dimanche 23 février 2025

1377-AUGUSTE BELLOC (1805-1873), PHOTOGRAPHE


SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- BELLOC Auguste (1805-1873), Autoportrait (à env. 50 ans), 1855, 
détail d'une photolithographie (retouchée par Jean Jules Jacott)
placée en tête de son traité intitulé, Les Quatre branches de la Photographie.



AUGUSTE JOSEPH BELLOC , PHOTOGRAPHE
Montrabé, Haute-Garonne, 7 septembre 1805
Nogent-sur-Marne, Val-de-Marne,  6 janvier 1873




INTRODUCTION


Nous savons peu de choses sur la vie et l'œuvre d'Auguste Belloc, peintre, daguerréotypeur, chimiste et théoricien de la Photographie (1). 

Quelques dizaines de portraits et de nus féminins conservés (2), de nombreux articles et publicités et onze Traités (3) témoignent cependant de son activité passée, comme son adhésion à plusieurs Sociétés savantes et sa participation à des Expositions nationales et internationales.

De sa vie personnelle, nous ne connaissons rien avant l'année 1844 où il a 29 ans, est dit propriétaire lors de son mariage et tient un atelier de portraits au Daguerréotype à Toulouse.

A-t-il fait des études à Paris ? Est-il peintre en miniature ? Maîtrise-t-il la technique de la peinture à l'huile ? A-t-il déjà exposé ou vendu des portraits peints ? Pratique-t-il déjà l'aquarelle, la gouache et le pastel ou ne réalise-t-il que des dessins daguerréotypés parfois coloriés ?  

S'est-il formé au Daguerréotype dès 1839 ? A quelle date a-t-il ouvert son atelier toulousain ? A-t-il des compétences en chimie ou va-t-il progressivement les développer ?

Il quitte Toulouse en 1848 pour s'installer à Paris. Quelles sont les adresses successives qui vont accueillir tout à la fois son atelier et son domicile ? 

Ses nombreuses petites annonces concernent essentiellement l'édition de ses traités, ses offres de leçons de photographie et de vente de ses produits chimiques et accessoires. Qui fabrique et vend les produits qu'il met au point ? 

Son activité de portraitiste est peu évoquée dans ses propres écrits et dans ceux qui lui sont consacrés à l'époque et sa production de nus (qui fait encore sa célébrité de nos jours) ne l'est quasiment jamais. De quand datent ses premiers nus ? 

Enfin, recherche-t-il des associés au cours de sa carrière et à quelle date cesse-t-il son activité ?




TOULOUSE


Auguste Joseph Belloc (dit aussi Pierre Arnaud/Armand Joseph Auguste Belloc) est né le 20 fructidor an XIII (7 septembre 1805) à Montrabé (commune située à environ 10 km au nord-est de Toulouse, Haute-Garonne). Il est l'un des enfants de "Étienne Belloc, "homme de loy habitant de toulouse sur son domaine à montrabe et de Louise Cramaussel mariés [vers 1800]".

Âgé de 38 ans, Auguste Belloc, "propriétaire", domicilié à Toulouse, Allée Lafayette, épouse dans cette ville, le 21 mai 1844, Céleste Marie Leroux, 32 ans, sans profession (née le 20 septembre 1811 à Angers, Maine-et-Loire). Le père d'Auguste Belloc est alors décédé et sa mère vit avec lui.

La conservation d'un Portrait de jeune femme, daté de "mai 1844" (daguerréotype de 10,2x7,6 cm, Graham Nash Collection) semble impliquer qu'Auguste Belloc est déjà daguerréotypeur à cette date.

Une petite annonce paraît d'ailleurs à l'automne 1844 et le présente en tant que vendeur de Daguerréotypes et d'accessoires mais également portraitiste, Allée Lafayette, 39 (Journal de Toulouse des 4 et 8 novembre 1844).


2 - Publicité d'Auguste Belloc parue dans le Journal de Toulouse
des 4 et 8 novembre 1844 (Gallica).



En juin 1845, Auguste Belloc participe à L'Exposition des produits des beaux-Arts et de l'industrie de Toulouse, en tant que "peintre", avec des "Portraits faits en quelques secondes, et sans soleil (Daguerréotype)" (Catalogue de l'Exposition, dans les Galeries du Capitole, le 25 juin 1845 p 38).

C'est en tant que "peintre", à nouveau, que Joseph Auguste Joseph Belloc déclare sa fille, Louise Amélie Berthe, née le 2 novembre 1845, à la même adresse (domicile au n° 40). L'un des témoins de cet acte est son frère aîné, Frédéric Belloc, âgé de 45 ans (né à Toulouse, rue Malcousinat, le 12 janvier 1801), négociant, domicilié place Lafayette.

Par la suite, Auguste Belloc fait uniquement paraître, l'été 1846, un nouvelle petite annonce  concernant la vente d'un "Daguerréotype 1/2 plaque, S-Allemand, achromatique et à crémaillère" d'occasion, tout en rappelant qu'il propose des "portraits à toute heure ; de 8 à 12 fr." (Journal de Toulouse des 28, 31 juillet et  2 août 1846).




PARIS


Boulevard Montmartre, 5

Au cours de l'année 1848, le peintre et photographe, accompagné de sa famille, quitte Toulouse pour s'installer à Paris. Il est cité dans cette ville dès l'Annuaire-Almanach du Commerce Firmin-Didot de 1849, en tant que "peintre de portraits, boulevard Montmartre, 5" (2ème arrondissement).

Il participe à l'Exposition Nationale des produits de l'industrie agricole et manufacturière de Paris, en 1849, en tant que "peintre", avec un "Daguerréotype pastel, procédé entièrement nouveau. Ce genre de portraits a l'immense avantage de réunir le brillant et le flou du pastel, à la vérité du daguerre, mais sans le miroitage ordinaire" ( Livret de l'Exposition nationale des produits de l'agriculture et de l'industrie 1849, 1849 p 55).

C'est au plus tard au début des années 1850 (1851 ?), qu'Auguste Belloc consacre désormais une grande partie de sa production à des nus féminins, avec des vues licites (études pour artiste) et d'autres illicites (mises en scène érotiques).

Ses premières petites annonces parisiennes semblent dater de 1851 (vente d'appareils d'occasion, La Lumière du 9 février 1851).

En juillet 1851, il devient membre de la Société Héliographique (fondée en janvier 1851) et participe à l'Album Photographique du Journal La Lumière (La Lumière du 16 novembre 1851).

Le couple Belloc a un deuxième enfant, un garçon, Marie Georges Frédéric Gaston, qui naît le 12 février 1851, boulevard Montmartre, 5. Auguste Belloc est dit à cette occasion, "peintre en portraits".

Il participe ensuite à l'Exposition Universelle de Londres de 1851 (de mai à octobre).

