mercredi 1 octobre 2025

1411-LES BISHNOÏS ET L'ARBRE DU DÉSERT (INDE) - STORY-BOOK

 

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ENOYÉ SPECIAL, 4 OCTOBRE 2018, 31 MN.







dimanche 28 septembre 2025

1410-BREVETS ET ARMOIRIES DES PHOTOGRAPHES DU SECOND EMPIRE-2-NICE

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


- GHÉMAR Louis Joseph (1819-1873) & FERRET Pierre (1815-1875), 
Nice, verso d'une carte de visite, premier semestre 1865,
carton de 10,5x6,2 cm, Collection personnelle.


VOIR LA PREMIÈRE PARTIE DE CET ARTICLE (PARIS)



BREVETS ET ARMOIRIES DES PHOTOGRAPHES DU SECOND EMPIRE (2)



LES PHOTOGRAPHES NIÇOIS



PRÉSENTATION


Entre le début 1860 (date de l'Annexion française du Comté de Nice à la France) et fin 1870 (date de la chute du Second-Empire), dix-huit photographes installés à Nice sont détenteurs de brevets accordés par douze pays (brevets attestés par les textes et/ou les photographies).

Douze de ces photographes sont nés en France, trois au royaume de Piémont-Sardaigne, un à Rome et deux dans les royaumes de la Confédération germanique. 

Quatre d'entre eux seulement ont obtenu leur brevet avant 1860 dont trois à Nice. Ces brevets sont mentionnés sur leur enseigne, leurs cartes de visite et cabinets et leurs publicités, ainsi que dans les articles qui leur sont consacrés. 

Ce sont parfois des brevets d'invention déposés auprès du Gouvernement français et accompagnés des armoiries du Second Empire : "Photographe breveté s.g.d.g." ou "Photographie Maison brevetée s.g.d.g.".

Ce sont, majoritairement cependant, des brevets de "Photographe de Son Altesse" ou "de Sa Majesté" impériale ou royale, accordés par des souverains européens et dominés par les armoiries des pays correspondants, affichées à partir de 1861 seulement.

Chacun des photographes cités ci-dessous ayant été préalablement étudié, les références précises des textes les concernant sont disponibles dans leur biographie (ici).

La mention, "actif à Nice dès...", désigne ici la date à partir de laquelle l'individu possède son propre atelier dans la ville (certains d'entre eux y ayant exercé précédemment une autre profession ou ayant été photographes employés).

Les brevets et armoiries évoqués sont uniquement ceux qui sont présents sur les photographies portant le nom de la ville de "Nice", sous le Second Empire (parmi les photographes cités, certains affichent en effet, avant ou après leur période niçoise, des armoiries différentes sur leurs cartons-photos d'autres villes, et certains des photographes étudiés obtiennent de nouveaux brevets à Nice après 1870).

La liste des pays ci-dessous est classée selon un ordre chronologique relatif à la première mention, à Nice, du brevet du souverain correspondant. Elle s'accompagne des représentations des armoiries, voire de leurs variations, relevées sur les cartons-photos niçois.



BREVETS ET ARMOIRIES



Du Grand Duché de Bade

Photographe(s) : 

- Pierre Ferret (Français, actif à Nice dès 1849), "Photographe de Son Altesse Impériale la Grande Duchesse de Bade" ou "Photographe de S.A.I. & R. La Grande Duchesse Stéphanie de Bade" (dès 1856, suite au deuxième séjour de la Grande Duchesse à Nice). Il affiche seulement ce brevet le temps de son association avec Ghémar, au 1er semestre 1865, mais semble étrangement l'accompagner des armoiries du Royaume-Uni (Image en tête d'article).

- (Louis Joseph) Ghémar (Français) & (Pierre) Ferret (Français), associés à Nice au 1er semestre 1865 uniquement, "S.A.I & R. la Grande Duchesse Stéphanie de Bade" (brevet de Ferret, dès 1856) mais sans les armoiries correspondantes (Image en tête d'article). 

- Pierre Petit (Français, actif à Nice dès fin 1861),"Phot. de S.A. le Gd Duc de Bade (dès 1861, à Bade). Il affiche ce brevet et/ou les armoiries de Bade, accompagnées des médailles obtenues aux Expositions Universelles de Paris (1855) et de Londres (1862). Ses associés Augustin Riollet (dès 1862) et Hippolyte Mouë (dès 1864) affichent ensuite les mêmes éléments.

- [Numa Blanc Père (Français, actif à Nice dès 1868), cite sa succursale de Bade mais n'affiche ni brevet ni armoiries du Grand Duché].



Du Royaume de Piémont-Sardaigne

Photographe(s) : 

- Louis Crette (Français, actif à Nice dès 1854-55), "Photographe du Roi de Piémont", "Photographe de S.M. Le Roi Victor Emmanuel" ou "Photographe De S.M. Le Roi De Sardaigne" (au plus tard fin 1857). Après la création du royaume d'Italie (mars 1861), il conserve pendant quelques temps, la mention de "Photographe du Roi de Sardaigne" et affiche les mêmes armoiries.



Du Royaume de Wurtemberg

Photographe(s) : 

- Pierre Ferret (Français, actif à Nice dès 1849), "Photographe au service du roi de Wurtemberg" (au plus tard en avril 1860). Pierre Ferret affiche son brevet mais pas les armoiries correspondantes (Image en tête d'article). 

- Ernst Neubauer (Bavarois, actif à Nice vers 1862-1863), "Photographe de Sa Majesté le Roi de Wurtemberg Guillaume Ier" (vers 1860-1862 ; Neubauer a probablement photographié, à Nice, le roi qui y a passé les saisons d'hiver 1860-61 et 1861-62). 

- (Louis Joseph) Ghémar (Français) & (Pierre) Ferret (Français), associés à Nice au 1er semestre 1865 uniquement (brevet de Ferret, obtenu au plus tard en 1860) mais sans les armoiries correspondantes (Image en tête d'article). 



De l'Empire de Russie

Photographe(s) : 

- Pierre Ferret (Français, actif à Nice dès 1849), "Photographe de Sa Majesté l'Impératrice de Russie" ou "Photographe de Sa Majesté l'Impératrice Douairière de Russie" (brevet dès juin ou juillet 1860, armoiries dès 1864). Fin mai 1860, Pierre Ferret réalise celui de l'Impératrice Alexandra Feodorovna de Russie (lors du dernier séjour à Nice de cette dernière). En remerciement, cette dernière lui accorde le titre de "photographe de Sa Majesté l'Impératrice". Il affiche ensuite le brevet et/ou les armoiries (Image en tête d'article).

- (Louis Joseph) Ghémar (Français) & (Pierre) Ferret (Français), associés à Nice au 1er semestre 1865 uniquement, "Photographe de S.M. l’Impératrice douairière de Russie" (brevet de Ferret, dès juin-juillet 1860) (Image en tête d'article).

- Giuseppe Silli (Romain, actif à Nice dès 1858), affiche les armoiries de Russie (dès 1866-67), sans que les motif et date d'obtention du brevet correspondant ne soient connus.

- Félix Trajan (Français, actif à Nice dès fin 1864), "Photographe de la Cour de Russie - Membre de l'Académie Nationale", sous les armoiries doubles de Russie (dès 1870).


Du Second Empire français

Photographe(s) : 

- Louis Crette (Français, actif à Nice dès 1854-1855), "Photographe De S.M. L'Empereur Napoléon", "Photographe De S.M. L'Empereur Napoléon III" ou "Photographe De S.M. L'Empereur des Français" (dès juillet 1860). En mai 1861, en remerciement d'un "album photographique" qu'il a adressé à l'Empereur, il reçoit une lettre ainsi qu'une "magnifique épingle en or, ornée d'un saphir et de vingt diamants".

- Pierre Ferret (Français, actif à Nice dès 1849), "Photographe de S.M. L'Empereur", "Photographe de S.M. L'Empereur des Français", "Photographe de Sa Majesté L'Empereur Napoléon" (brevet dès septembre 1860 - armoiries dès 1864). "M. Ferret, qui avait offert à S. M. [présent à Nice, suite à l'Annexion] un album contenant une trentaine de vues photographiées de Nice, a reçu également une charmante épingle enrichie de brillants et de pierres précieuses. M. Ferret a reçu en outre du cabinet de l'Empereur une lettre très-flatteuse, et, du ministère d'État, le brevet de photographe de S. M. l'Empereur" (septembre 1860) (Image en tête d'article). Suite à la chute du Second Empire, Pierre Ferret supprimera, au verso de ses cartons-photos, la mention de l'Empereur Napoléon III et les armoiries du Second Empire. Louis Ferret, son fils et successeur, réintègrera au milieu des années 1870 les deux faces d'une "Médaille d'Honneur" impériale où le profil de Napoléon III n'apparaîtra cependant qu'en partie.

- (Louis Joseph) Ghémar (Français) & (Pierre) Ferret (Français), associés à Nice au 1er semestre 1865 uniquement, "Photographes de S.M. L’Empereur des Français" (brevet de Ferret, dès septembre 1865) (Image en tête d'article). Ghémar est cependant le seul représentant, pour la Belgique, de l'Ordre du Panthéon de l'ordre Impérial de la Légion d'Honneur, nommé dès fin 1861 (voir, ici) .

