jeudi 7 avril 2016

468-LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU DE LA VILLE DE NICE-PROJET PÉDAGOGIQUE-26





L'AFFAIRE RICCARDO AURILI, PARIS, 1902-1904

Le sculpteur italien Riccardo Aurili (1864-1943), notamment auteur de sculptures à Nice et Antibes, a été l'objet dans sa période parisienne d'une accusation de contrefaçon proférée à tort. Cette affaire, rapportée le 15 novembre 1904 dans la revue mensuelle Le Droit d'Auteur (DA p 138) et dans la revue hebdomadaire La France Judiciaire (FJ pp 318-19), est très éclairante sur le travail des sculpteurs et le marché de l'art de cette époque. J'en livre donc un résumé ci-dessous.

Le 3 avril 1902, le commissaire de police du quartier Gaillon, M. Péchard, assisté de M. Chapelée, délégué de la Société des Artistes français, organise une descente de police dans plusieurs magasins parisiens pour y saisir des œuvres signées du sculpteur Aurili et les mettre sous scellés, au vu de la loi des 19-24 juillet 1793 sur la propriété artistique.

Cette réquisition fait suite à la dénonciation de Mademoiselle Madeleine Brach, dite Malvina Brach, ancienne danseuse du corps de ballet de l'Opéra qui s'occupe depuis plusieurs années d’œuvres de sculpture et affirme être le véritable auteur des modèles en terre des œuvres saisies, un buste intitulé Le Gladiateur et un buste dénommé Flore.


- AURILI Richard (1864-1943), Gladiateur, modèle de 1899, fonte de 1902 (?) par Ettlinger Frères, Paris,
bronze à patine nuancée signé sur le côté,
socle en marbre figurant un chapiteau, hauteur du bronze : 60 cm,
Collection particulière.

- AURILI Richard (1864-1943), Flore, modèle de 1899, fonte de 1902 (?) par Ettlinger Frères, Paris,
bronze patiné, H: 32 cm, signé R.Aurili, Collection particulière.



Chez les fabricants de bronzes d'art Ettlinger frères, 9 rue Saint-Anastase, sont saisis : cinq bustes en étain et un buste de marbre de l'oeuvre intitulée Flore, le creux en cuivre ayant servi à couler les bustes, trois bustes du Gladiateur et le plâtre ayant servi de modèle, trois grands bustes du Gladiateur dont deux exécutés en zinc et l'un en bronze et marbre (comme sur la photo ci-dessus), et le creux en cuivre ayant servi à couler les bustes.
Chez les clients des frères Ettlinger, sont également saisis : un buste de Flore au magasin Marnotte, 37 rue de Châteaudun, et un buste de Gladiateur en fonte d'art au magasin Kahn, 10 rue de la Chaussée-d'Antin (Galeries Lafayette).

Postérieurement à ces saisies, la demoiselle Malvina Brach, entendue par le commissaire de police, déclare textuellement : "Dans le courant de l'année 1900, j'ai exécuté en terre une maquette du Gladiateur. Je l'ai ensuite donnée au sculpteur Aurili pour qu'il en fasse un agrandissement. Quant au buste intitulé Flore, et que primitivement j'avais appelé Marguerite, il a été livré dans les mêmes conditions. J'affirme d'une façon formelle que ces œuvres sont bien de ma composition et que Aurili n'en a fait que des agrandissements" (FJ).

Le 7 avril 1902, le sieur Louis Ettlinger, entendu par le commissaire Péchard, fait pour sa part la déclaration suivante : "Je dois vous dire que les œuvres étaient créées même avant de nous avoir été livrées puisque nous les avons achetées d'après le modèle et qu'elles ont figuré à l'Exposition Universelle de 1900, classes 97 et 98, aux Invalides, c'est-à-dire bien avant que la demoiselle Brach ne s'en fût rendue acquéreur. Je fais donc toutes réserves sur la validité des prétentions de cette dame, me réservant une action reconventionnelle contre elle pour le tort commercial qu'elle me cause" (FJ).
Toutes les preuves nécessaires sont apportées pour confirmer cette déclaration, livres de commerce, titres de propriété et déclaration du sculpteur Aurili qui révèle que les œuvres prétendument créées et modelées par Malvina Brach, ont été crées par lui, et cédées en toute propriété aux frères Ettlinger dans l'année 1899. 