Les Annuaires-Almanachs du Commerce de 1850 à 1853 citent "Belloc (A.)" toujours à la même adresse mais désormais comme, "artiste photographe". Ses premières publicités pour son activité de portraitiste datent d'octobre 1852, "Portraits - spécialité, sans retouche, leçons" (Le Charivari ; L'Argus).

"M. Belloc, autrefois l’un de nos photographes praticiens les plus exercés, aujourd’hui professeur grandement recherché de photographie sur verre collodionné, nous a montré son album vraiment magnifique ; c’est la plus belle collection de portraits et d’académies sur collodion que l’on puisse voir [première mention relevée de ses nus] 

nous ne savions vraiment pas que ce bel art eût déjà fait assez de progrès pour qu’on eût pu réaliser tant de chefs-d’œuvre. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que tous ces positifs sont sans retouche aucune, et que M. Belloc opère presque à coup sûr" (Cosmos du 13 janvier 1853 pp 36-37). 

Auguste Belloc cède, au plus tard au printemps 1853, son "établissement, déjà si connu par la méthode excellente du collodion", au photographe Emile Auguste Vaute (1823-1875) (La Presse du 14 mai 1853). 


Rue d'Enghien, 24

Il s'installe ensuite à l'adresse de la rue d'Enghien, 24 (10ème arrondissement), qu'il va conserver plus d'un an et demi

En avril 1854, paraît un article qui commente ses nus. "Les académies de M. Belloc sont nous n'hésitons pas à le dire ce que jusqu'à présent nous avons rencontré de plus remarquable.

Nous ne dirons point que la critique n'a pas la moindre chose à dire, non ; la critique a toujours une remarque à jeter, seulement la bavarde qu'elle est n'a point avec M. Belloc un champ bien large pour s'exercer, c'est tout au plus si elle pourrait reprocher à cet artiste ou d'avoir été assez malheureux pour ne rencontrer que des modèles ayant des jambes de force... assez rare ou pour s'être servi d'un instrument qui ne lui permet pas de mettre en même temps au point le haut et le bas du corps de ses modèles. 

Sauf cela il ne nous reste qu'à constater l'expression de l'exécution de ces académies, le cachet d'originalité, le pittoresque et l'esprit des poses, la facilité du faire et le sentiment" (Le Propagateur du 2 avril 1854).

En mai 1854, Auguste Belloc publie son premier, Traité théorique et pratique sur la Photographie, chez Delahaye, ouvrage qui accroît sa réputation (Cosmos du 26 mai 1854).

"M. Belloc est un artiste de talent. On a souvent admiré, et à juste titre, ses portraits, qui se distinguent par la beauté des tons, la finesse du modelé, la vigueur des lumières. Or, c'est par une longue expérience des manipulations photographiques, aidée d'une intelligence réellement artistique, qu'il est arrivé à de semblables résultats. 

Dans de telles conditions, M. Belloc, en publiant ses procédés, devait nécessairement faire un livre intéressant et utile, dont le succès était assuré d'avance. Aussi, dès les premiers jours, son Traité a-t-il été accueilli avec la plus grande faveur" (La Lumière du 10 juin 1854 p 91).


3- Paris, Photographie - Spécialités recommandées par le Cosmos,
 Revue encyclopédique hebdomadaire du Progrès des Sciences du 7 juillet 1854.



C'est également chez N.B. Delahaye, chimiste, Maison de la Photographie (entrepôt d'approvisionnement en appareils, accessoires et produits chimiques), qu'Auguste Belloc met en dépôt les articles de sa fabrication. 

C'est le cas notamment pour l'encaustique lustrée mise au point par son collègue Alexandre Clausel (1802-1884), peintre et photographe à Troyes, pour protéger, donner de l'éclat et renforcer le détail des épreuves positives (Le Propagateur du 20 juillet 1854).


Rue de Lancry, 16

Auguste Belloc déménage à nouveau, au cours du second semestre 1854, pour s'installer dans le même immeuble que Delahaye, rue de Lancry, 16, au troisième étage (10ème arrondissement) (Le Propagateur du 7 décembre 1854 ; Annuaire-Almanach du Commerce de 1855). 

Entre novembre 1854 et avril 1855, Auguste Belloc devient membre de la Société Française de Photographie (fondée le 15 novembre 1854) (Bulletin de la S.F.P. du 20 avril 1855 p 90).

Au printemps 1855, il participe à l'Exposition Universelle de Paris (du 15 mai au 15 novembre) avec des "Epreuves photographiques par le collodion" et obtient une médaille de 2° classe "pour des portraits bien réussis" (Exposition des produits de l'Industrie de toutes les Nations, Catalogue officiel, 1855 p 192 ; La Lumière du 25 juillet 1857) et, en même temps, à l'Exposition photographique d'Amsterdam (avril-juin 1855) où il remporte une médaille de bronze (La Lumière du 23 juin 1855). 

En août 1855, Auguste Belloc publie chez Delahaye, Les Quatre branches de la Photographie, avec en tête d'ouvrage un double portrait photolithographié le représentant, accosté du lithographe Jean Jules Jacott (c.1812-1894) (Image 1).

"M. Belloc, puissamment aidé par celui de ses élèves qui lui fait le plus honneur, M. Jacott, est entré en possession d'un procédé nouveau de photolithographie ou de transport sur pierre lithographique des épreuves photographiques, dans des conditions telles qu'elles puissent servir au tirage d'une nombre indéfini d'épreuves tirées par les procédés ordinaires de la lithographie" (Cosmos du 17 août 1855 pp 171-173).

Après avoir déposé un brevet d'invention sans garantie du gouvernement, le 5 juin 1856 (brevet de 15 ans, n° 27991, INPI), Auguste Belloc présente à la séance de la Société Française de Photographie du 20 juin 1856, son nouveau système de châssis positif à trois glaces, expérimenté depuis trois mois et désormais mis en vente chez Delahaye (Cosmos du 27 juin 1856 pp 679-680).

Ce châssis-presse positif permet une pression uniforme du négatif contre le papier positif. (Cosmos 1856 pp 679-680 ; Auguste Belloc, Compendium des quatre branches de la Photographie, édition de 1858 pp 181-185) (4). 

En août 1856, Auguste Belloc participe à l'Exposition des arts industriels de Bruxelles.
 
Ce qu'il "a exposé de plus neuf, c'est, sans aucun doute, son essai de photo-lithographie, qui a été tant admirée à Paris. Quelques-uns de ses portraits sont admirables, quoique un peu froids ; il est bien difficile de faire mieux" (Cosmos du octobre 1856). Il est récompensé par une mention honorable (Journal des Débats politiques et littéraires du 11 décembre 1856).

Suite à une perquisition effectuée à son atelier en octobre 1856, Auguste Belloc se voit condamné, en janvier 1857, à 100 francs d'amende et une peine de trois mois de prison pour épreuves obscènes et offense à la morale publique.

