lundi 16 juillet 2018

899-"INTÉRIEURS" (POÈME - PREMIÈRE PARTIE)




- HEDA Willem Claesz (c.1594-c.1680), Nature morte, détail, 1633,
huile sur panneau, 50,8x75,6 cm, Boston, Museum of Fine Arts.




INTÉRIEURS


PRÉFACE

    Une partie des mots est ombrée. L'autre est quasi-transparente. Dans la lumière argentée, la parole morte aussi, est évocation de matière ; pelure spiralée du citron, tour à tour luisante et blanchie, alcool pâle colorant et liquéfiant le verre.

    Glossaire du visible, les éléments du langage s'organisent dans une composition intime au faux désordre apparent, induisent un nouvel espace verbal où quelque mot oblique, quelque raccourci, guide jusqu'à l'aplomb du mur.

    Voici servies, sur la page, les nourritures terrestres. Voici les reliefs du repas. Le monde consommé.


INTÉRIEURS - 1

    Le jour s'infiltre. S'insinue. Désemplit. Désenvoûte. S'affiche, s'atomise.

    Le jour, gravide pâleur. Perte et cheminement.

    Le jour pré-texte.


INTÉRIEURS - 2

    Ce ne serait qu'une dominante de terres. Grand temps. Le champ non enclos dans sa couleur.

    L'arbre, borne des labours.

    Le jour, lui, sans repère.


INTÉRIEURS - 3

    Le jour accompli se resserre, forme ramassée sur le rebord, sans bleuissement. Le jour cimaise d'immédiat, peau d'instant qui s'écaille.

    Il n'est question que de l'immobile je. Je, dans ce champ abstrait - le jour arasé, vaporeux. Je, dans sa translucidité - présent, provisoire. Je, flaque - mémoire du jour blanc.


INTÉRIEURS - 4

    On entend à peine. Le soir. La subversion. Sans cette maîtrise de l'air sur la nuque dans la position de l'orant, on entend à peine.

    Les lampes se reflètent dans l'émail mouillé des salles de bains (salles à jamais isolées des lumières du jour dans leur secrète et très sensible intimité).

    Il est plus que l'heure. Si d'aventure le temps est travaillé au repoussoir.
    On entend à peine. Mais cherche-t-on les limites de l'air ?

    Pourtant, on devine. La griffe, encore légère....


INTÉRIEURS - 5

    Mouvement de gris. Initial. Avec cette volonté de nommer : le trait, la trace, la gravure.

    Le dit de l'abstrait. Mise à nu par la non-couleur. Désenveloppement.

    Révélation de la faille formelle.

    Arche de l'homme-totem.


INTÉRIEURS - 6

    La porte me précède. Toujours.

    Huisserie du temps, elle m'invite dans l'instant soluble. J'entre.

    La porte est à la mesure de l'espace. Toujours.
    Elle est le sens. Elle est l'issue. Elle est le passage : l'unique et le multiple.

    Je suis derrière. Elle me précède dans le retour. Je la jalouse quelque peu d'être l'annonce. D'être l'avance. D'être ce battant sur ciel ouvert.

   Je ne peux la refermer sans m'enfermer. Je ne peux l'ouvrir sans pénétrer au-delà.

    Elle est l'image. je l'imite. Dans le profil de l'endroit, j'essaye d'imprimer la marque humaine.
    Je la travaille au corps dans ce qu'elle a de plus sensible : sa raison d'être.

    Je la pousse. Je la pousse. Ou bien est-ce elle qui me pousse, ouvrant d'homme en homme indéfiniment ?


INTÉRIEURS - 7


    Déambulatoire. Le parcours sacré de ce couloir mène à la pierre suspendue entre sol et voûte.
    Pierre, prisonnière de la corde comme l'ombre l'est des néons.

    Les murs déroulent l'interrogation géométrique face aux forces du cosmos.

    Étrange attente que la preuve de l'existence elle-même.



(Extraits du recueil, Intérieurs, 1991).