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INTRODUCTION
Peu de vues générales de Nice prises du nord-ouest et datant des années 1860 sont connues. Deux d'entre elles, deux photographies de Charles Nègre (1820-1880), sont cependant conservées aux Archives départementales des Alpes-Maritimes (plaques de verre négatives de 18x24 cm, 08FI 0001 et 0002 ; tirage moderne recadré, 10FI 0501 ; un tirage d'époque de 15,5x21,5 cm, réalisé d'après la plaque de verre 0001 est également conservé au Musée de la Photographie Charles Nègre).
Les vues panoramiques ont été prises depuis les abords de la Gare de Nice et révèlent des aspects moins connus de la ville. Le but de cet article est d'étudier quelques détails de ces deux photographies et de préciser la datation de chacune d'elles.
VUE 08FI 0002
La première vue (08FI 0002), a été prise un matin (ombres), depuis la colline de Carabacel, à proximité du tunnel de Cimiez (près de l'actuel Musée Chagall).
Elle montre la voie de chemin de fer, la campagne environnante puis le côté oriental de la gare et le quartier de Longchamp(s) ou Camp Long, et enfin la partie sud-ouest de la ville (Image 1 ci-dessous).
Les quartiers urbanisés n'occupent qu'une petite partie seulement du panorama, la campagne du premier plan en occupant la majorité (oliveraies, champs et jardins).
Les quartiers de Beaulieu, Lonchamp, Saint-Etienne et Saint-Barthélemy se sont développés peu à peu depuis l'implantation du site de la Gare en juin 1862 et surtout l'ouverture de la ligne reliant Nice à Paris, Lyon et Marseille en octobre 1864.
La volonté municipale de créer une ville neuve entre la place Masséna et la Gare s'est manifestée par le projet parallèle de l'avenue du Prince-Impérial dès juin 1862 puis son ouverture en septembre 1864.
Au premier plan (en bas et à droite de l'Image 1), des amis, parents ou collègues, de Charles Nègre, donnent vie et échelle au paysage et guident le regard vers la ville (Image 2 ci-dessous).
Ce sont deux adultes, l'un entièrement vêtu de sombre mais portant une ombrelle claire et l'autre d'une veste sombre et d'un pantalon clair, et un enfant vêtu d'habits clairs.
Ces mêmes personnages se retrouvent sur deux autres photographies de Charles Nègre dont l'une a été prise dans le même quartier, probablement le même jour (Nice, AD06, 08FI 0029, ici).
La Gare de chemin de fer (actuelle Gare Thiers)
La Gare, récemment aménagée, apparaît terminée (plate-forme 1862-1866, bâtiments 1862-1864, intérieurs 1864-1865) (Image 3 ci-dessous).
On distingue nettement la partie centrale de la Gare, avec le Bâtiment des Voyageurs au sud, la Halle centrale couvrant les voies (été 1864) et le Bâtiment du Buffet au nord.
Sur les côtés, différents locaux techniques triplent la surface au sol dont, sur la gauche, les bâtiments des Messageries et Chaises de postes au sud-est. Ces bâtiments latéraux, alignés sur deux rangs, sont bas et très longs mais apparaissent raccourcis du fait du point de vue (écrasement de la perspective). Des ateliers complètent l'ensemble, avec notamment, sur la droite, la Rotonde des machines (locomotives) située au nord-ouest.
Les deux petits pavillons carrés qui précèdent et encadrent ici le Bâtiment des Voyageurs sont absents de la représentation de la Gare sur les plans de la ville des années 1860 et de la plupart de ceux des années 1870.
Le pont de chemin de fer qui passe au-dessus de l'avenue du Prince-Impérial, semble achevé (1864-1865), et la voie ferrée qui le traverse continue en direction de l'est, vers le tunnel de Cimiez (1864-1866).
L'avenue du Prince-Impérial (actuelle avenue Jean Médecin)
La rampe, montée ou avenue de la Gare, se raccorde à l'est à la nouvelle avenue du Prince-Impérial (1862-1864), bordée encore de rares bâtiments (Image 3 ci-dessus).
Au sud du pont de chemin de fer, le Plan indicateur de la ville de Nice (Paris, BnF), édité en janvier 1865, ne montre que très peu de propriétés jouxtant l'avenue du côté est, au sud du pont de chemin de fer, près du Chemin n° 2 de St-Michel : la propriété Orengo, face à la rampe de la Gare et, plus au sud, les propriétés Ravel et Gastaud.
Les bâtiments dans la photographie de Charles Nègre restent cependant difficiles à identifier avec assurance. Certains d'entre eux semblent plus proches de l'église Notre-Dame de Nice qu'ils ne le sont en réalité, du fait de l'angle de vision.
Notre-Dame de Nice
L'église Notre-Dame de Nice ou Notre-Dame-des-Malades apparaît très isolée, entourée essentiellement de vergers (Image 4 ci-dessous).