Il semble que c'est vers cette époque qu'Auguste Belloc met fin à sa collaboration avec Delahaye, tant pour l'édition de ses Traités que pour la commercialisation de ses produits chimiques dont le catalogue va désormais être ajouté à ses nouvelles publications.

A l'automne 1857, il fait paraître la petite annonce suivante : "Photographie Belloc, r. de Lancry dem. un assoc. p. f. portrait. Reprod. et comm. d'art. photog. L'établiss. fait déjà 30,000 francs nets de recettes annuelles" (La Presse du 21 octobre 1857). Il semble que cette demande n'a pas été suivie d'effet.

Au printemps 1858, il participe à l'Exposition d'Alençon où il obtient une mention honorable (Gustave Le Vavasseur, Exposition d'Alençon 1858, du 17 mai au 14 juin, Argentan, 1858 p 48).

L'été suivant, c'est à
 l'Exposition des Beaux-Arts et de l'Industrie de Toulouse qu'il est présent.
 
"M. Belloc a exposé des épreuves photographiques qui ont une incontestable supériorité sur celles de ses concurrents. Les personnages sont tous parfaitement posés ; les épreuves sont d'une netteté remarquable ; les impressions sont des plus heureuses" (Catalogue de l'Exposition des Beaux-Arts et de l'Industrie à Toulouse, Année 1858, du 15 août au 15 octobre, Toulouse, 1859 p 401).

Il se présente désormais comme "chimiste" et "professeur de Photographie" (Le Siècle du 2 octobre 1858), proposant des leçons gratuites et toujours des appareils et leurs accessoires, et notamment les produits chimiques fabriqués par ses soins.

Un texte de présentation accompagne notamment son nom dans l'Annuaire-Almanach du Commerce de 1859 et au sein de ses Traités.

4- Publicité d'Auguste Belloc parue dans 
l'Annuaire-Almanach du Commerce Firmin-Didot, 1859 p 811 (Gallica).



A partir du 23 juillet 1859, Auguste Belloc fait paraître, à de nombreuses reprises, une petite annonce mettant en vente son Etablissement : "Photographie. Bel établissement à vendre et fabrique de produits chimiques, appareils, accessoires, etc. ; grands bénéfices justifiés ; Belloc, rue de Lancry, 16"

Cinq mois plus tard, il signale une "Baisse de prix" (Journal des Débats politiques et littéraires du 31 juillet au 21 août 1859 puis du 21 janvier 1860). Aucune vente n'a cependant lieu (5). 

En octobre 1860, Auguste Belloc se voit à nouveau condamné pour des nus illicites (après une perquisition en août et une saisie de plus de 4 000 épreuves) (6). Mme Ducellier est citée, à cette occasion, comme peintre de ses épreuves obscènes.


5- Compte-rendu du procès d'Auguste Belloc  du 25 octobre 1860 
au Tribunal Correctionnel de la Seine,
publié dans La Presse du 26 octobre 1860.



Auguste Belloc continue de publier plusieurs Traités dans les années 1860 (3). 
Dans son Catalogue joint au Traité de Photographie opératoire de 1866, il précise notamment qu'il sert d'intermédiaire pour les demandes d'agrandissements ou celles d'abonnements au Bulletin de la Société Française de Photographie et qu'il achète les clichés de stéréoscopes. 

Il explique se fournir en produits chimiques auprès de plusieurs usines réparties sur tout le territoire français mais signale une "Usine à Nogent" en couverture. Cette usine est alors celle de J. Armet de Lisle & Cie, fondée en 1829 à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), dans la ville où Auguste Belloc possède justement une maison (située à 12 km de son adresse parisienne) (5).

Auguste Belloc fait partie des exposants retenus pour l'Exposition Universelle de 1867 à Paris (Gazette nationale du 4 octobre 1866 ; n° d'inscrit, 21) mais son nom n'apparaît pas dans le Catalogue général de l'Exposition.

En mai 1868, Auguste Belloc fait paraître son dernier ouvrage, Le retoucheur (version complétée et actualisée), notamment disponible à son adresse du 16, rue de Lancry (Bibliographie de la France du 6 juin 1868 p 261).


Rue Vivienne, 12

C'est cependant au cours de cette même année 1868 qu'il cède son atelier, sa fabrique et son fonds de la rue de Lancry, au photographe Gaudenzio Marconi (né en 1841) (7).

Auguste Belloc ouvre, dès 1868, un nouvel atelier parisien, à l'adresse de la rue Vivienne, 12 (8).

Ses cartes de visite présentent cette adresse tout d'abord avec son seul nom mais ensuite précédé de celui de son associé, le photographe nantais Frédéric Bodinier (1820-1886) (Image 6).


6- Verso d'une carte de visite des photographes associés Bodinier et Belloc,
Collection privée.



Cet atelier parisien apparaît tardif et surprenant : Auguste Belloc, qui a 63 ans et vient de vendre son fonds, se réinstalle puis prend un associé. A-t-il des soucis financiers ou cherche-t-il à rentabiliser sa réputation par cette association, avant de prendre sa retraite ?

En dehors des cartes de visite, un seul document contemporain témoigne de cette adresse. Il s'agit de l'admission de "Gaston Belloc, domicilié rue de Vivienne, 12" (le fils du photographe qui a alors seulement 18 ans ?), en tant que membre de la Société Géologique de France, lors de la séance du 6 décembre 1869 (Bulletin de la Société Géologique de France, 1870 p 217).

La présence systématique des emblèmes impériaux sur les cartes de visite évoquées semble impliquer une date antérieure à la chute du Second Empire (4 septembre 1870) et un fonctionnement de l'atelier uniquement entre 1868 et 1870.
 
Cependant plusieurs indices suggèrent que cet atelier a pu perdurer au-delà de cette date, comme l'existence de six types de cartons-photos différents portant l'adresse de la rue Vivienne, 12, de cartes de visite aux portraits embossés ou encore de la mention de l'atelier de Frédéric Bodinier à Dinan (9). 

L'atelier de la rue Vivienne peut être alors envisagé entre 1868 et 1872, avec Auguste Belloc seul puis associé à Frédéric Bodinier (10). Leurs noms restent cependant absents des Annuaires-Almanachs du Commerce de 1870 à 1872 (ceux de 1868 et 1869 ne sont pas conservés) mais il est vrai que le nom d'Auguste Belloc n'était déjà qu'irrégulièrement présent dans les éditions antérieures.

"Belloc Auguste Joseph, propriétaire, âgé de 67 ans" décède le 6 janvier 1873, à son domicile de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), Grande Rue, n° 58.

Son épouse Céleste Marie Belloc, née Leroux, âgée de 73 ans, décédera le 12 avril 1885, rue Nationale, à Beaugency (Loiret) (11).


