samedi 7 septembre 2019

1055-CANNES, LE BOULEVARD DE LA CROISETTE-1 (1860-1877)




- ANDRIEU Jean (1816-apr. 1872), Cannes, 1863,
tirage albuminé stéréoscopique formé de deux photographies de 7,8x7,7 cm
 montées sur carton de 17,5x8,8 cm, Collection privée.
La date est déduite de l'état des lieux et de la numérotation de cette série cannoise.



DERNIÈRE MODIFICATION DE CET ARTICLE : 10/09/2024




LE BOULEVARD DE LA CROISETTE (1860-1877)


Au milieu du XIX° siècle, le développement de la ville de Cannes est principalement dû aux hivernants anglais qui y font construire des villas ou louent des villas ou des chambres d’hôtel. Ces étrangers font notamment des promenades dans la ville et ses environs et prennent des bains de mer (traitement médical en octobre-novembre et avril-mai). 

La zone de la "Croizette" ou "Croisette" qui longe la plage, à l'est de la ville de Cannes, n'est, jusqu'à la fin des années 1850, qu'une lande sablonneuse aux dunes entrecoupées de ruisseaux, bordée d'un simple chemin.

A partir de novembre 1860 cependant (délibérations municipales du 4 novembre), les déblais du chemin de fer permettent l'aménagement d'une voie praticable. Le 28 juillet 1861, le Journal de Monaco rapporte "qu'un superbe chemin s'empare de la langue de sable de la Croisette et abrège considérablement le trajet maritime vers les Iles de Lérins". Dès 1862, naît l'idée de rivaliser avec la toute nouvelle Promenade des Anglais de la ville de Nice.

De nouvelles constructions voient le jour dès 1862-1863 et la voie est transformée en véritable boulevard pourvu de bancs et de réverbères au gaz au début de l'année 1864 puis progressivement élargi dès 1866 et pourvu de trottoirs.

Ce boulevard n’adopte officiellement le nom de "boulevard de l'Impératrice" que fin 1866 (délibérations municipales du 22 septembre) mais reprend, dès janvier 1871, le nom de "boulevard de la Croisette", suite à la chute du Second Empire. 

Quelques images conservées témoignent de la présence de cabines de bains en bois dès les années 1860 dont :

-  une photographie de Charles Nègre, vers 1863 (AD06 - 10FI 4868/02 et Metropolitan Museum of Art de New-York, 1998-475, vue 2), 

- une photographie vers 1867 (George Eastman Museum de Rochester - 1976.0151.0017),

-  une lithographie d'après un dessin de Félix Benoist de 1864 (période de Nice et Savoie, AD06 - 02NUM 03549/32) 

- et un dessin de Jules de Verneilh de 1868 (Archives Départementales de Dordogne - A01P03_Cannes).

Dès le début des années 1860, les arrêtés municipaux se multiplient pour rappeler la règlementation concernant la décence des bains, les zones autorisées de baignade et les zones d'installation de cabines de louage et de cabines publiques (AD06 - 02O 0279).

Le premier établissement connu de bains de mer et de sable de la Croisette est celui de l'Hôtel Gonnet, dès le printemps 1861.


- Annonce parue dans Le Messager de Nice du 9 mai 1861 p 4,
Archives Départementales des Alpes-Maritimes.


 
A compter du 28 avril 1865, un arrêté municipal instaure l'obligation d'une autorisation préalable à l'installation d'établissements de bains, ainsi que la présence obligatoire d'un sauveteur pour les secours et les leçons de natation (AD06 - 02O 0279).

"Il s'est établi sur le rivage de charmantes et très commodes cabanes (...) qui sont pourvues non seulement de tout ce qui est nécessaire pour le bain, mais encore de maîtres baigneurs pour l'agrément et la sécurité des familles (...) Ici nous n'avons pas d'entrepreneur ou d'association qui fasse de nos bains sa propre chose" (Revue de Cannes du 10 juin 1865). 

Aucune autorisation officielle, entraînant une redevance annuelle, ne semble cependant délivrée avant juillet 1866, que ce soit pour l'installation d'une cabine individuelle ou la création d'un établissement de bains constitué d'une dizaine de cabines.


