SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS
LES ADRESSES D'ATELIERS
Les ateliers de photographes sont pour la plupart situés sur la rive droite du Paillon, dans une partie ouest de la ville en pleine restructuration dans les années 1860 (démolitions, constructions neuves, ouvertures de voies), avec non seulement un tracé et une dénomination instables des rues mais une numérotation changeante.
L''usage d'avoir des rues sans numérotation (arrêté municipal du 20 juillet 1868) et de distinguer les maisons par le nom de leur premier propriétaire suivi de la dénomination de la voie ou du quartier ne va disparaître, suite à l'Annexion française, qu'à partir de la seconde moitié des années 1860 : la Maison Cabasse de Miguel Aleo est alternativement citée quartier Longchamp, à Beaulieu ou encore rue Saint-Etienne, et la Maison (Ugo ?) de Jean Vaglio, rue de la Buffa, place Grimaldi ou rue du Temple (Anglais).
Une fois numérotées, certaines rues, du fait de l'ajout de constructions neuves, présentent parfois deux numéros identiques. La rue Chauvain, ouverte en avril 1860 et où vont se fixer plusieurs ateliers de photographes, va jusqu'à afficher un temps les mêmes numéros de chaque côté.
L'atelier et le domicile du photographe sont parfois réunis dans un même bâtiment ou dissociés dans la même rue mais dans les deux cas, ils peuvent afficher un numéro différent. Un même photographe occupe parfois également deux ateliers situés dans des rues différentes, un atelier de peinture et un de photographie (comme Antoine Rossi ou Eugène Degand) ou bien deux ateliers consacrés à la photographie (comme Léon Puget).
Toutes ces adresses sont d'ailleurs difficiles à distinguer : seuls les domiciles sont signalés dans les recensements, les listes électorales, les actes d'état civil et les dossiers militaires et seuls les ateliers sont cités au revers des cartons-photos, les guides de voyage et les publicités des journaux. Les listes citées dans les annuaires et les guides restent très incomplètes et peu d'annuaires des années 1860 affichent tout à la fois les adresses des domiciles et les adresses professionnelles.
Une même adresse d'atelier précisée dans des documents contemporains affiche souvent des numéros différents, du fait d'erreur, du type de relevé différent (recensements) ou du décalage temporel (annuaires, listes électorales). A plusieurs années d'intervalle, tout changement de numéro devient de surcroît difficile à interpréter, pouvant aussi bien indiquer une nouvelle numérotation de la rue, qu'un déménagement effectué dans la même rue.
De nombreux éléments sont de plus ambigus. En effet, différents photographes installent leur atelier dans un même bâtiment :
- Lors d'une même période mais sans indication d'étage (Lionel Thierry de Ville d'Avray et Solaris, rue de France, 8, en 1867).
- Lors d'une même période avec des locaux qui semblent différents (Sérène Lemière et Pierre Constant Michel dans la Maison Robiony, place du Jardin public, 4, entre 1864 et 1866).
- Lors d'une même période mais avec deux noms qui peuvent parfois désigner une seule et même personne, comme Antoine Rossi et A. Roche (?), boulevard du Pont-Vieux, 24 en 1869.
- Lors de périodes différentes et dans des locaux sans indication d'étage (Jean Vaglio, Léon Raphaelli et Pierre Constant Michel, rue de la Buffa, 1, respectivement au début, au milieu et à la fin des années 1860).
- Lors de périodes différentes mais dans les mêmes locaux, s'y succédant (cession de l'atelier) ; ainsi, l'adresse "rue Paradis, 2 et rue Masséna, 13", est-elle tout d'abord celle de l'atelier d'Auguste Meurisse en 1864-1865, d'Emile Messy en 1865-1870 et d'Honoré Bonnet à partir de 1870.
- Lors de périodes différentes mais dans les mêmes locaux, y alternant parfois lors de mise en gérance. Sérène Lemière ouvre, au début de l'année 1861, son atelier de photographie Maison Robiony, place du Jardin public, le confie ensuite à Arsène Cartié fin 1861 (seul en 1861-1862 puis associé à Raymond Boutet en 1862-1863) puis le récupère en 1864 et le conserve jusqu'en 1868, avant de le confier à cette date à Jean Baptiste Poullan.
En résumé, il est donc difficile :
- de connaître et de distinguer les adresses simultanées et successives de chacun des photographes (domicile, atelier de peinture, atelier de photographie) ;
- d'identifier un même atelier avec des rues aux appellations multiples et des numérotations différentes ;
- d'affirmer que, pour une même adresse attestée chez plusieurs photographes, il s'agit ou non des mêmes locaux, occupés simultanément ou successivement ;
- et enfin de pouvoir localiser avec précision dans les rues de Nice, l'ensemble des ateliers de photographes répertoriés dans la décennie.
L'EXEMPLE DES ATELIERS DE PIERRE FERRET
Pierre Ferret/Ferré est né en 1815, à Veuvey-sur-Ouche, près de Dijon (Côte-d'Or). Dès 1836, il est attesté comme coiffeur à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Il se marie dans cette ville en 1838 et y fonde une famille. Il est possible qu'il alterne dès lors entre son salon clermontois et une vie de coiffeur itinérant. Vers 1844, il entreprend en tant que coiffeur des saisons d'hiver à Nice, peut-être motivé également par des raisons de santé. En 1846, il s'installe définitivement à Nice avec sa famille.