7- Signatures d'Auguste Belloc, 
au bas d'un daguerréotype réalisé à Toulouse en 1844
puis au bas d'une carte de visite réalisée à Paris en 1868.




NOTES


(1)- Sur Auguste Belloc, voir notamment :
- Jean-Marie Voignier, Répertoire des Photographes de France au Dix-Neuvième siècle, Le Pont de Pierre, 1993 p 25.
- Sylvie Aubenas, "Auguste Belloc et la photographie pornographique sous le Second Empire", in, Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2001 pp 54-58.
- Sylvie Aubenas et Philippe Comar, Obscénités, photographies interdites d'Auguste Belloc, Paris, Albin Michel / BNF, 2001. 
- Marion Perceval, "Belloc, Joseph-Auguste", in, Encyclopedia of Nineteenth-Century Photography, John Hannavy Editor, 2013, vol. p. 146.
- Alexandre Dupouy. La Photographe Érotique, Parkstone International. 2015 p 25.
- François Bordes, Encyclopédie historique de la Photographie à Toulouse, 1839-1914, Editions Privat, 2016 pp 23, 26 et 214-215.
Christine Belcikowski, Auguste Belloc, pionnier de la photographie, né à Montrabé, Haute-Garonne, article mis en ligne le 23 octobre 2018 (mais le site est jugé non fiable par les navigateurs). L'auteure précise notamment qu'Auguste Belloc a fait ses études au Lycée Louis-le-Grand de Paris.
- L'article de Wikipédia, "Auguste Belloc", actualisé en septembre 2024 (ici).


(2) Les daguerréotypes, daguerréotypes stéréoscopiques (15 d'entre eux sont visibles sur Daguerreobase), épreuves sur papier salé, stéréoscopies et cartes de visites sur papier albuminé d'Auguste Belloc sont conservés en France (Toulouse, Archives Municipales et Musée Paul Dupuy ; Paris, BnF, Musée d'Orsay et Musée Carnavalet ; Chalon-sur Saône, Musée Nicéphore Niépce ; Bry-sur-Marne, Musée Adrien Mentienne) mais également dans plusieurs Institutions internationales, notamment en Suisse, Allemagne, Autriche, Hongrie et Etats-Unis, et dans de nombreuses Collections privées.


(3) Les Traités de Photographie d'Auguste Belloc : Traité théorique et pratique de la photographie sur collodion, mai 1854 ; Traité complet de Photographie, 1855 ; Les Quatre branches de la Photographie, 1855 ; Le Catéchisme de l'opérateur photographe, 1857 ; Compendium des Quatre branches de la Photographie, 1858 ; Code de l'opérateur photographe, 1860 ; Le retoucheur, 1860 ; Causeries photographiques, 1861 ; Photographie rationnelle, 1862 ; Le Trésor de l'opérateur photographe, 1865 ; Traité de Photographie opératoire - Traité d'un nouveau système de couleurs pour colorier les épreuves albuminées, 1866 ; Le retoucheur, 1868.


(4)- Ce châssis, jugé trop lourd et cher, verra sa fabrication stoppée par Auguste Belloc en 1863 (Henri de la Blanchère, Répertoire encyclopédique de Photographie, 1863 pp 157-158 ; Auguste Belloc, Trésor de l'opérateur photographe, 1865, partie Catalogue p 32).


(5)- En janvier 1860 et en novembre 1866, Auguste Belloc et son épouse contractent deux prêts successifs de 12 000 francs puis de 5 000 francs dont la destination n'est pas connue et hypothèquent, en garantie, une propriété située 58, Grande-Rue à Nogent-sur-Marne, Val-de-Marne (au nord-est de Paris) (Archives nationales, Minutes et répertoires du notaire Pascal, 1857-1875, FranceArchives).


(6)- Les numéros de la Bibliographie de la France signalent uniquement le dépôt légal de deux épreuves de nus pour stéréoscope d'Auguste Belloc : Deux Nymphes ; Le Baiser à la fontaine (Bibliographie de la France du 11 mai 1861 p 239). 

Cependant Sylvie Aubenas signale un dépôt, à cette même date, de 22 académies d'Auguste Belloc par Alfred François Cordier dit Billon, photographe éditeur (Sylvie Aubenas, "Auguste Belloc et la photographie pornographique sous le Second Empire", in, Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2001 p 57).


(7)- Gaudenzio Marconi, après une condamnation en juillet 1873 pour la fabrication et la diffusion illicite de nus érotiques (dont ceux de Belloc) cèdera à son tour l'atelier au photographe Charles Deslandes, fin 1873 ou début 1874.


(8)- L'adresse de la rue Vivienne, 12 a déjà été occupée par plusieurs photographes, comme Henrriette Cappelaere (future épouse du lithographe Jacott), La Malacrida (lui aussi condamné pour ses nus) puis Duroni & Murer (Edouard de Latreille, Répertoire général de Photographie, 1858 p 445 ; Gazette nationale du 8 octobre 1864).


(9)- Le maintien des emblèmes impériaux après 1870 est d'ailleurs attesté par les cartons-photos de Charles Deslandes (hérités de Belloc) qui succède à Gaudenzio Marconi à l'adresse de la rue de Lancry vers 1873-74 (armoiries et médailles puis médailles seulement) et par ceux de Frédéric Bodinier à Nantes (médailles seulement).


(10)- Les premiers cartons-photos de Belloc affichant la rue Vivienne sont ceux réutilisés de la rue de Lancry (avec parfois le nom de rue barré au verso) mais tamponnés au recto de sa signature dominant sa nouvelle adresse, "ABelloc - R. Vivienne 12" (Image 7). 
Ses cartons présentent ensuite sa nouvelle adresse sous les armoiries de l'Empire et les deux faces d'une médaille impériale : "A. Belloc - Breveté S.G.D.G. - Médailles & Mentions d'Honneur - À  Toutes Les Expositions - 12 Rue Vivienne 12 - Paris".

Suite à l'association avec Bodinier, il existe quatre nouveaux types de cartons-photos qui ne diffèrent que par quelques détails. 
Au recto, leurs deux noms, "Fic Bodinier-Belloc" sont mentionnés ou non.
Au verso, sous les dessins des armoiries du Second Empire et d'une ligne de médailles, se trouvent toujours les inscriptions suivantes : "Fic Bodinier-Belloc - Chimistes - Peintres - Professeurs De Photographie - Brevetés S.G.D.G - Médailles & Mentions D'Honneur - À Toutes Les Expositions".
Cependant l'affichage des médailles et de celui des ateliers varie :
- sous quatre médailles dédoublées, "Rue Vivienne À Paris - Rue de Feltre, Nantes" ou bien "Rue Vivienne À Paris - Rue de Feltre, Nantes - & Dinan" (Image 6) ; 
- sous six médailles simples, "12. Rue Vivienne - Paris - & 19. Rue de Feltre - Nantes".


