mardi 7 juillet 2015

379-L'OEUVRE DE GABRIEL OROZCO AU TRAVERS DES QUESTIONS DU PROGRAMME-3




  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Empty Shoe Box, 1993,
épreuve argentique, 12.4 x 33 x 21.6 cm, New York, Marian Goodman Gallery.
La boîte ouverte et vide, posée sur le sol, est parfois poussée du pied par le spectateur qui s'interroge sur sa présence. Simple ready-made apparent, elle vient en écho à l'espace minime et quadrangulaire alloué à l'artiste à la Biennale de Venise de 1993. Volume vide d'objet, la boîte contient également l'espace environnant, l'air ambiant et le monde.

Un article écrit en collaboration avec Lionel Gabel, professeur d'Arts plastiques du Lycée Carnot de Cannes.
Cet article privilégie les reproductions photographiques d’œuvres absentes des deux premiers articles : 



Sur les questions et repères du Bulletin Officiel : Voir le B.O. n°1 du 1er janvier 2015 ou l'article de ce blog sur Les nouveautés des programmes.


GABRIEL OROZCO : LE MONDE EST SON ATELIER



Sur la mondialisation de l'art, lire (en ligne) le court article de Philippe Dagen, paru dans "Le Monde", en 2012 :
puis lire (en ligne) l'article plus développé de Laurent Wolf paru dans la revue "Etudes", en 2007



1- UN ART CONTEMPORAIN ET UNIVERSEL


Ouvert à l'art par son père, professeur d'art et peintre figuratif muraliste engagé (garant d'un art populaire et anti-capitaliste), Gabriel Orozco s'intéresse, dès l'adolescence, au dessin et à la peinture et collabore même avec son père. Il est cependant déçu par l'enseignement artistique traditionnel lors de ses études d'art à Mexico et s'intéresse désormais davantage au domaine de la sculpture. C'est son année d'études à Madrid en 1986 qui libère sa pratique et voit ses premiers assemblages éphémères, réalisés à partir de matériaux trouvés. C'est à l'étranger (Etats-Unis, Europe) qu'il connaît la reconnaissance dès 1992-93 mais il doit attendre l'année 2000 pour être reconnu dans son propre pays.

Sans renier ses attaches mexicaines, Gabriel Orozco voyage beaucoup et n'a pas d'atelier fixe, alternant sa vie notamment entre son pays d'origine, New York et Paris. Sa volonté de créer pour un lieu fait qu'une partie des pièces exposées à l'étranger sont réalisées sur place la semaine précédant le vernissage, avec des objets (notamment jeux et véhicules) et matériaux trouvés dans la ville concernée et souvent emblématiques du pays : vélos en Hollande (Four Bicycles, 1994), scooter Schwalbe en Allemagne (Until You Find Another Yellow Schwalbe, 1995), Vespa en Italie (Habemus Vespam,1995), DS (1993), carambole (Carambole with Pendulum, 1996) et cabane en forme de maison traditionnelle en France (Maman, 1998), extraits du New York Times aux Etats-Unis (Obits, 2008)... 


  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Habemus Vespam, 1995,
pierre de arnico, 115x180x63 cm, New York, Brae Art.
Représentation en pierre d'un objet du quotidien (taille directe inspirée des lions sculptés de Venise et réalisé par un artisan local), un scooter de la marque italienne Vespa, assorti en titre de la phrase latine annonçant l'élection d'un nouveau Pape, mêlant avec humour religion et société de consommation.

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Maman, 1998,
deux pianos, maisonnette au toit en ardoise, tuile, bois, métal, chaise et techniques mixtes,
304,8x264,2x139,7 cm, Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig Wien.
Les spectateurs sont invités à entrer dans la maisonnette et à jouer du piano, perturbant l'espace sonore de l'exposition où défile la bande-son d' improvisations au piano enregistrés par l'artiste qui a appris pour l'occasion.