- MESSY Émile (1835-1890), (Cannes) N°1Vue depuis le môle du phare, détail, vers 1866,
détail montrant l'établissement de bains de l'Hôtel Gonnet,
tirage albuminé de 9,1x6 cm, sur carton de 11,1x6,6 cm, Collection personnelle.



Cette étude va se concentrer sur la petite zone comprise entre le Grand Hôtel et la Maison du banquier Marius Aune, avec d'ouest en est : 

- L'Hôtel des Voyageurs dit le Grand Hôtel (70 m de façade, 150 chambres) précédé d'un grand jardin avec au sud-est un pavillon (pose de la première pierre le 10 juin 1863, inauguration, le 1er octobre 1864 - détruit en 1959).
Le pavillon deviendra la Villa du Grand-Hôtel, sera reconstruit en 1901 et rebaptisé après la Seconde Guerre Mondiale, La Malmaison [siège culturel actuel de la Mairie].

- Le Cercle Nautique construit (1863-octobre 1864) par la Société des Régates de Cannes [détruit vers 1949].

- La rue qui prendra le nom de rue ou d'avenue du Cercle Nautique (décision du 16 avril 1874).

- Le Café de la Rotonde ou Café Rotonde (février-décembre 1865), de plan hexagonal avec son sixième côté relié à un bâtiment arrière [détruit dans les années 1960].

- Une parcelle (ancienne saline) à fonction agricole [où sera par la suite construite la Villa Lehoult (1893), rebaptisée Villa Saint-Michel en 1899 (annuaire de 1900), détruite dans les années 1960].

- Une parcelle inoccupée (ancienne saline) [où sera construite (vers 1880), la Villa Marie-Rose ou Rose-Marie appartenant à la fille de Marius Aune, détruite dans les années 1960].

- La rue qui prendra le nom de rue de la Plage (décision du 16 avril 1874).

- La Maison Aune (1858) qui deviendra l'Hôtel de la Plage [détruit lors de la deuxième phase de construction de l'Hôtel Carlton en 1912].
Contrairement à l'opinion reçue, l'Hôtel de la Plage n'attend pas 1870 pour ouvrir car une publicité le cite dans la Revue de Cannes du 25 décembre 1865 : "Hôtel de la Plage - Tenu par Eugène Vaillant, boulevart de l'Impératrice, Cannes", et il est nommé ainsi dans la légende d'une lithographie contemporaine de Victor Petit (voir plus bas),

- La rue ou avenue d'Oustinoff.


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 - CONTINI Joseph (1827-1892), Album de Cannes (vue est-ouest), vers 1861 (?),
1er des 12 tirages albuminés, Paris, BnF (voir l'album sur Gallica).
L'une des photographies les plus anciennes montrant la Croisette d'ouest en est, avec notamment le Cercle Nautique et l'Hôtel de la Plage, semble celle qui est conservée aux Archives Municipales de Cannes (cote 25Fi1601) et qui peut être datée du milieu des années 1860 (il n'y a pas encore de trottoir du côté nord de la Croisette et le Cercle Nautique affiche son état initial avant son premier agrandissement en 1868) : voir ici.



La photographie ci-dessus (vers 1861), prise par Joseph Contini, montre sur la droite le toit de deux cabines de bains sur la plage. Elle a été prise à proximité de la Maison Aune, près des parcelles entourées de murs qui vont accueillir successivement le Café de la Rotonde en 1865 (à l’ouest), la Villa Marie-Rose vers 1880 (à l’est) et la Villa Lehoult vers 1893 (au centre). C'est face à ces parcelles que sera édifié, en 1869, l'un des établissements de bains qui nous intéressent. 