(11)- La veuve d'Auguste Belloc s'est installée au plus tard en 1877 à Beaugency car elle est citée à cette adresse à la date du premier mariage de son fils, Marie Georges Frédéric Gaston Belloc, docteur en médecine, le 14 mars 1877, à Paris (7ème arrondissement).





dimanche 9 février 2025

1376-PHOTOCHROM ZÜRICH : VUE DE LA VILLE DE CANNES, VERS 1895

 

SOMMAIRE DES ARTICLES DU BLOG ET LIENS DIRECTS


1- 1968 - P. Z. (Photochrom Zurich) - Cannes, La Vieille Ville, sans date,
épreuve chromophotographique de 16,4x22,4 cm,
Washington, Library of Congress.



INTRODUCTION


Il existe une série constituée de plus d'une centaine de vues de la Riviera (de Cannes à Gênes), colorisées avec le procédé suisse "Photochrom", dont une trentaine de vues de Cannes et des Îles de Lérins. 



PHOTOCHROM ZÜRICH


Procédé

Ce procédé de colorisation est mis au point par Hans Jacob Schmid (1865-1924), employé lithographe de la maison d'édition "Orell Füssli & Cie" de Zurich, dirigée par Henri Wild (1840-1896) et ses frères (1). Cette maison en dépose le brevet en 1888 et créé, dès 1889, une société distincte dédiée à l'exploitation commerciale des vues en couleurs, sous le nom de "Photochrom & Cie". 

Le procédé est à mi-chemin entre la photographie et la lithographie. Il repose sur le transfert de l'image d'un négatif noir et blanc sur une série de plaques lithographiques recouvertes d'une émulsion photosensible puis exposées à la lumière solaire. Avec l'encrage d'une plaque par couleur, un grand nombre de tirages sur papier sont effectués lors de plusieurs passages successifs (2).

Le succès de ces images en couleurs est immédiat. En 1889, la Société Photochrom fait une grande exposition de ses vues à l'Exposition Universelle de Paris (de mai à octobre) puis à la Galerie Appenzeller de Zurich (en septembre) (3).

En 1890, la création de la nouvelle Société par actions, "Photoglob Co" (vues en couleurs du monde entier) englobe la Société Photochrom (4).

Photoglob fusionne en 1895 avec la Société de photographie industrielle "Schroeder & Cie" de Zurich et crée des filiales à Londres (en 1895) et à Détroit (Michigan, en 1896).



VUES DE LA RIVIERA


Présentation

Des vues de la Riviera sont conservées dans de nombreuses Institutions internationales, parmi lesquelles la Zentralbibliothek Zürich et la Library of Congress in Washington mais également dans des Collections privées (5).

Ces vues sont le plus souvent accompagnées d'une légende sous ou dans l'image. Lorsque la vue est montée sur un support, la légende est inscrite sur une étiquette rectangulaire collée sous le milieu de l'image ; elle précise, généralement à l'encre noire, le numéro de série (en grands caractères verticalisés sur le côté gauche), le nom de l'éditeur puis le titre en deux langues (notamment en français et allemand). 

Lorsque la vue ne dispose pas d'un support, cette légende est généralement inscrite à l'encre blanche ou grise, au bas de l'image elle-même (à gauche ou à droite) et précise le numéro, le nom de l'éditeur puis le titre (notamment en français).


Datation

Les images de la Riviera sont globalement datées entre 1889 et 1914, par la Bibliothèque centrale de Zurich et entre 1890 et 1900, par la Librairie du Congrès de Washington

La série est constituée de sous-ensembles réalisés à des dates différentes par plusieurs photographes, certains missionnés par la Société et d'autres indépendants, auprès desquels la Société a acquis les négatifs. Une datation précise ne peut se faire que vue par vue ou bien par groupes de vues aux numéros proches.

L'hypothèse d'une utilisation de négatifs antérieurs au procédé est à écarter pour les vues de la Riviera car toutes les vues urbaines montrent des constructions ou des aménagements réalisés dans la seconde moitié des années 1880 ou dans les années 1890.

Parmi les vues en couleurs les plus anciennes de la Riviera, il y a celles qui ont été présentées à l'Exposition Universelle de Paris en mai 1889 (dont quatre vues de Cannes) (6). 


21968 - P. Z. (Photochrom Zurich) - Cannes, La Vieille Ville, sans date,
épreuve chromophotographique de 16,4x22,4 cm,
Washington, Library of Congress.



VUE DE CANNES : LA VIEILLE VILLE


Description

La vue de Cannes étudiée mesure 16,4x22,4 cm et porte, au bas et à gauche de l'image, les indications suivantes inscrites à l'encre blanche, 1968 - P. Z. - Cannes, La Vieille Ville (Image 2 ci-dessus)

C'est une vue pittoresque nord-sud, prise depuis la route de Grasse et le quartier de la Ferrage, tôt le matin. Le soleil illumine les façades orientales des bâtiments et l'horloge de la Tour du Suquet affiche "7h 09" (un jour d'été ?). On entrevoit le Cours, le Port et les Îles.

Le centre ville s'offre au regard avec, de gauche à droite, les quartiers du Poussiat et de Saint-Antoine puis celui historique du Suquet sur le Mont-Chevalier. C'est ce dernier qui justifie le titre donné à la vue, malgré la présence d'un quartier récent au tout premier plan dont voici la description détaillée.

Un chemin suit le flanc du coteau, à travers champs et vergers, jusqu'à une passerelle piétonne qui enjambe la voie ferrée et aboutit au boulevard de la Ferrage situé en contrebas (actuel boulevard Victor Tuby). 

En face, la rue des Marchés (actuelle rue du Dr Pierre Gazagnaire) conduit à la Halle de la Boucherie publique (bâtiment clos), à la Chapelle Notre-Dame de la Miséricorde et à la Halle de la Poissonnerie publique (emplacement couvert) proches du Marché Forville, avant de croiser la Grande rue (ou rue Grande, actuelle rue Meynadier) et d'aboutir sur le Cours, près de l'Hôtel-de-Ville (Image 3 ci-dessous).

Sur la gauche de l'image, la rue du Poussiat (actuelle rue des Halles) mène quant-à-elle au centre de la place du Marché Forville puis débouche dans la Grande rue, derrière laquelle se détache la haute silhouette de l'Hôtel-de-Ville (Image 2 ci-dessus).


3- Détail de la partie centrale de l'Image étudiée, centré sur la rue des Marchés,
1968 - P. Z. (Photochrom Zurich) - Cannes, La Vieille Ville, sans date,
épreuve chromophotographique de 16,4x22,4 cm,
Washington, Library of Congress.

1- Passerelle piétonne (érigée en 1882-83) franchissant la voie ferrée Marseille-Nice et desservant,
 par un escalier à double rampe (du côté sud), le boulevard de la Ferrage.

