mercredi 11 septembre 2019

1056-CANNES, LE BOULEVARD DE LA CROISETTE-2 (1878-1885)







DERNIÈRE MISE À JOUR DE CET ARTICLE : 18/01/2022



LE BOULEVARD DE LA CROISETTE (1878-1885)






- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Cannes, Le Boulevard de la Croisette & la Ville,  vers 1878,
tirage albuminé de 15x9,3 cm sur carton de 18,1x12,8 cm, Collection personnelle.



La photographie (ci-dessus) est une nouvelle prise de vue de Jean Walburg Debray qui montre le boulevard de la Croisette et la ville pris depuis le premier étage de l'Hôtel de la Plage (vue est-ouest). Elle fait partie d'une série de photographies très répandues, diffusées tout d'abord dans la fin des années 1870 par Jean Walburg Debray puis dans les années 1880 par les photographes-éditeurs qui rachètent son fonds, Jean Giletta et Albert Courret (CDV, cabinets, grands formats, albums).


PARCELLES DE TERRAIN

Sur la droite de l'image, la parcelle la plus orientale montre un terrain inoccupé et son mur mitoyen, démoli en partie. 

La seconde parcelle, centrale, sert de lieu de travail agricole. Près du mur mitoyen sont déposées un grand nombre de pierres de taille. Dans d'autres photos prises le même jour (voir une photo sur Gallica), des personnages s'activent à former au sol de grands rouleaux de palmes tressées puis à les stocker le long du mur occidental près d'une cabane accostée de deux charrettes.

La troisième parcelle aux murs d'enceinte soignés et au jardin entretenu est celle du Salon de Thé Rumpelmayer.


LE KIOSQUE DU CERCLE NAUTIQUE

On aperçoit ensuite le terrain et le bâtiment du Cercle nautique mais le grand mât entouré de cordages (mât des signaux pour les Régates) est devenu l'axe central d'un élégant kiosque à musique de bois clair.


- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Cannes, Boulevard de la Croisette,
détail de l'image précédente montrant le kiosque, vers 1878,
tirage albuminé de 15x9,3 cm sur carton de 18,1x12,8 cm, Collection personnelle.



Le détail de l'image (ci-dessus) permet de constater que le kiosque repose sur un socle surélevé, précédé au nord d'un escalier d'accès. De forme hexagonale, le kiosque est constitué d'une base entourée d'une barrière à croisillons (à deux éléments) et de fins supports élancés qui montent recevoir la toiture, épaulés par de nouveaux croisillons (à trois éléments). La toiture est entourée de hampes qui servent à accrocher les pavillons étrangers lors des fêtes et cérémonies, et notamment lors du déroulement des Régates de Cannes.

La construction de ce kiosque est réalisée en juin et juillet 1874 : "A partir du mois d'octobre prochain, chaque semaine, été comme hiver, notre brillante musique se fera entendre sur la terrasse du cercle [Nautique] ; déjà même les ouvriers préparent le kiosque qui sera destiné aux musiciens et qui s'élèvera à l'extrémité est de la terrasse, en face de l'établissement Rumpelmayer" (Les Echos de Cannes du 5 juillet 1874 p 1) ; "Le kiosque pour la musique cannoise s'élève comme par enchantement sur la terrasse du Cercle Nautique. Ce kiosque est recouvert en bois de forme hexagone et aura un aspect des plus coquets" (Le Courrier de Cannes du 19 juillet 1874 p 2). Dès le mois d'août 1874, des concerts y sont donnés (Le Courrier de Cannes du 27 août 1874 p 1).

Au-delà du Cercle Nautique, on aperçoit, sur la photographie entière, l'entrée arborée du Grand Hôtel, l'échelonnement des constructions précédées de jardins du boulevard puis, à l'extrémité des Allées de la Liberté, le grand et nouveau bâtiment de la Mairie/Museum d'Histoire Naturelle. 

La construction de ce dernier a été votée en 1874 et achevée en 1876. En mai 1875, la charpente, initialement envisagée en bois du Nord est désormais prévue en fer (Le Courrier de Cannes du 2 mai 1875 p 2). C'est un nouvel indice de datation de cette photographie qui ne peut donc pas être antérieure à fin 1875.


- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Cannes, Boulevard de la Croisette,
détail de l'image montrant l'établissement de bains central, vers 1878,
tirage albuminé de 15x9,3 cm sur carton de 18,1x12,8 cm, Collection personnelle.



L’ETABLISSEMENT DE BAINS CENTRAL

En bord de mer, on retrouve le large trottoir de promenade ponctué de plantations, de palmiers, de bancs et de réverbères, ainsi que l'établissement de bains central (détail ci-dessus). 