Il n'empêche que l'artiste par ses nombreux voyages (Amériques, Europe de l'Est, Asie, Afrique...) s'ouvre à d'autres cultures et expose une universalité des formes, des matériaux et des symboles : ainsi, à Paris, l'exposition de l'oeuvre Ping-Pond Table, 1998, peut-elle renvoyer à l'Asie (jeu de ping-pong et mare aux lotus) comme à la France (Nympheas de Monet) ; autre exemple, les terres cuites, inspirées des techniques de la céramique malienne découvertes lors d'un séjour à Tombouctou en 2002, sont réalisées en France avec un artisan bourguignon avant d'être exposées la même année en Allemagne, à la Documenta 11 de Kassel (Cazuelas, 2002).


- OROZCO Gabriel (né en 1962), Ping-Pond Table, 1998,
table de ping-pong modifiée, nénuphars, terre, pierres et eau, 76,2x426,1x426,1 cm, l'une des 3 versions.
Deux tables aux bords arrondis sont reliées par une mare centrale remplaçant le filet et compliquant le jeu qui se déroule dans l'espace et le temps. Le titre est un jeu de mots entre "ping-pong" et "pond" (mare), mélangeant ainsi le jeu et le bassin aux lotus (symbole bouddhiste de l'univers).

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Cazuelas (Beginnings), 2002,

terre cuite, dimensions variables, vue de l'exposition à la Documenta 11 de Kassel.
Des boules d'argile sont lancées par l'artiste dans des pots pendant leur fabrication au tour par un artisan spécialisé : "Ces boules étaient tout à la fois lancées, projetées et écrasées contre les moules et ensemble, ils formaient un bol. C'était une réflexion surla poterie, l'érosion, le mouvement,l'espace planétaire, etc".

Gabriel Orozco se considère donc comme un artiste qui crée en fonction des lieux et des matériaux rencontrés, avec une pratique occidentale dans la lignée du Cubo-Futurisme, du Dadaïsme et de l'Abstraction.
Ses origines se révèlent cependant dans ses pièces inspirées par des lieux (côtes, déserts), des préparations culinaires et des végétaux mexicains (maguey en 1999-2001, cactus, manguiers, beaucarnea en 2009), par ses centres d’intérêt (gôut des tables et étals de marché), par ses titres en espagnol avec des expressions locales ("chicotes", "mixiotes", "pata de elefante"), voire par ses traditions culturelles et artistiques : intérêt au primitif, au rituel, au sacré, intérêt à l'art précolombien, thèmes des squelettes et du crâne omniprésents dans la culture mexicaine, goût de l'insolite du fait de l'influence du Surréalisme sur l'art mexicain, intérêt à l'écologie (flore et faune) en Amérique centrale (par le biais des études et recherches de sa femme), hommage à la peinture muraliste et à son père dans une pseudo-publicité pour une bière locale (Mural Sol, 2000)...



 
  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Mixiotes, 1999,
membrane de maguey (agave), balles en caoutchouc, sacs en plastique et fil de coton, dimensions variables, New York, Collection Helen et Brice Marden.
Sculptures fragiles évoquant une préparation culinaire mexicaine, suspendues comme à des étals de marché.

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Vue de l'exposition à Kurimanzutto, Mexico, 2009,
cactus sur support en bois, dimensions variables.
Les végétaux curvilignes et noueux transforment la galerie en paysage et dévoilent leur intérieur. Ils sont soutenus par des étais formés de chevrons de bois usinés qui contrastent avec eux par leur forme rectiligne et leur apparence lisse.


  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Eyes Under Elephant Foot, 2009,
tronc de beaucarnéa et yeux de verre, 147x144,5x140 cm, Guadalajara (Mexique), Collection Charpenel.
L'artiste utilise du bois de beaucarnéa à la base élargie et remplit ses trous poreux d'yeux de verre, formant une oeuvre insolite qui unit l'organique et l'industriel, le végétal, l'animal et l'humain.
Il y a probablement ici un jeu de mots sur l'idée de "orbite", tout à la fois trajectoire des corps célestes et cavité oculaire, le tronc apparaissant comme une constellation.

  - OROZCO Gabriel (né en 1962),
Mural Sol, 2000,
peinture polymère synthétique sur mur, dimensions variables, installation temporaire.
L'hommage au peuple et aux héros du Mexique de la peinture muraliste a laissé place ici à la publicité pour une bière mexicaine, Sol, et son logo.


