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PRÉSENTATION
Eugène Degand [1829-1911] est l'un des photographes majeurs de la ville de Nice au XIX° siècle (voir sa biographie, ici). Sa production permet de documenter l'évolution des lieux de 1865 à 1895. Il est notamment l'auteur de la photographie ci-dessus intitulée, Nice Avenue de la Gare (Image 1).
C'est une vue de la longue et large avenue créée suite à l'Annexion française, au début des années 1860, afin de mettre en communication les rives du Paillon et la gare de chemin de fer, alors en construction, et de servir d'axe majeur au développement de nouveaux quartiers.
Sa création a été décidée sous le nom "d'avenue du Prince-Impérial" au printemps 1861, a été entamée l'été 1862, ouverte en septembre 1864, éclairée au gaz en janvier 1866 et bordée de bancs et plantée d'arbres en avril 1871.
La voie a ensuite porté le nom "d'avenue de la Gare" (de novembre 1870 à novembre 1918), "d'avenue de la Victoire" (de novembre 1918 à octobre 1966) puis "d'avenue Jean Médecin" (d'octobre 1966 à nos jours).
Peu de photographies de cette avenue datant des années 1860 aux années 1880 sont connues mais celles des années 1890 sont plus nombreuses, notamment du fait des cartes postales éditées à la fin de la décennie.
Les photographies de l'avenue de la Gare ciblent le plus souvent l'extrémité sud de l'avenue, du côté de la place Masséna, ou bien les abords de l'église Notre-Dame. Les vues des abords de l'Hospice de la Charité, au croisement des boulevards Dubouchage et Longchamp (actuel boulevard Victor Hugo depuis juin 1885) ou de l'extrémité nord de l'avenue de la Gare restent rarissimes.
Le verso du carton de l'image étudiée affiche le nom du photographe, précédé des armoiries de la Couronne britannique et suivi de la mention du brevet de la Reine d'Angleterre (obtenu en 1882) puis les adresses de son atelier et de ses magasins, la mention de ses vues de la région et, en très petits caractères, le nom du cartonnier (Image 2).
L'adresse de l'atelier, "Rue Cotta, 14", renvoie aux années 1889-1896 et le nom du cartonnier, "L. & D. Paris", aux années 1889-1894. Le tirage peut donc être daté du début des années 1890.
Cela n'implique pas obligatoirement une date de prise de vue contemporaine car Eugène Degand est connu pour avoir fait, d'après ses clichés, des tirages renouvelés sur plus d'une décennie, avec des cartons portant des adresses successives. Cependant, la vue étudiée n'est actuellement connue qu'avec des cartons présentant cette seule adresse.
DESCRIPTION
Le photographe s'est positionné près du trottoir opposé à celui de l'église Notre-Dame, afin de montrer la façade de l'édifice religieux et s'est installé directement sur la voie afin de capturer une vue nord-est/sud-est qui accentue la perspective de l'avenue et de ses rails de tramways.
Les lieux sont ensoleillés. C'est le matin, comme le révèlent notamment les ombres portées des arbres au feuillage peu fourni (avril ?). De nombreux piétons occupent les trottoirs. Une voiture de place se rapproche du photographe, alors qu'une voiture de tramway hippomobile va dans l'autre sens.
Sur le trottoir situé à gauche de l'image (numéros pairs), des arbustes en pots sont présents à hauteur du Couvent des Augustines (n° 48 hors-champ), alignés comme le sont les réverbères, les platanes et les bancs qui se continuent au pied des immeubles, au-delà de la rue Notre-Dame.
Ces mêmes éléments se répètent sur le trottoir d'en face (numéros impairs). Cependant, près de l'église Notre-Dame, la ligne de platanes est interrompue pour ne pas en masquer la façade tripartite, une Fontaine Wallace à cariatides (en fonte verte) est présente du côté nord, près de l'angle de la rue de Rome (actuelle rue de Suisse), et une Colonne Morris (en fonte verte), est visible du côté sud, à l'angle de la rue d'Italie.
Les immeubles les plus proches affichent cinq niveaux, avec des boutiques en rez-de-chaussée. En zoomant fortement dans l'image, on peut lire partiellement les inscriptions présentes.