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- PETIT Victor (1817-1871), Panorama de la Ville de Cannes, détail, sans date (1864-1866),
lithographie de 64x107 cm, éditée (Bibliographie de la France, 1865 p 563) par Fortuné Robaudy, Libraire-Éditeur,
 Paris, BnF (voir sur Gallica).
Victor Petit a dessiné en 1864 quinze vues de Cannes et deux panoramas ouest et est de la ville vue de la mer. Il les a édités fin 1864-début 1865 dans un Album de Cannes et de ses Environs, diffusé dans la boutique cannoise de Fortuné Robaudy (publicité parue dès le premier numéro de la Revue de Cannes du 28 janvier 1865 p 4 ; édition signalée dans, Bibliographie de la France, 1865 p 563). Le contenu de cet Album reste inconnu.
Vers 1866, Victor Petit fusionne les deux panoramas ouest et est en un seul et diffuse ce dernier en grand format (exemplaire ci-dessus) ; à partir du 15 octobre 1866, la Revue de Cannes l’adopte à sa une, pour plusieurs mois. Ce panorama ne fait peut-être que reprendre les vues de 1864 mais il est probable qu’il ait été mis à jour en fonction des nouvelles réalisations architecturales de la ville. 
Enfin, au plus tard en 1868 Victor Petit édite, chez le libraire Fortuné Robaudy, un nouvel Album de Cannes et de ses Environs, avec les panoramas est et ouest mis à jour (cet Album est notamment cité par Victor Petit lui-même dans sa deuxième édition remaniée de son ouvrage, Cannes, Promenades des Étrangers dans la ville et ses environs, 1868 pp 19 et 296). Cet Album peut être consulté (Collection privée).



Victor Petit, présent à Cannes dès 1864 (Villa Piccola du Riou) est l'auteur du dessin puis de la lithographie ci-dessus. Dès 1865, il publie de nombreux articles dans la Revue de Cannes visant à décrire toutes les promenades offertes aux étrangers par la ville et ses environs. 

C’est dans le journal du 11 février 1865 (p 3) qu’il décrit la zone étudiée : "Nous n'avons pas l'intention d'indiquer d'une manière complète et nominative, les habitations très nombreuses qui viennent d'être bâties sur le boulevard de l'Impératrice et le long de la plage de la Croisette (...). Plus loin (...), s'élève la façade monumentale du Grand-Hôtel de Cannes, construction considérable récemment terminée. A quelques pas plus loin, on remarque l'élégant et spacieux édifice servant de lieu de réunion aux membres du Cercle Nautique de la Méditerranée, société fondée en 1864 [ou en 1859] et déjà nombreuse et choisie"

Cette lithographie montre :

- Le Grand Hôtel et sa Villa, précédés dès cette époque d'un établissement de bains à petit dôme central (école de natation). 
Ce "charmant projet de bain de mer", conçu en mars 1865, a été réalisé en mai pour la saison d'été 1865 (Revue de Cannes des 25 mars et 15 mai 1865).
La concession semble n’avoir été obtenue officiellement par son gérant M. Tollin que le 17 juillet 1866 pour
« douze cabines posées et non fixées au sol, au pied du talus de la promenade de la croisette et pouvant être reliées à cette promenade par une passerelle », sur une parcelle de lais et relais de la mer de 51 m2 (17x3 m) ; son exploitation sera cependant empêchée par l’aménagement du boulevard entre 1868 et 1871 (Archives Départementales des Alpes-Maritimes - 02Q 337). 
Le Grand Hôtel et son établissement de bains sont davantage visibles sur une autre lithographie de Victor Petit (AMC - 19Fi625).

- Le Cercle nautique dans son état initial (1864-1867), avec une façade tripartite à deux niveaux et rotonde centrale, accompagné de son grand mât des signaux entouré de cordages (Société des Régates), situé dans l'angle sud-est de son jardin.
L'état initial du bâtiment se remarque également sur une photographie de Charles Nègre (1820-1880) qui peut être datée fin 1864 ou début 1865, non seulement du fait de l'état flambant neuf du bâtiment mais aussi du fait de l'absence du Café de la Rotonde qui sera érigé dans le même alignement (Archives Départementales des Alpes-Maritimes - 10FI 0472).
Le bâtiment du Cercle Nautique (1863-1864), sera, suite à la décision de la Société des Régates du 29 décembre 1867, agrandi en 1868.