- OROZCO Gabriel (né en 1962), Photogravity, 1999,
impression jet d'encre, mousse, acier, caoutchouc et bois, 28 parties, dimensions variables,
Exposition; "Gabriel Orozco, Photogravity", Philadelphia Museum of Art.
Un art contemporain et universel
Par de grandes photographies noir et blanc découpées et placées au sol sur un piétement arborescent, l'artiste établit des liens entre l'évocation de ses œuvres personnelles (à l'échelle 1/1) et celle des œuvres précolombiennes (relation au Mexique) du musée. Les rapprochements, facilités par le noir et blanc des images, s'instaurent au niveau des formes (quadrangulaires et curvilignes) et des textures, et un dialogue s'établit entre les objets des deux civilisations et cultures différentes.

- OROZCO Gabriel (né en 1962), Photogravity, 1999,
impression jet d'encre, mousse, acier, caoutchouc et bois, 28 parties, dimensions variables,
Exposition; "Gabriel Orozco, Photogravity", Philadelphia Museum of Art.
Une diversité des pratiques et un dépassement des catégories artistiques 
Les sculptures de l'artiste (3D) sont ici présentées par leur image photographique (2D) mais la découpe des photos, leur présentation inclinée, leur nombre et leur occupation de l'espace, leur installation verticale sur le sol (comme des stèles ou des monuments), leur piétement arborescent et la présence de matériaux comme le métal et le bois en font des sculptures à part entière, avec un revers aussi intéressant.


2- UNE DIVERSITÉ DES PRATIQUES ET UN DÉPASSEMENT DES CATÉGORIES ARTISTIQUES


a/ les techniques


Gabriel Orozco a une pratique artistique aux aspects diversifiés et mêlés : dessin, peinture, sculpture, photographie, vidéographie, infographie, et dans une mesure moindre, architecture (Shades Between Rings of Air, 2003 ; Observatory House, 2006) son (fond sonore des vidéos) et musique (enregistrements de piano diffusés dans l'expo du MAM de la Ville de Paris, en 1998). 

Adepte de techniques ancestrales comme le dessin à la mine de plomb, la peinture à la tempera et à la feuille d'or, le modelage et le moulage de l'argile (retour au geste primitif, à la terre : My Hands Are My Heart, 1991 ; sculptures exposées à la Galerie Chantal Crousel, Paris, en 2002), la taille de la pierre, il utilise également tous les outils et techniques de création d'images (du pastel au stylo-feutre, de la sérigraphie à l'acrylique, de l'empreinte au collage, de la photo à la vidéo, en passant par l'usage de logiciels et d'imprimantes), et toutes les techniques de création de sculptures (de l'assemblage, à l'installation, l'installation multimédia, l'installation in situ, l'environnement, l'œuvre interactive et la performance). L'artiste alterne des techniques manuelles de création et l'usage de procédés mécaniques ou numériques de création ou d'impression et de duplication. De nombreuses œuvres ne sont d'ailleurs pas directement fabriquées par lui (concepteur) mais sont récupérées du quotidien (objets et matières exposés, assemblés ou modifiés mais gardant une part de leur fonctionnalité). L'artiste se définit comme "un consommateur de tout ce qui est à portée de main et comme un producteur de ce qui existe déjà"

Certaines œuvres sont d'ailleurs réalisées par une équipe d'assistants (frottages à la mine de plomb des mosaïques circulaires d'une station de métro parisienne, Havre-Caumartin, 1999), d'artisans et de techniciens spécialisés en peinture (peintres de panneaux d'affichage, Mural Sol, 2000) mais surtout en sculpture (taille directe, modelage, moulage, fonte). 
Les œuvres traduisent parfois ce cumul de différentes techniques de sculpture (modelage de l'argile par l'artiste, agrandissement, moulage et cuisson céramique et fonte en aluminium par des artisans spécialisés : Pinched Stars, 1997), voire même sont réalisées en l'absence de l'artiste sur ses seules instructions (Replaced Car Stoppers, 2001).