2- Boulevard de la Ferrage (actuel boulevard Victor Tuby)
 avec, dans les années 1890, des immeubles en partie numérotés
 et alternant, d'est en ouest, les numéros pairs et impairs.

3- Rue des Marchés (actuelle rue du Dr Pierre Gazagnaire) ouverte dans la première moitié des années 1870 avec, dans les années 1890, des immeubles en partie numérotés et présentant, 
du sud au nord, des numéros croissants, pairs du côté ouest et impairs du côté est.

4- Immeuble érigé vers 1880 mais accosté d'un échafaudage, probablement pour le crépissage de ses façades. 
(À l'image de nombreuses architectures du quartier, le bâtiment est conservé de nos jours ;
il présente cependant un niveau supplémentaire).

5- Immeuble le plus récent de la rue, érigé dans les années 1880, avec une date qui reste à préciser. Il apparait faussement en retrait par rapport à l'immeuble d'en face (virage) et présente, lui aussi, quatre niveaux pourvus de balcons dans l'angle adouci (et apparait de nos jours surhaussé d'un niveau supplémentaire).

6- Boucherie publique installée en 1872-73 dans un immeuble de deux niveaux 
situé à l'angle de la ruelle Forville, face à la Chapelle de la Miséricorde. 
L'inscription "Boucherie" est lisible au sommet de la façade.

7- Eglise ou Chapelle des Pénitents noirs de Notre-Dame de la Miséricorde (érigée au début du XVII° siècle). Seules, l'abside et l'extrémité de la tour-clocher couronnée d'une flèche qui l'accoste au sud, sont visibles.
(La Halle de la Poissonnerie - non visible dans l'image - est présente sur le côté opposé de la Chapelle).



ÉVOLUTION DU QUARTIER


Partie sud

La partie sud du quartier, comprise entre la rue Grande et la rue Forville, date d'une période antérieure à la Révolution. A partir des années 1860, ses rues sinueuses, malpropres, privées d'air et de lumière et bordées de maisons délabrées vont progressivement disparaître au profit de rues droites et larges aux façades neuves et alignées. Cette rénovation va s'étaler sur plus de vingt ans, nécessitant expropriations, démolitions et reconstructions (7). 

Les travaux d'élargissement de la rue Vassal et de son prolongement depuis le Cours jusqu'à la Chapelle de la Miséricorde, débutent en 1866. Ils vont permettre, fin 1872, d'implanter la Halle aux Poissons près du côté sud de l'édifice religieux.

Plus à l'est, la rue parallèle du Poussiat qui va de la Grande rue à la rue Forville, se voit également élargie dans les années 1860. Enfin, les maisons situées tout le long du côté sud de la rue Forville sont démolies en 1882-1884, afin d'établir la "place des Marchés", renommée, en décembre 1884, "place du Marché Forville".


4- Cannes, vue générale, prise depuis le nord-est, détail, vers 1862-68, 
estampe parue dans Le Monde Illustré du 16 janvier 1869.



Partie nord

La partie nord du quartier, comprise entre la rue Forville et la voie ferrée et mise en évidence dans l'image étudiée, est la partie récente. Elle ne s'est développée qu'à la suite de l'installation de la voie de chemin de fer et du percement du tunnel sous le Mont-Chevalier (en 1860-1861) mais n'a été bâtie qu'après 1870 et la cession à la Commune des "terrains hors-lignes" détenus par la Compagnie de Chemin de fer (le tunnel, visible dans l'Image 4, est situé juste après la limite droite de l'image étudiée).

Ce sont la rue du Poussiat et la rue Vassal qui, grâce à leur prolongement vers le nord, vont venir relier les parties ancienne et nouvelle du quartier.

La rue Vassal (Image 5 ci-dessous) voit tout d'abord son côté ouest bordé, dans la première moitié des années 1870, de trois immeubles (Images 6 et 7 ci-dessous). La rue est ensuite renommée, en 1876, "rue des Marchés". Un dernier immeuble vient compléter ce côté, à l'angle du boulevard de la Ferrage, dans les années 1880 (à une date qui reste à préciser). 

Le côté est de la rue ne va, pour sa part, être bâti qu'à partir de la fin des années 1870, avec une succession de six immeubles.


5- ALEO Miguel (1824-c.1900), Détail d'une Vue de Cannes, prise de la route de Grasse, vers 1868,
 Collection privée.

L'image montre la partie du quartier comprise entre la Chapelle de la Miséricorde (accostée au sud-est de sa tour-clocher et au sud-ouest d'un grand arbre) et la voie ferrée. La zone est alors constituée de quelques maisons basses et de jardins.

"Les rues du Suquet, de Saint-Antoine et de la Miséricorde conduisent à la Chapelle-des-Pénitents, édifice construit dans un quartier très retiré. Une petite tourelle carrée, surmontée d'une toiture aiguë, couverte en tuiles de couleurs brillantes, domine la nef. Celle-ci ne renferme pas d'objets d'art dignes d'attention, sauf l'autel en marbre qui date du siècle dernier" (Victor Petit, Cannes - Promenades des étrangers dans la ville et ses environs, Cannes, F. Robaudy, 1868, p 268).



6- Photographe anonyme, Détail d'une Vue de la ville de Cannes prise de la route de Grasse, vers 1873.
Collection privée.

 Le grand arbre de la place de la Miséricorde (visible sur l'image précédente) a été coupé lors de l'installation de la Halle de la Poissonnerie. La Chapelle de la Miséricorde, dont les murs ont été blanchis vers 1870, apparait dégagée des masures qui l'accostaient à l'est.

Plus au nord, un seul côté de la rue Vassal (future rue des Marchés) commence à être flanqué de bâtiments (au nombre de trois). 
Un grand terrain bordé d'arbres occupe l'emplacement de la future rue du Poussiat et de vieilles bâtisses, 
celui de la future place du Marché.
 Au premier plan de l'image, la voie ferrée domine les maisons qui s'échelonnent jusqu'au bord de mer.


7- J. LÉVY & Cie [Georges Lévy (1833-1913) et Moise Léon (1812-1888)], 
Détail d'une Vue de Cannes, prise du nord-est, vers 1873,
Collection privée.

Cette vue présente, sous un autre angle, un état du quartier semblable à celui de la vue précédente mais a l'avantage de montrer la couverture de la Halle de la Poissonnerie publique, érigée en trois mois, à la fin de l'année 1872, du côté sud de la Chapelle de la Miséricorde.
 
Au nord de la Chapelle, le bâtiment qui a été érigé vers 1872-73 (suivi d'une impasse qui le sépare du bâtiment suivant et existe encore de nos jours) est celui de la Halle de la Boucherie publique. 
Un arrêté municipal du 4 octobre 1873 prohibe, à partir du 3 novembre suivant, la vente du poisson et de la viande de boucherie sur les Allées de la Marine, et décide qu'à l'avenir ces denrées ne pourront être mises en vente que sur les hors-lignes de la rue Vassal. 