- Léonard de Saint-Germain (Français, actif à Nice dès 1865), "photographe de Son Altesse le prince Napoléon" (dès 1865). Il photographie à Ajaccio, en mai 1865, Pierre Napoléon Bonaparte, cousin de l'Empereur. Fin 1866, il édite un Album de la Famille Bonaparte qui sera acquis, en 1867, par toutes les bibliothèques impériales, sur demande du ministre de la Maison de l’Empereur et des Beaux-Arts. 

- Antoine Rossi (Sarde, nationalisé Français, actif à Nice dès fin 1859), affiche des médailles sous la devise, "Et Veteres Revocavit Arts" : "Et il fit refleurir les arts" (Horace, Livre IV, ode 12, vers 12), en parlant de l'Empereur Auguste et, probablement ici, de l'Empereur Napoléon III (dès 1865).

- Jean Vaglio (Sarde, actif à Nice au plus tard en 1865), affiche au revers de ses cartes de visite, "Photographe - Breveté S.G.D.G." (dès octobre 1865, pour un système permettant de reproduire plusieurs poses différentes d'une même personne ou d'un objet sur une seule plaque). 

- Pierre Constant Michel (Français, actif à Nice dès 1864-1866), "Photographie - P.C. Michel & Cie - Maison Brevetée S.G.D.G." (dès juillet 1867, pour un procédé abréviateur du tirage photographique des positives sur verre supprimant l'opération de virage). Il affiche au revers de ses cartes de visite, sous les armoiries du Second Empire français, une médaille présentant sur l'avers, l'effigie de Napoléon III, et sur le revers, l'inscription "A Michel & Cie".

- Joseph Blanc d'Aubigny/Daubigny (Français, actif à Nice dès 1870), affiche sur ses cartes de visite les armoiries du Second Empire français, sans que les motif et date du brevet correspondant ne soient connus (dès 1870).

- Honoré Bonnet (Sarde, actif à Nice dès 1865), affiche les armoiries du Royaume-Uni, sans que les motif et date du brevet correspondant ne soient connus (vers 1870-1872).



Du Royaume d'Italie

Photographe(s) : 

- Louis Crette (Français, actif à Nice dès 1854-1855), "Photographe Du Roi", "Photographe De S.M. Le Roi D'Italie" ou "Photographe De S.M. Le Roi Victor Emmanuel II" (dès mars 1861). Cependant, il ne semble n'afficher ces nouvelles mentions qu'à partir de 1862 et conserver les anciennes armoiries du royaume de Sardaigne.

- Francesco Maria Chiapella (Sarde, actif à Nice dès les années 1864-1866), "Photographe de Sa Majesté le Roi d'Italie" ou "De la Couronne d'Italie" (dès 1861). Aucune de ses photographies de Nice n'est cependant connue.




Des Royaumes Unis de Suède et de Norvège

Photographe(s) : 

- Giuseppe Silli (Romain, actif à Nice dès 1858), "Photographe De Son Altesse Royale Monseigneur Le Prince Oscar de Suède et de Norvège" (dès 1862, après avoir photographié le Prince, présent à Nice lors de la saison d'hiver 1861-62). Dès novembre 1862, il obtient de la municipalité l'autorisation d'afficher cette mention sur sa vitrine extérieure. Sur ces cartons-photos, il affiche ce brevet sous les armoiries correspondantes. Dès la fin des années 1860 cependant, il n'affiche plus ce brevet et ne mentionne plus que la "Suède" (sans la Norvège), sous les armoiries.




Du Royaume de Bavière

Photographe(s) : 

- Peter Moosbrugger (Bavarois, actif à Nice dès 1861), affiche "Photographe de Sa Majesté le Roi Louis de Bavière" (vers 1863), avec les armoiries correspondantes.

- Giuseppe Silli (Romain, actif à Nice dès 1858), affiche les armoiries de Bavière (dès 1866-67), sans que les motif et date d'obtention du brevet correspondant ne soient connus.



Du Royaume de Belgique

Photographe(s) : 

- Ghémar (Français) & Ferret (Français), associés à Nice au 1er trimestre 1865 uniquement, "Photographes de S.M. Le Roi des Belges" (brevet de Ghémar Frères, dès 1859). Cependant, au verso des cartes de visite niçois, ce brevet n'est pas accompagné des armoiries de Belgique. Etrangement, celles du Royaume-Uni sont présentes alors qu'aucun brevet britannique ne semble détenu par Ghémar ou Ferret (du fait d'une erreur d'impression ou d'un brevet non listé ?) (Image en tête d'article).



Du Royaume-Uni

Photographe(s) : 

 - Pierre Ferret (Français, actif à Nice dès 1849), affiche seulement les armoiries du Royaume-Uni le temps de son association avec Ghémar, au 1er semestre 1865, mais sans que l'origine du brevet correspondant ne soit connue chez l'un comme l'autre des photographes (erreur d'impression ?) (Image en tête d'article).

- Emile Messy (né en France, de parents Sardes, actif à Nice dès 1863) affiche les armoiries du Royaume-Uni, suite à la reprise de l'atelier de Jules Buisson à Cannes dont il fait sa succursale (dès fin 1865).



De la principauté de Monaco

Photographe(s) : 

- Jean Walb(o)urg de Bray ou Debray (Français, actif à Nice dès 1863), devient le photographe officiel de S.A.S. le Prince Charles III de Monaco, vers 1867 mais n'affiche pas son titre. Ses albums de Monaco portent les armoiries de la Principauté en couverture mais sans son nom.




Du Royaume de Prusse

- Numa Blanc Père (Français, actif à Nice dès 1868), devient "Photographe du Roi de Prusse" (dès 1863-64), suite à son installation à Bade (1863) et à la réalisation de portraits de Wilhelm/Guillaume Ier qui y passe également les étés. A Nice, il affiche les médailles obtenues lors des Expositions Universelles de Paris (1855), Londres (1862) et Paris (1867). Il est dit, dans le Journal de Nice, également "photographe des familles impériales de Russie et d'Autriche" (au plus tard en 1868) et "breveté de S.M. L'Empereur des Français" (date ?) mais n'affiche pas ces brevets.  

- Pierre Petit (Français, actif à Nice dès fin 1861), affiche la mention, "Photographe de S.A. le Roi de Prusse" ou "Photographe Du Roi De Prusse" Wilhelm/Guillaume Ier (dès 1861, à Bade) et/ou les armoiries de Prusse, accompagnée des médailles obtenues aux Expositions Universelles de Paris (1855) et de Londres (1862). Ses associés Augustin Riollet (dès 1862) et Hippolyte Mouë (dès 1864) affichent ensuite les mêmes éléments.



ÉPILOGUE


Quelques photographes sont assez discrets dans l'affichage de leurs mentions, comme Léonard de Saint-Germain ou Jean Walb(o)urg de Bray. 

Charles Nègre (Français, actif à Nice dès 1861-63), qui cumule pourtant brevet, médailles, commande officielle et réalisation de portraits de souverains, ne semble afficher, pour sa part, aucun brevet ni armoiries sur ses photographies niçoises.

D'autres photographes affichent fièrement leur seul brevet, armoiries et médaille, ou en cumulent plusieurs. Ils en affichent parfois la totalité ou la partie la plus prestigieuse (deux ou trois) (Image en tête d'article).

A titre de comparaison, les autres commerçants niçois affichent également, dans les années 1860, les brevets des souverains dont ils ont été les fournisseurs. 

Ainsi Abraham Berlandina (de Londres), négociant en vins, liqueurs, comestibles et denrées coloniales, affiche-t-il en 1865 sur ses enseignes et publicités, les cinq brevets du Royaume-Uni, du Wurtemberg, de Russie, d'Italie et de Bavière.




dimanche 21 septembre 2025

1408-BREVETS ET ARMOIRIES DES PHOTOGRAPHES DU SECOND EMPIRE-1-PARIS


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS





BREVETS ET ARMOIRIES DES PHOTOGRAPHES DU SECOND EMPIRE (1)



INTRODUCTION 


Au XIXe siècle, les souverains européens perpétuent la tradition de distinguer, par des titres honorifiques, les artisans et professionnels d’exception à leur service, "Médecin du Roi", "Peintre de la Cour" ou plus généralement "Fournisseur de Sa Majesté". Dès 1839, cette reconnaissance s’étend aux daguerréotypeurs et photographes.

En France, les documents manquent sous la Monarchie de Juillet mais le roi Louis-Philippe signe l'achat du brevet d'invention du Daguerréotype en 1839, pose lui-même à plusieurs reprises au cours des années 1840 (notamment photographié par Louis Daguerre le 7 mars 1841 et par Antoine Claudet le 15 avril 1843), et fait photographier les funérailles de son fils, Ferdinand-Philippe d'Orléans, le 30 juillet 1842 (La France du 8 mars 1841 ; Journal des Débats politiques et littéraires du 20 avril 1843 ; photographies conservées). 

Les documents, peu nombreux également sous la IIe République, deviennent cependant plus fréquents sous le Second Empire. Ce premier article va notamment étudier les photographes parisiens qui ont bénéficié du titre de photographe de Sa Majesté l'Empereur et des armoiries correspondantes.



LES PHOTOGRAPHES PARISIENS


Sous la IIe République

Victor Maucomble est dit, dès début octobre 1852, "Photographe de Son Altesse Impériale prince Président" Charles Louis Napoléon Bonaparte (Le Charivari du 4 octobre 1852) puis, "premier photographe-portraitiste de l'empereur Napoléon". 


