samedi 27 février 2016

453-LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU DE LA VILLE DE NICE-PROJET PÉDAGOGIQUE-23




- AURILI Riccardo (1864-1943), Tombe Georgette F., détail de l'Espérance, vers 1918-1925.




RICCARDO AURILI - LA TOMBE GEORGETTE F. (1918-25) - SUITE 





Face à la statue de la Douleur, se tient celle de l'Espérance, sous les traits d'une jeune femme. La figure allégorique est également assise mais elle se tient cambrée, le corps et le visage relevés, tendus vers  ciel. Elle est vêtue d'une robe-bustier sans bretelles, offrant un dos nu ; le tissu est fin et moulant, traité comme une draperie mouillée. 

Les mains sont jointes sur le genou droit, en signe de prière. Les deux pieds reposent à nouveau uniquement sur l'extrémité des orteils mais, contrairement à la figure de la Douleur, ils sont légèrement décalés, et en mouvement, comme le bas du plissé. 

- AURILI Riccardo (1864-1943), Tombe Georgette F., ensemble, et détail de l'Espérance, vers 1918-1925,
Espérance (femme vêtue, assise, en prière, tête tournée vers le ciel), 
Ange (femme à la lampe, devant le tombeau vide) 
et Douleur (femme nue, assise et prostrée), 
Nice, Cimetière du Château (Plateau Gambetta).




La tête penche vers la droite, afin de recentrer le regard sur la tombe et le Tombeau vide. La scénographie de la tombe est intéressante et se situe dans la tradition des grands tombeaux, notamment ceux de Michel-Ange ou d'Antonio Canova. 


- AURILI Riccardo (1864-1943), Tombe Georgette F., détail de l'Espérance, vers 1918-1925,
et en face la Tombe de la Famille Goduard M., sculptée par Giuseppe Garibaldi vers 1900.



Elle répond peut-être par ses trois figures, à celles de la Tombe de la Famille Goduard M. (vers 1900), positionnée à proximité, sur le Plateau Gambetta, sculptées par Giuseppe Garibaldi quelques années auparavant. Cette tombe offre en effet les Trois Vertus Théologales dont l'Espérance, assise à gauche, le visage et les yeux tournés vers le ciel et les mains jointes sur le genou droit, tenant une ancre (symbole de Foi, de Confiance en Dieu et d'espérance en la résurrection).

-  GARIBALDI Giuseppe (dates ?, actif au Cimetière entre 1890 et 1910), Les Trois Vertus théologales (assises), ensemble, Foi (croix latine et calice), Espérance (tournée vers le ciel) et Charité (mère et enfants), et détail de l'Espérance, vers 1900,
groupe pyramidal en marbre des Familles Goduard M. Ce groupe évoque des représentations peintes et sculptées des XVI° et XVII° siècles européens, et notamment italiens.



D'autres représentations de l'Espérance ou de l'ancre sont d'ailleurs présentes dans le Cimetière du Château, avec notamment la Tombe de la Famille A. (vers 1902), sculptée à nouveau par Giuseppe Garibaldi. Dans ce dernier ensemble sculpté, deux figures féminines encadrent le sarcophage et le buste du défunt, celle de l'Espérance à nouveau à gauche (à la droite symbolique de Dieu) tenant l'ancre, visage dressé vers le ciel, et celle de la Douleur.


 - GARIBALDI Giuseppe (dates ?, actif au Cimetière entre 1890 et 1910), Tombe de la Famille A., détails, Espérance (tournée vers le ciel) et Douleur (effondrée vers la terre), vers 1902-1903, Nice, Cimetière du Château, Allée Orizet.



La figure allégorique de l'Espérance affirme la Confiance en Dieu et la Foi. Elle est un symbole de croyance, de prière et d'attente confiante de la Fin des Temps et de la résurrection. De nombreux exemples sculptés du XVI° au XX° siècle représentent l'Espérance, assise ou non, ailée ou non, tête levée ou non, mains en prière ou bien bras ouverts ou levés, et accompagnée ou non de l'ancre marine.