- Le Café de la Rotonde, de plan hexagonal, récemment construit (autorisation municipale du 3 février 1865).

- Une zone de végétation.

- L'Hôtel de la Plage (cité dès 1865), identifié comme tel et constitué de trois niveaux.

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- ALEO Miguel (1824-vers 1886) & DAVANNE Alphonse (1824-1912), Cannes, Boulevard de l'Impératrice (vue est-ouest), deuxième semestre 1868,
tirage albuminé de 10,2x6 cm sur carton de 10,9x6,1 cm (carte de visite), 
portant au centre du recto (sous l'image), " Cannes - Boulevard de l'Impératrice" et
portant au verso, le monogramme "AD" d'Aleo et Davanne (au centre) et "Librairie Robaudy - Cannes" (en bas), Collection personnelle.
Cette même vue existe en image stéréoscopique (au cadrage resserré) et porte les mêmes inscriptions.



La photographie ci-dessus, de Miguel Aleo et Alphonse Davanne, montre au premier plan les parcelles entourées de murs. Elle a été prise depuis l'étage de la Maison Aune et montre le boulevard de l'Impératrice en cours d'aménagement.

Cette prise de vue implique au plus tôt la date de 1865 du fait de la présence du Café de la Rotonde. Ce café se devine au second plan de l'image (sur la droite), avec sa tenture et son inscription "Café de...", devant le terrain et le bâtiment du Cercle Nautique. Une autre photographie conserve le moment de la construction du portail d'angle du Café de la Rotonde (AD06 - 47FI 1804). 

Le bâtiment du Cercle Nautique (inauguré en 1864) n'est qu'en partie visible, avec ses deux étages de rotonde et son grand perron à balustrade (éclairé de quatre lampadaires au gaz), précédé d'un large escalier. Le jardin enclos de murs à balustrade montre le grand mât entouré de cordages.

De nombreuses cabines de bains s'échelonnent d'est en ouest sur la plage mais l'établissement de bains du Grand Hôtel, présent dans la lithographie de Victor Petit (étudiée plus haut), n'existe plus.

Le tirage peut être daté, pour sa part, vers 1868, du fait du nom de la Librairie Robaudy à Cannes (éditeur) qui implique au plus tôt la date de 1865, des noms conjoints d'Aleo & Davanne qui impliquent au plus tôt la date de 1867 qui est celle de leur association, du titre de "Boulevard de l'Impératrice" qui implique au plus tard la date de 1870.

La prise de vue semble dater du deuxième semestre 1868, du fait de la présence des travaux entamés sur le boulevard de l'Impératrice en juillet 1868.

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- ALEO Miguel (1824-vers 1886) & DAVANNE Alphonse (1824-1912), Cannes - De la Villa Henriette (vue est-ouest),
détail, 1868,
album constitué de 15 tirages albuminés, vers 1865-1868, intitulé, "Nice et ses environs",
portant le nom de sa propriétaire et sa date d'achat, "Nellie L. Spencer - Nice - 11 th Jan.1869",
tirage albuminé de 14,2x9,2 cm, Collection personnelle (voir l'album sur ce blog).



La photographie ci-dessus, à nouveau de Miguel Aleo et Alphonse Davanne, appartient à un album daté entre 1865 et 1868. La photographie a été prise depuis la Villa Henriette située à l’est de la ville (colline du quartier de la Californie) et montre les mêmes lieux d'un point de vue moins courant, révélant ainsi la face orientale et l'arrière des bâtiments. On reconnaît de gauche à droite (d'est en ouest), l'Hôtel de la Plage (de trois niveaux, avec sa seule façade aveugle située à l'est), le Café de la Rotonde et le Cercle Nautique.

Les ailes du bâtiment du Cercle Nautique sont très visiblement en construction mais les travaux de gros œuvre sont en cours d'achèvement, l'aile ouest semblant achevée et l'aile est comportant encore des échafaudages. Cette photographie peut être datée de 1868, année de réalisation des travaux décidés par la Société des Régates le 29 décembre 1867. 