Sous le Second Empire

Ce sont ensuite, les Frères Mayer en 1853, Emile (Pigelet) Defonds en 1857, Eugène Disdéri en 1859,  Léon Crémière, en 1862 ou encore René Dagron en 1864, qui reçoivent ce titre (La Presse du 16 juin 1853 ; La Patrie du 13 août 1857 ; Journal des Débats politiques et littéraires du 8 août 1859 ; Messager des Théâtres et des Arts du 15 avril 1862, décret du 1er avril ; La Patrie du 9 septembre 1864).

Au-delà de ces photographes parisiens, il existe également quelques photographes de province (et d'Algérie) qui ont bénéficié de ce titre, comme par exemple, Adolphe Braun de Dornach (Alsace) ou Paul Coutem de Vichy (Allier), tous deux dès 1861, mais encore Chéri Rousseau de Saint-Etienne (Loire), Odinot de Nancy (Meurthe, aujourd'hui Meurthe-et-Moselle) et Louis Guyot de Pau (Basses-Pyrénées, actuelles Pyrénées-Atlantiques)...

Une vingtaine de noms, au total (Paris et province), ont pu être retrouvés.

 



LES BREVETS


Attribution du Brevet de Photographe de S.M. L'Empereur

Le brevet de "Photographe de Sa Majesté l'Empereur" est accordé par Napoléon III, sur sa décision personnelle ou à la demande de membres de la Famille impériale.

Par décision en date du 26 juillet 1859, Eugène Disdéri reçoit ainsi "les titres et brevets de S.M. l'Empereur, de S.A.I. le prince Jérôme et de leurs AA. II. le prince et la princesse Napoléon". Il affichera par la suite, dans certaines de ses publicités, qu'il est le "Photographe de de S.M l'Empereur et de S.M. l'Impératrice".

D'autres photographes vont porter plus spécifiquement le titre de, "Photographe de S.M. l'Impératrice", comme Nadar jeune (Adrien Tournachon), dès 1856 ou Georges Spingler, dès 1862 (La Presse Théâtrale du 10 février 1856 ; Photographisches Archiv., Band III, Nr. 35, November 1862 p 241)).

Ce titre officiel est décerné par le biais d'un Brevet signé du Ministre de la "Maison de l'Empereur" (Palais des Tuileries), ce qui justifie la mention de ces termes chez certains  photographes, comme Léon Crémière ou Henry Tournier. Ce brevet est très certainement le même que celui accordé aux Fournisseurs :

"L'Empereur Napoléon, Sur les témoignages avantageux qui lui ont été rendus de la moralité de Monsieur...[nom, profession et adresse]ainsi que de la réputation distinguée qu'il s'est acquise dans sa profession, désirant lui donner une marque particulière de sa bienveillance et de sa protection, Nous avons ordonné de lui accorder le Titre de Fournisseur de l'Empereur" (voir un Brevet conservé, ici).

Ce brevet, dont les journaux notifient la date d'obtention, a pour but de féliciter le photographe pour son accueil, ses ateliers (décor, confort et équipement), sa renommée (inventions, expositions) mais surtout pour ses épreuves, obtenues suite à la séance de pose de leurs majestés. 

Si c'est un signe de gratification de la part du souverain, c'est également une façon pour lui, de diffuser le culte de sa personnalité, en répandant en très grand nombre de portraits de lui et de ses proches, qu'il a validés (iconographie officielle). Ce brevet est parfois même accompagné d'un cadeau personnel de l'Empereur, un petit bijou en or et diamants (bague, épingle de cravate, tabatière).

Il faut cependant préciser qu'une visite de l'Empereur, suivie d'une séance de pose dans les ateliers du photographe et de la remise de portraits, n'entraînent pas obligatoirement l'obtention de ce brevet. Un recours peut être fait grâce à une demande écrite du photographe qui aboutit parfois positivement, ce dernier se voyant alors autorisé à porter ce titre.

Ce brevet peut être remis pour d'autres motifs que la réalisation de portraits impériaux, notamment pour des missions effectuées d'une façon remarquable : reportages sur une expédition ou un évènement ; commandes ou cadeaux d'albums de vues de paysages, de monuments ou d'ouvrages d'art.


Affichage du brevet

Ce brevet accorde au photographe un titre honorifique et lui donne une distinction commerciale qui prouve ses qualités professionnelles et attire une clientèle encore plus nombreuse et aristocratique. 

Le photographe peut la reporter sur ses enseignes, plaques et inscriptions murales mais également sur ses cartons photographiques, ses albums, ses "montres" (vitrines), ses publicités (journaux et ouvrages) et documents professionnels (tarifs, factures, lettres). Son titre est, de plus, sans cesse rappelé dans les articles qui lui sont consacrés. 

Un photographe tel qu'Eugène Disdéri, sait user et même abuser de son brevet dans les journaux. D'autres photographes restent plus discrets sur l'affichage de leur titre et il est parfois même difficile de trouver la preuve et la date de son obtention. 

C'est par exemple le cas de Gustave Le Gray/Legray et d'Eduard Baldus et des autres membres de la Mission Héliographique (dès 1852 ?), de Pierre Ambroise Richebourg (au plus tard en 1856, avec les photographies du Prince Impérial nouveau-né ?), des Frères Bisson (dès 1857, suite à la visite de leurs ateliers par l'Empereur et l'Impératrice le 29 décembre 1856 ou seulement en 1859 ?) ou encore de Charles Soulier (en 1866 ?).

Ce brevet, acquis à vie, rejaillit sur l'ensemble des personnels de l'atelier et notamment sur ceux qui ne manqueront pas, lors de l'ouverture de leur propre atelier, d'en assurer la publicité, en se revendiquant, à Paris, comme en province, "ancien élève", "ex-opérateur", "ex-associé" ou même "successeur" d'un "Photographe de S.M. l'Empereur". 

Ce sera le cas, par exemple, d'Achille Tamy, ancien élève d'Adrien Tournachon, dès 1858 à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), de Bousseton & Appert, successeurs d'Emile (Pigelet) Defonds dès 1861 à Paris, ou encore de Paul Descomps, ex-opérateur d'Adrien Tournachon et d'Eugène Disdéri, dès 1864 à Bourges (Cher).





LES ARMOIRIES


Armoiries françaises du Second Empire

La mention de "Photographe de S.M. l'Empereur Napoléon III", de "S.M. l'Empereur des Français" ou de "S.M. l'Impératrice", s'accompagne souvent des armoiries du Second Empire, notamment au verso des cartes de visite.

Ces armes impériales, héritées de celles de Napoléon Ier, présentent sur fond d'un manteau de velours pourpre semé d'abeilles d'or et doublé d'hermine, un écu surmonté d'une couronne au globe crucifère (portée ou non par un heaume). 

L'écu, bordé du collier de la Légion d'Honneur, présente en son centre un(e) aigle impérial(e) tenant le foudre et, dans ses angles, la main de Justice et le sceptre du Pouvoir (de Charlemagne). 

Ces armes sont présentes sur les sceaux, drapeaux, médailles, insignes, monnaies, objets d'apparat et documents officiels.

Deux questions se posent alors. À partir de quelle date ces armoiries sont-elles apparues sur les photographies et d'où provient cet usage ? Voici quelques hypothèses.


Armoiries et photographies

Il ne semble qu'aucune carte de visite de photographes brevetés de S.M. L'Empereur ne porte les armoiries du Second Empire avant 1861.

Si celles de Mayer & Pierson ou des Frères Bisson peuvent les présenter dès 1861, celles de Bousseton & Appert (successeurs d'Emile Pigelet Defonds), d'Eugène Disdéri ou encore de Numa Blanc père, attendent manifestement 1863 ou 1864 pour le faire.

Le seul cas, où l'on trouve les armoiries du Second Empire associées à des photographies avant 1861, est celui des couvertures des albums dédiés ou offerts à l'Empereur ou à ses proches, dans les années 1850, comme : 

Souvenirs de la Guerre de Crimée - Hommage à S.M. L'Empereur (vers 1855-56), Congrès de Paris (1856), L'Algérie photographiée (1856-57) ou encore, Souvenirs du Camp de Chalons dédiés au Général de Montebello (1857) (Paris, BnF). 

Ce sont certains des photographes brevetés de l'Empereur qui ont d'ailleurs réalisé une partie de ces albums, comme Mayer & Pierson pour celui du Congrès de Paris ou Gustave Le Gray pour celui des Souvenirs du Camp de Chalons

Aucun décret ou dépôt d'un brevet d'invention relatif aux timbres secs ou humides apposés sur les cartons-photos n'a été retrouvé. Seul un brevet et un certificat d'addition d'Armand du Bourblanc, dont les procès-verbaux sont respectivement datés des 29 décembre 1864 et 8 avril 1865, concernent la reproduction des armoiries mais pour insérer ces dernières dans l'épreuve photographique elle-même (Archives I.N.P.I.).


Photographes du Panthéon de la Légion d'Honneur

On peut noter que la date de "1861" coïncide avec celle du lancement du réseau national des "Photographes représentants du Panthéon de l'Ordre de la Légion d'Honneur", proposés à la nomination par leur confrère parisien, Titus Albitès (Seine) (voir, ici).