Les œuvres révèlent et affirment souvent leur processus de création, le travail de la matière et le minimalisme de l'intervention : frottage (Havre-Caumartin, 1999), simple présentation de l'objet comme un ready-made (Empty Shoe Box, 1993), collection d'objets (Chicotes, 2010 ; Asterisms, 2012), assemblage d'objets (Four Bicycles, 1993 ; Toilet Ventilator, 1997 ; The Weight of The Sun, 2003), recouvrement de motifs (Black Kites, 1997 ; Mobile Matrix, 2006 ; Troncos modification d'objets (Carambole with Pendulum, 1996, Ping-Pond Table, 1998 ), écrasement de la matière (My Hands Are My Heart, 1991), pincement (Pinched Stars, 1997), coulée en expansion (Spumes, 2002-2003), découpe (La DS, 1993 ; Elevator, 1994)...


- OROZCO Gabriel (né en 1962), Ping-Pond Table, 1998,
table de ping-pong modifiée, nénuphars, terre, pierres et eau, 76,2x426,1x426,1 cm, l'une des 3 versions, vue de l'Exposition "Inner Cycles", au Musée d'Art Contemporain de Tokyo.
Deux tables aux bords arrondis sont reliées par une mare centrale remplaçant le filet et compliquant le jeu qui se déroule dans l'espace et le temps. Le titre est un jeu de mots entre "ping-pong" et "pond" (mare), mélangeant ainsi le jeu et le bassin aux lotus (symbole bouddhiste de l'univers).

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Asterisms, ensemble et détail, 2012,
vue de l'exposition du Musée Guggenheim de New York.
L'oeuvre est composée de plus d'un millier de détritus classifiés installés au sol et photographiés (12 grandes photographies réunissant 99 photographies de l'objet seul et de son environnement), récupérés sur deux sites différents, aux Etats-Unis, à New York, près de son domicile et en Basse Californie sur une plage mexicaine protégée (intérêt à l'objet et à l'environnement, préoccupation écologique, relation nature/culture, parcours de ces objets...)..


Gabriel Orozco mixe donc les techniques (collage et peinture par exemple) et les outils de création (manuels et mécaniques) et expose dans une même salle divers médiums qui dialoguent entre eux : sculptures posées sur le sol ou suspendues au plafond et dessins, peintures et photographies au mur, projection de vidéo, fond sonore. Le parti-pris de l'artiste d'adapter, à chacun des musées des cinq pays concernés, la scénographie de sa rétrospective de 2009-2011 est, à ce titre, exemplaire.


  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Vue de l'exposition de la rétrospective Gabriel Orozco
aquarium du Centre Pompidou, 2010.


b/les lieux


La découverte des lieux est une phase importante de la démarche de Gabriel Orozco qui prend le temps de parcourir et de découvrir la ville et le lieu d'exposition et d'y étudier les espaces ainsi que les déplacements des spectateurs, avant de décider de la scénographie. De nombreuses œuvres sont d'ailleurs, nous l'avons dit plus haut, conçues dans la ville la semaine précédant le vernissage, photographies, mais également sculptures grâce aux matériaux trouvés sur place (Penske Work Project, 1998), voire même trouvés à l'intérieur du lieu d'exposition (The Weight of The Sun, au Trinity College de Dublin, en 2003).




  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Penske Work Project.
Penske Work Project : End of the Octopus, 1998,
aluminium et panneau imprimé, 38,1x248,9x116,8 cm,
Grèce, Collection Dimitris Daskalopoulos.
Penske Work Project : Blinds in a Rubber Mat, 1998,
aluminium et caoutchouc, 40,6x175,3x175,3 cm,
Grèce, Collection Dimitris Daskalopoulos.

- OROZCO Gabriel (né en 1962), The Weight of The sun, 2003,
technique mixte, dimensions variables, vue de l'exposition "Gabriel Orozco, The Weight of the Sun", Dublin, The Douglas Hyde Gallery, Trinity College.
L'artiste a collecté tout un tas d'objets et de rebuts trouvés dans la galerie même, dont un balai qu'il a accroché aux rampes d'éclairage du plafond puis qu'il a équilibré, grâce aux autres objets suspendus eux aussi grâce à des ficelles en coton ; le tout forme un système flottant et solidaire qui évoque le système solaire (titre).