Une nouvelle photographie d'Aleo & Davanne montre le nouvel état du Cercle Nautique, avec ses façades vues du sud (AMC - 40Fi77) mais également le détail d’une photographie (vers 1873) de Jean Walburg Debray (ci-dessous).


- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Vue panoramique de Cannes (vue est-ouest), détail du Cercle nautique, vers 1873,
album "Souvenir de Voyage - Février 1876", constitué de 31 tirages albuminés panoramiques (21,8x8,5 cm)
 de Cannes, Nice, Monaco, Menton..., Paris, BnF (voir l'album sur Gallica).




LES TROIS ETABLISSEMENTS DE BAINS


- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Vue panoramique de Cannes (vue ouest-est), vers 1874,
album "Souvenir de Voyage - Février 1876", constitué de 31 tirages albuminés panoramiques (21,8x8,5 cm)
de Cannes, Nice, Monaco, Menton..., des années 1867-1875, Paris, BnF (voir l'album sur Gallica).



La photographie ci-dessus, prise par Jean Walburg Debray, appartient à un album intitulé, "Souvenir de Voyage - Février 1876", qui regroupe des photos de Cannes, Nice, Monaco et Menton dont les prises de vue semblent s'échelonner entre 1867 et 1875. Celle-ci peut être datée du second semestre 1873 ou du premier semestre 1874, du fait qu'elle montre (sur la gauche), l'extrémité de la nouvelle façade de l'église Notre-Dame-de-Bon-Voyage terminée en décembre 1873 mais pas encore (sur la droite) le kiosque à musique du Cercle nautique érigé l'été 1874 (détail ci-dessous).



- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Vue de Cannes (vue ouest-est), 
détail de l'image précédente, vers 1873-1874,
avec l'établissement de bains occidental (sur la gauche) et l'établissement de bains central (sur la droite),
album "Souvenir de Voyage - Février 1876", constitué de 31 tirages albuminés panoramiques de Cannes, Nice, Monaco, Menton...,
Paris, BnF (voir l'album sur Gallica).



Le détail de l'image (ci-dessus) permet d’observer les constructions du rivage. Entre les deux établissements de bains occidental et central, après l'entrée du parc arboré du Grand Hôtel et son pavillon sud (Villa du Grand Hôtel), se découvre le bâtiment du Cercle Nautique. Ce dernier est constitué d'une façade tripartite à deux niveaux et rotonde centrale, accostée désormais des deux ailes d'un seul niveau surmonté d’une terrasse, ajoutées lors des travaux d'agrandissement réalisés en 1868.

A droite du Cercle Nautique, le Café hexagonal de la Rotonde est précédé d’un jardin. Construit entre février et décembre 1865, il est la propriété de M. Giafada puis d'Alexandre Debionne dès 1866, d'Alexis Pugin au début des années 1870 et enfin, vers 1873, de M. Rumpelmayer, glacier, confiseur et pâtissier viennois qui en fait un salon de thé. 

M. A. Rumpelmayer, confiseur à Nice depuis fin 1863 (Les Echos de Nice du 26 décembre 1863 p 2), Promenade des Anglais (16, place Saint-Etienne), a ouvert une première succursale à Cannes fin 1871 et l'a confiée à ses enfants, à sa fille, Maria Alberta Rumpelmayer (vers 1837-1913), épouse de Guillaume Frédéric Cristian Schulze, confiseur (né vers 1844), et à son fils Frédéric (né vers 1850). La famille a annoncé fin novembre 1871 son installation boulevard de la Croisette (La Revue de Cannes du 24 novembre 1871 p 4, Le Courrier de Cannes du 26 novembre 1871 p 3), avant de faire paraître une publicité de décembre 1871 à juillet 1872 dans Le Courrier de Cannes puis de décembre 1872 à décembre 1873 dans Les Echos de Cannes. L'emplacement concerné est en fait situé plus à l'ouest, près de l'Hôtel Gray et de la rue d'Antibes. 