Entre 1874 et 1878, une voie parallèle à la rue des Marchés vient s'inscrire dans la continuité nord de celle du Poussiat (avant d'adopter ce même nom en décembre 1884). À la fin des années 1870, seul son côté ouest apparait complété de trois bâtiments. Le plus septentrional d'entre eux, situé à l'angle du chemin de la Ferrage se voit rattaché, vers 1880, à une nouvelle construction qui vient former l'angle de la rue des Marchés. 

Le chemin de la Ferrage, qui longe la voie ferrée, a déjà été rectifié et élargi à plusieurs reprises dans les années 1860 et 1870. Il va être flanqué de maisons au tournant des années 1880 et être transformé, en 1881, pour devenir le "boulevard de la Ferrage". 

Une passerelle piétonne, située dans l'axe de la rue des Marchés et munie d'un escalier à deux rampes, est érigée en 1882 et 1883. Elle permet de franchir la voie ferrée et d'emprunter le chemin qui conduit, plus au nord-est, au Collège Stanislas et à l'Hôtel Continental.


Boulevard de la Ferrage

L'ensemble du quartier est très commerçant, comme le révèlent les Annuaires des Alpes-Maritimes  contemporains de la vue étudiée (années 1890). 

Les métiers les plus représentés sont ceux de l'alimentation (boucheries, charcuteries, poissonneries, épiceries, primeurs, fromager, eaux, vins, liquoriste, cafés, buvettes, auberge).

Il existe cependant des boutiques variées (quincaillier, mercier, vannier, tapissier, tissus, tailleurs, chapeliers, corsetière, blanchisseuse, marchands de tissus, de nouveautés, de chaussures, bazar, coiffeur) et des ateliers (maçons, ferblantiers, chaudronnier, plombier-zingueur, scierie) qui se déploient sur les places du Marché Forville et de la Miséricorde mais aussi dans la rue du Poussiat et celle des Marchés (pour ne parler que des rues étudiées ici).

Quelques commerces et ateliers sont également situés boulevard de la Ferrage. L'image étudiée révèle notamment la présence de six d'entre eux au rez-de-chaussée des immeubles du premier plan. Leurs inscriptions ou enseignes sont parfois illisibles, masquées partiellement par le feuillage des arbres plantés des deux côtés de la voie ferrée ou inscrites en caractères trop petits. Trois d'entre elles sont cependant déchiffrables. 


8- Détail d'une partie gauche de l'Image étudiée montrant une maison du boulevard de la Ferrage, à l'angle de la rue du Poussiat,
1968 - P. Z. (Photochrom Zurich) - Cannes, La Vieille Ville, sans date,
épreuve chromophotographique de 16,4x22,4 cm,
Washington, Library of Congress.

(Ce bâtiment, érigé vers 1877, est conservé tel quel de nos jours,
 à l'angle de la rue des Halles et du boulevard Victor Tuby).



A l'angle de la rue du Poussiat et du boulevard de la Ferrage (côté ouest), on peut lire l'inscription "B. Lions - (...)cteur - (...) Cuivre - En Fer", qui identifie l'atelier de B. Lions, constructeur de chaudières (Image 7 ci-dessus).

A l'angle du boulevard de la Ferrage et de la rue des Marchés (côté est), se trouve cette fois l'enseigne suivante : "(.?) Entrepôt de Vins et de Spi(...)", qui désigne A. Olivier, revendeur de vins et spiritueux (Image 3). Ce dernier semble disposer également d'une entrée au n° 5 de la rue du Poussiat.

Enfin, au-dessus de la porte de la troisième maison située après la passerelle, se note le texte : "Atelier de Cons(...)", qui identifie cette fois l'atelier de G. Repetto & Ortelli, constructeurs-mécaniciens installés au n° 12, dans la maison Robilis (Image 2).



DATATION DE LA VUE


Numéro et titre de la vue

La vue étudiée n'est répertoriée sous l'intitulé, 1968 - Cannes, La vieille ville vue depuis la route de Grasse (Cannes - Die alte Stadt von der Straße von Grafje aus gejehenle), qu'à partir du Catalogue des Photochroms paru en janvier 1896, alors qu'elle est encore absente de celui d'avril 1895 (8), ce qui situe probablement l'achat du négatif et l'édition de la vue en couleurs entre ces deux dates, avec une prise de vue qui peut cependant être antérieure (9). 

Son négatif a pu être réalisé par l'un des photographes missionnés par la Société ou par l'un de ceux qui ont multiplié les vues de Cannes durant les années 1890, comme les Frères Neurdein de Paris ou Jean Giletta de Nice. Cependant, il peut être l'œuvre de la Société suisse Schroeder & Cie qui a justement réalisé une série de vues de Cannes, vers 1895, peu avant sa fusion avec Photoglob (10). 


Indices fournis par l'image

Le premier indice qui implique le milieu des années 1890 vient de la présence, près du phare du Port, de la jetée prolongée. 


9- Détail d'une partie centrale de l'image étudiée montrant la jetée du Port,
1968 - P. Z. (Photochrom Zurich) - Cannes, La Vieille Ville, sans date,
épreuve chromophotographique de 16,4x22,4 cm,
Washington, Library of Congress.



Ce projet a été validé par le Ministère des travaux public, le 26 avril 1892. Les travaux ont été adjugés le 12 juillet suivant et n'ont été achevés qu'au cours de l'année 1897, sans que le déroulement détaillé de ces derniers ne soit connu (11). 

La vue montre déjà une partie réalisée des deux branches successives de la nouvelle jetée, vers le sud puis l'est, avec un bateau tout proche qui participe peut-être aux travaux (Image 8 ci-dessus).

Le second indice vient du relevé des inscriptions et enseignes du boulevard de la Ferrage. L'atelier de construction de chaudières de B. Lions n'a emménagé à cette adresse qu'à partir de 1894 car il est cité pour la première fois dans l'Annuaire des Alpes-Maritimes de 1895.

Quant à l'entrepôt de vins et spiritueux d'A. Olivier, il semble n'avoir ouvert qu'en 1895 car il est cité pour la première fois dans l'Annuaire des Alpes-Maritimes de 1896 (12).

Le négatif noir et blanc de l'image étudiée semble donc avoir été réalisé en 1895, avec une vue éditée en couleurs peu de temps après, lors de la même année.



NOTES


(1)- Cette imprimerie séculaire, reprise au XVIII° siècle par Orell, Gessner, Füssli et Cie a perduré au XIX° siècle avec Ziegler et Hagenbuch puis Fisch et Wild. À partir de 1863, elle est dirigée par Henri Wild et ses frères puis leurs enfants. 