Malvina Brach, ainsi confondue, fait alors le 17 avril 1902, la déclaration suivante : "Après renseignements recueillis sur l'oeuvre que je vous ai prié de saisir et qui porte le nom de "Gladiateur", je me suis aperçue que ce buste n'avait qu'une ressemblance avec l'oeuvre dont je suis l'auteur, mais qu'elle en diffère par quelques détails. Je viens donc me désister de la plainte que j'avais déposée contre M. Aurili et vous prie de lever les scellés sur les bustes saisis tant que les frères Ettlinger que les sieurs Marnotte et Kahn. Je me désiste également de toute poursuite relative du buste "Marguerite" intitulé par Aurili "Flore", consentant seulement à en abandonner le droit de reproduction aux frères Ettlinger" (FJ).

L'affaire ne s'en arrête pas là. Comme annoncé, les frères Ettlinger demandent réparation, avec des dommages et intérêts à hauteur de 15.000 francs et la parution du jugement dans cinq journaux. L'affaire est jugée un an plus tard, le 18 mars 1903 par la cinquième Chambre du Tribunal civil de la Seine qui condamne, au vu du préjudice subi, Malvina Brach à payer seulement 1.000 francs aux frères Ettlinger et à un maximum de 500 francs d'insertion du jugement dans cinq journaux. Appel ayant été interjeté par les deux parties, la quatrième chambre de la Cour de Paris prononce le 31 mars 1904 le jugement définitif, condamnant Malvina Brach à 1.000 francs et à un maximum de 200 francs d'insertion des jugements dans deux journaux.

Cette affaire n'est pas la seule de cette époque. Citons par exemple celle qui touche un autre sculpteur florentin (avec qui d'ailleurs Riccardo Aurili travaillera), Rafaëllo Romanelli (1856-1928), suite à sa présence comme représentant de l'Italie au jury de sculpture de l'Exposition Universelle de 1889 à Paris. 
Auguste Caïn (1821-1894), sculpteur animalier, a obtenu du jury une première médaille au lieu de la médaille d'honneur qu'il ambitionnait ; il met alors en question la validité de la décision du jury et surtout la présence du sculpteur italien qu'il accuse d'avoir contrefait des œuvres françaises, et notamment celles dont il a hérité de son beau-père, Pierre-Jules Mène (1810-1879). 
Les journaux de juillet 1889 présentent cette affaire et M. Merlini, représentant de la Maison Romanelli frères à Paris (quotidien Le Temps du 10 juillet 1889) précise "qu'à aucune époque M. Raphaello Romanelli, qui est professeur à l'Académie de Florence, n'a été directement associé de la maison Romanelli, qui est gérée par ses deux frères Romano et Attilla, et que c'est par erreur que Raphaelo a été impliqué dans ce procès (...). Monsieur Merlini déclare encore que, comme les lois garantissant la propriété artistique n'existent pas en Italie comme en France, beaucoup d’œuvres d'artistes étrangers y sont contrefaites ; que c'est ainsi qu'il avait exposé chez lui les sculptures saisies, ignorant absolument qu'elles fussent la contrefaçon d’œuvres de M. Mène."

L'affaire Aurili est quelque peu différente mais elle est riche en renseignements sur la carrière du sculpteur. 
Elle confirme son métier de mouleur en plâtre dans ses années parisiennes (c.1884-1904) puisque Malvina Brach prétend lui avoir donné, en 1900, des esquisses en terre pour la réalisation de modèles agrandis en plâtre. 
L'affaire permet de prouver que, dès cette période, Riccardo Aurili fournit des modèles personnels aux frères Ettlinger pour l'édition en bronze et imitation de bronze (régule, zinc, étain), de différentes dimensions, et des oeuvres en marbre. 
Elle permet enfin de dater de 1899, les modèles du Gladiateur et de Flore, exposés par les frères Ettlinger à l'Exposition Universelle de 1900 puis édités entre 1900 et 1902. Il est à noter que les frères Ettlinger exposeront également des œuvres de Riccardo Aurili à l'Exposition Universelle de 1904, à Saint-Louis (Missouri, Palais des manufactures). 


À SUIVRE