Il se forme alors à la photographie à Paris et devient photographe professionnel, au plus tard en 1849 (portraitiste et paysagiste). Il alterne, dans ses premières années d'exercice, entre son atelier niçois et une vie de photographe itinérant (notamment Monaco et Digne) puis exerce à Nice pendant 25 ans, jusqu'à 1875, année de la cession de son atelier (à son fils) et de son décès.
Ses différentes adresses de domicile et d'atelier répertoriées sont les suivantes :
- Maison Spinelli près l'Hôtel de France (1850).
- Maison Adé près du Pont-Neuf au 1er étage (1852) puis Maison Adé, près la Pharmacie Anglaise, quai Masséna, 3 (1856-1860). Le quai du Pont-Neuf prend la dénomination de quai Masséna vers 1853-1854.
- Maison Ferret, rue Longchamp Inférieur ou rue Chauvain/Chauvin (1861) ; Maison Ferret, rue Chauvain, avec la précision des numéros 3 (dès 1861), 8 et 10 (dès 1862) ; Maison Ferret, rue Chauvain, 8 et rue Gioffredo, 6 (dès 1865), avec parfois le n° 6 pour la rue Chauvain et le n° 4 pour la rue Gioffredo (1869). Les cartons-photos qui citent la rue Chauvain seule précisent le numéro 8 ou 10 (Image 1) mais ceux qui citent la rue Gioffredo seule ne précisent aucun numéro.
- L'adresse d'atelier du "quai Masséna, 3" perdure cependant dans les annuaires niçois de 1862 et 1863, ainsi qu'au revers de quelques-uns de ses cartons-photos datés à la main de "1863". Son enseigne apparaît d'ailleurs encore à cette adresse sur une vue de 1864. Le photographe a-t-il conservé pendant quelques années encore son atelier du quai Masséna ou s'agit-il seulement d'éléments erronés et ambigus ?
Les listes électorales de la Ville de Nice apportent encore plus de doute et de confusion avec des informations qui semblent le plus souvent décalées dans le temps, Pierre Ferret y étant cité comme :
- "coiffeur au Jardin Public" en 1860, 1861, 1862 et 1863,
- "photographe quai Masséna, 3" en 1863 (correction de la liste) et 1864,
- "coiffeur quai Masséna, 3" en 1865,
- "coiffeur rue Chauvain" en 1866 et 1867,
- "parti de Nice" en 1868,
- "photographe rue Chauvain, 8" en 1869 et 1870,
- "photographe rue Gioffredo, 6" à partir de 1871.
Les différentes adresses citées semblent recouvrir quatre emplacements successifs situés sur la rive droite du Paillon.
Les deux premières adresses, qui sont celles d'appartements en location réunissant atelier et domicile, sont situées à proximité l'une de l'autre au bord du Paillon, quai Masséna (actuelle avenue de Verdun), entre le Jardin public et la place Masséna (Images 2 et 4).
La Maison Spinelli accoste le bâtiment de l'Hôtel de France alors que la Maison Adé est située à sa droite, deux bâtiments plus loin, au-dessus de la Pharmacie anglaise.
Les deux adresses suivantes sont celles de Maisons de la rue Chauvain dont Pierre Ferret est cette fois le propriétaire. J'ai longtemps considéré qu'il avait fait construire une première maison en 1860 puis une deuxième en 1864, passant de l'une à l'autre mais la découverte récente de plans du quartier (demandes d'autorisation de construction déposées avec plan à l'appui par d'autres propriétaires) m'a permis de comprendre qu'il avait fait édifier les deux maisons dès 1859-60, dissociant dès le départ atelier et domicile (Image 3).
La première Maison Ferret, située du côté gauche et pair de la rue Chauvain, au-delà de l'intersection avec la rue Gioffredo, est édifiée en 1860 à l'angle des deux rues. C'est là qu'il installe son atelier dès la fin de l'année 1860 ou le début de l'année 1861, la Maison étant nommée sur un plan du quartier datant d'avril 1861 (Image 3).
A partir de 1862, l'adresse de l'atelier de la rue Chauvain est attestée par de nombreux documents aux numéros 8 et 10. En 1865, Pierre Ferret partage cet atelier pendant les cinq premiers mois de l'année avec son prestigieux associé belge d'une seule saison, Louis Joseph Ghémar, et la Maison est exceptionnellement nommée sur un plan général de la ville (Image 4). Dès cette même année, l'adresse affichée devient, suite au prolongement de la rue Gioffredo, le plus souvent "rue Chauvain, 8 et rue Gioffredo, 6", sauf sur les cartons-photos, "rue Gioffredo".
La deuxième Maison Ferret est construite également en 1860 mais sur le côté droit et impair de la rue Chauvain, à l'est de la précédente, à une plus grande proximité du quai Saint-Jean-Baptiste et du Paillon. La Maison est d'ailleurs nommée sur un plan de quartier daté du 16 octobre 1861 (Image 3). Elle devient le domicile de Pierre Ferret et de sa famille dès la fin de l'année 1860 (locations attestées dès octobre 1860 ; recensement de 1861), avec une partie concédée à des copropriétaires (dont le peintre-photographe Henry Lejeune) et à des locataires (dont le photographe Charles Nègre).
L'ensemble des adresses est localisable sur un plan général de la Ville de Nice daté de 1865 (Image 4).