La photographie montre que l'établissement a été fortement agrandi. Les deux bâtiments les plus orientaux, visibles dans les photos antérieures (petit bâtiment rectangulaire et bâtiment octogonal) sont désormais masqués au nord par un très long bâtiment parallèle au rivage.

Cette construction date de l'été 1874, comme le révèlent Les Echos de Cannes du 5 juillet 1874 (p 1). "Caraveu (...) est en voie d'achever une cabine (...) divisée en trois compartiments". L'article précise qu'il s'agit d'une grande terrasse et buvette à l'ouest, d'une cuisine au centre et d'une salle de bains de mer chauds à l'est, ces deux derniers compartiments ouvrant sur la terrasse sud. En août 1874, l'inauguration du "petit café, précédé d'une terrasse" est annoncée pour le début de la semaine qui vient (Les Echos de Cannes du 9 août 1874 p 1).

Le 1er novembre 1877, M. Pierre Robert, tuteur des héritiers Caraveu, loue l’établissement de bains à M. André Bellandou avec un bail de 5 ans puis demande la prolongation de la concession (AD06 - 02Q 0337). 


L’ETABLISSEMENT DE BAINS OCCIDENTAL

Plus loin en bord de plage, on aperçoit l'établissement de bains occidental. La nouveauté visible est l'ajout d'une jetée des baigneurs érigée avant juillet 1874 : "Il manquait à l'établissement de Lambert (...) une rampe analogue à celle de l'établissement Caraveu", elle a été réalisée cette année, haute, en pente douce et sécurisée par des pilotis en fer (Les Echos de Cannes du 5 juillet 1874 p 1).

La prise de vue peut être datée entre 1876 (toiture achevée de la Mairie/Museum) et 1878, une photographie identique ayant été annotée par son acheteur anglais des dates de son séjour : "Jan. to April 1879". 

M. Lambert ouvre à la fin des années 1870 un deuxième établissement de bains mais cette fois sur la plage de Saint-Raphaël. Il agrandira considérablement ce nouvel établissement en 1881 et le pourvoira d'un tremplin (Le Courrier de Cannes du 19 juin 1881 p 3). 

Les pierres entassées dans la parcelle centrale, visibles sur la photographie, sont probablement des matériaux destinés à la construction de la Villa Rose-Marie (voir ci-dessous). Ainsi, les pierres n'encombrent pas le chantier de la Villa (parcelle orientale non visible). Le mur mitoyen a probablement été cassé pour permettre un accès direct aux pierres de taille. Une date vers 1878 est donc envisageable.


LA VILLA ROSE-MARIE


- Photographe anonyme, Cannes, Le Boulevard de la Croisette & la Ville, vers 1880,
tirage albuminé de 21x29,7 cm, Collection privée.



Cette nouvelle prise de vue (ci-dessus) montre que la parcelle la plus orientale est désormais habitée et que la "Villa Rose-Marie" y a été bâtie. 

La villa porte le prénom de la fille du négociant puis banquier Charles Marius Aune qui est née à Cannes le 3 juillet 1851 et s'est mariée à 18 ans, le 24 août 1869, avec Eugène Oscar Serraillier, 30 ans, docteur en médecine. 

Les murs d'enceinte du terrain ont été repris : le mur ouest de la propriété a été réparé et un portail d'entrée, accosté de murs surhaussés d'une balustrade, a été installé côté sud. Le jardin n'est pas encore aménagé ce qui laisse penser à une installation récente. 

On aperçoit, sur la droite de l'image, l'entrée de la villa avec son perron concave à balustrade, précédé d'une double volée d'escalier. D'autres photographies révèlent l'aspect soigné de sa façade sud mais l'aspect totalement aveugle de sa façade occidentale. 

La Villa Rose-Marie apparaît pour la première fois sur trois Plans de la Ville de Cannes qui ne sont pas datés (1878 ? 1880 ? 1884 ?) puis dès l'Annuaire des Alpes-Maritimes de 1884, mis à jour fin 1883  (annuaires non conservés de 1879 à 1883). 

L'adresse antérieure d'Eugène Oscar Serrailler, Gare des Voyageurs, 1, est encore citée lors de la déclaration de naissance de sa fille Jeanne Marie le 1er janvier 1880 et dans la liste des Conseillers municipaux du registre des Délibérations d'octobre 1880. C'est ensuite l'adresse du Chalet des Pins, bd Croisette (Pointe Croisette) qui est citée dans le registre des Délibérations du 25 mai 1881.