- BARTOLINI Lorenzo (1776-1850), La Confiance en Dieu, 1835,
Milan, Musée Poldi Pezzoli.

- BOUCHER Alfred (1850-1934), L'Espérance, vers 1903,
grès émaillé et plâtre, Roubaix, La Piscine.


- BUTTI Enrico (1847-1932), Orante, 1926,
Tombe de Pasquale Cesati, Milan, Cimetero Monumentale.



La figure de Riccardo Aurili est par exemple proche de la sculpture d'Alfred Bouchet par sa posture assise et ses mains jointes mais elle est davantage dénudée et dépourvue d'ancre. Par sa volonté réaliste, sa posture cambrée, le dessin de sa chevelure et ses draperies mouillées, elle se rapproche davantage de la sculpture légèrement postérieure d'Enrico Butti.

Il me semble intéressant d'évoquer à nouveau la figure de Marie-Madeleine. En effet, la figure agenouillée ci-dessus de Lorenzo Bartolini est influencée par la sculpture de Marie-Madeleine pénitente, sculptée par Antonio Canova en 1809, et elle n'est pas la seule. 

Est-ce que Riccardo Aurili a dédoublé la figure de Marie-Madeleine, comme allégorie de la Douleur puis comme celle de l'Espérance ? S'est-il inspiré des figures peintes de Marie-Madeleine, en pénitence, en prière, en méditation, en extase, voire en pleurs, les mains jointes et le visage tourné vers le ciel ou le Christ ?


- LE GRECO (1541-1614), Marie-Madeleine pénitente, 1578-1580,
huile sur toile, 108x101 cm, Worcester Art Museum.

- LE CARAVAGE (1571-1610), Marie-Madeleine en extase, 1606,
huile sur toile, 106,5x91 cm, Rome, Collection privée.


 - VACCARO Andrea (1604-1670), Marie-Madeleine, XVII° siècle,
huile sur toile, 103x76 cm, Salerno, Museo Diosesano.

- GENTILESCHI Artemisia (1593-1654), Marie-Madeleine en extase, XVII° siècle,
huile sur toile, 81x105 cm, Collection privée.


- RUBENS Pierre-Paul (1577-1640), Marie-Madeleine pénitente et sa soeur Marthe, 1618-1620,
hile sur toile, Musée d'Irbit (Russie), Musée national des Beaux-Arts.

- AURILI Riccardo (1864-1943), Tombe Georgette F., détail de l'Espérance, vers 1918-1925.



Avant de conclure sur la Tombe Georgette F., sculptée par Riccardo Aurili, j'aimerais évoquer les inscriptions gravées sur la dalle de la Tombe de Marguerite C. (1865) positionnée dans le Cimetière niçois de Cimiez. 

Trois inscriptions en latin, tirées des versets de la Bible, renvoient majoritairement aux chants liturgiques de la Semaine Sainte (en relation à la Passion du Christ) et à ceux des obsèques : 

- l'une, au centre, sur la Douleur, "Ô vous qui passez par là, prêtez attention et voyez s'il existe une douleur pareille à ma douleur !!!" (Lamentations, 1, 12) 

- une autre, à gauche, sur l'Espérance, "Notre espoir repose en toi Seigneur"

- et la troisième, à droite, sur la Résurrection, "Au jour du Jugement, protège-moi Seigneur" (Psaume 15, 1)

Les trois sculptures de Riccardo Aurili sont une sorte d'équivalent figuré à ces trois inscriptions.

Enfin, j'aimerais rapprocher les trois figures de Riccardo Aurili (une figure ailée et deux figures féminines assises pour une tombe d'enfant) de celles  du Tombeau de Lucie C. (décédée à 11 ans en 1907) du Cimetière niçois de Caucade, sculptées par Fabio Stecchi.

Si la scénographie y est là pyramidale, le message symbolique est semblable et cette fois clairement explicité par une inscription : " L'AMOUR CONSOLE L’HUMANITÉ SOUFFRANTE ET ÉLÈVE L’ÂME VERS LES CIEUX".
 
