dessinateur, MÜLLER Théodore (1819-1879), lithographe, 
Nice, Vue du Pont-Neuf, vers 1848-51,
vue sud-ouest/nord-est, prise depuis l'extrémité nord de la place du jardin des Plantes,
lithographie de 19,3x26,6 cm, Collection privée.

 L'alignement de bâtiments nord de la place du Jardin des Plantes présente la Maison Trabaud, érigée en 1847 à son extrémité orientale (Nice, AM O4/11-017). La place reste nue mais est désormais bordée, côté nord, par une rangée d'arbres et côté est, par un parapet. Des acacias ont été plantés le long du quai du Pont-Neuf (futur quai Masséna).