Les différents médiums dialoguent parfois avec le lieu (boîte de chaussures vide évoquant la salle de la Biennale de Venise et contenant l'espace environnant, Empty Shoe Box, 1993 ; forme ovale du billard, Carambole with Pendulum, 1996imaginée en écho avec la forme de la chapelle du Centre de la Vieille-Charité à Marseille ; motifs floraux issus des tapisseries du Château de Chaumont/Loire et présentés sur ses murs, Fleurs Fantômes, 2014 et 2015) et investissent des espaces de la galerie ou du musée non destinés à recevoir des œuvres (porte, paliers, escalators, jardin à l'exposition du MoMa de New York en 1993 ; terrasse, à l'exposition au Witte de With de Rotterdam, Frozen Portable Puddle, 1994), voire débordent sur d'autres espaces privés (immeubles) et publics (rues), franchissant davantage encore les frontières entre le monde de l'art et le monde réel. 


  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Frozen Portable Puddle, 1994,
épreuve argentique à blanchiment de colorants, 40,4x50,8 cm, édition de 5.
L'artiste crée une oeuvre éphémère sur le toit du Centre d'Art contemporain de Rotterdam, composée de pochettes de disques en plastique achetées dans une brocante proche. Les pochettes givrent pendant la nuit, leur placement, leur forme et leur milieu humide les confondant avec des feuilles de nénuphar.

- OROZCO Gabriel (né en 1962), Fleurs Fantômes, 2014,
impressions photographiques à jets d'huile sur toile sur châssis,
vue de l'installation du même nom au Château de Chaumont/Loire.
L'artiste a photographié le palimpseste des tapisseries anciennes (XIX°-début XX° s.) du château, et en particulier les motifs géométriques et floraux. Il a retouché les photographies à l'ordinateur puis les a imprimées sur toile grâce à une ancienne imprimante à jet de peinture à l'huile. Il a enfin positionné les toiles sur châssis sur les murs du château pour que les œuvres dialoguent avec les tapisseries et constituent des empreintes et fantômes du passé flottant dans l'espace et évoquant la succession des générations des châtelains.



Le jeu se continue donc à l'extérieur de l'espace muséal et instaure un dialogue entre l'espace de la ville et l'espace muséal en faisant entrer ce qui relève des domaines public et quotidien à l'intérieur du musée (bornes de béton abîmées des rues d'Istanbul, Replaced Car Stoppers, 2001) et en exposant à l'extérieur les œuvres de l'artiste, fondues dans le paysage urbain (oranges déposées sur le bord de leur fenêtre par les voisins du MoMa, Home Run, 1993 ; planche à repasser sur l'immeuble face à la galerie de Rotterdam, Ironing Board, 1994 ; voitures invitées à se garer dans la galerie d'Anvers, Parking Lot, 1995 ; manège en forme de roue, Half-Submerged Ferris Wheel, Hanovre, 2000 ; bornes créées par l'artiste en remplacement des bornes abimées des rues d'Istanbul, Replaced Car Stoppers, 2001).

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Replaced Cars Stoppers, 2001,
béton, dimensions variables, vue de l'Exposition "Egofugal, 7° Biennale internationale d'Istanbul", avec les bornes de l'artiste installées dans les rues d'Istanbul, New York, Marian Goodman Gallery.
L'artiste a envoyé ses instructions. Des plots abîmés des rues d'Istanbul (en forme de champignon, empêchant les voitures de monter sur les trottoirs) sont récupérés et installés dans l'espace muséal, alors que de nouveaux plots modifiés (de taille semblable mais en forme de téton) sont installés dans les rues à leur place.