Dès leur nomination, les différents représentants départementaux vont afficher au verso de leurs cartons-photos la mention citée et le dessin de la médaille de la Légion d'Honneur, parfois accompagnés du dessin de l'Aigle impérial(e), des armoiries du Second Empire ou encore d'une ou plusieurs médailles, présentant le profil de Napoléon III sur l'avers, et leur nom, la mention "Beaux-Arts" ou les lieu et date d'une exposition, au revers.

Cependant, dans cette liste publiée en décembre 1861, seul le représentant de l'Allier, Paul Coutem, de Vichy, est dit "photographe de l'Empereur".


Médailles obtenues aux Expositions

L'hypothèse d'un usage des armoiries découlant de l'affichage des médailles impériales remportées lors de grandes expositions (1849, 1855, 1867), a été également explorée.

Les exposants primés, toutes professions confondues, ont eu à cœur de citer la médaille notamment obtenue en novembre 1855 à l'Exposition Universelle de Paris, voire de la représenter dans leurs publicités (comme l'Orfèvrerie Cristofle, dès octobre 1856).

Son dessin est semblable à celui des pièces de monnaie : l'avers, positionné sur la gauche de la publicité, présente le profil de Napoléon III, et le revers, sur la droite, l'Aigle impérial(e).

Ces représentations ne vont, elles-aussi, se multiplier qu'au tournant des années 1860, les médailles étant parfois accompagnées ou remplacées par les seules armoiries du Second Empire. 

Cependant, contrairement aux autres commerçants, les photographes ont rarement inclus ces armoiries dans leurs publicités, les réservant à leurs cartons-photos.


Brevets S.G.D.G.

Enfin, il faut rappeler l'existence du "brevet s.g.d.g.", instauré par la loi du 5 juillet 1844, qui s'est substituée aux lois antérieures (édictées entre 1791 et 1807). 

Il s'agit cette fois des brevets et des certificats de perfectionnements décernés par le Gouvernement à la suite du dépôt officiel d'une invention mais "sans examen préalable (...) et sans garantie de la réalité, de la nouveauté ou du mérite de l'invention"

L'affichage d'un brevet mensonger ou d'un brevet non accompagné de la mention "sans garantie du gouvernement", ou de son acronyme S.G.D.G., sur les "enseignes, annonces, prospectus, affiches, marques ou estampilles" est passible d'une amende (Loi sur les brevets d'invention promulguée le 5 juillet 1844, Paris, 1844).

Cette mention, présente dans les journaux depuis les années 1850, reste cependant rare pour tous les genres de commerces, y compris celui des photographes.

On peut citer cependant les publicités de Charles Reutlinger (brevet et publicités dès 1852), Félix Tournachon dit Nadar (brevets de 1858, 1861, 1863 et publicités dès 1861), René Dagron (brevets de 1859 et de 1861 et publicités dès 1861), Ferdinand Mulnier (brevet de 1859 et publicités dès 1862) ou encore Eugène Disdéri (six brevets déposés entre 1854 et 1870 ; publicités dès 1867 : "inventeur de la carte de visite (Brevet s.g.d.g., 27 septembre 1854)" ; La Presse du 10 avril 1867).

Cette mention est en revanche plus souvent présente au revers des cartons-photos des photographes "inventeurs", accompagnée ou non de la présence des armoiries du Second Empire. Plus de 900 brevets d'invention en lien à la Photographie ont été déposés avant fin 1870.


Brevets, médailles et armoiries

La multiplication des types de brevets (de S.M. L'Empereur, des commissions et écoles impériales ; S.G.D.G.), comme des médailles (relatives aux Expositions, voire à l'ordre de la Légion d'Honneur), crée une certaine ambiguïté.

On peut ainsi trouver les mentions , "Photographe médaillé de S.M. l'Empereur" (Jean Thierry) ou "Médaille décernée par S.M. l'Empereur", accompagnées des armoiries du Second Empire.

Le Belge Alphonse Liébert, breveté s.g.d.g. (pour sa chambre solaire en 1863 et 1864), affiche-t-il ainsi ce brevet, au verso de ses cartes de visite (vers 1866-68), sous l'enseigne de son atelier, "Photographie Américaine" et les armoiries françaises du Second Empire. Ces dernières sont accompagnées de celles de sept autres pays et d'une médaille, qui dominent son nom et son adresse parisienne. Ces armoiries correspondent pour la plupart aux pays dans lesquels il a déposé son brevet. Le seul brevet de souverain dont il semble en effet détenteur est celui de "photographe de la famille impériale mexicaine", obtenu en 1866 (L'Evènement du 29 avril 1866).

Il faut cependant préciser que de nombreux photographes, tout d'abord "brevetés S.G.D.G.", sont devenus par la suite, "brevetés de S.M. l'Empereur", comme les parisiens, Mayer Frères & Pierson, Gustave Le Gray, Adrien Tournachon, Defonds & Bousseton, Bisson Frères, Eugène Disdéri, René Dagron...

Frédéric Martens est l'un des très rares photographes parisiens à cumuler le brevet s.g.d.g. (procès-verbal du 11 juin 1845), la médaille de chevalier de l'ordre impérial de la Légion d'Honneur (décret du 29 octobre 1855) et le brevet "du Cabinet de S.M. l'Empereur", au plus tard en 1861 (Cosmos, 1861, Séance de l'Académie des Sciences du 11 février 1861, p 188).



BREVETS ET ARMOIRIES DE COURS ÉTRANGÈRES


Photographes Français

Les photographes parisiens ne se contentent pas de citer le brevet de "Photographe de S.M. L'Empereur", ils citent également, après 1860, ceux obtenus, parfois même antérieurement, auprès de souverains étrangers, photographiés à Paris, en France ou même à l'étranger (voyages et succursales).

En mai 1857, Emile (Pigelet) Defonds, "peintre et photographe de S.M. la reine d'Espagne", est appelé aux Tuileries et cumule, pendant l'été, les nouveaux titres de "peintre et photographe de S.A.I. le grand-duc Constantin, de S.M. l'Empereur [Napoléon III], de S.Exc. Ven-Pacha et des grands dignitaires de l'Orient" mais aussi "des grands dignitaires de Bavière, de Prusse, d'Angleterre, des grands généraux du Mexique" (Le Constitutionnel du 13 mai 1857 ; La Patrie du 13 août 1857 ; Le Figaro du 27 septembre 1857). 

Mayer & Pierson se présentent, en 1862, en tant que "premiers photographes de S.M. L'Empereur, S.M. le roi de Wurtemberg, S.M. le roi du Portugal, S.M. le roi de Suède, S.M. la reine des Pays-Bas" (Annuaire-Almanach du Commerce Firmin-Didot de 1862).

Eugène Disdéri, dénommé, dès 1860, "le photographe de l'Empereur et l'empereur des photographes" (L'Illustration du 22 décembre 1860), liste ses brevets dans ses publicités de juin 1867 (parues dans de nombreux journaux), comme : "Photographe de S.M. l'Empereur, de S.M. la Reine d'Angleterre (by special appointment), de S.M. la Reine d'Espagne, de S.M. le Roi de Portugal, de S.M. le Roi de Hollande, de S.M. l'Impératrice du Mexique, de S.A.I. la Grande-Duchesse de Russie", et ajoute en 1868, "de S.M. le Roi des Hellènes".

Cependant Eugène Disdéri, comme Mayer & Pierson et d'autres, n'affichent au revers de leurs cartons-photos que les emblèmes du Second Empire (armoiries, aigle impérial(e), couronne impériale, "E couronné" de l'Impératrice Eugénie), alors que d'autres, comme René Dagron (brevets du microscope à effets stéréoscopiques, 1859-1861), les cumulent avec des armoiries étrangères.


Photographes étrangers à Paris

Il en va de même pour les photographes étrangers, installés à Paris, qui disposent d'un système de brevet semblable obtenu dans leur pays d'origine ou en France, et qui l'affichent dès le début des années 1860, accosté des armoiries correspondantes.

Il est possible, qu'à l'image de certains fournisseurs étrangers (comme les fabricants de meubles londoniens Jackham & Grason, en 1863), des photographes étrangers aient d'ailleurs été brevetés de S.M. l'Empereur Napoléon III, comme Eduard Baldus. 

Le photographe russe Sergey Levitsky/Levitski/Lewitsky a notamment réalisé et diffusé des portraits de l'Empereur, de l'Impératrice et du Prince impérial mais aucune preuve d'un potentiel brevet, accordé en 1864, n'a pu être retrouvée. Son successeur, A. Le Jeune, affichera cependant au dos de ses cartes de visite, "Photographe Breveté de S.A. Le Prince Impérial".

Le jeune peintre et photographe suisse, Jean Geiser, installé à Alger, est pour sa part nommé "photographe de S.M. L'Empereur" en 1869 (Le Monde Illustré du 14 août 1869 ; Le Moniteur de la Photographie du 1er décembre 1869). Il est à noter que ce dernier est le fils de Julie Geiser, de l'atelier des photographes Alary (Français) & Geiser, nommés fin 1861, "représentants du Panthéon de l'Ordre de la Légion d'Honneur" pour le département d'Alger.



ÉPILOGUE


Dans les six mois suivant la chute du Second Empire (le 4 septembre 1870), la mention de "Photographe de S.M. l'Empereur", de "S.M. l'Impératrice" et les armoiries et emblèmes du Second Empire vont disparaître des cartons-photos et autres supports des photographes, malgré l'absence d'une loi nationale les interdisant formellement.