C'est vers 1873 que l'installation au Café de la Rotonde semble avoir eu lieu. Cette hypothèse est confirmée par certaines photographies (notamment AMC - 3Fi933) puis un article paru dans Les Echos de Cannes du 5 juillet 1874 (p 1) qui parle de la terrasse du Cercle Nautique, "en face de l'établissement Rumpelmayer". Il faut attendre la parution d'une nouvelle publicité dans Le Courrier de Cannes, de novembre 1876 à mai 1877, pour avoir la précision de la première adresse, "44, rue d'Antibes"  et la mention de la deuxième, "Avenue du Cercle Nautique". 


Cette vue montre l'ensemble de la baie de Cannes mais ne montre plus désormais l'établissement de bains du Grand Hôtel qui était situé face à l'entrée de son parc (visible sur la lithographie de Victor Petit) mais trois nouveaux établissements de bains, bâtis en bois sur pilotis :

  - L'établissement de bains le plus occidental est situé en amont du Grand Hôtel, face à la rue Macé. Il est constitué de bâtiments carrés, couronnés d’une toiture à quatre pans, reliés par une galerie centrale rectangulaire, parallèle au rivage.

- L'établissement de bains central est face au Café de la Rotonde qui accoste le Cercle Nautique et son grand mât visible. Il est constitué de trois bâtiments principaux de plan octogonal, accostés à l’est d’un quatrième bâtiment de plan rectangulaire.

- L'établissement de bains le plus oriental est situé après "l'Hôtel de la Plage" et n'est face à aucune construction mais à la propriété Montpelas. Il apparaît le plus petit des trois.


Un article, paru dans Le Courrier de Cannes du 10 août 1873, présente les trois établissements de bains de la plage de la Croisette, leur fonctionnement estival et nomme le propriétaire de chacun d'entre eux :

"Par ce temps caniculaire les bains de mer jouent un grand rôle dans notre cité. Depuis trois semaines en effet les établissements de bains du boulevard de la croisette ne désemplissent pas (...).

L'établissement thermal, Les grands bains de Cannes, sous l'habile direction de M. Félix Caraveu propriétaire et maître-nageur de l'établissement est des plus fréquentés [établissement central]. Toute la colonie étrangère ainsi que la jeune fashion cannoise s'y donnent tous les soirs rendez-vous. La vogue de cet établissement est due à l'urbanité de son propriétaire et surtout aussi à sa bonne installation. De bonnes cabines aérées, et nombreuses, le perron sur lequel les baigneurs peuvent jouir du spectacle toujours agréable des nageurs exécutant leurs évolutions ; une passerelle au bout de laquelle les plongeurs s'élancent dans l'espace pour retomber dans les bras de neptune (sic) ; tout contribue à faire la réputation de ces bains.

Le nouvel établissement de grands bains de la méditerranée [établissement oriental], que vient de construire en face de la rue d'Oustinoff, M. Boutin fils (sic), est également très fréquenté . Le fond de sable fin, qui se trouve en face de ses cabines, lui attire pas mal de nageurs.

Nous ne saurions passer sous silence le plus ancien établissement balnéaire de notre plage [établissement oriental]. Nous voulons parler de celui dirigé par les frères Lambert, baigneurs de la maison royale de Savoie.

En somme, nous croyons que ces trois établissements n'ont pas à se plaindre de l'ardeur du soleil, qui oblige la moitié des habitants de Cannes à aller leur demander leurs bons offices chaque soir" (Le Courrier de Cannes du 10 août 1873 pp 2 et 3).


LES BAINS LAMBERT - ÉTABLISSEMENT OCCIDENTAL

Comme indiqué dans l'article ci-dessus, l'établissement de bains le plus ancien des trois est celui des Frères Félix et François Lambert. 

Les "Bains Lambert" ont été autorisés le 29 septembre 1866, sur une parcelle de 100 m2 de lais et relais de la mer, avec l’installation de cabines au quartier de la Foux, face à la rue Macé et constituent l'établissement de bains occidental (AD06 - 02Q 0337). 

"Lambert François, 45 ans (né vers 1825), établissement de Bains, boulevard de l'Impératrice" est présent sur les listes électorales cannoises dès 1870.