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Half Submerged Ferris Wheel, 1997-2000,
grande roue, dimensions variables,
vue de l'installation à EXPO 2000, Hanovre, 2000.
La Grande roue a été envisagée dès 1997 de taille monumentale et n'a pour l'instant été réalisée qu'en version réduite en 2000. Elle est tout à la fois un manège à disposition du public et une roue de la Fortune (destin), s'enfonçant à moitié dans le sol.


c/le spectateur

Ces différents médiums dialoguent enfin avec le spectateur appelé à participer par ses points de vue, par ses mouvements et déplacements intégrés à l'oeuvre (Yogurt Caps, 1994) mais également par sa manipulation de l'oeuvre (jeux d'échecs, Horses Running Endlessly, 1995 ; de billard, Carambole with pendulum, 1996 ; de ping-pong Ping-Pond Table, 1998 ; de piano, Maman, 1998) ou son entrée à l'intérieur de l'oeuvre (voiture, DS, 1993 ; ascenseur, Elevator, 1994 ; cabane, Maman, 1998 ; manège, Half-Submerged Ferris Wheel, 2000). Dans le jeu partagé, à jouer avec de nouvelles règles, le spectateur construit de nouvelles relations avec les autres, en public. D'autres sens du spectateur sont parfois sollicités, comme l’ouïe (environnement sonore de l'exposition au MAM de la Ville de Paris en 1998), ou l'odorat (odeur de caoutchouc de certaines installations, comme Chicotes, 2010) et la compréhension de l'oeuvre et du monde se fonde sur cette nouvelle expérience physique et intellectuelle. 


d/un dépassement des catégories artistiques


Plus encore, Gabriel Orozco emploie chacune des techniques de manière ambiguë, dans un cadre qui dépasse les catégories traditionnelles.

La vidéo est utilisée aussi bien comme documentaire sur son travail (film de 80 mn de Juan Carlos Martin, Gabriel Orozco, 2002) que comme oeuvre à part entière (Jaipur Kites, vidéo de 29 mn, 1998 ; Samurai Tree Invariants, animation numérique de 11 mn, 2007, Boulder Hand, 2012, vidéo de 54 s en boucle).


VOIR UN EXTRAIT DE LA VIDÉO (0 MN 34) DE
GABRIEL OROZCO, BOULDER HAND, 2012, 0 MN 54 EN BOUCLE,
PARIS, GALERIE CHANTAL CROUSEL.
La vidéo Boulder Hand explore le rapport harmonieux de la main (comme outil) et du matériau (pierre, outil) dans le processus de création (polissage). 
La photographie est, elle aussi, employée à divers titres : l'artiste capture des instantanés de la vie quotidienne (matières, objets, architectures, animaux, paysage), afin de révéler sa vision du monde et des concepts qui lui sont chers, en mettant notamment en évidence des formes circulaires (Total Perception, 2002) et les effets du temps et du mouvement sur la matière (Dog Circle, 1995). Il utilise également la photographie pour garder trace d'interventions et de mises en scène sculpturales éphémères (performance, My Hands Are My Heart, 1991 ; installation, Island Within an Island, 1993). Il utilise enfin des photographies personnelles imprimées, ou des photographies découpées dans les magazines, comme collages dans des peintures ou même des installations, mêlant 2D et 3D (Photogravity, 1999).


  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Total Perception, 2002,
épreuve couleur chromogène, 40,6x50,8 cm, édition de 5. 
L'artiste photographie près de Tombouctou une vieille mosquée faite de toile et de piquets et percée de trous circulaires faisant entrer la lumière comme un planétarium primitif.

- OROZCO Gabriel (né en 1962), Dog Circle, 1995,
photographie couleur, 32,7x47,3 cm, New York, Marian Goodman Gallery.
L'artiste photographie des petits-riens de la vie ordinaire qui prennent valeur de symboles
de la vie même ; ici le demi-cercle tracé par la queue en mouvement (floue) d'un chien dans le sable.


- OROZCO Gabriel (né en 1962), My Hands Are My Heart, 1991,
deux épreuves argentiques à blanchiment de colorants, 23,2x31,8 cm chacune, édition de 5.
L'artiste comprime et moule un bloc d'argile rouge, devant sa poitrine nue, exposant ensuite le résultat qui forme un cœur marqué des empreintes des doigts.