Seules y subsisteront, parfois, les médailles d'Expositions remportées sous le Second Empire et portant l'effigie de Napoléon III.


VOIR LA SUITE DE CET ARTICLE (NICE)




mardi 16 septembre 2025

1407-REVISITER LA PEINTURE GRÂCE À L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


- Image générée par l'I.A., d'après l'œuvre de :
CAILLEBOTTE Gustave (1848-1894), La place de l'Europe ou Rue de Paris, temps de pluie, 1877,
 huile sur toile, 212,2x276,2 cm, Chicago Art Institute.




INTRODUCTION


L'apprentissage des peintres a longtemps été fondé sur la copie des peintures des grands maîtres mais aussi sur la volonté de s'inspirer de ces œuvres ou de les concurrencer. Aussi, au-delà de s'inspirer du monde réel ou imaginaire, la Peinture s'est-elle inspirée de la Peinture. 

Pour en savoir plus, voir sur ce blog : "Références, citations, pastiches dans l'art des XIX°-XXI° siècle", ici.

La Photographie a ensuite cherché à transposer la Peinture, s'inspirant de ses sujets et de ses effets. De nombreux artistes contemporains ont notamment reconstitué ou interprété des tableaux célèbres en photographiant des personnages et objets réels ou en utilisant des logiciels de retouche d'image.

Pour en savoir plus, voir notamment sur ce blog : "De la Peinture à la Photographie", ici, ou consulter le Sommaire suivant, au mot "Citation", ici.

L'Intelligence Artificielle permet désormais à chacun de s'engager facilement dans une démarche esthétique semblable et de donner un réalisme photographique à une peinture figurative, un portrait peint (hors figures d'enfants), une scène de genre (hors corps dénudés) ou une scène historique (hors scènes de guerre, refusées), un paysage ou une nature morte.

Dans le cas d'un tableau, il ne s'agit pas, bien évidemment, de modifier l'objet lui-même mais sa reproduction photographique numérique. On ne passe donc pas "de la Peinture à la Photographie" mais "de la Photographie numérique à la Photographie numérique", en reproduisant une scène peinte mais avec le rendu photographique. Cependant, l'Intelligence Artificielle a intégré cette ambiguïté du langage et peut répondre à la demande, aussi bien d'ailleurs, à partir d'une scène réaliste que d'une vision fantastique.

Cet article concerne uniquement la recherche, grâce à l'I.A., de la transposition la plus fidèle possible d'une peinture en photographie, et non son interprétation, son changement de style, son actualisation, sa fusion avec une autre image ou sa transformation en vidéo.



LES SITES


Voici, parmi les nombreux sites existants, deux applications d'I.A., entièrement gratuites (à ce jour), sans limitation ni filigrane, nécessitant uniquement une inscription : 

- QWEN CHAT - https://chat.qwen.ai/ (I.A. chinoise) : sur la page d'accueil, sous la barre de dialogue, cliquer sur les termes "Edition d'image" puis sur la petite icone d'Image présente sous la nouvelle barre de dialogue, afin de télécharger l'image de la peinture de votre choix. 

Il est possible de commencer par le prompt (importé, tapé ou dicté) ou par l'image mais ne pas lancer la création (entrée) sans avoir préalablement réuni les deux.

Cette application permet d'entrer conjointement des images et des textes, alors que celle de la "Génération d'image" permet, pour sa part, de créer une image uniquement d'après un texte.

- LMArena - https://lmarena.ai/ (IA chinoise) : sur la page d'accueil, sous la barre de dialogue, cliquer sur la petite icone d'Image puis sur le signe "+", afin de télécharger l'image de la peinture de votre choix. 

Cette plateforme propose simultanément de répondre à votre demande par deux propositions d'images issues de deux applications anonymes différentes (sur une dizaine). Le choix des deux applications étant aléatoire, il est possible que l'une des deux refuse de répondre à la demande du fait des droits ou ne fournisse pas de réponse satisfaisante. Il faut alors refaire une nouvelle demande (recharger texte et image) pour obtenir des réponses provenant d'autres applications.

Vous devez préciser laquelle des deux réponses est votre préférée (aucune ou les deux), le nom des applications utilisées s'affichant ensuite. Vous pouvez ensuite télécharger l'une et/ou l'autre image produite(s).

Vous pouvez également repérer le nom des applications qui vous conviennent et cliquer ensuite sur l'icone des épées croisées, située en haut de l'écran et accompagnée du mot "Battle", afin de choisir directement les applications avec lesquelles travailler (Flux-Kontext, la toute nouvelle Seedream...).

La plateforme vous demande parfois d'attester que vous êtes bien un humain (vérification de sécurité). Si cette demande se multiplie trop souvent, changez de navigateur pour vous reconnecter. 

- GOOGLE AI STUDIO, https://aistudio.google.com/prompts/new_chat : la plateforme Gemini, composée de plusieurs applications d'Edition d'Image, dont la talentueuse Nano Banana, refuse les opérations liées à des œuvres d'art, du fait de la question des droits. 

Elle peut être cependant utilisée pour la retouche finale de l'image que vous avez produite à partir d'une autre I.A. (voir en fin d'article). Au-delà d'un marquage interne, Google fait apparaître le petit logo de Gemini, en bas à droite de l'image produite.



LA MÉTHODE


Pour obtenir la transposition photographique réaliste et fidèle d'un dessin, d'un tableau ou d'un peinture murale, l'I.A. engage, avec l'Edition d'Image, un processus de correction et d'optimisation.

Ce processus vise à éliminer les spécificités liées au style et à la matière picturale et à recréer celles liées à la prise de vue photographique, avec une cohérence d'ensemble recréant les textures, les jeux de lumière (ombres et reflets) et les détails, comme s'ils avaient été capturés par un appareil photographique.

Une demande textuelle ou vocale (prompt) doit accompagner le téléchargement de l'image de l'œuvre originale. L'I.A. va analyser parallèlement les constituants de l'image et les contenus de la demande et produire, selon le site utilisé, une ou plusieurs images en réponse.


Un prompt court

Le prompt initial le plus court peut être du type suivant : 

- "Fais de cette peinture une photographie réaliste, détaillée et fidèle". 

Ce prompt peut parfois parfaitement fonctionner mais certaines réponses peuvent ne pas respecter les proportions du format original, ôter certains éléments ou en déformer d'autres (membres, doigts des mains et pieds...).


Un prompt détaillé

Ce deuxième type de prompt peut en partie éviter ces défauts (le terme "réaliste" est à préférer à celui de "hyperréaliste" qui conduit parfois à une artificialisation de certaines textures, celle de la peau notamment) :

- "Transforme cette peinture en une photographie très réaliste et fidèle. Maintiens la composition exacte du tableau, incluant tous les personnages et objets sans aucune omission. Le format doit être identique à l'original. Les détails doivent être reproduits avec une précision photographique, notamment pour les mains, les pieds, les expressions faciales, les textures de la peau, des vêtements et des surfaces. Reproduis fidèlement les couleurs, les nuances de lumière et d'ombre, et les effets atmosphériques originaux, comme s'ils avaient été capturés par un appareil photo haute résolution".

Ce même prompt, traduit en anglais, peut encore mieux fonctionner car cette dernière langue est souvent l'une de celles avec laquelle l'application a été entraînée :

"Transform this painting into a realistic and highly accurate photograph. Maintain the exact composition of the painting, including all characters and objects without omission. The format must be identical to the original. Details must be reproduced with photographic precision, particularly for hands, feet, facial expressions, skin and clothing textures, and surfaces. Faithfully reproduce the colors, shades of light and shadow, and original atmospheric effects, as if they had been captured by a high-resolution camera".

Des précisions complémentaires, jugées indispensables, concernant par exemple l'ambiance générale de la scène, la qualité de l'éclairage [dramatique] ou les effets atmosphériques [brume des lointains], peuvent être ajoutées à ce type de prompt, spécifiquement entre crochets.

Certaines applications d'I.A. ("Image to Image") proposent des curseurs permettant de régler le degré ("weight") de respect des images et consignes fournies.

Une fois l'image produite, il faut impérativement la conserver en la téléchargeant par un clic droit (enregistrer sous). L'option "Télécharger" est parfois directement proposée mais votre navigateur peut ne pas autoriser de pop up et bloquer ce téléchargement ou charger l'image dans une version réduite en dimensions et résolution.

Même si l'image ne vous convient pas parfaitement, il peut être quand même intéressant de la télécharger (quitte à la supprimer plus tard) car elle  peut servir de point de comparaison dans le cas d'une demande renouvelée et vous servir de base par certains détails réussis et réutilisables.


Des prompts complémentaires

Lorsque l'image produite n'est pas totalement satisfaisante, des demandes de retouches complémentaires peuvent être formulées.

Certaines I.A. (comme Gemini) conservent l'image originale et l'image produite en mémoire et proposent de continuer la transposition, d'autres obligent cependant à les recharger à chaque opération de retouche (comme les I.A. chinoises recommandées).

Il est alors possible de recharger l'image de la peinture originale et de tout recommencer, avec un prompt complété, pouvant préciser par exemple de "strictement respecter l'âge et l'apparence des personnages" (traits du visage, couleur des cheveux, port de lunettes ou de coiffe) ou le "rendu des lointains".