La famille Lambert est notamment citée en février 1872 pour avoir porté secours à un pécheur dont la chaloupe chavira "presque en face du Grand Hôtel. M. Lambert, baigneur, se hâta d'envoyer son neveu au secours de cette embarcation" (Le Courrier de Cannes du 29 février 1872 p 2) puis en mai 1872 pour avoir aidé, avec son neveu François, à l'arrestation d'un voleur qui s'était jeté à l'eau (Le Courrier de Cannes du 2 mai 1872 p 2).


LES BAINS CARAVEU - ÉTABLISSEMENT CENTRAL

Les "Bains Caraveu" constituent l'établissement central qui a été autorisé le 13 mars 1869, avec l’installation de 15 cabines de bains sur une parcelle de lais et relais de la mer de 100 m2 (AD06 – 02Q 0337). 

La construction de l’établissement ne s’achève qu’au début de l'année suivante comme le révèle un article de la Revue de Cannes du 5 février 1870 (p 2) : " Le joli pavillon balnéaire qui s'élève sur le bord de mer, entre la rotonde et le Cercle nautique sera bientôt achevé. Cet établissement assez vaste et d'une architecture coquette se compose de trois pavillons octogonaux reliés par des cabines élégantes ; c'est le troisième établissement de ce genre qui orne la plage de la Croisette".

L'établissement est tenu par Pierre Félix Caraveu (né à Nice le 29 octobre 1826 et baptisé le lendemain à la cathédrale Sainte-Réparate). 
Le premier article qui cite le nom de son propriétaire date de juillet 1871 : "Dès cette année, une affluence exceptionnelle de baigneurs s'est produite pendant la saison d'été, et déjà nous apprenons que M. Caraveu, le propriétaire de l'élégante station qui se trouve en face du Cercle nautique, se voit dans l'absolue nécessité d'augmenter le nombre de ses cabines" (Le Courrier de Cannes du 30 juillet 1871 p 3). Le nombre des cabines va en effet passer de 15 à 20.

L’établissement central est le plus documenté, tant par les textes que les photographies.


- DEGAND Eugène (1829-1911), East Bay. -- Cannes.. 1875. (vue est-ouest), vers 1872,
album de voyages constitué de nombreux tirages aux formats variés,
 tirage albuminé de 25,1x19,6 cm, Collection personnelle.
Le tirage a été annoté par l'acheteur d'un titre et de la date d'achat. Il existe trois autres prises de vues
 exécutées le même jour qui varient par l'angle de vue et la disposition des personnages.
Des photographies semblables sont conservées aux Archives Municipales de Cannes (ici)
 et aux Archives Départementales des Alpes-Maritimes (aller sur le site et taper la cote 10FI 0382).



La vue (ci-dessus) du boulevard de la Croisette est axée sur l'établissement de bains central où le photographe Eugène Degand et deux de ses assistants posent pour donner vie à l'ensemble. 

L'établissement, construit en bois et sur pilotis, offre une succession de quatre bâtiments soignés couronnés de frises sculptées. Le bâtiment le plus oriental est de plan rectangulaire et est accosté sur son côté nord d'une cabine ou d'un guichet d'entrée. Le trois autres bâtiments sont de plan octogonal, le plus grand étant positionné au centre. Deux rangées symétriques de cabines de bains (non visibles) et une galerie aux arcs brisés ouvrent sur la mer. Plus à l'ouest, un long ponton de bois s'avance dans l’eau (jetée des baigneurs). Plusieurs passerelles de bois relient, côté nord, l'établissement au rivage.

Sur la photographie, un treillis de bois épaule la haie qui borde la plage et entoure les plantations de petits palmiers au bord du large trottoir, entre les grands palmiers existants (davantage visibles sur les autres photos prises le même jour). 
Ces modifications ont été décidées par la municipalité le 27 décembre 1871 et réalisées en janvier 1872. "La plate-bande [garnie de treillages, aménagée en avril 1871] longeant la route est supprimée et remplacée par une plantation de palmiers ; celle du bord de mer est conservée et protégée par un grillage en bois" (Conseil municipal du 25 janvier 1872 ; Le Courrier de Cannes des 18 et 22 février 1872 p 2). 