L'édifice néo-gothique, souhaité par Monseigneur Sola (1791-1881) et confié aux bons soins du révérend Père Lavigne (1816-1874), a été conçu sur les plans de l'architecte parisien Charles Lenormand (1835-1905).
Dans l'image ci-dessus, l'édifice est visiblement en construction. Le déambulatoire et les huit chapelles rayonnantes sont voûtés et couverts mais les colonnes du rond-point restent inachevées. Le chœur n'est pas voûté et la construction de la nef n'est pas encore entamée.
La pose de la première pierre de l'église catholique a eu lieu le samedi après-midi 12 mars 1864 (Journal de Nice des 12 et 18 mars 1864 p 3), non loin de la grande gare en construction, au milieu de quatre temples, luthérien, calviniste, vaudois et russe.
La construction de l'édifice, orienté nord-est/sud-ouest, s'est faite d'ouest en est. L'élévation des chapelles rayonnantes a été visible dès l'été 1865 (Journal de Nice du 1er septembre 1865 p 2) mais le chœur n'a été commencé qu'au début de l'année 1866 (Journal de Nice du 7 février 1866 p 2) et terminé qu'au début de l'année 1867 (Journal de Nice du 27 avril 1867 p 2).
Datation de la vue
Si l'aspect de la Gare suggère au plus tôt une date vers 1865, l'état de l'église Notre-Dame implique une date vers le milieu de l'année 1866, printemps ou été.
VUE 08FI 001
La deuxième vue (08FI 0001) a été prise un après-midi (ombres), au quartier de Saint-Etienne, à proximité de la Villa Bermond (près de l'actuel Lycée du Parc Impérial).
Elle montre un large panorama de la ville, qui va de Carabacel (à gauche de l'Image), jusqu'au boulevard du Midi et au Mont-Boron (Image 5 ci-dessous).
La Gare de chemin de fer (actuelle Gare Thiers)
La vue montre notamment la voie de chemin de fer et le côté occidental de la Gare, avec les bâtiments du Buffet et des Voyageurs reliés par la Halle centrale, la Rotonde des Machines et les longs et bas ateliers occidentaux, l'un d'eux étant accosté d'une haute cheminée.
La surélévation de la plate-forme de la Gare, de 7 mètres par rapport aux bâtiments situés en face d'elle, est sensible, notamment le long de l'avenue Delphine (actuelle avenue Durante) et de la rue de Saint-Etienne (actuelle avenue Georges Clémenceau) (Image 6 ci-dessous)
Avenue du Prince-Impérial (actuelle avenue Jean Médecin)
Si l'on compare avec la vue précédente, force est de constater le développement de l'urbanisation des quartiers, avec la présence de nouveaux bâtiments et de nombreuses constructions en cours.
Cette accélération, qui se produit dans les années 1867-1869, est confirmée par la multiplication des ventes de terrains (notamment ceux du Bureau de la Bienfaisance et Œuvre de la Miséricorde ; Journal de Nice du 4 janvier 1868 p 3 et du 17 avril 1868 p 2), par la multiplication des demandes d'autorisations de voirie (constructions neuves, pose d'enseignes, création de nouveaux hôtels) et par la modification des plans, avec l'apparition de nombreux bâtiments et l'ouverture de nouvelles rues.
Presque en face de l'église Notre-Dame, le bâtiment en construction situé de l'autre côté de l'avenue du Prince-Impérial, à l'angle de la nouvelle rue puis avenue Beaulieu (actuelle avenue du Maréchal Foch), est l'Hôtel Raissan (veuve Raissan et ses fils). Ce nouvel hôtel ne sera ouvert qu'au dernier trimestre 1869 (Nice, Archives Municipales, 2T 32-466) (Image 7 ci-dessous).
Deux bâtiments, l'un derrière l'autre, se construisent au sud-est des premières travées couvertes de l'église, dans la future rue d'Italie (Image 7 ci-dessous).
Un bâtiment en L est également en construction dans l'angle de l'avenue du Prince-Impérial et de la nouvelle voie ouverte en novembre 1867 et désignée pendant quelques mois sous le nom de "nouvelle avenue", d'avenue Saint-Etienne ou d'avenue Eugénie, avant d'être dénommée rue de la Paix au cours de l'année 1868.
Cet immeuble (Image 7 ci-dessus) est celui qui occupe de nos jours les numéros 35, avenue Jean Médecin et 2, avenue Georges Clémenceau. Il a été bâti pour Nicolas Bianchi, suite à une demande d'autorisation qui date de mars 1868 et a été déclaré couvert dès novembre 1868 (Nice, Archives Municipales, 2T 27-96). L'immeuble a été achevé en 1869 et portait d'ailleurs, il y a peu de temps encore, une agrafe timbrée de la date de "1869" au-dessus de la porte du n° 35 (Inventaire du Patrimoine de Villégiature de Nice, ici).