Le long du trottoir de gauche, au rez-de-chaussée de l'immeuble érigé vers 1877-78, à l'angle de la rue Notre-Dame, on peut lire, sur la tenture de la boutique, "...D'ANGLETERR.", identifiant le commerce de modes (nouveautés et lainages), "Aux Armes d'Angleterre", situé au n° 46,
Un peu plus loin, sur l'enseigne d'une maison basse, érigée également à la fin des années 1870, on peut lire, "...IERE TOUR..." ("Bière Tourtel"), identifiant la brasserie des célèbres Frères Tourtel (de Tantonville, Meurthe-et-Moselle, au sud de Nancy), au n° 42 ou 42bis (Image 3).
Sur le trottoir opposé, seules sont lisibles les inscriptions de l'immeuble situé à l'angle de l'avenue de la Gare (au n° 29 puis 37) et de la rue d'Italie, érigé vers 1876 (Image 4) :
- au rez-de-chaussée, côté avenue de la Gare, sur la tenture d'angle du rez-de-chaussée, "...ERES" ("Bières" ?)
- au rez-de-chaussée, côté rue d'Italie, "CAFÉ..." identifiant le "Café de la Rotonde",
- et au 1er étage, côté rue d'Italie, "Grande Agence", identifiant une Agence de location immobilière, située à ce même niveau.
DATATION
La création de la rue d'Italie date de la fin des années 1860 mais la voie n'a reçu ce nom qu'au milieu des années 1870 et n'a été officiellement ouverte que vers 1879. La rue ou avenue Notre-Dame, envisagée dès le milieu des années 1870 et présente dans les annuaires et les plans de cette période, n'a été pour sa part officiellement ouverte que vers 1880.
Les bancs de l'avenue de la Gare ont été renouvelés et multipliés (en 1875 et 1879), ainsi que les réverbères (en 1877 et 1880).
Certains éléments urbains confirment cette datation, comme la Fontaine Wallace (installée début 1879) et la voiture du tramway (ligne ouverte le 31 août 1880) mais d'autres s'avèrent postérieurs, comme la Colonne Morris (installée dans la seconde moitié des années 1880).
Les immeubles situés à l'angle de la rue Notre-Dame et de la rue d'Italie ont été construits dans la seconde moitié des années 1870 (vers 1876-1878) mais le commerce du Café de la Rotonde a été ouvert en 1877 ou 1878 et celui de la Brasserie Tourtel, entre 1879 et 1883.
D'autres commerces sont cependant plus tardifs et impliquent l'extrême fin des années 1880 ou le tout début des années 1890, comme l'Agence de Location, créée en 1889 mais appelée "Grande Agence", lors de sa cession en 1890, ou la boutique "Aux Armes d'Angleterre", qui a quitté la rue du Pont-Neuf pour ce nouvel emplacement en 1891.
La vue étudiée ne peut donc pas être antérieure à 1891. Elle ne peut pas être postérieure à 1897 car, à cette date, la boutique de vêtements et confections, "Thiery Aîné et Sigrand", va occuper l'intégralité de l'immeuble d'angle de la rue d'Italie (au n° 37) et faire disparaître tout à la fois le "Café de la Rotonde" et la "Grande Agence" de Location.
Si l'on recoupe les conclusions déduites du carton photographique (1889-1894), avec celles déduites de l'étude de la photographie (1891-1897), la datation de l'ensemble se voit resserrée entre 1891 et 1894.
A ces dates, plusieurs commerces sont présents au rez-de-chaussée des immeubles étudiés mais ne sont pas visibles sur la photographie, notamment un marchand de comestibles au n° 37 et un bazar et une pharmacie au n° 46.
Ce sont alors MM. Félix Appy puis Burle (1891) et enfin Bussy/Buzzy (dès 1892) qui tiennent le "Café de la Rotonde" au n° 37, M. César Brun (né c.1833) qui dirige la "Grande Agence" de location au n° 37, M. Jules Bermond-Fournier (1846-1911) qui tient le magasin de modes "Aux Armes d'Angleterre" au n° 46 et M. Achille Ravel (né en 1846) qui est le gérant de la brasserie de Tantonville "Bière Tourtel" au n° 42 ou 42bis (Image 5).
En dehors de l'église Notre-Dame, les bâtiments évoqués ont disparu de nos jours, ayant cédé la place, au XX° siècle, à de nouveaux immeubles.