Les figures sont ainsi tout à la fois une évocation de la Famille (mère et sa fille défunte), celle de l'Humanité en deuil (Mort, Douleur) et celle de l'Espérance (Amour divin, Âme, Résurrection). 

Si les figures de l'Amour (Éros) et de la Douleur (Pleureuse) renvoient respectivement à la mythologie et à l'Antiquité, elles renvoient également, malgré l'absence de symboles chrétiens (Saintes-Femmes et tradition disparue des Pleureuses), à celles de l'Ange de la Résurrection et de Marie-Madeleine au Tombeau du Christ.


- STECCHI Fabio (1855-1928), Monument de la Tombe de la Famille C., signé et daté "1910",
concession de 1907, marbre, Nice, Cimetière de Caucade.
Devant le sarcophage recouvert d'un drapé, une femme assise, drapée, au buste dénudé et aux cheveux longs défaits (l'Humanité, tout à la fois Mère, Douleur et Marie-Madeleine) offre une guirlande de fleurs à la défunte, soutenue par une figure masculine ailée (l'Amour divin) qui lui indique que l'âme (l'enfant assise) est au-dessus des nuages.


- STECCHI Fabio (1855-1928), Monument de la Tombe de la Famille C., signé et daté "1910",
concession de 1907, marbre, Nice, Cimetière de Caucade.
La femme est réconfortée et touchée par l'Amour, et le tronc de bois mort sur lequel elle s'adosse reverdit (surgeon), en signe de Résurrection (comme dans les scènes de Résurrection du Christ).




RICCARDO AURILI AU MUSÉE



 - AURILI Riccardo (1864-1943), Les Lectrices, vers 1900 ?,
marbre, H : 95 cm, Mexico City, Museo Soumaya.

 - AURILI Riccardo (1864-1943), Buste de Paul Sion, années 1910 ?,
 marbre, Roubaix, La Piscine,
Paul Sion (1872-1947) était un riche industriel (filature)
de la région de Tourcoing et un colombophile réputé.


- AURILI Riccardo  (1864-1943), Buste de Gladiateur, vers 1904-1914 (?),
marbre et régule, 28,5 x 20 x 12 cm,
inscription devant sur le piédouche, « AVE CAESAR MORITURI TE SALUTANT »,
 au dos cachet rond, « Fabrication française / made in France / Paris »,
Vesoul, Musée Georges-Garret.
Remerciements au Conservateur du musée pour les photos et coordonnées de l'œuvre.








lundi 22 février 2016

452-LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU DE LA VILLE DE NICE-PROJET PÉDAGOGIQUE-22






- AURILI Riccardo (1864-1943), Tombe Georgette F., vers 1918-1925,
Espérance (femme vêtue, assise, en prière, tête tournée vers le ciel), Ange (femme à la lampe, devant le tombeau vide) 
et Douleur (femme nue, assise et prostrée), Nice, Cimetière du Château (Plateau Gambetta).



RICCARDO AURILI - LA TOMBE GEORGETTE F. (1918-25) - SUITE

Hier dimanche, je me suis rendu pour la première fois au Cimetière niçois de Cimiez, afin de rechercher de nouvelles œuvres de Riccardo Aurili. Je n'en ai pour l'instant pas trouvé. 

Par contre j'ai trouvé de nombreuses sculptures qui éclairent ma recherche actuelle sur l'art des XIX° siècle et XX° siècles, d'une part sur la fusion des modèles mythologiques et chrétiens (Victoires, Génies funéraires et Anges féminins), et d'autre part sur l'identification des figures féminines de la Douleur à Marie-Madeleine.

Il est intéressant de montrer ici quelques figures féminines de deuil du Cimetière de Cimiez, ailées ou non, proches des génies funéraires dérivés de l’Éros antique à la torche, au point de se demander si les artistes n'ont pas fait parfois partager à Psyché, les mêmes tâches que son époux.


- Anonyme, Tombe de la Famille Jean-Alain T., détail, première moitié du XIX° siècle,
Nice, Cimetière de Cimiez.