Arriver à une transposition parfaite reste encore difficile. L'Edition d'Image n'a été créée qu'au second semestre 2022 et si les résultats restent étonnants, il est probable que de fortes améliorations vont intervenir dans les mois et années qui viennent. C'est déjà le cas sur certaines applications d'I.A. pour la gestion des doigts ou des textes.

Il arrive cependant qu'après plusieurs demandes renouvelées, voire précisées, le résultat ne vous satisfasse toujours pas.

Si vous êtes en échec, il reste encore deux possibilités pour affiner quelques détails du dernier état de l'image produite :

- Première possibilité : changer d'application I.A. pour la retouche finale :

Il est alors notamment possible d'utiliser Nano Banana de Google (lien précisé ci-dessus) car il ne s'agit plus d'utiliser l'image originale de l'œuvre (qui pose le problème des droits) mais d'une version déjà modifiée. 

Il suffit d'ouvrir l'application, de charger la meilleure version produite puis de préciser dans un ou plusieurs prompts successifs la retouche souhaitée et enfin de cliquer sur la touche "Run Ctrl". 

Le grand avantage de cette application est qu'elle permet un dialogue continu, gardant en mémoire, à chaque étape, l'image fournie mais repartant de la dernière image produite. Par exemple, la demande peut être, "ajoute une brume sur l'arrière-plan" (production de l'image retouchée avec cet effet) puis "réduis l'intensité de la brume" (nouvelle production d'une image), jusqu'à obtention de l'effet recherché. 

Il est ensuite possible de passer à un nouveau prompt notifiant un autre aspect ou détail à modifier, l'image de référence restant l'image où l'intensité de la brume est celle convenablement dosée.

- Deuxième possibilité : recourir à l'usage traditionnel d'un logiciel de retouche d'image.



ÉPILOGUE


L'image photographique finalisée reste toujours un peu différente de la peinture par les traits de certains visages, la netteté ou les couleurs plus réalistes de certains éléments.

Certaines des images produites peuvent cependant apparaître bluffantes au premier regard. À y regarder de plus près, l'I.A. réalise parfois une réponse hybride, entre peinture et photographie, se contentant de remplacer les têtes et les mains des personnages dans des habits et des décors qui restent ceux de l'image de l'œuvre.

Il appartient alors à chacun, selon ses attentes esthétiques, de valider telle ou telle réponse ou de rechercher encore à l'améliorer.





samedi 13 septembre 2025

1406-À QUELLE DATE LE FORMAT "CABINET" EST-IL APPARU ?


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


- BIENMÜLLER Wilhelm (1819-1878), Portrait de famille, recto, vers 1868-1869,
recto dépourvu de toute inscription ;
le verso affiche, "PHOTOGRAPHIE - W. BIENMÜLLER - 
Mention Honorable - Rue Gioffredo, 7. - NICE - Portrait Email" ; 
tirage albuminé de 10x14 cm, sur carton de 10,5x15,2 cm, Collection personnelle.



L'APPARITION DU FORMAT CABINET



LE CABINET EN FRANCE


La question du format Cabinet semble avoir a été peu traitée par les historiens français de la Photographie. Son apparition est parfois située "vers 1870" (peu avant cette date pour certains d'entre eux et peu après pour d'autres).


L'exemple niçois

Les plus anciennes Vues urbaines connues de la ville de Nice, de format Cabinet, datent de début 1868 et sont notamment celles du photographe Miguel Aleo (1824-c.1900), avec des images (épreuves, tirages) de 14,2 x 9,2 cm. 

Quant aux premiers Portraits niçois connus de ce même format, ils peuvent être datés vers 1868-1869 et sont l'œuvre du photographe Wilhelm Bienmüller (1819-1878). Ses cartons-photos comportent alors un recto nu et un verso imprimé d'un tampon affichant son adresse du 7, rue Gioffredo, avec des épreuves de 14,1/14,7 x 9,9 cm, contrecollées sur des cartons de 16,4/16,5 x 10,8 cm (Image en tête d'article).

Ses Cabinets postérieurs (années 1870) sont munis au recto d'un liseré de couleur (notamment rouge, bleu ou mauve) et de ses nom et adresse imprimés de la même couleur, accompagnés des mots, "Portrait Album", séparés par son monogramme ("WB"). 


- Recto d'un Cabinet de Wilhelm Bienmüller, détail de la partie basse, vers 1870-1876.


Ils présentent tout d'abord un verso totalement nu (un carton-photo daté de "janvier 1870") et affichent ensuite le tampon du photographe, à l'adresse du 7, rue Gioffredo puis à l'adresse du 49, rue Gioffredo. 

Les dimensions des tirages varient de 13,4 x 9,5 cm à 14,7 x 9,9 cm, et ceux des cartons, de 15,3 x 10,3 cm à 16,5 x 10,8 cm, ce qui est la preuve d'un format pas totalement standardisé. 


- Recto d'un Cabinet de Wilhelm Bienmüller, détail de la partie basse, vers 1876-1878.


Un faux problème ?

Le format Cabinet présente des dimensions variables qui ne sont pas si éloignées de celles de supports qui l'ont précédé, le daguerréotype demi-plaque et, plus récemment, le portrait monté sur Bristol de 15x12 cm.

Un tarif, daté du "24 novembre 1858", du photographe parisien Louis Crette (1824-1872), qui officie alors à Turin et à Nice, propose notamment des formats de portraits de 10 x 6 cm, 11 x 7 cm (deux formats de Cartes de visite), 15 x 12 cm, 21 x 17 cm et 27 x 21 cm. Le format de 15 x 12 cm est également proposé pour les reproductions de peintures, dessins, photographies et plaques daguerriennes (Archives Départementales des Alpes-Maritimes, 06FS 0236 - voir le relevé de ce tarif, ici).

Il semble donc que ce type de format intermédiaire a pu progressivement se standardiser et se généraliser au cours des années 1860. 


Les textes

Dans la presse française du début des années 1860, on trouve de nombreuses appellations qui restent très ambiguës, telles que "Carte d'Album" ou "Portrait-carte pour visites et pour Album", qui renvoient en fait à la Carte de visite (Le Courrier de Bourges du 12 février 1862 p. 4 ; Le Petit Journal du 18 décembre 1864 p 4).

Le premier texte sans ambiguïté est un article d'Ernest Lacan, paru dans Le Moniteur de la Photographie du 1er décembre 1866 :


- Article d'Ernest Lacan, paru dans Le Moniteur de la Photographie du 1er décembre 1866 (Paris, BnF).


"En fait de nouveauté, en voici une qui nous arrive d’Amérique en passant par l’Angleterre. Il s’agit du "cabinet portrait" qui se nomme ici plus proprement, le "portrait album". Il pourrait bien hériter de la vogue que perd de jour en jour, peut-être pour en avoir abusé, la carte de visite.

Le portrait album est un peu plus grand que ce qu’on appelait autrefois la demi-plaque. Sa dimension permet de représenter le modèle en pied, et dans des proportions agréables, et de plus de lui donner une attitude, de l’entourer d’accessoires qui font de ces épreuves de véritables petits tableaux de genre. Nous avons sous les yeux quelques-unes de ces compositions dues à des photographes anglais, et qui sont vraiment charmantes. 

Certes il faut plus de goût pour exécuter ces épreuves, elles exigent même un véritable talent d’artiste pour être complètement réussies ; mais où est le mal ? Le public ne s’en plaindra pas, les portraitistes français ne cèdent en rien à leurs confrères d’outre-Manche ou d’outre-Océan sous le rapport du sentiment artistique, et ne reculeront certainement pas devant de nouvelles difficultés. La photographie sortira d’un ordre de productions trop souvent inférieur à ce qu’elle peut produire. Tout est donc pour le mieux, et vive le portrait album !

Plusieurs de nos meilleurs portraitistes de Paris et de la province ont déjà adopté ce genre : nous citerons entre autres M. Vauvray dont nous avons vu d’exquises compositions. D’autres suivront bientôt son exemple. Seulement comme ces portraits sont naturellement destinés à être placés dans des albums (une de nos premières maisons parisiennes en fabrique déjà), il est important qu’on adopte un format type. Les dimensions arrêtées jusqu’ici sont les suivantes :

             Carton monture,    165 millim. x 108 1/2.

        Epreuve collée,     139 --------- x 101. 

      Calibre en verre,   138 --------- x   99.


Ajoutons que déjà en Angleterre MM. Dallmeyer et Ross fabriquent des objectifs spéciaux pour les portraits album, et qu'en France leur exemple est déjà suivi par MM. Gasc et Charconnet" (voir aussi, Le Moniteur de la Photographie du 15 décembre 1866).

Le fournisseur (cartonnier) parisien Charles Dauvois propose dès décembre 1866 ce format de portrait, "imaginé d'abord par les Photographes anglais" et fait de la publicité pour ces "Nouvelles Cartes dites Portrait Album (déposées)" [Brevet non retrouvé] (Bulletin de la Société Française de Photographie, T XII, Séance du 7 décembre 1866 pp. 310-311 ; Le Moniteur de la Photographie du 1er janvier 1867).


- Publicité de Charles Dauvois, parue dans Le Moniteur de la Photographie du 1er janvier 1867 (Paris, BnF).