- OROZCO Gabriel (né en 1962), Island Within an Island, 1993,
épreuve argentique à blanchiment de colorants, 40,6x50,8 cm, édition de 5.
L'artiste garde une trace photographique d'une installation urbaine in situ, réalisée avec des débris trouvés sur place. Cette installation devant un muret et proche d'une flaque d'eau, imite la ligne des immeubles urbains sur fond de ciel, à proximité de l'océan. Par cette mise en abyme, l'artiste affirme sa démarche déduite du lieu et des matériaux trouvés, son goût pour les interventions éphémères et la mise en scène photographique (point de vue et trace) et enfin la confrontation microcosme/macrocosme.


Le plus souvent, ce sont des supports plats autres que des photographies, qui constituent une installation dans l'espace (rouleau de papier au sol, Dial Tone, 1992 ; cercles de plastique au sol, Frozen Portable Puddle, 1994 ; feuilles de papier suspendues au mur, au plafond et sur des supports, Color Travels through Flowers, 1998).


  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Dial Tone, 1992,
rouleau et détail d'une page
pages d'annuaire téléphonique découpées et collées sur papier japonais, 27,9x330,2 cm,
Marian Goodman Gallery.
L'artiste a découpé les pages d'un annuaire téléphonique en supprimant les noms et en ne gardant que les numéros qu'il a ensuite collés en colonnes sur un rouleau de papier japonais.

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Color Travels through Flowers, 1998,
teinture sur papier, dimensions variables, aquarium du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Ces feuilles sont des supports de récupération utilisés en usine pour le séchage de la teinture des fleurs artificielles et habituellement jetés qui sont ici suspendus comme à des étals de marché.


Ce mélange 2D/3D se retrouve dans de nombreuses œuvres de l'artiste avec le plus souvent des motifs géométriques tracés à la mine de plomb, peints ou imprimés qui recouvrent des objets plats (billets de banque, One Hundred Rupees, 1997 ; journal, Clinton is Innocent, 1998) ou plus souvent des éléments en volume : ossements (Black Kites, 1997, Mobile Matrix et Dark Wave, 2006) et blocs de bois notamment (Storm, 1989 ; Troncos, 2008 ; Drops on Trunk, 2009).


- OROZCO Gabriel (né en 1962), Tronco 1, 2008,
tempera, feuille d'or polie sur bois, env. 90x29,5x15 cm, New York, Marian Goodman Gallery.
Pour cette série, l'artiste a choisi de peindre ses abstractions géométriques sur bois avec une palette élargie (au noir, vert et orange) mais sur une seule des faces recouverte de feuille d'or d'un bloc de cèdre rouge brut (volume).

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Drops on Trunk, 2009,
graphite et plâtre sur tronc de manguier, 56,5x58,5x55 cm, Collection Clarissa et Edgar Bronfman, Jr.


Autre ambiguïté de l'artiste, le rapprochement et le mélange de matières éphémères et pérennes, organiques (naturelles : végétales, animales, humaines) et industrielles (artificielles, souples et dures), avec des spécificités proches (formes, couleurs, textures, transparences) et des titres (Mixiotes, 2001) qui faussent le regard : végétal/animal (arbre/éléphant : Chapel, 1989 ; Eyes Under Elephant Foot, 2009 ; Roiseaux, 2012, tiges de bambou et plumes), végétal/synthétique (feuilles de lotus, Frozen Portable Puddle, 1994 ; arbres en bois, papier et plastique, Moon Trees, 1996 ; fleurs en tissu, papier et acier, Dents de Lion, 1998 ; lambeaux de pneus évoquant l'écorce, Chicotes, 2010).



  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Moon Trees, 1996,
bois, papier et plastique, environ 300x150x167,6 cm, l'une des 9 versions. 

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Dents de lion, 1998,
tissu, papier et acier, D: environ 94,9 cm, l'une des 10 versions.



Enfin, dernière ambiguïté de l'artiste, ce qui relève du travail de recherche (dessins, maquettes) et ce qui est "oeuvre", puisqu'il expose auprès de ses oeuvres abouties ses Carnets et ses Working Tables.



  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Carnet 4, p 95, 1993-1994,
mine de plomb, gouache et placage bois sur page de carnet, 27,3x20,5 cm, Collection de l'artiste.

  - OROZCO Gabriel (né en 1962), Working Tables, détail, 2000-2005,
New York, MoMa.



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