- Anonyme, Tombe Antoine B., vers 1859,
(date du décés), Nice, Cimetière de Cimiez.


- PUNTELLINI V. (?-?), Tombe G., marbre, vers 1942 (?),
(date du décès :1934, numérotation de la concession : 1942), Nice, Cimetière de Cimiez.

- MAUBERT Louis (1875-1949), Tombe François C., détail, vers 1934,

(date du décès), haut-relief en marbre, Nice, Cimetière de Cimiez.



C'est surtout la question de Marie-Madeleine que je vais traiter ici, en enfonçant peut-être des portes ouvertes. J'ai essayé de montrer dans l'article précédent comment la femme repliée sur elle-même, sculptée par Riccardo Aurili pour la Tombe Georgette F., pouvait s'être inspirée des figures de Psyché abandonnée ou d’Ève après le péché mais qu'elle était probablement, du fait du contexte funéraire, une figure dénudée de Marie-Madeleine, devant le Tombeau vide.

Au cimetière de Cimiez, la Tombe de la comtesse Wanda T., offre une figure féminine, accostée d'une couronne de fleurs, au pied d'une grande croix latine. 


- ZAMBELLA (?-?, sculpteur florentin), Tombe de la comtesse Wanda T., ensemble et détail, marbre, 1866,
(la comtesse étant décédée en novembre 1860), Nice, Cimetière du monastère de Cimiez.



Cette femme drapée mais à la poitrine dénudée (symbole de déchirement), est agenouillée, les mains jointes, effondrée de chagrin, tournant son visage aux yeux mi-clos plein de larmes vers la croix et le ciel. Elle s'affirme ainsi, tout à la fois, comme une figure de la Douleur et de l'Espérance et est, de toute évidence ici, une représentation de Marie-Madeleine au pied de la Croix (Matthieu, 27, 55 ; Marc, 15, 40 ; Jean, 19,25).


- ZAMBELLA (?-?, sculpteur florentin), Tombe de la comtesse Wanda T., détail de la figure, marbre, 1866,
 Nice, Cimetière du monastère de Cimiez.



Le sculpteur a voulu cependant affirmer l'idée de résurrection (et de fait, l'identité de la figure) par une seconde scène qui présente la suite du récit (Matthieu, 28, 1 ; Marc, 16, 1-7 ; Jean, 20, 1-13), sculptée cette fois en bas-relief sur le devant du piédestal. Marie-Madeleine accompagnée de Marie, mère de Jacques (Mathieu, 28,1), se présente au Tombeau (sans vase de parfum) et découvre l'Ange assis dans le Tombeau vide qui lui annonce que le Christ est ressuscité.


- Anonyme, Tombe de la comtesse Wanda T., bas-relief de la face nord du piédestal, marbre, après 1860,
Nice, Cimetière du monastère de Cimiez.



A proximité, cinquante ans plus tard, la Tombe Louis B., présente à nouveau une femme en prière devant une croix latine, mais cette fois debout avec la tête baissée. Cette figure s'affirme à nouveau comme Marie-Madeleine, la pécheresse repentie qui souffre de la mort du Christ mais sera bientôt le témoin privilégié de sa Résurrection (Marc, 16, 9 ; Jean, 20, 14-18).


- Anonyme, Tombe L. B., ensemble et détail, marbre, vers 1911,
(du fait de la numérotation de la concession), Nice, Cimetière du monastère de Cimiez.
Il est à noter que cette sculpture est très semblable à celle de la Tombe de la Famille B., du Cimetière du Château (Carré protestant), datée vers 1909 et signée T. Faverio.



Dans ces deux œuvres, les messages adressés à tous les chrétiens sont très clairs : comme Marie-Madeleine a trouvé grâce auprès du Christ, le pécheur repenti trouvera grâce auprès de Lui ; comme pour Marie-Madeleine, la douleur du deuil de la famille cédera la place en la foi en Dieu, la prière et l'Espérance du Salut ; comme le Christ est ressuscité et est apparu à Marie-Madeleine, le défunt enterré ici ressuscitera à son tour.