Parmi les premiers utilisateurs de ce "portrait-album", deux noms seulement sont précisés fin 1866, ceux de Charles Reutlinger (1816-1888) et d'Hippolyte Vauvray (1823-1887) (Le Moniteur de la Photographie du 1er janvier 1867).

L'engouement pour ce nouveau format semble cependant immédiat. Dès mars 1867, une publicité du photographe Adolphe Faure, de Lille, vante "Son portrait-album, genre-nouveau, d'un goût charmant, antique et dont le succès grandit tous les jours" (Le Progrès du Nord du 9 mars 1867). Au printemps, plusieurs autres photographes de Paris (Ferdinand Mulnier, Alphonse Liébert, Alfred Chardon) et de province font paraître des publicités semblables.

La vogue de ce format est renforcée par l'Exposition Universelle de Paris de 1867 (1er avril-30 novembre) : Charles Reutlinger et Hippolyte Vauvray mais également Franck de Villecholle, Paul Emile Pesme ou Ernest Ladrey y exposent notamment des portraits de ce format, et la plupart de ces photographes se voient récompensés.

Les tarifs pratiqués par Charles Reutlinger sont alors de 40 francs pour une douzaine de Cabinets et de 15 francs pour une douzaine de Cartes de visite (The British Journal of Photography du 6 septembre 1867, pp. 225-226).

Antoine Trinquart propose un souvenir de l'Exposition sous forme du "Portrait-Album qu'il édite avec tant de luxe" (La Comédie du 14 avril 1867). Pierre Petit adopte le format de "grande carte album" dans la diffusion de ses 300 vues différentes de l'Exposition Universelle (Le Figaro du 29 juin 1867 p. 4).

Dans les commentaires de l'Exposition qui paraissent dans Le Moniteur de la Photographie du 1er octobre 1867, Ernest Lacan revient sur les productions d'Hippolyte Vauvray et son utilisation du "portrait-album - un genre nouveau que nous voudrions voir adopter par le public" et "qui tend à remplacer avantageusement la carte de visite". 

M. Cazot, de Marseille, constate pour sa part "le peu de faveur dont jouit l'agrandissement des portraits photographiques, et il croit au succès du portrait album récemment inauguré et dont quelques photographes de Paris, et en première ligne M. Reutlinger, tirent un si beau parti" (Le Moniteur de la Photographie du 1er octobre 1867). 

Certains Cabinets de Charles Reutlinger et d'Hippolyte Vauvray sont conservés de nos jours. Ils présentent au bas du recto les inscriptions, "Portrait Album", séparées par leur monogramme et, au verso, la mention de leur récompense obtenue à l'Exposition Universelle de 1867. Ceux d'Hippolyte Vauvray y précisent en plus, "H. Vauvray est le premier importateur - en France du Portrait Album".



- Détails du recto et du verso d'un Cabinet d'Hippolyte Vauvray, vers 1867-1870.


A la fin de l'année 1867, les publicités pour ce format se multiplient : celles des photographes (Mainberger père et fils, A.C. Baudelaire, Paul Meurisse), celles des fabricants de cartons Bristol (Ch. Dauvois ; E. Legendre), mais également celles du photographe et revendeur Paul Emile Pesme, qui est le seul dépositaire en France des objectifs spécifiques à ce format, fabriqués par le londonien Thomas Ross.


Observations

Il faut tour d'abord relever la multitude de termes de la langue française qui désignent ce nouveau format et en complexifient l'étude : "Cabinet", "Portrait(-)Album", "Photographies-album", "Cartes-album", "Nouvelles cartes".

Si l'on en croit Ernest Lacan, ce Cabinet aurait été mis au point par les photographes américains [à New York ?] et repris par les photographes britanniques [à Londres], avant d'arriver en France [à Paris].

Le cartonnier français Charles Dauvois semble avoir fortement contribué à la diffusion de ce format sur le territoire français car c'est lui qui a présenté les épreuves d'Hippolyte Vauvray à la séance de la Société Française de Photographie du 7 décembre 1866, et lui encore qui, dès le même mois, a produit massivement les cartons correspondants.

Ernest Lacan précise également que des albums destinés au Portrait Album existent déjà à Paris et que l'exemple des fabricants londoniens d'objectifs spécifiques à ce format, Dallmeyer et Ross, est déjà suivi par les fabricants français, Gasc et Charconnet, ce qui implique un intérêt français datant de plusieurs mois.

Des publicités pour les objectifs de J.H. Dallmeyer et Thomas Ross [deux sociétés londoniennes issues de la même famille] paraissent en France dans Le Moniteur de la Photographie dès le 1er janvier 1866 mais leur offre spécifique aux "Cartes Albums" n'y apparaît qu'à partir du 1er juillet 1867, suite à leur participation  à l'Exposition Universelle où ils sont récompensés.

Les associés parisiens, Albert Gasc & Alphonse Charconnet y ont été également récompensés mais aucun document (brevet, publicité), en dehors des propos d'Ernest Lacan, ne vient confirmer leur fabrication d'objectifs spécifiques au format étudié.



LE CABINET EN ANGLETERRE


Il est probable qu'en Angleterre, comme en France, des formats intermédiaires ont précédé l'adoption du "Cabinet Card", "Cabinet Portrait", "Cabinet size" ou "Cabinet picture". 

Le mot "Cabinet" vient du nom du meuble de salon sur lequel une peinture ou une photographie est destinée à être exposée, d'où une certaine ambiguïté dans les textes.

Dès le début des années 1860, des Vues photographiques de format Cabinet sont cependant signalées (The Photographic News du 29 novembre 1861).

Les historiens britanniques s'accordent sur une date d'adoption du Cabinet photographique au Portrait, vers 1866. Ils en attribuent l'initiative, dès 1863, au studio des associés Frederick William Window (1824-1875) et Bridge (?-?), et citent les Frères William (1829-1915) et Daniel Downey (1831-1881), portraitistes officiels de la famille royale britannique, comme faisant partie des premiers photographes londoniens à adopter ce format (W. B. Becker, "Cabinet Cards", in, Encyclopedia of Nineteenth-Century Photography, John Hannavy Editor, 2008, vol. 1 pp. 233-234). 

Il semble cependant que la vie et la carrière des photographes Window & Bridge ont été peu étudiées. Il ne s'agit pas de remettre ici en question leur rôle dans la mise au point du nouveau format mais de s'interroger sur la date de diffusion de ce dernier

Au printemps 1865, les photographes Mares de Dublin et England de Londres présentent des Vues de format Cabinet ("cabinet landscapes") à l'Exposition Internationale de Dublin (Irlande). W.W. Rouch, de Londres, y présente des paysages mais également des reproductions de statues ("cabinet size") (Official Catalogue - Dublin International Exhibition, Royal Italian Commission, 1865, pp. 1-2 ; The Photographic Journal du 15 août 1865).

Les premières publicités retrouvées concernant ce format adapté au Portrait sont, paradoxalement, celles de l'atelier londonien du Français, Antoine Claudet (1797-1867), 68 ans, "Photographe de la Reine", présentes dès la fin de l'année 1865 dans The Athenaeum puis The Art-Journal :

"M. Claudet - Photographe (...). Les portraits photographiques format cabinet, grâce à de nouvelles améliorations, sont le style le plus en vogue actuellement. Ils offrent la meilleure occasion d'obtenir des ressemblances saisissantes et agréables. Des spécimens, sobres et magnifiquement peints, sont exposés à l'atelier(Extrait traduit de, The Athenaeum du 16 décembre 1865, p. 825).


- Publicité d'Antoine Claudet, parue dans, The Art-Journal, n° 332, février 1866,
 Advertiser p. dcxcix (Google Books).


Frederick William Window, publie, pour sa part, à partir du printemps 1866, plusieurs articles consacrés aux avantages du "Cabinet Portrait". Il présente ce dernier comme une nouveauté, tout en précisant qu'il y a longtemps travaillé, que d'autres photographes l'utilisent déjà et que des albums adaptés à ce format sont prévus.

- Mai 1866 : "Nous avons commencé à distribuer à nos clients des portraits cabinet de 5 pouces sur 4 pouces (12, 7 x 10, 2 cm), et nous constatons qu'ils leur donnent entière satisfaction et sont largement préférés aux cartes de visite (...) ; plusieurs des principales entreprises de Londres avec lesquelles nous avons communiqué ont exprimé leur intention de faire de même (...).

Messieurs A. Marion and Co. se sont engagés à fournir des albums adaptés à ces portraits. Si les photographes adoptent un style, une taille et un titre uniformes, il ne devrait donc y avoir aucune difficulté à populariser une nouvelle catégorie de photographies, qui ne manquera pas d'être une source de profits.

Aucun appareil spécial n'est nécessaire pour les portraits de cabinet. Ils sont pris sur une demi-plaque, avec un objectif 4 B, 3 B ou une plaque entière - et chaque studio en possède au moins un - tandis que d'autres dispositifs pour les cartes de visite peuvent être utilisés. 

En ce qui concerne les prix, comme le cabinet est un peu plus du double de la taille d'une carte de visite, nous facturons le double du prix.

Taille de l'image : 5  x 4 pouces (12,7 cm x 10,2 cm), carte de montage 6 x 4 pouces (15,2 cm x 10,2 cm)" (Extraits traduits de, The Photographic News du 18 mai 1866, p. 239).