La photographie peut être datée entre début 1872 (plantations) et fin 1875 (date de son achat) ; cependant, des indices liés à la transformation de l’établissement mais également aux architectures visibles du Suquet (à l’arrière-plan) impliquent la date de 1872-1873.

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- DEBRAY Jean Walburg (1839-1901), Cannes, La Croisette, détail de l'établissement de Bains central, vers 1873-1874,
tirage albuminé de 22,5x16,3 cm, Amsterdam, Rijksmuseum, ici.
On peut nettement lire sur le bâtiment central le nom du propriétaire, "Félix Caraveu",
sur le bâtiment de gauche, "Grand Bain De Cannes Ecole De Natation Bains de Sable", 
sur celui de droite, "... Massages Douches Lotions Froides ...".



Les Echos de Cannes du 5 juillet 1874 (p 1) précisent à nouveau l'emplacement des Bains Caraveu : "Son établissement, comme on le sait, est situé presque en face du cercle Nautique, duquel il n'est séparé que par la largeur du boulevard de la Croisette".

Félix Caraveu, veuf de Fanny Verdaigne (depuis 1873), est encore qualifié de "baigneur" lorsqu'il décède à l’âge de 50 ans, le 26 septembre 1877, laissant deux enfants orphelins, Virginie, 20 ans et Pierre, 8 ans.

Suite à son décès, un tuteur du nom de Pierre Robert, serrurier à Cannes, est nommé pour les enfants mineurs et, à sa demande, un inventaire détaillé de l’établissement est réalisé le 29 octobre 1877 (AD06 - 02Q 0337).

Cet inventaire décrit notamment l’établissement lui-même, d’ouest en est, avec : 1 grande cabine ; six autres cabines ; 2 cabines doubles ; 1 autre très grande cabine ; 4 autres cabines où sont entreposés les cordages et ustensiles servant à l’exploitation des bains ; 3 cabines destinées aux bains chauds ; 1 grande cabine attenante, mais vers le nord, servant de salle à manger et de cuisine ; 1 autre grande cabine, à la suite de celle-ci, servant de café, avec un emplacement au-devant pour mettre les tables des consommateurs ; des balcons en bois et planches tout autour de l’établissement ; un débarcadère pour les baigneurs. La description se conclut par la phrase suivante : « Cet établissement de bains a besoin de réparations, la plupart des cabines sont en mauvais état ».


LES BAINS BOTTIN - ÉTABLISSEMENT ORIENTAL

Dans certains articles de journaux, le nom du propriétaire des bains est souvent orthographié "Boutin" voire "Botin" mais il s'agit en fait de "Bottin".

Joseph Pie Bottin est né à Nice le 23 juillet 1846 et a été baptisé le 27 juillet à l'église Saint-Barthélémy. Il est le fils de Jean André Bottin, "menuisier" (né à Nice) et de sa seconde épouse, Baptistine Ciarlan, "cultivatrice" (née à Nice). Joseph Bottin est le demi-frère de Brigitte Augustine Bottin (née à Nice en 1834) et le frère de Vincent Bottin (né à Nice en 1854). La famille Bottin quitte Nice pour Cannes entre 1854 et 1865. La demi-sœur de Joseph Bottin s'y marie d'ailleurs, à 31 ans, le 31 août 1865.

Il semble que Jean André Bottin ait appris le métier de menuisier à son fils Joseph, de même que celui de baigneur (AD06 - 02Q 0337 et 0338).

L'article du 10 août 1873 cite "le nouvel établissement de grands bains de la méditerranée, que vient de construire en face de la rue d'Oustinoff, M. Boutin fils" (dans sa 27ème année). Ce passage révèle qu'il s'agit de l'établissement de bains le plus oriental, situé après l'Hôtel de la Plage. En effet, les Bains Bottin ont été autorisés à cet emplacement le 22 avril 1873, avec une concession de 100m2 pour l’installation de 16 cabines.

Lorsque Joseph Bottin se marie à Cannes le 17 novembre 1877, avec Jennie Perret, 28 ans, repasseuse, il est âgé de 31 ans et exerce toujours la profession de "baigneur".