C'est le recensement de la Ville de Cannes de 1881 (page numérisée 244), effectué en décembre 1881 (Le Courrier de Cannes du 11 décembre 1881 p 1), qui atteste pour la première fois la présence de la famille Serraillier à la "Villa Rose Marie", avec les époux, Eugène Oscar (Premier adjoint au maire de Cannes) et Rose, deux de leurs trois enfants (Paul Casimir, 11 ans n'est pas cité), Marie (8 ans) et Jeanne (2 ans), et quatre domestiques.

La famille a donc emménagé dans la villa entre mai et décembre 1881. Cela pourrait laisser penser que la Villa a été construite vers 1880-81 mais elle apparaît déjà sur des photographies de 1879, ce qui implique qu'elle a été construite vers 1878-1879 et rend étonnant l'emménagement tardif et l'adresse intermédiaire (villa mise en location puis choisie comme adresse principale ?).

D'autres éléments de l'image ci-dessus sont nouveaux. Du côté nord, la parcelle agricole voit la cabane accostée au nord d'une cabine de bains (et une barque est déposée dans le terrain), le portillon du Café Rumpelmayer est désormais surmonté d'une pancarte hémicirculaire, et du côté sud, les plantations du trottoir se sont fortement développées. Tous ces éléments se retrouvent sur de nombreuses photographies contemporaines.

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- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Cannes - Vue Générale., vers 1881,
tirage albuminé de 14,6x9,5 cm sur carton de 16,3x10,8 cm, Collection personnelle.



La photographie ci-dessus montre peu de changements par rapport à la photographie précédente. 

Cependant, on constate qu'au nord :

- des plantations (haie) ont été effectuées dans le jardin de la Villa Rose-Marie et un treillis a été installé sur son mur occidental, 

- la parcelle en friche a été vidée et la cabane détruite.

Du côté sud, l'établissement de bains s'est pourvu d'une pergola centrale qui fournit désormais de l'ombre à la terrasse de la buvette.

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- Photographe anonyme, Cannes, Le Boulevard de la Croisette & la Ville, vers 1882,
Collection privée.
Voir une photo semblable sur le site des Archives Alinari.



La photographie ci-dessus apporte de nouveaux enseignements, avec du côté nord :

- les plantation de la Villa Rose-Marie se sont fortement développées, avec notamment un palmier dans l’angle sud-ouest du jardin,

- le terrain agricole vidé et nettoyé est désormais pourvu d'un portail surmonté d'une pancarte, installé au centre du mur sud et accosté d'une palissade supérieure ; une petite construction d'angle est apparue au sud-ouest ;

Du côté sud, l'établissement de bains central s'est vu ajouter un nouveau bâtiment occidental, rectangulaire et parallèle au rivage.


LA TEMPÊTE DE 1882 

Dans la nuit du jeudi 26 au vendredi 27 octobre 1882, la ville de Cannes est ravagée par une violente tempête et des inondations qui font six victimes et de très importants dégâts matériels (estimés par la suite à hauteur de 506,440 fr). Les trois établissements de bains, notamment, sont fortement endommagés.

Je n'ai pas réussi à consulter les journaux cannois mais seulement les journaux niçois et parisiens de fin octobre-début novembre 1882, beaucoup moins détaillés dans leur relation des événements. Cependant Patricia Namvrine dans son étude intitulée, "L'essor de la Croisette (1870-1914)" (PDF en ligne), écrit à propos de cette tempête : "A la Croisette, les Bains Bottin et Caraven (sic) installés sur la plage ont beaucoup souffert et les cabines et le matériel de chez Caraven ont été dispersés. Les Bains Lambert ont été emportés ainsi que le pont de la Foux. La Croisette est dévastée".

Le tuteur des héritiers Caraveu, Pierre Robert, a loué l’établissement de bains (central), situé face au Cercle Nautique et à la Rotonde Rumpelmayer, à M. André Bellandou de 1877 à 1882 mais l’a vendu en juin 1882 à M. Fassini (AD06 - 02Q 0337 et 0338).

La tempête du 27 octobre 1882 vient malheureusement d’endommager l’établissement de M. Fassini et ce dernier souhaite désormais le revendre. C’est Joseph Bottin qui acquiert l’emplacement et la concession le 2 décembre 1882, son propre établissement (oriental) ayant été démoli lors de la même tempête.