- Août 1866 : "Une conviction générale prévaut parmi les portraitistes selon laquelle l'engouement pour les cartes de visite est révolu (...). Nous pensons que cette nouvelle impulsion pourrait être donnée à la pratique professionnelle de cet art, par l'introduction judicieuse des nouveaux portraits de cabinet (...).

Si tous les photographes influents et réputés du pays se mettaient à produire des spécimens au nouveau format, en respectant rigoureusement les proportions exactes (...), nous sommes convaincus que cela (...) créerait rapidement une demande qui, une fois lancée, serait nécessairement croissante. Messieurs Marion et Cie ont déjà confectionné des albums pour le nouveau format (...).

Le portrait cabinet, déjà présenté avec beaucoup de succès par MM. Window et Bridge, s'apparente à une carte de visite agrandie, mais avec de meilleures proportions picturales (...) ; le portrait sur cabinet est cependant un peu plus large en proportion que celui sur carte, ce qui lui confère un grand avantage (...).

Le nouveau format est symétrique en soi, tout en offrant des possibilités pour des portraits audacieux et gracieux, permettant l'introduction et la disposition d'accessoires et contribuant de manière significative à l'effet pictural. La taille que j'ai choisie n'a pas été choisie au hasard, mais après mûre réflexion. Je voulais faire une image et un portrait.

M. Notman, du Canada (...), nous a récemment envoyé quelques exemples d'images similaires qu'il envisageait de commercialiser. Elles étaient légèrement plus petites que les portraits cabinet et respectaient davantage les proportions des cartes de visite (...). Nous pensons que ce format est une erreur (...). 

Le portrait cabinet a déjà été commercialisé avec succès par certains établissements, tant à Londres qu'à la campagne. Le nouveau format devrait être introduit simultanément dans tout le pays et, si possible, en Amérique et sur le continent" (Extraits traduits de, Fred. Window, , "Cabinet Portrait. A new Impulse for Portraiture", in, The Photographic News - August 17, 1866, pp. 385-386).

- Début 1867 : "Les nouveaux portraits Cabinet, récemment introduits (...),sont déjà produits avec succès, et en nombre non négligeable, non seulement dans ce pays, mais aussi dans les principales villes d'Europe, ainsi qu'au Canada et aux États-Unis, il semble raisonnable de penser qu'ils finiront par s'imposer dans l'estime du public et acquerront une popularité universelle, ce qui ne pourra être que bénéfique tant pour les photographes que pour le public (...).

Les dimensions retenues [désormais plus grandes que celles prescrites en 1866], et aujourd'hui généralement adoptées, sont de 6,5 pouces sur 4,5 pouces pour la carte de montage [16,50 x 11,40 cm], 5,5 pouces sur 4 pouces pour les épreuves [14 x 10,15 cm], et celles des fenêtres d'album sont de 5,25 pouces sur 3,5 pouces [13,30 x 8,90 cm]

Ainsi, pour un portrait en pied, où le sujet est représenté sur une hauteur de 4 pouces [10,15 cm], il restera environ 1 pouce [2,50 cm], soit un peu moins d'un quart de la photo entière, au-dessus de la tête. La largeur de la photo étant égale à la hauteur totale de la silhouette debout, cela offre un espace généreux, sans encombrement.

La hauteur de la figure est de 3 à 4 pouces [de 7,60 à 10,15 cm], ce qui rend la tête du personnage suffisamment grande pour être vue dans tous ses détails" (Extraits traduits de The Year Book of Photography and Photographic Almanac for 1867, London, finalisé fin 1866, édité en 1867, pp. 75-77).

Dans son ouvrage, paru en 1866, Jabez Hugues ajoute quelques précisions importantes concernant le Cabinet :

"Un objectif différent sera nécessaire, car ceux utilisés pour les cartes [de visite] ont une focale trop courte. Un objectif demi-plaque ou pleine plaque, ou un objectif spécialement conçu à cet effet, conviendra le mieux (...). 

Ce nouveau format, parmi ses nombreux avantages, est bien adapté aux portraits de groupe, aux intérieurs, aux paysages et à de nombreux autres sujets pour lesquels les dimensions et les proportions de la carte [de visite] sont tout à fait inadaptées" (Extraits traduits de, Cornelius Jabez Hugues, "Cabinet Portraits", in, The Principles and Practice of Photography familiarly explained, 7ème édit., 1866, pp. 126-127).

Les propos de F. W. Window, notamment, seront régulièrement repris dans les ouvrages de la fin des années 1860 ("Annals of Photography for 1866", in, The Year Book of Photography... for 1867, p. 19 ; "Annals of Photography for 1867", in, The Year Book of Photography... for 1868, p. 20...).

Les fabricants d'appareils photographiques, d'objectifs, d'albums, de cartons-photos (dont les successeurs parisiens de Charles Dauvois) spécifiques à ce format sont également présents dans les appendices publicitaires de ces mêmes ouvrages.

Le fabricant d'objectifs Thomas Ross y recommande notamment, dès fin 1866, ses "Ross's Cabinet Lenses" (The Year Book of Photography... for 1867, p. 98) puis ses "Ross New Photographic Lenses for Cabinet" (The Year Book... for 1868, p 106). Le fabricant J.H. Dallmeyer, fait de même mais y prodigue, en plus, ses conseils aux photographes (The Year Book... for 1869, pp. 44-46).



LE CABINET AUX ÉTATS-UNIS


Là encore, des formats intermédiaires ont précédé l'adoption du Cabinet que les historiens américains s'accordent à dater, vers 1866.

E. & H.T. Anthony & Co., l'un des principaux cartonniers newyorkais, aurait joué un rôle central dans la diffusion de ce format. Son catalogue semble proposer, dès 1866, des cartons à son nom pour ce format ("Cabinet mounts") et deux Cabinets portant son nom sont d'ailleurs conservés de nos jours, respectivement datés de "1866" et "1867".

Une recherche effectuée sur l'ensemble des Etats-Unis a cependant permis de mettre en évidence des publicités du peintre et photographe Josiah Johnson Hawes (1808-1901) de Boston (Massachussetts), qui proposent, dès 1865, le "Cabinet" :

"Carte de visite, Cabinet and Life-size Portraits [Portraits grandeur nature de la tête], either plain [tels quels ou colorisés], in Ink, Crayon, Water, ou Oil Colors. Daguerreotypes, Ambrotypes, Cards, and Tintypes copied and enlarged to card, cabinet and Life-size" (Extrait traduit de, The Boston Directory, 1865 p 54 ; 1866 p 689... - l'ouvrage est édité chaque année pour juillet).


- Publicité de Josiah Johnson Hawes, parue dans The Boston Directory, 1865 p. 107 (HathiTrust Library).


Trois questions s'imposent dès lors : ce "Cabinet" proposé par J.J. Hawes désigne-t-il le format recherché ou l'un de ceux qui l'ont précédé ? De quand date son usage ? J.J. Hawes est-il l'inventeur du format ou déjà l'un de ses multiples utilisateurs en 1865 ? 

Les deux premières questions ont été résolues par les publicités antérieures de J.J. Hawes, qui ne citent pas encore le format "Cabinet" (The Boston Directory, 1863 p 66 et 1864 p 107). Il s'agit donc bien, en 1865, du nouveau format, ce qui recule d'un an la date communément admise de son adoption aux Etats-Unis. 

La réponse à la troisième question ne peut être tranchée car elle est forcément biaisée par les seules ressources consultées (accessibles en ligne).



ÉPILOGUE


Il semble donc que le format Cabinet soit apparu au milieu des années 1860, en Grande-Bretagne (1865), aux Etats-Unis (1865), en France (1866). 

Face au déclin constaté de la Carte de visite, ce format est le signe d'un renouvellement souhaité, concerté, planifié et mis en œuvre tout à la fois par les photographes, les Sociétés de Photographie, les cartonniers et les fabricants d'objectifsRapidement adopté par certains photographes, il va cependant mettre plusieurs années avant de se généraliser et de susciter l'engouement du public. 

Un document rédigé fin 1867 fait le point sur l'état de sa diffusion à cette date :

"Les photographes Anglais notamment ont réuni tous leurs efforts pour faire réussir le genre, qui certes présente sur le format carte [de visite] de notables avantages ; ils ont déterminé avec le plus grand soin les dimensions de ce format, et leurs journaux photographiques ont formulé et répandu ces données, avec une certaine solennité, comme un texte d'arrêté souverain, pris dans un intérêt public ! 

Malgré toute cette réclame, le cabinet-portrait a-t-il réussi ? L'ancienne vogue des cartes de visite est-elle acquise à ce genre nouveau ? Nous n'oserions l'affirmer, et en ceci, nous n'exprimons pas seulement notre opinion personnelle, nous donnons une opinion partagée par le plus grand nombre" (M.S. Devylder, Exposition Universelle de Paris - Rapport sur les produits de la Classe IX, Epreuves et Appareils de Photographie, Bruxelles, 1868, p. 5).

S'il paraît établi que Paris a adopté le Cabinet, au second semestre 1866, sous l'influence de Londres, il est cependant difficile de savoir si le pays d'origine de ce format, plus ou moins standardisé d'ailleurs, est la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. 

Certes, les trois pays cités conservent dans leurs Collections un grand nombre de Cabinets mais ces derniers sont très majoritairement postérieurs à 1870. Un très petit nombre date de la seconde moitié des années 1860, et deux ou trois seulement, par pays, sont datés avec certitude de 1866 et 1867.