De là à penser que toutes les figures féminines (Douleur, Mémoire, Espérance) sculptées sur les tombes de l'époque concernée, offrent une représentation de Marie-Madeleine pleurant le Christ, en croix ou au tombeau, il n'y a qu'un pas. Il est cependant très difficile d'affirmer que c'est toujours le cas, du fait que certaines d'entre elles sont parfois des portraits de la défunte ou plus souvent d'une parente (mère, sœur, épouse, fille), à moins que ces dernières n'endossent à ce moment-là, le rôle et les postures de Marie-Madeleine.

Voici d'ailleurs quelques autres sculptures de Pleureuses ou d'Orantes du Cimetière de Cimiez.


- RIVALTA Augusto (c.1835/1838-1925), Tombe d'Ercole T., détails, marbre, vers 1872,
(date de décès), portrait de la sœur de l'artiste au-dessus d'un prie-Dieu timbré du portrait du défunt, artiste-peintre.


- KRIEGER Joseph (1854- ?), Tombe de Marie Charles G., détails, marbre, vers 1894,
(date du décès), Nice, Cimetière du monastère de Cimiez.
La tombe porte les signatures de B. Maraini Architecte (Bernardin Maraini 1841-1931) et de Ronchese-Argenti Entrepreneurs (Jean-Baptiste Ronchese et Argenti) et les annuaires niçois nous révèlent qu'ils n'ont été associés que vers les années 1894-1900. Les dates des défunts qui apparaissent sur le sarcophage étant  mai 1873, octobre 1893, février 1902 et 1910, il semble probable que ce soit le décès de fin 1893 qui ait entraîné la réalisation du tombeau vers 1894.
Il est à noter que Jean-Baptiste Ronchese tailleur de pierres, verra à nouveau son nom associé à celui de Joseph Krieger sculpteur, sur la Tombe de Pierre F., décédé le 3 décembre 1903, dans une réalisation probablement de 1904 du Cimetière de Rabiac d'Antibes.


 - Anonyme, Tombe de Paul M., détails, vers 1915,
(date du décès du soldat), marbre, Nice, Cimetière de Cimiez.








samedi 20 février 2016

451-LE CIMETIÈRE DU CHÂTEAU DE LA VILLE DE NICE-PROJET PÉDAGOGIQUE-21




- AURILI Riccardo (1864-1943), Tombe Georgette F., vers 1918-1925,
 Nice, Cimetière du Château (Plateau Gambetta).


RÉSUMÉ 

Ce très bel ensemble, sculpté par Riccardo Aurili (1864-1943), dans les années 1918-1925, est situé à l'angle sud-ouest de l'allée interne du Plateau Gambetta (monument n° 15 du parcours - concession n° 8398). 

Sur la face principale, un ange debout (au corps féminin), de trois-quarts, tenant d'une main une lampe à huile allumée et, de l'autre, la porte ouverte du tombeau, apparaît en arrière de deux figures féminines assises, adossées contre un muret ; l'une (à gauche) est vêtue (âme élue) et redressée vers le Ciel (L'Espérance), et l'autre (à droite) est nue (corps mortel), prostrée et tournée vers la Terre (La Douleur).

L'Espérance se cambre, lève la tête (attente confiante) et entrecroise les doigts de ses mains jointes posées sur son genou droit (prière et foi), alors que la Douleur, repliée sur elle-même, dévoile ses épaules (poids), baisse, tourne et plonge la tête dans le mouchoir de sa main gauche (pleureuse), en laissant pendre l'autre bras jusqu'à ses pieds (impuissance). 

Ces deux allégories évoquent également l'opposition du Jour et de la Nuit, avec la lumière divine de la vie éternelle en opposition à l'obscurité de la vie terrestre et de la mort. L'ange, qui a guidé de sa lampe la sortie du défunt (résurrection), se tourne vers le lever du Soleil de Justice.

Après avoir étudié l'Ange féminin et ses rapports avec les figures de Psyché et Marie-Madeleine (cf. article précédent), il semble désormais nécessaire d'approfondir la recherche sur les deux autres figures féminines, en commençant par la figure exprimant la Douleur.