L'accélération du développement du quartier est due à l'ouverture de la ligne de chemin de fer Nice-Monaco en octobre 1868 et à la liaison annoncée avec l'Italie mais également à la construction de l'église Notre-Dame de Nice, entamée en avril 1864 et devenue le centre de réunion des fidèles dès mai 1868.
Notre-Dame de Nice
"Ce temple si monumental et grâcieux (...), dès à présent, se trouve entouré de vastes et élégantes constructions devant former sous peu des rues spacieuses et régulières (...). Que ceux qui en doutent veuillent s'adresser aux propriétaires des maisons, et ils sauront que c'est le voisinage de N.-D. de Nice qui a puissamment aidé à la prompte et lucrative location de leurs appartements (...). Là où il y a quatre ans, il n'y avait que des terrains vagues, on voit surgir une nouvelle ville" (Lettre de l'archiviste J.A. Gallois Montbrun publiée dans le Journal de Nice du 24 avril 1869 p 3).
Dans la vue, l'église apparaît encore inachevée mais son chœur est désormais voûté et couvert et trois travées orientales de la nef sont entièrement édifiées (Image 8 ci-dessous).
L'objectif visé de terminer la moitié de l'édifice vers novembre 1867 (Journal de Nice du 2 mai 1867 p 3) semble avoir été atteint et ce sont, entre les "deux tiers" et "les trois-quarts" de l'édifice, qui ont été achevés au printemps 1868.
Cette partie de l'édifice a pu être bénie et ouverte au culte le dimanche matin 3 mai 1868 : "Placée aux portes de la ville, à côté de la gare, cette église, que nous avons dédiée sous le vocable de Notre-Dame de Nice, s'élevant doucement dans les airs, parlera à l'âme des voyageurs que nous amènera le chemin de fer, et les détachera de la terre, pour les attacher à Dieu" (Discours de Monseigneur Sola, Journal de Nice du 4 mai 1868 p 3).
Les travaux se continuent pour les 4 travées de nef restantes et la façade accostée de tours (Journal de Nice du 15 juillet 1868 p 2). Sur l'image ci-dessus, on devine l'élévation en cours des murs goutterots des futures travées de nef (en escalier descendant jusqu'à la future façade).
En février 1869, lors d'une assemblée de charité qui se déroule "dans la partie du temple consacrée au culte depuis le 3 mai 1868", le Père Lavigne fait notamment le point sur les travaux :
"Depuis le mois de février 1868 jusqu'au 3 mai, jour de l'inauguration, cinquante mille francs ont été dépensés, sans compter les frais du culte (...). Le chantier (...) est en pleine activité. Dans l'été dernier, tous les travaux ont été concentrés à l'intérieur pour le ravalement. Dans la partie terminée, il ne reste que les sculptures à exécuter. Depuis le mois de mai, les dépenses se sont élevées, jusqu'à cette heure, à la somme régulière de cinq mille francs par mois. Le mobilier acquis représente une valeur considérable (...). L'église sera sous toit à la fin de l'automne" (Journal de Nice du 5 février 1869 p 2).
Emile Négrin décrit le projet global en 1869 : "Monsieur Lenormant [sic] qui en est l'architecte a donné à son œuvre toute l'harmonie d'ensemble qui caractérise l'architecture du XIII° siècle. L'ogive y est entièrement dépouillée de tout alliage roman. Le maître-autel est placé dans un demi-cercle de colonnettes d'une légèreté incroyable. Une particularité de notre-dame [sic] de Nice est que les trois nefs y sont de la même hauteur : hauteur des nefs 18 mètres ; largeur de la nef intermédiaire 8 mètres, des 2 nefs latérales 5 mètres ; longueur de l'église 66 mètres ; hauteur de chacune des tours 65 mètres" (E. Négrin, Les Promenades de Nice, édition de 1869, pp 296-297).
L'achèvement de la nef est espéré pour fin 1869 et celui de la façade pour fin 1870 mais ce ne sera pas le cas. Par manque de fonds (malgré les nouveaux dons du Gouvernement, de la Ville, du Casino de Monaco et des fidèles), le chantier s'étalera sur près d'une décennie supplémentaire et cessera sans que les statues de façade et les flèches des tours ne soient réalisées.
La Chapelle écossaise
Plus à l'ouest, l'un des grands bâtiments qui apparaît en construction sur la photographie est la Chapelle écossaise (actuelle Eglise protestante unie de Nice-Saint-Esprit).
Cette chapelle est située à l'angle de la rue Saint-Etienne (actuelle rue Alphonse Karr) et du boulevard Longchamp (actuel boulevard Victor-Hugo) (Image 9 ci-dessous).