samedi 27 avril 2019

1013-INTÉRIEURS (POÈME - DEUXIÈME PARTIE)









INTÉRIEURS


INTÉRIEURS - 8

     Le lieu est d'une géométrie singulière. On ne sait qui, de l'ombre ou de la lumière, modèle son espace et ses limites.

    On sent les suées. L'ombre même est humide. Et tout à la fois dense, dure, presque solide. On avance dans ses réseaux. On se heurte à elle autant qu'aux objets.

    On ressort chargé d'ombre. La lumière la renforce. L'obscurité la multiplie. Elle s'attache au pas, à la peau, trace une grille sur le regard. Elle pénètre enfin le corps et se projette sur le temps et la connaissance.


INTÉRIEURS - 9

    Un temps donné. Hors-les-murs. Empli des 32 parties de l'horizon. Un temps porté, mouvant, semblable à la pluie dispersée.

    Temps adjectif, advenu, dérélictif.


INTÉRIEURS - 10

    Les fruits du premier cercle, les avons-nous tenus volontairement à distance pour ne pas voir qu'ils étaient en dehors de nous ?

    Avons-nous saisi leur indépendance malgré notre regard et nos résonances ? Nous sommes-nous rassasiés de leur présence investie ?

    Les fruits du second cercle, les avons-nous retirés des mâchoires de la terre avec notre souffle vulnérable ? Les avons-nous cueillis ou convoités seulement ?

    Les fruits du dernier cercle mûrissent hors de notre portée, nous ignorent de leur volonté propre, nous supplantent même.

    Ne sommes-nous pas pour eux quelque substance ?

    Nous séjournons entre les racines de l'arbre qui les élève dans le froissé de l'espace.


INTÉRIEURS - 11

    C'est plein de cette envie de mots dans la bouche. Un jardin entre deux états-poussière.

    On ne saurait dépeindre rien d'autre que ces marbrures labiles de l'air, ce lieu cru bagué d'ombre mauve (eau du silence), cette surface d'être.

    On ne sait ce qui sous-tend le faciès de l'endroit. Son immobilité prégnante. Il faut surseoir à tout effet, tout déplacement. S'installer, comme pieu en terre.


INTÉRIEURS - 12

    La pierre échappe-t-elle au pierrier ? Fragment évoquant le tout. Fondement tour à tour tore et scotie, densité ou portée, contour ou matière.

    Dévoiement de l'être contre toute attente et conscience. Base et tailloir.

    Souffle expulsé.


INTÉRIEURS - 13

    S'arrête un bruit dans l'habitude. Sans-à-coups. Sans sursauts. S'arrête.

    Existe peut-être ailleurs. Se déplace. Plus loin.

    Pour l'heure, la mémoire rappelle le bruit suspendu. Fragmente, perd ce synopsis soluble.

    Peu importe l'origine - bruit des plaques du ciel, séparées ? - c'est le manque qui interroge.

    Reste la perspective géométrique du silence, contre-rejet du vide.


INTÉRIEURS - 14

    Peindre l'écume. Ces oscillations du dehors. Et nous, dans ces embruns impalpables qui détrempent notre corps.

    Point de limites si nettes entre un mot / l'autre, la page / la suivante, l'eau salée du corps / de la mer.

    Nous sommes sortis du dehors. Nous le célébrons par ces ondes. Nous participons des marées.

    Peindre l'écume. Ce que la mer conduit dans la désinence des algues. Ce que la mer, parfois, destine à notre appartenance de terre et de langage.

    Le corps témoin, orateur et mime. Le corps, geste d'eau.
    Danseurs rituels, nous simulons l'élément informel, tendu, équilibré.

    Nous nous désincarnons dans la pulsation de la permanence.



(Extraits du recueil, Intérieurs, 1991).