LA DOULEUR

Cette figure assise est située sur la droite du Tombeau (à la gauche de Dieu). La femme est nue, pliée en deux, le dos voûté et la tête appuyée sur sa main gauche alors que son bras gauche pend dans le vide. La pose est expressive et le corps réaliste (plis du ventre), puissant, sans être épais ni compact. 

A l'opposé du buste qui se tourne et s'affaisse vers la gauche sans se coller aux cuisses, les jambes apparaissent comme les seuls éléments frontaux et symétriques mais reposent uniquement sur la pointe des pieds. 

Le visage baissé est plongé dans la main qui tient un linge (mouchoir) et n'est donc pas visible. La longue chevelure, séparée par une raie médiane, laisse seulement échapper deux mèches symétriques sur le front et est retenue en chignon à l'arrière de la tête.


  
- AURILI Riccardo (1864-1943), DouleurTombe Georgette F., vers 1918-1925,
 Nice, Cimetière du Château (Plateau Gambetta).



Les figures de la Douleur existent depuis l'Antiquité et se sont multipliées dès la fin du Moyen-Âge, avec en particulier les représentations de la Vierge de Douleur pleurant le Christ mort.
 
Debout, assises, agenouillées ou même prosternées, ces figures allégoriques, vêtues ou nues et parfois dénommées du terme de Pleureuses, renvoient le plus souvent à la douleur du deuil, ce qui explique leur présence nombreuse dans les cimetières ou sur les Monuments aux Morts de l'époque contemporaine.



- BARTHOLOME Albert (1848-1929), La Douleur, 1900,
pierre, femme assise voilée et dénudée, tête penchée, tenant une couronne,
Tombe d'Henri Meilhac, Paris, Cimetière Montparnasse.

- MAILLOL Aristide (1861-1944), La Douleur, 1919-1922,
 grès, femme assise, tête penchée et accoudée,
Monument aux Morts de la Première Guerre Mondiale, Céret (Pyrénées Orientales), 


La plupart des représentations offrent des figures féminines au dos courbé et à la tête baissée appuyée sur une main (l'autre bras pendant et tenant parfois une couronne) ou plongée dans les deux mains. 

Parmi les figures de la Douleur, celle de Riccardo Aurili semble particulièrement proche d’œuvres de la fin du XIX° siècle et du début XX° siècle, peut-être influencées par l'art de Rodin (sculptures, Le Penseur, dès 1880, Le Désespoir, 1880-85, La Danaïde, dès 1885 ; dessin, La Douleur, musée Jenish de Vevey, Suisse).


- DALOU Aimé-Jules (1838-1902), La Vérité méconnue ou Le Miroir brisé, fin XIX° s. (?), 
statuette en bronze à patine noire, fondue en 1902, 35x26,5x21,7 cm, Paris, Musée d'Orsay, photo RMN-Grand Palais.



- MACKENNAL Bertram (1863-1931), Douleur, 1898,
marbre.


Des rapprochements peuvent également être effectués avec des sculptures italiennes contemporaines, et notamment avec celles du Cimetière génois de Staglieno.



- DE ALBERTIS Edoardo (1874-1950), Douleur, 1917,
marbre, femme assise, nue, repliée sur elle-même, ses cheveux longs défaits pendant jusqu'aux pieds,
Tombe Ammirato, Gênes, Cimetière de Staglieno.

- RIGACCI Ezio (1880-1947), Douleur, 1921,
marbre, femme assise, penchée et drapée, un sein dénudé, les mains jointes aux genoux,
Tombe Varagnolo, Gênes, Cimetière de Staglieno.


Au Cimetière du Château de la ville de Nice, quelques tombes présentent des figures féminines sculptées qui expriment par leur posture une profonde douleur.


- GARIBALDI Giuseppe (?-?), Pleureuse, 1901,
marbre, jeune fille agenouillée, effondrée contre le soubassement du sarcophage,
détail de la Tombe de la Famille C., Cimetière du Château, Nice, Allée Orizet.