Joseph Bottin demande ensuite au Préfet, par lettre du 12 janvier 1883, l’autorisation de réinstaller quelques temps, six cabines de bains sur son ancien emplacement (oriental), situé après l'Hôtel de la Plage face à la rue d'Oustinoff, afin de conserver sa clientèle jusqu’à l’ouverture de son nouvel établissement (central). Il obtient cette autorisation (mais sera contraint de libérer les lieux le 7 avril 1883 ; AD06 - 02Q 0337 et 0338), ainsi que celle d'exploiter 24 cabines dans son nouvel établissement.

L'établissement (occidental) de M. Lambert, situé près du pont de la Foux, a été également détruit lors de la tempête de 1882 (Conseil municipal du 20 mars 1883). 


LA TEMPÊTE DE 1885

Quelques années plus tard, la tempête du vendredi matin 16 janvier 1885 qui frappe la ville de Cannes est presque aussi terrible, avec cinq blessés et des dommages importants. "A Cannes, des vagues énormes balayaient la Croisette, brisant bancs et balustrades, ravinant la chaussée" (Le Petit Niçois du 18 janvier 1885 p 2).

Les journaux cannois du dimanche 18 janvier relatent notamment que "les époux Boutin qui avaient été déjà si cruellement éprouvés lors de la trombe du 27 octobre 1882" ont lutté pour sauver leur établissement, mettant à l'abri tout ce qu'ils avaient de plus précieux dans un terrain vague situé de l'autre côté de la chaussée [parcelle entourée de murs], ramenant sur la chaussée quelques cabines de bains et consolidant ce qu'ils ne pouvaient enlever. "L'après-midi (...) chacun était attristé des déplorables dommages causés à l'établissement de bains de la famille Boutin. Nous espérons qu'une souscription s'organisera pour les aider à réparer les désastres qu'ils ont subis" (Les Echos de Cannes du 18 janvier 1885 p 1).

"Cet industriel [M. Boutin] (...) a vu encore une fois les poutres de la jetée [jetée-promenade établie par M. Williams pour le compte de M. le marquis Saint-Paul] lancées par les vagues comme de véritables béliers, battre en brèche son coquet établissement auquel il avait apporté, il n'y a pas longtemps encore, d'heureuses modifications" (Le Courrier de Cannes du 18 janvier 1885 p 1).

Les modifications récentes évoquées (1883-1884) correspondent probablement à la construction du bâtiment occidental (visible sur la photographie précédente).

Au travers des articles relatant la tempête, il est difficile de connaître l'étendue exacte des dommages subis par l'établissement (central) des Bains Bottin mais une (rare) photographie (ci-dessous) prouve qu'ils ont été considérables et ont obligé à raser l'établissement.


- DEGAND Eugène (1829-1911), Cannes, le boulevard de la Croisette et la ville, début 1885,
tirage sur papier au citrate d'argent, Collection privée.



La photographie montre, du côté nord, un état des lieux semblable à la photo précédente, seules la palissade et la petite construction d'angle du terrain nu ont disparu (tempête). 

Par contre, elle montre, du côté sud, la disparition totale de l'établissement des Bains Bottin. Ce dernier fortement endommagé a dû être démoli. Deux seuls éléments de bois semblent encore en place et des poutres jonchent le trottoir. Des ouvriers sont d'ailleurs au travail sur le boulevard, prouvant que l'on est dans la ou les semaines qui ont suivi la tempête du 16 janvier 1885.

L'établissement occidental des "Bains Lambert", peu visible sur la photographie, semble pour sa part avoir été une nouvelle fois endommagé mais est toujours en place. M. Lambert a attendu, en vain, depuis fin 1882, l'attribution d'un nouvel emplacement pour ne pas reconstruire à proximité du ruisseau de la Foux, du fait des forts risques d'inondations. 

Voici ce que l'on peut lire dans un journal d’avril 1885 : "Il y a quelques jours, j'étais à Saint-Raphaël et je causais avec le père Lambert dont l'établissement [cannois] a été emporté par les flots ; ce brave homme me disait que depuis ces trois ans [1882-1885] il avait perdu plus de 30.000 francs, soit 10.000 francs par an. De plus, depuis longtemps, la Municipalité [de Cannes] promet de lui accorder une place sur la plage pour reconstruire ses cabines ; il y a un an [1884], la chose était à peu près décidée, le plan adopté et l'emplacement choisi ; mais il arriva un je ne sais quoi qui fît avorter le projet. Heureusement que le père Lambert ne se décourage pas, il prie la municipalité de jeter un regard compatissant vers lui et promet que, si on lui donne un emplacement sur la plage avant la fin du mois, on pourra prendre des bains chez lui au commencement de juin" (Le Courrier de Cannes du 19 avril 1885 p 3).