En 1880, la Société "Artistiches Institut Orell, Füssli" est créée, avec en parallèle la construction de nouveaux et vastes locaux à Zurich (comprenant une imprimerie, une fonderie de caractères, des ateliers de gravure sur bois, de clicherie galvanoplastique, de lithographie, de photographie industrielle et de phototypie) et l'ouverture d'une filiale à Milan.


(2)- Pour une description détaillée du procédé, voir, Le Moniteur de la Photographie du 15 novembre 1898 pp 339-343.

Les retouches manuelles vont progressivement disparaître et les teintes pâles vont laisser la place à des teintes plus vives. Le prix des grands formats restera élevé.


(3)- Les Frères Wild remportent une médaille d'or à l'Exposition Universelle de Paris en 1889 mais pour leur Société Orell, Füssli et Cie, dans la catégorie Imprimerie et Librairie (Groupe II, Classe 9), pour la qualité de leurs livres d'enseignement. 

La Société Photochrom sera cependant plusieurs fois récompensée lors de ses expositions dans différents pays. Citons, en France, la médaille d'argent remportée à l'Exposition Universelle, Internationale et Coloniale de Lyon en 1894 et la médaille d'or à l'Exposition de Bordeaux en 1895.


(4)- Les Frères Wild sont alors les principaux actionnaires de trois sociétés par actions : l'Institut artistique Orell-Fûssli, l'Agence de publicité Orell Fiissli et la Photoglob Cie. 


(5)- Voir les Photochroms de la Zentralbibliothek (ici) et ceux de la Library of Congress (ici) ou sur Wikimedia (ici).

De nombreux Catalogues répertoriant les vues de la Riviera sont conservés en français ou en allemand, à partir de l'année 1891, à Zurich, dans les collections de la Bibliothèque centrale et dans celles de l'Université.

Par exemple, le Catalogue Manuel des Photochroms, paru en décembre 1897 (Extrait du Catalogue général de la Photoglob Co, Zurich, vol. 3, La France, L'Espagne, l'Alger, Tunis, La Belgique, Le Luxembourg, La Riviera, L'Italie, La Russie), répertorie à cette date, en pages 16 à 19, la vue étudiée parmi 123 vues de la Riviera : 1 de 12x17 cm, 113 de 16x22 cm et 9 de petits ou moyens formats panoramiques, avec 14 vues de Cannes de 16x22 cm classées par numéro (du n° 1062 au n° 8097) et 1 panorama de 19x50 cm (n° 4557).


(6)- Cette Liste présentée à l'Exposition Universelle de Paris en 1889 est notamment mise en évidence dans les Catalogues de Photochroms du 15 novembre 1891 et du 15 février 1892 (Zentralbibliothek Zürich).

La vue 1073 - Nice, le Boulevard du Midi, montre par exemple le tout récent et monumental Escalier Lesage qui permet d'accéder directement au sommet de la Colline du Château. Or ce dernier, commencé en juin 1888, n'a été achevé qu'en novembre 1888. La vue a donc été prise entre le dernier trimestre de l'année 1888 et le premier trimestre de l'année 1889 et laisse penser à une date semblable pour les autres vues aux numéros proches. 

Dans la décennie suivante, les vues de la Riviera situées au-dessus du n° 8000 semblent pour leur part correspondre aux années 1896-97. En effet, la vue 8295 - Nice. La Jetée-Promenade et le Monument du Centenaire (monument érigé au sud des nouveaux jardins réalisés sur le couvrement du Paillon à son embouchure), n'a pu être prise qu'entre mars 1896, date de l'inauguration du Monument, et décembre 1897, date de parution du Catalogue des Photochroms.

L'interprétation des numéros en dates doit cependant rester prudente car au sein même de la Société de Zurich (vues et Catalogues de 1897 et 1899 de la Bibliothèque centrale de Zurich), certaines vues ne sont pas citées dans les extraits du Catalogue général et parmi celles qui le sont, les petites vues et les vues panoramiques adoptent une numérotation qui leur est spécifique. 

La Detroit Publishing Company (D.P.C.) diffuse pour sa part, les mêmes images mais avec une numérotation différente (vues de la Librairie du Congrès, Washington et Catalogue de 1905).


(7)- Les Registres de Délibérations du Conseil municipal consultés (entre 1860 et 1900) sont en ligne sur le site des Archives Municipales de Cannes (1D15 à 1D37).


(8)- Dans le Catalogue de janvier 1896, seules quatre vues présentent un numéro proche de celui de la vue étudiée ("1968"). Ce sont d'ailleurs quatre vues de la ville de Cannes, également absentes du Catalogue d'avril 1895, numérotées de 1997 à 2000 et respectivement intitulées : 1997 - Cannes. Boulevard de la Croisette ; 1998 - Cannes. Le Cours et la Californie ; 1999 - Cannes et l'Estérel. Vue prise depuis la Villa Nevada ; 2000 - Cannes et les Îles de Lérins. Vue prise de la Croix des Gardes.

Parmi celles-ci, la vue légendée, 1997 - Cannes. Le Cours et la Californie, montre notamment, sur le boulevard de la Croisette, la Villa Lehoult qui a été érigée vers 1893-94 et n'est citée qu'à partir de l'Annuaire des Alpes-Maritimes de 1895. Une date de prise de vue au cours des années 1894 ou 1895 s'avère donc crédible.


(9)- Le décalage entre le moment de la prise de vue et le moment de l'édition peut-être de plusieurs mois, voire de plus d'une année. Les Vues de Palestine "faites en 1894 sur les lieux par des artistes au service du Photochrom zurichois" ne sont ainsi éditées en couleurs (vues individuelles et albums) qu'à la toute fin de l'année 1895 (Journal de Genève du 21 décembre 1895).


(10)- Parmi les vues de Cannes réalisées par Schroeder & Cie, sept épreuves photomécaniques noir et blanc, portant des numéros échelonnés entre le 3412 et le 3477, sont notamment conservées dans une Collection privée. Trois d'entre elles montrent la Villa Lehoult érigée en 1893-94 sur le boulevard de la Croisette et présentent la mention manuscrite de l'acheteur, "janvier 1897".


(11)- Seule la volonté de signaler les enrochements en cours par une bouée ou un feu, est évoquée en octobre 1893, décembre 1894 et juin 1896. Des améliorations comblant les interstices entre les rochers sont encore décidées lors d'un Conseil municipal de mai 1897.

Voir : Le Journal de Monaco du 3 octobre 1893, les Délibérations du Conseil municipal du 14 décembre 1894 (Archives Municipales de Cannes, Registre 1D35), le Moniteur de la Guyane française du 20 juin 1896, les Délibérations du Conseil municipal du 18 mai 1897 (Archives Municipales de Cannes, Registre 1D37).


(12)- Les Annuaires des Alpes-Maritimes sont en ligne sur le site des Archives Départementales des Alpes-Maritimes.