- RONCHESE Jean-Baptiste, marbrier (?-?), Douleur, vers 1909-1910 (?),
marbre, jeune fille agenouillée en pleurs dominant la Tombe de la Famille C.-P.
Cimetière du Château, Nice, Plateau Protestant inférieur.


- Anonyme, Douleur, vers 1910-1911 (?),
pierre, figure féminine assis et voilée, tenant une couronne de pavot enrubannée,
dominant la Tombe de Paul Albert M., Cimetière du Château, Nice, Plateau Protestant inférieur.

- MAUBERT Louis (1875-1949), Douleur, entre 1917 et 1926, 
marbre, femme voilée, assise dans un fauteuil, détail de la Tombe du Baron Robert H., 
Cimetière du Château, Nice, Plateau Gambetta.


- BRAVI (?-?), marbrier, Pleureuse, vers 1925-26 (?),
marbre, jeune fille assise, cheveux défaits, corps replié, offrant des fleurs, 
détail de la Tombe de la Famille O., Cimetière du Château, Nice, Plateau d'Entrée.

- FERRARIS A. (?-?), Douleur, vers 1923-1924 (?),
marbre, femme voilée agenouillée, poitrine dénudée, offrant une couronne de pavot et de lierre,
détail de la Tombe de la Famille Maurice J., Cimetière du Château, Nice, Plateau d'Entrée.



ÈVE, PSYCHÉ ET MARIE-MADELEINE

Dans l'art, les Douleurs peuvent cependant parfois identifier des personnages particuliers de la mythologie ou de la Bible, pour évoquer leur deuil (Vierge Marie, Saintes Femmes), leur culpabilité (Ève après le péché), leur chagrin amoureux (Psyché abandonnée) ou leur désespoir (Esclave). La figure de Riccardo Aurili s'avère extrêmement proche de certaines représentations d’Ève après le péché.



- DAGONET Ernest (1856-1926), Ève, 1895,
marbre, 90x88x75 cm, Châlons-en-Champagne, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.

- GARVENS Oskar (1874-1951), Remords ou Repentir, date (?).


- CLARASO Enric (1857-1941), Ève, 1904,
marbre, Barcelone, Museu Nacional d'Art de Catalunya.


La Douleur d'Aurili peut évoquer également, comme son Ange, des figures de Psyché et de Marie-Madeleine.

Pour Psyché, il s'agit du moment où, après avoir éclairé Éros de sa lampe, ce dernier se réveille et disparaît, la laissant seule et désespérée de la perte de son amour. Elle est souvent représentée assise, le dos courbé et la tête basse, les mains jointes ou les bras ballants, dans une attitude de prostration.


- DAVID Jacques-Louis (1748-1825), Psyché abandonnée, vers 1795,
huile sur toile, 80x63 cm, Collection particulière.

- TENERANI Pietro (1789-1869), Psyché abandonnée, 1816-1817,
marbre, 118x11x72 cm, Florence, Galleria dell'Arte Moderna, Palazzo Pitti.

- CARRIER-BELLEUSE Albert-Ernest (1824-1887), Psyché abandonnée, 1872,
marbre, 165x53x70 cm, Marseille, Musée des Beaux-Arts.


Pour Marie-Madeleine, il s'agit des moments où elle se repent de ses péchés mais surtout de ceux où elle est effondrée de chagrin au pied de la Crucifixion ou devant le corps du Christ au Tombeau. La multiplication des représentations de Marie-Madeleine pleurant (larmes, mouchoir) dans tous les arts ont fait d'elle une image typique de la Douleur.


- QUARTON Enguerrand (c.1412-1466), Marie-Madeleine pleurant auprès du Christ mort, vers 1455,
détail de la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, 163x218 cm, Paris, Musée du Louvre.

- DE ROBERTI Ercole (c.1451-1496), Marie-Madeleine pleurant, vers 1478,
fragment de fresque de la Chapelle Garganelli de la cathédrale Saint-Pierre de Bologne, 39,3x39,3 cm, conservé à Bologne, Pinacoteca Nazionale.


- SARAZIN Jacques (1592-1660), Marie-Madeleine pleurant, entre 1611 et 1660,
détail de la statue située dans la chapelle Sainte-Thérèse, croisillon sud du transept de l'Eglise Saint-Joseph des Carmes, Paris.

- Anonyme, Marie-Madeleine pleurant, vers 1672,
détail du Sépulcre de l'église Saint-Martin, Arc-en-Barrois (Haute-Marne).


Il faut cependant reconnaître que les représentations assises de Marie-Madeleine, dos courbé et tête baissée, la montrent davantage en pénitence, en méditation ou en prière (croix, crâne, Bible) qu'en pleurs, surtout en sculpture. Y-a-t-il à Nice une inspiration mêlée des modèles de Douleur, Psyché abandonnée et Marie-Madeleine pleurant ?


- LE CARAVAGE (1571-1610), Madeleine pénitente, 1593-1594,
huile sur toile, 122,5x98,5 cm, Rome, Galleria Doria Pamphilj.

- CANOVA Antonio (1757-1822), Marie-Madeleine pénitente, 1809,
marbre, H : 95 cm, réplique de l'oeuvre originale datant de 1793-96, Saint-Pétersbourg, Musée de l'Ermitage.



LA NUDITÉ

Comment expliquer la nudité de la figure de Riccardo Aurili, alors que toutes les autres figures de Douleur du Cimetière du Château sont davantage vêtues ? La question est, là encore, complexe.

Il y a tout d'abord l'influence d'une longue tradition artistique liée à l'art antique qui fait de la nudité l'attribut des dieux, des héros et des allégories, avec l'idée de beauté et de perfection.
 
Il y a également la volonté de faire de la pleureuse (la mère, la sœur, l'épousel'expression des sentiments de maternité et d'attachement mais également de deuil et de douleur, la nudité révélant la vérité intérieure, la nudité de la chair par le dépouillement des apparences et l'éviction des vêtements. 

La figure de la femme nue exprime ainsi paradoxalement la jeunesse, la beauté, l'amour et la sensualité dans la douleur et la prostration. Elle devient un symbole équivalent à celui de la fleur à la tige courbée ou cassée, courant sur les tombes, c'est-à-dire un symbole de vie brisée. 

La nudité évoque ainsi la fragilité de la chair pécheresse (Ève, Marie-Madeleine), belle et putrescible, le corps terrestre et mortel plongé vers le sol, par opposition au corps céleste de l'âme éternelle, tourné vers le ciel (qui trouve son pendant revêtu sur la tombe).

Si l'on repense aux figures de Psyché et de Marie-Madeleine, toutes deux sont très souvent représentés nues car elles sont des symboles de beauté. 

Psyché est une princesse dont la beauté parfaite excite la jalousie de Vénus, et Marie-Madeleine est l'image de la beauté tentatrice, de la prostituée repentie. Psyché regrette d'avoir trahi sa parole, vit dans l'amour divin et gagne l'éternité, et Marie-Madeleine se repent de ses péchés, consacre son amour au Christ et devient le témoin privilégié de sa Passion et de sa Résurrection, avant de devenir ermite (nue dans sa volonté de dénuement) et sainte.

Il y a dans ces deux figures tout à la fois la beauté du corps terrestre et la quête divine de l'âme. Marie-Madeleine, plus particulièrement, est pour les chrétiens l'image de la vie humaine exposée au péché, l'image du salut par le repentir et la foi, et la promesse de résurrection.

Est-il possible d'envisager que la figure de la Douleur sur le tombeau niçois soit une figure de Marie-Madeleine, tour à tour image de la vie terrestre, du corps, du pécheur, du chrétien, du défunt et de sa famille éplorée ? 

Si c'est le cas, il y a dans cette figure de deuil et de désespoir une promesse de salut. Cette promesse, qui s'exprime par la présence du Tombeau vide, s'incarne-t-elle dans la dernière figure féminine de la Tombe ?